Noël

Dans les nuits noires et glacées, dans les rues vivantes et animées, il y a des gens avec des masques éternels, ceux qui prétendent que tout va bien.

Paris, le 22 décembre, sous la pluie et le vent sifflant.

Dante avait 22 ans. Il était normal physiquement et mentalement. Il avait fait des études normales, avait des amis normaux, une famille normale... enfin, vous voyez de quel personnage je parle.

Dante n'était pas contre trouver l'amour, mais il n'avait jamais eu l'occasion. Il n'avait jamais embrassé de fille, n'était pas intéressé par les garçons et n'avait jamais eu de relation sexuelle. Mais il savait que cela finirait par venir, et que si non, eh bien... c'était simplement le destin.

Dante travaillait pour la poste. Un job simple, des collègues simples, des tâches simples, enfin...

Et tout allait normalement et simplement dans la vie de Dante. Du moins, jusqu'à ce 22 décembre. Non, Dante n'a pas trouvé l'amour, le travail parfait, et il n'est pas non plus devenu riche ou bien célèbre.

Le 22 décembre, à presque 18h, Dante était toujours affalé sur son petit bureau, contre le mur. Avec l'approche de Noël, la quantité de travail était gargantuesque, et bien qu'il en rêvait désespérément, il ne pouvait pas rentrer chez lui pour se coucher et dormir pour l'éternité.

Dante triait les lettres, enfin les plus urgentes du moins, celles qui auraient dû être très très loin depuis deux jours déjà.

Si le premier coup de l'horloge lorsque 18h passa ne l'avait pas fait sursauter vivement, la suite des évènements aurait pu être très différente.

Dante sursauta si brusquement qu'il se cogna la tête dans la lampe de bureau dont la longue tige passait près de lui.

Ses yeux à demi-fermés se rouvrirent en l'espace d'une seconde, et il reprit sa concentration sur la montagne de lettre qui faisait disparaître la vieille table de bois.

Après de longues minutes à en prendre laborieusement une après l'autre, à regarder leur destination, en voir certaines plus exotiques que d'autres, puis à les ranger dans la case à laquelle elles étaient destinées, une des enveloppes accrocha son regard.

Elle était immaculée. Aucune pliure, rien. Elle n'avait pas timbre, et n'avait pas été scellée. Seul deux mots y étaient faiblement tracés, au crayon de papier : « Paris, France ».

Le silence dans la grande pièce était lugubre, et tous les autres bureaux étaient soigneusement rangés.

Dante tira délicatement une feuille soigneusement pliée de l'enveloppe. Puis s'appuyant contre le dossier de sa chaise, dégageant ses cheveux et remontant ses lunettes, il commença à lire.

Cher Père Noël. 

J'ai traversé durant des années les déserts de mon esprit à la recherche d'une goutte de vie sans jamais en apercevoir l'ombre, sans jamais en sentir la trace.

J'ai erré pendant des décennies à la recherche de la rédemption, mais tout ce que cela m'a permis de comprendre, est qu'elle n'existe pas.

Si depuis tes lointains déserts de glace tu peux ressentir mon désespoir, alors sache que j'ai perdu foi en l'humanité.

Pourtant, j'ai essayé d'y croire, avec une volonté extraordinaire. J'ai tellement essayé, cher Père Noël. Mais je vais finir par le croire moi-même, alors que c'est une idée que j'ai toujours réfuté. L'humain est pourri de l'intérieur. Depuis la Nuit des Temps, une bactérie, que dis-je, un virus, prend forme en son sein et le détruit et le ronge à petit feu.

Je vis sur Terre, cher Père Noël, le berceau de l'humanité et son tombeau.

Je vis en ville, là où les gyrophares retentissent plus que les klaxons, où les pompiers sont plus présents que les taxis, où la pauvreté règne en maître même si elle est invisible.

Je vis dans un monde où la culture du « moi je » est toute-puissante et où celui qui meurt dans la rue n'est qu'une animation de plus.

Je vis dans un monde où on ne croit plus, ni en soit, ni en d'autres, ni en Dieu, car croire c'est du temps et le temps c'est de l'argent.

On a fait don à l'être humain du plus beau cadeau au monde : la vie. Et lui l'ignore et l'oublie, la perd et la détruit.

Je vis dans un monde où la haine règne en maître, et où l'espoir s'est enfuit dans la nuit.

Alors je vous pose ma question : Et vous, où irez-vous lorsque la Terre sera réduite à néant ? Car si vous avez un plan B -le A étant à priori délaissé, personne n'agissant- l'humanité vous serait grès de le lui partager.

Ce n'est plus de plusieurs centaines d'années que nous parlons, c'est de demain.

Mais je ne fuirais pas mes responsabilités. Je mourrais en tant qu'être fautif, même si je ne suis certainement pas le pire des Hommes.

J'ai toujours cherché quel cadeau offrir à l'humanité ; eh bien, je pense l'avoir trouvé : la conscience ; car c'est ce qui lui manque terriblement.

Et quand je marche sous les lumières blanches et jaunâtres des rues, quand j'aperçois les visages pâles et anguleux de ceux qui me croisent, comme des fantômes, je vois la détresse dans leur âme, celle qui hurle et qui pleure, celle qu'ils dissimulent jours et nuits en se répétant que demain tout ira mieux.

