Chapitre 10


Nous nous déplaçons jusqu'au bureau de Aiden, que la situation exige apparemment. Durant notre trajet, ils échangent encore des mots par télépathie malgré mes protestations.

— Je croyais que ça me concernait ? Alors arrêtez de parler dans votre tête.

— Ce qu'on dit ne te concerne pas, révèle Aiden dans un sourire rassurant.

— Presque pas, corrige Justin tout bas.

— Parlez tout haut sinon je me fâche !

— Plus que maintenant ? s'interroge Justin amusé.

Je lui lance un regard noir mais je n'arrive pas à la maintenir bien longtemps, ce qui l'amuse davantage. Une fois dans la pièce, toute trace d'enfantillage disparait et il adopte un comportement des plus exemplaires.

— Je me suis penché sur le dossier que nous a donné l'orphelinat...

— Vous avez fouillé dans mon dossier ? coupé-je inquiète.

— Pour faire des recherches sur Hannah, explique Aiden pour me rassurer, je lui ai demandé de trouver où elle habite.

Il travaille déjà là-dessus ? m'étonné-je avec reconnaissance. S'il a réussi à trouver des informations auquel je n'ai jamais pu avoir accès, je n'ose imaginer...

— J'ai même trouvé plus que ça, poursuit Justin fièrement. Un détail... surprenant.

— Quel détail ? s'intéresse Aiden.

— Tu habitais à Jood, commence-t-il en s'adressant directement à moi, mais l' « attaque » de tes parents à eu lieu à Naya.

— Alors on doit avoir des traces dans les registres, ajoute Aiden avant même que je ne fasse le lien.

Naya, son second territoire. Justin acquiesce et sort une autre pochette qu'il étale devant nous.

— J'ai demandé à Owen tout ce qu'il avait à ce sujet et il m'a envoyé ça ce matin. Je n'ai pas eu le temps de regarder tout ça en détail, mais je crois que ça doit te dire quelque chose, patron.

Il nous montre une série de fichier, qui me sont incompréhensible mais qui semblent parler à Aiden. Il écarquille les yeux.

— Je m'en souviens, souffle-t-il ébahi.

Il pose sur moi un tout autre regard et je ne parviens toujours pas à comprendre ce que ces papiers signifient. Je l'interroge silencieusement, attendant qu'il me révèle davantage.

— J'étais là, explique-t-il. La meute de mon père a trouvé les... nous nous sommes occupés de l' « affaire ».

Il ne sait pas comment poursuivre, quels mots adopter. Ils prennent tous les deux des pincettes pour décrire ce que je qualifierais plutôt de massacre.

— Je n'étais pas encore un alpha, raconte-t-il, c'était l'une de mes premières grandes missions, je n'avais que 14 ans. On pensait qu'il n'y avait aucun survivant et c'est moi qui l'aie trouvé, la petite fille terrorisée.

Je reste muette, j'essaie de me souvenir de ce jour-là mais tout ce qui me revient en mémoire est le contenu de mes cauchemars. Le reste est flou dans ma tête, ce qui s'est passé avant, ce qui s'est passé après, tout se mélange indistinctement.

Je regarde plus attentivement les papiers qui sont posés devant moi, des rapports, des lignes et des lignes de rapport datant de ce jour-là. Des photos. Je tombe évidemment sur une qui représente mon père, le bras droit arraché. Je reste bloquée quelques instants dessus avant de les lâcher brutalement, comme si elle me brûlait la peau. Je détourne le regard et du coin de l'œil, je vois Aiden rassembler tous les clichés et les mettre dans un tiroir.

— Tu savais ? demandé-je hésitante.

— Non, assure-t-il, je ne savais même pas ce qu'elle était devenue, ce que tu étais devenue. Mon père m'avait juste dit qu'on t'avait ramené dans ta famille.

— Est-ce que tu sais pourquoi vous étiez à Naya ? intervient Justin. Les chasseurs restent dans leur territoire en temps normal.

— J'avais sept ans, rétorqué-je brusquement, tout ce dont je me souviens c'est que ça s'est passé et ma « famille » n'a pas pris la peine de m'expliquer. Je n'ai même pas vu Hannah, ils m'ont directement envoyé à Onward. Le plus loin possible d'eux.

Aiden fait un pas vers moi dans le même temps que je recule dans la direction opposée. Je n'aime pas en parler.

— Ça ne nous aide pas à trouver Hannah, rappelé-je pour revenir sur le bon sujet.

— Le problème, explique Aiden dans un rictus, c'est que les chasseurs n'ont pas pour habitude de partager leurs infos.

— On est obligé de travailler toutes les pistes, poursuit Justin. Il est possible qu'ils aient envoyé ta sœur dans un autre territoire.

— Non, coupé-je, ils l'ont gardé.

