Chapitre 6:
Le matin suivant, Yava se consacra à une petit promenade dans les bois.
Il pénétra dans une ravissante petite clairière.
Les chauds rayons de soleil tombaient directement sur un rocher poli. En s'approchant, l'elfe y découvrit des symboles gravés.
Il se trouvait devant une Pierre des Sages.
Quelques elfes avaient déjà fait une communion complète avec la Nature, et étaient tombés dans une sorte de transe, pendant laquelle ils avaient gravé ces mystérieuses inscriptions.
Yava se sentit bien tout à coup. Il posa la main sur la pierre et caressa les symboles de sa paume. C'était un si grand plaisir de toucher cette surface douce et chaude... Il avait même l'impression que la pierre palpitait sous sa paume, comme le corps d'un être vivant.
Il y serait bien resté des heures s'il ne s'était pas souvenu que Tiksi l'attendait.
Peu de temps plus tard, il arriva devant l'herboristerie.
A l'intérieur, Iyoran farfouillait entre les bocaux et, de temps en temps, en saisissait un et le posait sur le comptoir. Une demi-douzaine y était déjà disposée.
Soudain, Yava remarqua la cliente. Elle se tenait dans un coin d'ombre de la boutique.
C'était une elfe au teint blafard. Ses longs cheveux ébène étaient tressés en une lourde natte et ses yeux étaient aussi sombres que la nuit. Elle portait un corsage noir lui aussi et un jupon blanc bordé de rouge. Elle était belle, et elle n'en doutait pas une seconde. Cependant,elle n'inspirait pas confiance à Yava, sans que celui-ci ne sache pourquoi.
Les pièces sonnèrent en rencontrant la main du marchand.
La femme sourit à Yava en sortant. Mais c'était un sourire comme celui que le chat adresse à la souris avant de la manger. Le jeune elfe frissonna. Cette magnifique elfe le rendait nerveux. Finalement, celle-ci s'éloigna, en tenant dans sa main le petit coffre cadenassé qui contenait ses achats. Yava espéra n'avoir jamais à recroiser son chemin.
Tiksi sortit peu après avec son habituel bâton. Mais cette fois, il portait aussi un petit baluchon confectionné dans un morceau de toile rudimentaire.
Sans parler, ils commencèrent à marcher.
Puis Tiksi s'arrêta brusquement.
- Faisons une halte ici , proposa-t-il.
Et sans attendre de réponse, il s'adossa contre un arbre et dénoua tranquillement le nœud de son paquet. A l'intérieur reposaient deux petits pains au fromage, tout ronds et encore chauds.
Tiksi en tendit un à Yava, et croqua dans le sien.
Un fil gluant de fromage fondu s'accrocha à son menton et il éclata de rire. Cette fois, c'était un vrai rire d'enfant. Yava mordit à son tour dans un pain. Depuis quelques heures, la faim torturait son ventre. Tiksi se releva en passant sa langue sur ses lèvres. Puis ils marchèrent jusqu'à la cachette de la bibliothèque.
L'après-midi dans la caverne fut plutôt monotone, jusqu'à ce que Tiksi se mette à brailler.
Yava était sorti dehors dans le clairière car il avait mal à la tête.Si mal que les vagues de douleur l'empêchaient de réfléchir clairement.
Ils'était assis sur la mousse verte et soyeuse et avait plaqué ses mains sur ses tempes.
Tousses traits étaient crispés. De temps en temps, il arrêtait de compresser sa tête et plantait ses ongles dans la terre. Et puis,tout d'un coup, la douleur s'était évanouie et Yava s'était écroulé, n'osant pas croire à la fin de son supplice.
Était-ce du à la Pierre des Sages ?
Au même moment, Tiksi s 'était mis à appeler, à baragouiner des phrases incompréhensibles ponctuées de ricanements.
Inquiet, Yava redescendit dans la grotte pour comprendre pourquoi le gamin faisait tant de raffut. En réponse, ce dernier lui mit devant le nez un gros bouquin ouvert sur une illustration grotesque.
Elle représentait un personnage gracile, homme ou femme, il n'aurait su le dire, qui d'une main se passait un peigne de bois dans les cheveux, et de l'autre tenait une fleur printanière qu'il reniflait tranquillement.
Sa tenue était ridicule : un haut légèrement étriqué de couleur vert pomme, et une petite jupette lilas. Mais le plus étonnant se trouvait dans son dos, où s'étendaient deux ailes de libellule, allongées et transparentes. Le texte en dessous expliquait :
« Un elfe :
Les elfes sont des créatures pacifiques mais très susceptibles.Coquets, ils accordent une grande importance à leur apparence. Ils peuvent passer des heures à regarder le pistil d'une fleur. Leur morphologie est proche de celle des fées. Ils se nourrissent de sucs de fleurs et aiment danser en rond dans les clairières les nuits de pleine lune. »
- Ce sont les humains, ces ignorants qui on écrit ça, expliqua Tiksi en manquant s'étouffer de rire.
Yava continua à y réfléchir avant de s'endormir. Des elfes faisant une ronde : cela n'était-t-'il pas absurde ?
Cette idée lui trottait dans la tête, jusque dans ses rêves.
