Chapitre 3
— 10, 9, 8, 7, 6, 5, 4, 3
— Attend, attend ! j'ai pas fini !
— 2,5 ; 2,15 ; 2 ; 1,5 ; 1 ; 0,5 ; 0 ! C'est bon ? Attention... j'arrive ! Voyons, voyons, où est-ce que tu peux bien être ?
Je parcours la pièce du regard et remarque aussitôt le petit tas de coussin disposé de manière tout à fait inhabituelle sur le canapé ainsi que les petits pieds qui dépassent. Immédiatement, je me dirige vers le coin opposé de la pièce en faisant le plus de bruit possible.
— Tu t'es drôlement bien caché aujourd'hui ! Peut-être derrière les rideaux ? Ah ! non.
J'entends le petit ricanement qui le caractérise et du coin de l'œil je vois les coussins remuer. Je m'approche tout doucement et sans bruit.
— Tiens, qu'est-ce que c'est que ça ? On dirait un pied ! Mais qu'est-ce qu'un pied peut bien faire sur le canapé ? Il faut absolument trouver son propriétaire !
Je l'attrape par le pied et lui fait des chatouilles. Je l'entends contenir ses rires.
— C'est un pied plutôt petit qui de toute évidence craint les chatouilles. Mais à qui peut-il bien appartenir ? A Riley ?
— Non, glousse Ewen.
— Bien sûr, c'est bien trop petit pour Riley. Alors à Maria ?
— Non.
— Mais évidemment, suis-je bête, c'est le pied de Patricia !
— Mais non, c'est mon pied marraine !
— Ewen ? Mais qu'est-ce que tu fais là ? ça alors je ne t'avais même pas reconnu ! Elle était géniale ta cachette !
Il me saute dessus de toutes ses forces et nous tombons tous les deux à la renverse s'ensuit une bataille de chatouille qui pourrait être à mon avantage si j'y mettais toute ma force, ce qui n'est pas le cas.
— Je me rends ! Stop ! Je t'en supplie !
— Youpi, j'ai gagné ! s'exclame-t-il ravi. On fait encore une partie de cache-cache ?
Je m'apprête à lui répondre par l'affirmative quand je remarque du coin de l'œil que nous ne sommes plus seuls dans la pièce. Il nous observe depuis je ne sais combien de temps avec un petit sourire aux lèvres. Quand il remarque que je l'ai vu, il parait un peu gêné mais il ne dit rien.
— Qui c'est ? demande Ewen en le voyant à son tour.
— Un ami à papa, tu dis bonjour Ewen !
— Bonjour, répond-t-il timidement.
— Riley n'est pas là, lancé-je froidement.
— Je ne suis pas venue voir Riley.
— Pourtant, tu n'as pas de raison de venir s'il n'est pas là. Tu n'as pas le droit.
— En tant qu'allier, je peux tout à fait venir, même s'il ne se trouve pas chez lui.
En effet, il a raison, je n'ai strictement rien à redire sur sa présence. En temps normal, j'aurai été aimable envers tout autre allié de Riley mais avec lui j'en suis formellement incapable. J'aimerai simplement qu'il s'en aille. Allié, oui, âme-sœur, même pas en rêve.
Soudain, Aiden porte les mains à son cou comme si quelqu'un l'étranglait. Il devient rouge comme si on l'empêcher de respirer. Je comprends immédiatement ce qu'il se passe.
— Ewen ! Arrête ça tout de suite ! ordonné-je.
Aiden retrouve son souffle et me fixe avec incompréhension. Je lui lance un regard de travers. Je regarde Ewen avec un air en colère, sans vraiment l'être.
— Pourquoi as-tu fait ça ? Qu'est-ce que Papa et maman t'ont dit à ce sujet ? Tu ne dois pas l'utiliser !
— Mais tu ne l'aimes pas ! Tu ne veux pas qu'il soit là ! pleurniche-t-il en me fendant le cœur.
— Je t'ai dit que c'était un ami de papa. Il est invité ici. Tu ne dois pas lui faire mal !
Mon petit ange de filleul se met à pleurer dans mes bras. Je le berce tendrement jusqu'à ce qu'il s'endorme d'épuisement.
Pendant tout ce temps, Aiden reste là, sans bouger, à nous regarder. Il semble avoir retrouver tout son oxygène. Je décide de mettre Ewen dans son lit et je monte à l'étage. Aiden ne me quitte pas, il me suit. Une fois qu'Ewen est confortablement installé dans son lit. Je vais dans la pièce juxtaposée à celle-ci, le bureau de Riley.
— Je suis désolée, chuchoté-je à Aiden.