Ils ne comprennent pas ce que je sais. « Ils ne voulaient pas de moi, c'est tout » confié-je dans sa tête, ne pas le dire à voix haute rend la chose moins difficile. « Est-ce que tu sais pourquoi ? » Le souvenir de ma grand-mère me regardant de haut en bas comme si j'étais un être infame me revient en mémoire. « Je la dégoutais, je n'étais pas à la hauteur de la réputation des chasseurs. J'étais faible. »

Aiden tente encore une fois de s'approcher de moi, sans que je ne le laisse faire. « Tu n'es pas faible Kayla ».

— Vous pourriez parler à voix haute ? suggère Justin. Je n'ai rien dit ! se disculpe-t-il en levant les mains en l'air une fois que le regard noir de son Alpha se soit posé sur lui.

— Elle est avec eux, j'en suis sûre, intervins-je. Sam me l'avait assuré.

Sam, le père de Riley, peut-être aussi en quelques sorte mon père à moi, durant quelques années du moins.

— Il avait fait des recherches aussi ?

— Oui, il m'a aussi dit que si je voulais avoir la garde de ma sœur, il fallait que j'attende d'être majeure.

Et j'ai attendu.

— Et ta sœur n'a jamais essayé de te contacter ? Peut-être... peut-être qu'elle est bien là où elle est ? suggère Justin.

— Elle n'avait que deux ans quand nos parents sont morts, lancé-je un peu trop sèchement. Je doute même qu'elle soit au courant de mon existence mais je ne la laisserai pas grandir là-bas. Du peu que je m'en souvienne, le territoire des chasseurs n'est pas un endroit agréable et je refuse qu'elle apprenne à tuer ceux de votre espèce.

Je me dirige à nouveau vers le bureau où les rapports s'éparpillent. Je commence à lire la première phrase. Le 23 juillet, découverte par les éclaireurs aux environs de 3 heures du matin, à la limite du territoire. Onze loups et trois humains, un homme, une femme et une fillette. Seule la fillette a survécu. D'après le médecin légiste, l'attaque a eu lieu vers 23 heures. Aiden me stoppe dans ma lecture en attrapant mes mains, stoppant leur tremblement.

— Tu n'es pas obligée de faire ça, tu n'aurais même pas dû avoir à voir ça, annonce-t-il doucement.

— Je ne me souviens pas, bredouillé-je tandis que Justin s'éclipse discrètement, je pensais que ça s'était produit en pleine hiver mais il ne neige pas en juillet. Je croyais que ce que je voyais dans mes cauchemars était vrai mais... mais c'était son bras gauche.

Et l'heure... Quatre heures, seule, dans les bois, recouverte du sang de mes parents. Il n'est pas étonnant que je revive ce moment toutes les nuits.

— Chut..., susurre-t-il en me prenant dans ses bras sans me laisser le choix. N'y pense plus, me conseille-t-il.

— Aiden, supplié-je en larme.

« Je suis là...» résonne sa voix dans mon esprit. Il m'enlève le dossier des mains, délicatement, sans me brusquer. Ce sont de mes parents dont ces documents parlent, de leur mort. Je n'ai pas envie de revivre ça, je le vois assez souvent dans mes cauchemars. « Tu n'as pas à le revivre, pas si tu n'en as pas envie. On peut s'en occuper, je vais m'en occuper. »

— Je vais envoyer un message à Riley, pour savoir s'il a gardé une trace des recherches de son père... Peut-être que tu pourrais parler avec Ewen, ça te fera du bien...

A la mention de son prénom, je retrouve immédiatement un peu de joie, un jour et Ewen me manque déjà. Aiden devine qu'il a bien trouvé ce qui me permettrait d'oublier ça et sourit, l'air amusé.

— N'y pense plus... Je m'occupe de tout, répète-t-il à voix haute.

Après un petit encas, Aiden s'enferme dans son bureau pendant quelques instants, le temps de discuter de choses que je ne veux pas entendre.

« Riley demande si tu veux lui parler ? » intervient-il en me surprenant. C'est étrange de pouvoir se parler comme si nous étions dans la même pièce. « Non que Ewen » m'amusé-je. Je me lève pour rejoindre son bureau. « Il me dit de te dire que tu lui brises le cœur, en préférant son fils à lui » « Il n'avait qu'à pas faire un fils aussi adorable » rétorqué-je en arrivant devant la pièce. J'ouvre la porte au moment où il se lève pour me tendre le téléphone. Nous sommes parfaitement synchronisé, ce qui me fait sourire d'autant plus.

— Ewen ? demandé-je immédiatement à travers le combiné.

— « Eh non, raté, me répond Riley amusé. »

— Ah ! m'exclamé-je, une embuscade !

— « Tu m'y as forcé, s'amuse-t-il, tu avais dit que tu appellerais dès que tu serais arrivée, j'attends toujours. »

« Je peux rester ici » demandé-je en regardant Aiden. « Tout ce qui est à moi, est à toi » m'assure-t-il. Je m'installe sur la petite banquette, dos à lui pour qu'il ne voit pas mes joues rougir. « Merci » soufflé-je en lui envoyant un baiser mental.

— « Ohé, toujours là ? »

— Oui, pardon, je parlais à Aiden.

