Séance de tatouage

Je me suis réveillé sur le toit, bien après que le soleil se soit levé. 

Le village était dans une grande confusion et des éclats de voix, hommes et femmes, résonnaient. Puis un énorme craquement.

Le pont, presque réparé, brûlait. Il était déjà à moitié tombé dans les flots.

Caldera était devant le pont. Mais il était ni défiant, ni conquérant : il était accablé, presque à genoux. Julia, qui avait couru depuis l'incendie et monté les escaliers en trombe m'expliqua sans rattraper son souffle :

- « Le pont brûle !

- Julia, franchement, ça ne valait pas le coup de vous épuiser pour me dire quelque chose que tout le monde peut constater.

- Non...mais...(elle halète)...c'est Caldera qui a mis le feu !

- Là encore, je n'avais pas besoin de vous.

- Corekciler, le gros balourd...une braise est venue voler sur lui alors que le clan incendiait le pont. Il a pris feu ! Il s'est jeté dans le Parcoul ! Il n'est pas remonté ! »

Le mythe de l'automnale était vrai. J'étais dressé sur le toit comme un drapeau et tous pouvaient me voir. Les habitants voyaient que Caldera m'avait défié, mais au prix de son frère. Et le Lynassi tourna des yeux résolus sur moi - impénétrable. 

Tout en le fixant, j'ai demandé :

- « Julia, farfouillez dans les buissons et trouvez moi un ou deux plants de henné. (comme elle ne comprenait pas, j'ai tenté :) du henna ? De l'annella ? Ah, excusez moi, en Osmanlie, vous appelez cela du Mehendi. 

- Attendez, Caldera va vous égorger. C'est pas le moment de...

- Julia. Faites. Tout va bien se passer. »

Elle opine et s'enfuit presque en courant.

Caldera ne m'a pas égorgé. Il savait pour l'automnale. Il savait que je n'étais pas un jeteur de sorts. Il allait pleurer son frère, comme prévu. 

Julia est revenue en début d'après-midi, avec six plants de Mehendi. Elle avait une énergie fantastique pour toutes les taches. J'ai desséché rapidement les feuilles avec le feu, que j'ai réduites en poudre. J'ai ajouté un peu de ma mandragore pour faire virer sa teinte naturelle vers le noir profond. 

Mon maître ne m'avait pas simplement appris la magie : elle m'avait enseigné comment me dissimuler, me déguiser, mentir avec assurance. Dans la liste très grande de ses stratagèmes, il y avait le fait de se créer des faux tatouages - j'en faisais une recette.

-  « Julia, vous savez quel est l'insigne du Khan d'Osmanlie !

- Vous voulez me blesser ? Vous savez bien que oui. Comment l'oublier...

- Quel est-il ? 

- C'est un soleil avec un sourire.

- Comme le dessinent les enfants ?

- Un peu...mais son sourire est mystérieux. Pas très bienveillant. Un peu comme celui d'une créature qui essaie d'imiter un homme. »

Je me suis retourné et je me suis dévêtu. Je n'avais pas grand chose sous la robe au lion. Alors que Julia s'étranglait je lui ai dit :

« Dans mon dos, avec la poudre de Mehendi, peignez ce symbole. Le plus grand possible. »

Le dessin a pris des heures. La poudre se plaçait finement avec un stylet. L'ouvrage, fait dans la pénombre, à la lueur d'un feu qui réchauffait mon corps nu, avait quelque chose d'un rituel magique. 

Quand Julia a commencé à prendre de l'assurance à l'exercice elle me déclara, tout en travaillant :

- « Donc, vous connaissez l'histoire de Caldera, et mon histoire. Est-ce que je vais connaître la vôtre ? Là je vais en avoir pour des heures à vous peinturlurer le dos... 

- Nous ne sommes pas sous les étoiles de la vérité. Je pourrais vous dire n'importe quoi.

- On va dire que je vous fais confiance...»

Après tout, je pouvais arranger la réalité et ne pas trop mentir. J'ai commencé alors, lors d'une des très rares fois de mon existence, à raconter ma vie. Elle semblait, à travers les identités que j'avais prises jusqu'alors, assez étrangère.

