La prêtresse des chats

En redescendant le chemin menant à Claveau, Julia tempêtait :

- « Il a pratiquement avoué qu'il avait tué ces gens ! Et vous allez le laisser vivre ?

- Très bien Julia, vous avez raison. Retournez au manoir et pendez Caldera.

- Quoi ?! Mais ils sont tous armés ! Et ils sont combien ? Dix ?

- Maintenant que vous avez saisi le défaut dans votre raisonnement, silence, et laissez-moi profiter du paysage. »

Arrivé au village, j'ai demandé à l'impatiente jeune fille de superviser les réparations du pont. De mon coté j'ai trouvé une colline isolée, sans aucun arbre, qui dominait le village. Je me suis assis dans le creux du vent et j'ai commencé à longuement admirer la montagne.

Face au titan, attaqué par les oiseaux, les arbres, la neige, les nuages et au-delà, probablement, les étoiles, j'ai tenté de lire la nature, de comprendre pourquoi les signes m'avaient amenés ici, cherchant peut-être une vérité supérieure, comme si ce dieu silencieux détenait les plus grandes vérités.

Deux fois dans ma méditation j'ai été interrompu. Caldera est passé sur un cheval couleur sable, magnifique, un Akhal Teke que je croyais légendaire. Il m'a longuement regardé en silence, puis m'a laissé à ma méditation. Ensuite, Julia est venue me chercher pour me dire quelque chose d'inutile du style « les travaux avancent bien » et, tiré de mon rêve éveillé, je lui ai demandé de quoi manger et de me l'apporter dans ma maison.

Quand elle est arrivée les bras chargés de pain et d'un fromage appelé Tarag, très dur, maugréant qu'elle n'était pas mon esclave, elle m'a trouvé au bureau, en train d'écrire dans mon livre de magie. Comme j'avais de nombreuses heures devant moi, j'ai pu réécrire tout ce que m'avait appris Xa, mais aussi les quelques faits que j'avais collecté dans l'ouest, sur les cités Môn disparues.

Julia, impatiente de je ne sais quoi, tournait en rond, fourbissait une épée trop longue pour elle, était intenable. La nuit était bien avancée lorsqu'elle me demanda d'une petite voix :

« Vous allez nous aider ? »

Franchement, je n'en avais aucune envie. J'avais vu des seigneurs plus violents que Caldera - Claveau ne s'en tirait pas si mal. Si ça se trouve, le Seigneur du Rideau était une ordure. Mon plan était de me reposer, de manger, de voir si cette montagne pouvait m'apprendre quelque chose, et de partir à Varna. Je n'avais reculé ce voyage que de trop.

Face à mon silence, elle prend deux épaisses couvertures et la main, et me guide dans l'escalier intérieur jusque sous le toit. Elle s'installe à l'air libre, froid et figé, mais sous la couverture. Je l'imite, dans un autre coté du toit.

Elle me montre les étoiles au zénith. Elles formaient une sorte d'anneau.

- « Vous reconnaissez ces étoiles ?

- Non, Julia, je n'ai aucune connaissance des étoiles du nord.

- Vraiment ? Ben c'est la Constellation de la Vérité. Quand elle est pile au milieu du ciel, ce qui arrive trois jours d'affilée tous les trente, il est impossible de prononcer à haute voix un mensonge. »

J'ai éclaté de rire et j'ai dit :

« Je ne suis pas le souverain du royaume d'Aria. »

Quoi ?! Je voulais dire l'inverse, c'est à dire « Je suis le souverain d'Aria » pour me moquer de ces étoiles, mais j'ai malgré moi dit la vérité. J'ai encore essayé et - incroyable - je n'arrivais pas à dire un mensonge. C'était extraordinaire ! Mais dangereux, surtout pour quelqu'un comme moi.

- « Oui, ça fait toujours drôle, la première fois, expliqua-t-elle. Ce sont les nuits des jugements, des déclarations d'amour. On ne se connait pas, Ordo. Vous êtes face à dix hommes dangereux dans un village qui n'est rien pour vous. Je comprends que la peur du Seigneur du Rideau soit moins forte que celle que vous inspire Caldera.

- Je n'ai pas peur de Caldera, ai-je frimé, sous les étoiles de la vérité.

- Je vois...je suis impressionnée...c'est vrai que vous êtes calme et tout...vous avez demandé l'histoire de la vie de Caldera, mais pas celle du village. Peut-être que vous avez peur de nous aimer.

- Soit, racontez-moi votre vie, Julia. Et surtout expliquez moi qui vous a appris la magie des étoiles.

- Ma vie, c'est rien du tout. Les étoiles, tout le monde connaît ça à Varna. Il y a aussi les constellation d'amour et de fécondité, de guérison et de guerre...