— Ce n'est rien, assure-t-il. Ewen a quelle sorte de pouvoir ?
— Offensif, mais uniquement sur les loups, ça n'affecte pas les humains. Pour les effets, je n'ai pas besoin de te faire un dessin.
— En effet, fait-il dans un sourire.
— Pourquoi es-tu venu ?
Je pourrai parler gentiment, je pourrai sourire de temps en temps mais je n'en ai pas envie. Je pourrai être agréable mais je ne le suis pas. Tous témoignages d'affection de ma part pourraient être vus comme un signe d'encouragement et je ne veux rien encourager.
— Pour faire connaissance. J'espérai pouvoir te parler, te poser des questions, discuter.
— Dans ce cas discutons. Pose tes questions. J'y répondrai, si j'ai envie d'y répondre.
Il parait désarçonné par ma réponse mais il trouve rapidement ses mots.
— Tu les connais depuis combien de temps ? La meute de Riley je veux dire.
— Depuis que j'ai 6 ans.
— Pourquoi... pourquoi eux ?
— Comment ça ?
— Si tu déteste tant les loups pourquoi restes-tu ici ?
Je détourne le regard vers la fenêtre en direction la forêt. Je repense à mes cauchemars, je revois le corps de mes parents inerte et recouvert de sang. Respirer. Inspirer. Après un long silence je réponds :
— Je ne déteste pas les loups. Avant oui, mais plus maintenant.
— Qu'est-ce qui t'as fait changer d'avis ?
— La meute de Riley, avant eux, les seuls loups que je connaissais étaient des monstres. J'étais jeune, je pensais que si ces loups étaient mauvais tous les autres l'étaient également.
Certains le sont en tout cas et eux je les déteste.
Il marche lentement d'un bout à l'autre de la pièce sans me quitter des yeux. Par curiosité j'aimerai aussi lui poser des questions mais je ne peux pas me permettre de lui témoigner de l'intérêt, alors je ne lui demande rien.
— Ewen est un petit garçon adorable ! déclare-t-il.
— Je l'adore, déclaré-je admirative, pour le physique, il ressemble à son père mais il a vraiment pris le caractère de sa mère. Il est assez timide quand il s'agit de jouer avec les autres enfants mais lorsqu'on prend la peine de le connaitre, on reconnait toutes les qualités qui sont en lui.
Je m'arrête de parler lorsque je remarque un sourire sur le visage d'Aiden. En parlant d'Ewen, j'ai complétement oublié d'adopter un aspect froid et distant, je me suis laissée emporter par mes sentiments et ça ne lui a pas échappé. Je reprends le sujet de la conversation en modérant mon enthousiasme.
— Il a bon fond. Il aurait pu faire un alpha fantastique.
— Aurait ?
— Il n'est pas assez fort.
— Mais c'est un fils d'Alpha ? s'étonne-t-il. Il a même un pouvoir remarquable !
— Tu as dû entendre parler de la guerre d'il y a quatre ans entre Onward et Arden ?
Il acquiesce. Les conflits entre territoires sont nombreux mais jamais aussi intensif que cette fois-là. Tout le monde sait ce qui est arrivé à ces deux meutes.
— Lors de cette guerre, il y a eu beaucoup de blessés et de morts dans les deux camps. La femme de Riley, Maria, était enceinte et le stress causé par toute cette « agitation » a déclenché l'accouchement plus tôt que prévu. Tu n'es pas sans savoir que les loups reçoivent une marraine à leur naissance, une louve qui leur transmet de l'énergie pour réaliser leur première transformation. Malheureusement, durant l'accouchement comme tout le monde défendait le territoire, il n'y avait que moi.
— Ewen s'est lié à toi.
— Oui, mais je ne suis pas une louve.
— Pourtant, je l'ai vu se transformer dans la forêt !
— Je lui ai donné de l'énergie, mais ce n'est pas suffisant. Il peut se transformer mais, tout comme son pouvoir, il ne contrôle rien. Il arrive qu'il reste transformé en loup pendant plusieurs jours sans arriver à redevenir humain.
Il ne répond pas, semble réfléchir quelque instant avant de répondre :
— Tout à l'heure, il a perçu tes émotions...
— Oui, parce que nous sommes encore liés, tant qu'il n'a pas reçu la totalité de l'énergie qu'il doit recevoir, il ne sera pas stable et nous serons encore relié.
— Il n'y a aucun autre moyen de lui donner de l'énergie ?
— Un seul, il suffit que son âme-sœur soit une louve et qu'elle lui transmette son énergie. Seulement, les chances pour qu'un gris soit l'âme sœur d'une louve sont très mince.
Un silence s'installe.