Je vois des femmes et des hommes qui se disent « je vivrai », mais le pensent-ils ?

Je vois des femmes et des hommes qui oublient.

L'être humain est une création magnifique, capable des miracles les plus impressionnants, ceux qui défient toutes les lois du monde, mais il se perd et s'abrutie de jour en jour, détruisant sa maison, celle qui, en feu, se consume, détruisant sa famille, se détruisant lui-même.

Il était une fois, cher Père Noël, un Homme qui pleurait. Car après tout, c'est à cela que sert la vie. Et, comme il pleurait, personne ne venait le réconforter.

Car aujourd'hui, sur Terre, chacun est si occupé à pleurer son propre malheur, qu'il ne voit pas celui de tant d'autres qui est si puissant.

Et si un jour vous vous demandez d'où vient la pluie, sachez que ce sont les millions de larmes qui n'ont jamais été séchées.

Je sais que ce ne sont que des mots tracés sur une feuille de papier, feuille qui provient d'un arbre qui a été coupé et détruit, pour que je vous écrive cette lettre qui terminera perdue à jamais.

Mais il faut que j'exprime le fond de ma pensée. Il faut que je dise, que je hurle, les mots que nous pensons tous et que beaucoup d'entre-nous ignorent.

La Terre se meurt, et nous par la même occasion. Et je refuse de rester ici, et d'admirer cette œuvre d'horreur sans flancher.

Mais qui suis-je pour vouloir changer les choses ?

Qui m'écoutera, quand je m'adresserai, en tremblant, aux fantômes de ceux qui ont déjà disparu depuis longtemps ?

Ceux qui pourraient agir sont arrêtés par des barrières qu'eux mêmes ont construit de leurs propres mains.

Et ceux qui ignorent quoi faire, patientent dans la peur grandissante, avec une boule au ventre qui restera présente jusqu'à notre retour à la poussière.

Et c'est mon cas, comme c'est celui de millions d'autres.

Alors, cher Père Noël, si cette année au moins, vous pouvez offrir mon cadeau à quelqu'un, offrez-le à l'Humanité.

Mon présent est bien humble, ce n'est ni argent ni pouvoir, bien que ce soit les deux vices de cette humanité.

C'est la conscience. La seule chose qui manque terriblement à l'Homme, et celle qui est à l'origine de ses plus grands malheurs.

Ma voix ne portera pas bien loin, alors ouvrez les yeux à l'être humain, pour moi, pour lui, et surtout pour sa Terre.

Je crois en l'homme et en la femme, en l'être humain, quel qu'il soit.

Qu'il lâche son premier souffle ou son dernier.

Je crois en la douleur et la tristesse qu'il apportera, et aux erreurs qu'il fera.

Je crois au bonheur et à l'amour qu'il donnera, à la paix éternelle qu'il désirera.

Je crois en ceux qui savent et en ceux qui ignorent.

Je crois en ceux qui veulent changer et en ceux qui se pensent parfait.

Je crois en ceux qui essayent, et en ceux qui ratent, en ceux qui espèrent et en ceux qui croient.

Je crois en l'Humanité, car elle est tout ce que j'ai.

Je crois en son bonheur et en sa santé.

Je crois aussi en sa stupidité et en son manque de confiance.

Je crois en elle, qui est là depuis la Nuits des Temps, et qui sera là lors de sa chute ultime.

Et je crois en nous, ceux et celles qui ont un cœur et qui ne le perdant jamais.

Je crois en l'Humanité toute entière, celle pour qui on pourrait tout donner.

Merci, cher Père Noël, d'avoir donné de votre temps, pour écouter la voix d'une personne qui disparaîtra comme presque toutes les autres, en ne laissant aucune trace. Merci d'avoir écouter quelqu'un qui veut agir, qui veut vivre, qui veut aimer et donner, qui veut sauver, mais qui est surpassé par sa propre inexistence.

Merci, et à jamais.

Dante remonta ses lunettes dans ses cheveux et posa lentement la feuille de papier. Agir, on en rêvait tous. Mais pour faire des efforts, les gens disparaissaient les uns après les autres.

Comment vivre dans un monde où l'Homme ferme les yeux sur son propre déclin, sur sa propre mort ?

Nous sommes perdus pour toujours, et celui qui changera cela n'est pas encore né, et ne naîtra probablement jamais.

Et, dans la nuit noire et glacée, dans les bureaux sombres et délaissés, Dante froissa la feuille de papier et la lança d'un geste ample et précis dans la corbeille un peu plus loin.

Le panégyrique de la Vie se perdit dans les méandres de l'ignorance humaine.

Le faible bruit sourd qu'elle produisit en y tombant sera probablement le même que celui de la Terre et de toutes les races confondues qu'elle porte lorsqu'elles seront rayées de l'Univers, pour toujours et à jamais.

Mais les espoirs perdus sont les plus grands, et Dante enfila sa veste avant de rentrer chez lui, pour se coucher dans son lit, dans la nuit noir et glacée.

Noël, sa bonne humeur en surface, n'avait jamais été aussi proche.





@MarieLanativa "Agissons !" :)

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