- « Je suis comme vous, un orphelin. Je crois. J'ai de très fugaces souvenirs de passages terribles de ma toute petite enfance. Un incendie...un bateau...une grande ville. Peut-être Aria. Un jour j'irai, pour en être sûr. Mes plus lointains souvenirs certains viennent d'un village nommé Malbouzon, au nord des monts Saumos...bref, au nord d'Aria. À Malbouzon nait un fleuve appelé la Craonne, qui se jette dans le Parcoul quelque part...je crois...

- Vous êtes débile ou quoi ? La Craonne se jette dans le Parcoul à Rideau ! 

- Possible. »

Furieuse, elle s'est placée devant moi pour me regarder dans les yeux.

- « RIDEAU, COMME LE SEIGNEUR DU RIDEAU ! VOUS ÊTES JAMAIS ALLÉ À RIDEAU ? Alors que vous êtes le Juge de Campagne DU SEIGNEUR DU RIDEAU ? 

- Julia, pouvez-vous vous mettre dans mon dos s'il vous plaît ? »

Réalisant qu'elle était face à ma nudité, elle s'est éclipsée, troublée. Je lui ai longtemps parlé de ma vie, des champs et des plantes, pendant de nombreuses heures, mais je pourrais résumer cela par :

- « Je me retrouve orphelin dans ce village où je suis abandonné le jour de la fête d'Ina. Donc ils me recueillent - pas trop de gaité de cœur - et me donnent un semblant d'éducation. Je suis obeissant, sage, et intelligent. Je ne suis pas d'une grande aide aux champs, mais ils me découvrent un nouveau talent : je sais compter. Je sais très bien compter. Je vois comment tout équilibrer pour que le peu de récoltes moins leurs impôts puisse faire vivre tout le monde. Rapidement, avec mes calculs, le village prospère et commence une activité commerciale lucrative. Bien entendu, les gens parlent de moi. L'enfant prodige.

- Ouais, ben moi, j'ai jamais entendu parler de vous. Vous êtes pas très modeste, en plus d'être à moitié menteur.

- Attirée par la rumeur, vient une vieille femme qui était...»

J'avais failli dire « Grande Magicienne » mais elle n'aurait rien compris. J'ai commencé à mentir :

- « Elle travaillait pour le Seigneur du Rideau et m'a enlevée au village. Elle m'a appris tout ce que je devais savoir du métier de bailli, et me voilà à Claveau. 

- Votre histoire, c'est n'importe quoi. Déjà les fiefs longeant la Craonne ont rien à voir avec la Seigneurie du Rideau. Et comment vous êtes arrivé à Claveau, le bout du monde ? »

Elle me dit que c'est fini. Je lui dis qu'elle aura la suite une prochaine fois. 

Je remets ma robe. Je sors. La nuit est très avancée. Les étoiles de la vérité sont au zénith. 

- « Parfait, Julia. Allons voir Caldera. D'un bon pas ! »

Et je m'engage sur le sentier menant au manoir à grandes enjambées. L'air froid de la nuit me réveillait. Julia me rejoint, toujours emportée :

- « Mais pourquoi ? Il fait nuit ! Et puis vous lui avez donné DEUX JOURS vous avez dit !

- Minuit est passé. Nous sommes déjà demain.

- Allons le voir demain matin !

- C'est la deuxième leçon sur les trois que je compte vous enseigner, Julia. « Il faut toujours prendre votre ennemi par surprise. »

- Ha ! Des leçons ! Et c'était quoi la première ?

- « Connais ton ennemi. » C'était hier. 

- Des leçons pour quoi ? Devenir bailli ?

- Julia, vous avez de l'énergie, du bon sens et de l'écoute. Vous avez connu l'Osmanlie, Varna, et Aria. Vous êtes la personne la plus qualifiée pour devenir impératrice des trois royaumes que j'ai jamais rencontrée. 

- Impératrice...quoi ? Mais...

- Cela dit ne vous enflammez pas. Je n'ai pas rencontré tant de gens que cela. »


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