— Je peux te demander un service ?
— Tout ce que tu veux ! répond-il immédiatement.
— En tant qu'allier de Riley, il est de ton devoir de faire en sorte qu'une telle situation ne puisse jamais se reproduire. Je te demande de faire en sorte que plus aucun enfant n'ait à souffrir du même mal que Ewen.
— Je te le promets.
— Bien ! Maintenant tu peux rentrer chez toi.
— Quoi déjà ? s'attriste-t-il.
— Oui. J'ai des devoirs à rendre.
— L'année vient à peine de commencer, rétorque-t-il amusé.
— A l'orphelina, les cours ne s'arrêtent jamais vraiment. J'ai aussi eu des devoirs cet été. Qu'est-ce que tu attends ? Va-t'en, ordonné-je.
Il sourit avant de commencer à s'en aller et il s'éloigne dans le couloir.
— Au plaisir de ne pas te revoir surtout, grommelé-je si bas qu'aucun humain n'aurait pu l'entendre.
Il se retourne, amusé. Stupide oreille de loup !
Le sort s'acharne malgré tout contre moi et lorsque Riley regagne sa demeure, il n'est pas seul. Aiden va-t-il réellement passer toutes ces journées ici ?
Je m'évertue à l'ignorer royalement mais il se contente de rester près de Riley. Ils échangent à propos de leur meute et de comment se venir en aide mutuellement. D'après ce que j'entends, Aiden propose de fournir des éclaireurs supplémentaires du côté de leur frontière commune pour que les troupes de Riley puissent se concentrer sur la frontière d'Arden.
C'est une bonne idée et je me demande s'il fait ça parce que je le lui ai demandé. Dans tous les cas, la nouvelle me remplit de joie. Cela fera d'Onward un endroit plus sûr pour tous les petits louveteaux de la meute. Un endroit plus sûre pour mon Eden.
— Et moi en quoi puis-je t'aider ? demande Riley curieux.
Je me fais toute petite sur mon siège en ouvrant grand les oreilles. Mes devoirs ont perdu tout leur intérêt depuis qu'ils sont entrés dans la pièce. Je suis sûre qu'ils ont fait exprès de se mettre dans une pièce à côté de la mienne alors qu'ils auraient pu choisir de parler au bureau.
— Je n'ai besoin de rien, affirme Aiden.
— Rien, tu es sûr ? insiste Riley avec amusement.
— Je me débrouille, poursuit-il sur le même ton.
Lui comme moi savons ce qu'il veut. Sa Luna. Mais qu'il n'espère pas la trouver avec moi.
Dans un soupir, que j'espère bruyant et agaçant, je rassemble mes affaires que j'enfonce dans mon sac sans ménagement. On n'est même plus tranquille chez soi ! Je passe devant eux sans m'arrêter ni même leur accorder un regard.
— Tu rentres déjà ? s'inquiète Riley.
— Oui, je dormirai à l'orphelinat ce soir. Tu diras à Ewen qu'on se verra demain.
— Mais...
Il se tait tandis que je franchis déjà la porte d'entrée. Cela fait une éternité que je n'ai pas passé de nuit au dortoir. J'y ai une chambre évidemment, mais elle est plutôt obsolète depuis quelques années. Juste un endroit où je peux aller si je veux être seule comme c'est le cas aujourd'hui.
Je m'en veux un peu de rejeter ma colère sur Riley mais je ne peux pas être aimable en sachant que Aiden est à côté. Surtout pas quand il me considère comme un trophée qu'il se doit de remporter.
Seulement, aucun loup ne peut s'empêcher de chercher son âme-sœur. C'est comme boire de l'eau, ça leur est vitale. Dois-je réellement lui en vouloir pour quelque chose sur laquelle il n'a aucun contrôle ? D'un autre côté, j'ai entendu des histoires bien plus horribles concernant des âmes sœur humaine arraché à leur famille sans même qu'on ne leur demande leur avis.
De ce point de vue-là, je suis une véritable veinarde. Cependant, cela m'exaspère que les humains soient à ce point tributaires des sentiments des loups. C'est comme s'ils ne nous laissaient pas le choix ! Même Riley ! Inconsciemment, il prend le partie d'Aiden en le laissant venir ici.
Le trajet jusqu'à l'orphelinat ne m'a en rien permis d'organiser mes pensées qui se sont toutes emmêlés dans ma tête. Dès que je ferme les yeux, je ne vois que le sourire d'Aiden. Son sourire et ses bonnes manières.
Il m'agace. Il est trop gentil. S'il avait été exécrable, j'aurai pu le détester sans remords. Mais il ne l'est pas, loin de là.
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