— « Vous parlez déjà par télépathie ? Impressionnant ! »

— Passe-moi mon filleul, si tu n'as rien d'intéressant à dire, raillé-je.

— « Il ne demande que ça, quand est-ce que marraine appelle ? Est-ce qu'on peut appeler marraine ? Et je suis obligé de lui dire que depuis que son indigne marraine est partie elle ne pense plus une seule seconde à nous... »

— Arrête de jouer les martyres et passe-le-moi !

— « Dis-moi au moins si tout se passe bien, pas la peine de me faire un roman si tu ne veux pas, tu as le choix entre : pitié viens me chercher / ça va je gère/ c'est trop bien je ne veux plus jamais partir »

Je réfléchis une minute et je sens le regard d'Aiden sur moi. « Tu vas continuer à me fixer encore longtemps ? » « J'adore regarder les belles choses ». Mes joues doivent encore plus se colorer de rouge après une telle révélation et je me réjouis qu'il ne puisse pas le voir.

— Il n'y a pas de palier intermédiaire entre la deuxième et la troisième proposition ?

— « Non, ça n'existe pas, refuse-t-il catégorique. Tu mets longtemps à répondre, toujours en train de communiquer par télépathie ? Cela en dit long sur la réponse à ma question... »

— « C'est qui, Papa ? C'est marraine ? »

Entendre la voix d'Ewen me fait presque monter les larmes aux yeux et je me relève brusquement, avide de l'entendre.

— « Oups, démasqué ! s'exclame Riley, oui c'est marraine, je te la passe dans une minute. »

— « Maintenant ! Maintenant ! »

— « Une minute petit monstre, ce n'est pas la peine de sauter je suis quand même beaucoup plus grand que toi »

J'imagine très bien la scène qui se passe de l'autre côté et ça me fait sourire. Maintenant Ewen répète en boucle marraine.

— « Kayla, reprend-il, appelle-moi si tu as besoin de quoi que ce soit... Je t'aime. »

— Moi aussi, je t'aime, merci Riley.

Au moment où je prononce ces mots, je sens encore plus le regard d'Aiden sur moi. « Un problème ? » demandé-je sur une note sarcastique. « Aucun. » rétorque-t-il trop précipitamment.

— « Allo ? Marraine ? »

— Mon trésor ! m'exclamé-je en me redressant d'autant plus. Tu m'as tellement manqué !

— « Marraine, tu vas venir quand ? »

Je ne sais quoi répondre à sa question posée avec autant d'espoir. « Bientôt » m'informe Aiden.

— Bientôt, réponds-je.

« Bientôt ? » demandé-je à Aiden avec espoir. « Bientôt. » confirme-t-il.

— « Tu sais j'ai été très sage ! annonce-t-il avec fierté. »

— Je n'en doute pas une seule seconde. Tu as bien dormi ?

— Oui ! Toute la nuit ! Je n'ai pas fait de cauchemar !

Je pousse un soupir de soulagement. Ewen ne voit pas mes cauchemars mais il ressent mes émotions, ma peur et ma crainte. Un enfant de quatre ans ne devrait pas avoir à ressentir ce genre de sentiment et encore moins toutes nuits.

Ewen commence à m'expliquer tout ce qu'il a fait depuis que je suis partie, son récit se transforme en exploit me faisant rire à plusieurs reprises. Nous passons plusieurs heures au téléphone, ses histoires alimentées par son imagination débordante mais je ne m'en lasse pas une seule seconde. Je ne vois même pas le temps passer. Au contraire, je suis triste de devoir raccrocher quand Maria lui annonce qu'il doit prendre son bain. Je l'entends me dire au revoir en me faisant mille bisous et il raccroche.

Ma joie disparait aussi vite qu'elle est arrivée. Ewen est bien trop loin de moi.

— Hey... souffle Aiden en apparaissant dans mon champ de vision .

Il m'enlève le téléphone des mains pour le poser sur la table basse. « Il me manque » annoncé-je. « Je sais... Votre connexion est très forte » fait-il dans un petit sourire.

— Plus que la nôtre, poursuit-il à haute voix.

— Est-ce que... est-ce que c'est ce que tu ressentirais si je partais ? hésité-je contrarié.

— Pas exactement, mais oui, un peu...

D'un geste, je lui demande de m'expliquer.

— Ewen et toi vous êtes déjà lié, contrairement à nous. Le lien qui vous unit est parfaitement accompli et c'est pour ça que ta peine serait moins vive que la mienne.

— Comment ça ?

— Même à distance tu sais que Ewen t'aime, vous êtes liés, rien ne pourra changer ça. Quand tu vas le revoir, tu as l'assurance qu'il se jette dans tes bras avec autant d'amour que si tu n'étais jamais partie. Alors que si tu t'en vas, si tu t'éloignes de moi sans que le lien n'ait été accompli, moi je n'ai pas cette certitude.

— Pardon...

— Non, non ne t'excuses pas, tu es venue, tu es là. C'est plus que ce que j'espérais, ça me va de ne pas accomplir le lien. Te savoir avec moi, près de moi ça me suffit amplement. 

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