Mamie Yo
_Nous nous rapprochions à vive allure. Nous allions fondre dans sa ionosphère. Mais juste avant d'atteindre le seuil critique, le vaisseau se stabilisa et nous nous mimes en orbite à 900 kilomètres du sol. Nous gravitions autour de trois lunes irisées. Je me détachais du vaisseau et volais dans la troposphère de Végétalia.
Depuis mon poste d'observation, j'admirais les crêtes découpées, les vallons fleuris, les fleuves impétueux qui se fondaient avec violence dans le sein de mers immenses. De puissantes marrées, charriaient des flots d'êtres aux formes reptiliennes, elliptiques, coniques. Le bruit du fracas des vagues contre des rochers démesurés, résonnait dans mon esprit. L'odeur de l'embrun emplissait mes poumons en même temps que le sel me faisait tousser. La forêt, luxuriante, envahissait des étendues sans fin. À perte de vue, des entrelacs de lianes, de plantes fruits et d'arbres aux baies succulentes s'offraient à la main qui voudrait les cueillir.
Je me réjouissais de voir s'étaler de quoi nourrir notre peuple durant des années, sans effort.
Mais soudain, je sentis mes poumons s'enflammer. La végétation s'embrasa. Les animaux, feulant, beuglant, gloussant, se firent menaçants, griffes et crocs, muscles et tendons prêts à l'attaque. Ma tête explosa. Je me réveillais !
Le visage crispé, l'adolescent avait hurlé les derniers mots.
_Là, là, tout doux, Marc.
_J'ai peur ! J'ai peur de m'endormir et d'y retourner encore !
La panique se lisait sur son visage. Le jeune homme se tordait les mains avec désespoir, poussant avec ses pieds un ennemi invisible. Que faire contre les farces de son inconscient ? Les yeux rougis et humides de Marc témoignaient assez de son impuissance.
_Là, là..., répéta la vieille.
Avec une tendre lenteur, elle caressa, douce comme une mère, les cheveux cuivrés du garçon. Elle joua distraitement avec les boucles longues tombant sur ses épaules couvertes de sueur. L'angoisse ne passait pas. C'était la sixième fois qu'il revenait voir la guérisseuse pour qu'elle éloigne de lui ce cauchemar. Sans succès. Attrape-rêve, acupuncture, paroles apaisantes, rien ne calmait l'adolescent. À chaque nouvelle occurrence, quelques détails rendaient le songe plus crédible, plus palpable. Chaque fois, Marc se réveillait en sueur, hurlant, ahanant, croyant sa dernière heure venue.
_Tes examens te stressent trop, mon enfant, jugea la vieille. Prends ces herbes. Fais-les infuser dans ta ration de ce soir. Tu passeras une nuit sans rêves. C'est tout ce que je peux pour toi, pour le moment.
_ Oh, merci, Mamie Yo ! Mamie Yo...
Les larmes perlaient dans le regard profond du garçon. Il ne chercha pas à les contenir. Marc savait combien ces plantes avaient dû coûter à la guérisseuse. Seuls les dirigeants ont accès aux jardins d'herbes médicinales. Pour se procurer le bouquet chétif, déjà fané dans sa main ridée, elle avait du remuer ciel et terre avec le concours d'autres invisibles. Marc pria ardemment la déesse machine pour que leur communauté ne pâtisse pas de cette infraction aux lois du vaisseau.
_Nous comptons tous sur ta réussite, Marc.
_Je...
Marc se racla la gorge et bomba le torse, pour faire preuve d'une assurance feinte.
_Je me montrerai digne de votre confiance, conclut-il en gratifiant Mamie Yo d'un sourire fugace, chargé de reconnaissance.
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