Mamie Yo 2

 _Je t'accompagne jusqu'à l'amphithéâtre, Marc, déclara Mamie Yo. Je vais voir la petite Gaïa.

Gaïa était née le week-end précédant. Le nouveau-né promettait de devenir une jolie brunette aux yeux pair, solide, charpentée comme un rock. Ses vagissements puissants alertaient sur ses besoins primaires trois périmètres après la nursery !

Marc commença à zigzaguer par-dessus les barres de maintien, pour aller plus vite. La guérisseuse lui emboîta le pas, faisant feuler sa combinaison rapiécée à chaque nouvelle enjambée. Dans la main de la vieille femme, un scaphandre miniature pendouillait au bout d'un enchevêtrement de vieux chiffons pourvus d'excroissances en bois et en caoutchouc. Ils traversèrent plusieurs périmètres vides. Dans l'encadrement de la porte du dernier, Marc était attendu.

_Salut. J'ai un message à te confier pour la salle des radios. Peux-tu le transmettre, s'il-te-plaît ?

L'homme buriné, la main tendue, se tenait sur le seuil de son espace : une couche de huit mètres carrés, partagés avec sa femme et leur fils.

_Oui, je m'y rends cet après-midi, Alistair.

Marc saisit le papier.

_Je peux te subroger, si tu y tiens.

Alistair contint une grimace tandis que Marc, flanqué de Mamie Yo, traversait son périmètre. Néanmoins, il les salua rituellement, avec l'élégance d'un bon leader :

_Que la Machine vous garde au plus prêt d'Elle.

Mamie Yo posa la main sur l'épaule de Marc. Elle semblait plus crispée qu'à l'accoutumée. D'une voix lasse, elle lui expliqua :

_Ta bonne fortune a fait jaser. Les instances d'en haut ont renforcé l'imperméabilité des classes. Alistair a perdu son accréditation...

Marc tiqua. Son étonnement se lisait entre les plis de son front. Alistair, à la suite de Valérian et d'Accélia avait reçu la charge de fluidifier les relations entre classe dirigeante et ouvriers. Un émissaire faisait le pont depuis l'accident de la fuite du réacteur. Pourquoi lui avoir retiré cette accréditation ?

_L'ensemble des mesures prises il y a treize ans visait à contenir les esprits belliqueux...

Mamie Yo marmonnait. A chaque veillée elle commémorait le souvenir des disparus. Les prises de décision trop rapides avaient coûté la vie de la moitié des ouvriers adultes au moment de l'accident. Par la suite de nombreux cancers avaient eu raison d'un quart des rescapés. Mamie Yo était la dernière vieille de cette tranche d'âge. Après le "déplorable incident" les esprits s'étaient apaisés au prix d'un assouplissement de la règle du chacun chez soi. Supprimer l'accréditation de l'émissaire des ouvriers, revenait à rompre la communication entre pieds et tête du vaisseau.

La guérisseuse, le regard dur, la voix sonore, répéta son poncif :

_Les dirigeants vont se croire en droit de choisir l'avenir de tous dans le sens de leur seul intérêt... Marc, on compte sur toi, pour... Une quinte de toux l'empêcha d'achever. Le jeune homme compléta :

_Leur rappeler notre existence. C'est nous qui prenons les risques, nous qui sommes les forces vives de notre Mère. Je le sais, mamie Yo...

_Quand tu seras là-haut, tu devras le leur rappeler !

_Je ferai de mon mieux.

La vieille avait resserré son étreinte. Marc sentait les ongles de la guérisseuse par dessus sa combinaison. Elle avait conservé une force prodigieuse en dépit de ses cancers multiples et des maladies de peau qui la rongeaient.

Marc aurait voulu protester, dire que sa propre position était fragile, que les cadres, les dirigeants ne tiendraient compte ni de ses propos, ni de ses avis, mais le regard ardent de la vieille femme lui fit ravaler ses mots. Il prit sa main libre et la frotta contre sa joue.

_Je viendrai à la veillée, ce soir, avec Aymric.

Elle bondit, le souffle court, comme sous le coup d'un uppercut.

_Tu es certain qu'il viendra ?

_Il viendra.  

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