- Vous m'apprendrez ces constellations ?

- Vous allez virer Caldera ? »

Impossible de lui mentir sous les étoiles de la vérité. J'avais besoin d'un peu de temps.

- « J'y réfléchis. En attendant parlez-moi de votre parcours. Passer de Varna la Cité Empire à Claveau le village de rien du tout, voilà un voyage qui m'intéresse.

- C'est rien du tout, je vous dis !

- Vous voulez que je vire Caldera ? »

Elle s'est renfrognée et tapie sous les couvertures. Je notais la position des alphas de la constellation pour la reproduire, plus tard. Et d'une voix empreinte de gravité, elle a avoué :

« Je suis probablement née dans le Sombre Pays. C'est un pays qui est une sorte de prison. Varna y jette ses condamnés, et une fois dedans, on en ressort plus jamais. Il y a toutefois une exception : les nouveaux nés peuvent être amenés aux portes nord de la Cité. Ils sont considérés innocents. »

« C'est donc ce qu'il s'est passé pour moi. Des bohémiens du sombre pays m'ont donné à Varna. J'ai les cheveux des gens du désert de Biga, et les yeux des descendants du peuple Nok. Comme ils m'ont apporté à la civilisation de Varna sous des étoiles particulières, j'ai été nommée Prêtresse des chats sacrés. Je n'avais qu'une seule mission : nourrir des chats, rester vierge, et prier Ina, et pour ce faire, j'étais nourrie et logée - et particulièrement respectée. La belle vie. Varna a une obsession pour les chats. Les gardes de leur muraille infinie le long du sombre pays ont des casques de chats. »

« Donc il y a ce Khan, dans le sombre pays, qui est du genre nerveux, et qui veut recréer l'Osmanlie. De temps à autre, il réunit mille ou dix mille enragés dans son genre et les envoie contre les murailles de Varna ou les chevaliers d'Aria. Ce jour là c'était Varna et ils ont percé une brèche dans la ville. Le feu, les cris, la violence, c'était terrible. Ils ont brûlé mon temple et j'ai été violée par plusieurs d'entre eux. C'est affreux mais dans mon malheur, j'ai eu de la chance. On était trois prêtresses dans le temple. Une s'est suicidée et ils l'ont quand même violée, et l'autre criait tellement qu'il lui ont tranché la gorge et violée aussi. Mais voyez, je suis là à vous parler, donc je m'en suis sortie. »

« Quand Varna les a repoussés et qu'on a tout reconstruit, évidemment, je n'étais plus sacrée, car plus vierge. Dans leur esprit, j'avais échoué à défendre ma virginité comme leurs soldats avaient échoué à défendre leur foutue cité. J'ai été convoquée par Axare, leur roi à l'armure au lion, le félé de la justice. Il m'a dit que comme punition j'allais avoir la tête tranchée, mais, quel honneur, par le roi lui-même, et ce dans trois jours, toujours sous les bonnes étoiles. Et pendant ce temps, j'avais qu'à m'occuper des chats. Ils sont stupides pas vrai ? Croire que j'attendrais sagement les trois jours. Je suis partie en douce la première nuit. J'ai rejoint Claveau, et il y avait là un Sénéchal du Seigneur du Rideau, qui m'a donné un vrai métier, et qui ne m'a jamais posé de question. Et ensuite il a été poussé dans la rivière, ainsi que son remplaçant, et enfin Ordo le charlatan est arrivé. »

« Je voulais pas vous raconter tout ça...le viol et tout...mais les étoiles de la vérité...»

L'histoire de Julia était fascinante. Je pensais vivre des aventures, mais elle en avait plus vu en quelques années que moi dans toute mon existence.

J'ai souri :

- « Axare...c'est un bon Roi.

- Quoi ?! Il est stupide, ouais ! Il voulait me tuer, et il me donne trois jours tranquille, sans surveillance, et j'ai pu m'enfuir comme ça !

- Exactement. Il vous a laissée partir.

- Ha ! Vous le surestimez !

- Ne sous-estimez pas les rois, Julia. »

Un silence est passé, où tombèrent quelques étoiles filantes. Julia a balbutié :

« Vous allez vous occuper de Caldera ? »

J'ai levé le nez sur les étoiles de la vérité. Et tout s'est aligné. J'ai vu la solution clairement. C'était limpide. Simple. J'ai affirmé avec gravité :

- « Oui.

- C'est parce que je vous ai fait pitié avec mon histoire ?

- Non, c'est le Roi Axare qui m'a inspiré.

- Haha ! Vous allez faire comme le Roi et leur couper la tête ?

- Non, Julia. Je vais faire comme le Roi, et les laisser partir. »

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