Autour de lui, tourbillonnaient à la façon de pantins ridicules, ses amis,sa famille, et au milieu de la ronde, il lui sembla distinguer Samara et Sayetan.
Tout ce mouvement perpétuel l'étourdissait. Il avait la tête qui tournait.
Il traversa la ronde. Mais ce qu'il découvrit au centre de cette agitation mit fin à son calvaire. D'un même mouvement, le couple enlacé se retourna et lui sourit.
L'homme portait sa fière épée attachée dans le dos, et la femme, aux grands yeux de biche, posait sa main sur son ventre rond. Tous deux avaient des oreilles pointues.
Soudain,ils disparurent dans un petit nuage de fumée bleue et furent remplacés par deux autres personnes.
Cette fois, l'homme avait une barbe broussailleuse et une hache dans le dos, et sa femme était magnifique . Elle était fine, gracieuse, et était vêtue d'une simple robe de bure qui ne parvenait pourtant pas à l'enlaidir. Son seul bijou était un petit pendentif en bois sculpté.
Puis plus rien, juste un tournoiement d'étincelles multicolores.
Yava ouvrit les yeux et repoussa sa couverture, réveillé en sursaut.
A l'extérieur,il faisait toujours nuit. Il sortit. Ses pieds engourdis raclèrent la mousse rêche.
Et il tomba face contre terre.
Ce furent des croassements qui le ramenèrent à la réalité.
En effet, même s'il ne voyait rien, il pouvait sentir des bouts de mousse accrochés sur ses cils. Il était couché à plat ventre dans la clairière. Il se retourna sur le dos mais un flash de lumière l'éblouit et il se frotta les yeux avec ses poings. Le soleils'était levé.
Combien de temps avait bien pu durer son évanouissement ?
Puis, il leva la tête vers le ciel : là-haut, de drôles d'oiseaux tournoyaient en descendant vers lui. Dès qu'ils furent plus près, Yava remarqua que leur plumage était curieusement bariolé. Mais sa vue devait lui jouer des tours car il se rendit vite compte qu'ils étaient en fait noirs. Ils avaient un énorme bec et des pattes trapues couleur ébène.
Yava sembla distinguer à leur extrémité des griffes faites d'acier qui reflétaient le soleil.
Les créatures se posèrent à côté de lui. Elles étaient vraiment terrifiantes !
Yava se releva avec peine, peu rassuré, et leur lança une poignée de terre pour les faire fuir.
Il cligna des yeux et soudain, les oiseaux disparurent.
Peut-être se cachaient-ils dans les broussailles, ou s'étaient-ils envolés ?
Avait-il eu des hallucinations ? Pourtant, ces créatures ailées lui avaient paru si effrayantes et réelles ! Pour se rassurer quant à ces visions, Yava les mit sur le compte de la fatigue. Puis, il finit par les oublier.
De nombreuses semaines passèrent, toutes identiques.
Chacune effaçait une infime partie de la peine de Yava.
Ce dernier se résignait enfin à ne plus revoir son village et tous les habitants.
Il laissait l'espoir quitter son cœur.
Or, un après-midi, il ne trouva pas Tiksi près de la rivière, encore moins au pied des murailles.
Il pensa que le petit bonhomme avait du rester à l'herboristerie, malade, peut-être, car depuis quelques jours, le temps n'était pas fameux et l'hiver approchait à grands pas.
Pour en avoir le cœur net, il s'y rendit.
La vitrine était si opaque ce jour là, qu'il ne put rien apercevoir à l'intérieur.
Alors,il poussa la porte d'entrée. Il n'y avait personne au comptoir, ni dans un des recoins sombres. Par contre, la porte de l'arrière-boutique était ouverte.
Une petite clochette sonna et l'herboriste apparut.
Il posa ses paumes sur le meuble en bois où se trouvait un petit coffre et déclara :
-Eh bien ! Quel bon vent t'emmène ?
-Excusez-moi, sauriez-vous où est passé Tiksi ?
-Tiksi ? Qui est Tiksi ?
-Mais enfin, c'est votre neveu ?
-Non, je ne pense pas, j'ai plusieurs nièces mais... pas de neveu. Désolé, je ne connais pas ce Tiksi.
Un petit tintement de clochette annonça la venue d'un nouveau client etcoupa court à la conversation.
Yava se retourna et faillit se cogner contre une énorme elfe à l'opulente chevelure, boudinée dans une longue robe rouge. Elle s'était maquillée avec exagération, et ses petits yeux enfoncés étaient cerclés de noir.
Iyoran se tourna prestement vers elle.
-Ah ! Madame ! Que puis-je faire pour vous ? Je viens juste de recevoir de nouveaux arrivages...
Yava n'insista pas. Il ne voulait pas se faire passer pour un illuminé.
Il décida qu'il trouverait tout seul les réponses à ses questions. Il ne pouvait pas être fou ! Il avait réellement passé des heures et des heures dans la bibliothèque souterraine avec Tiksi !
Les heures passèrent rapidement et un voile sombre recouvrit bientôt la Forêt.
Alors qu'il lui aurait fallu rebrousser chemin, il s'enfonça plus profond dans les bois, jusqu'à quitter les sentiers débroussaillés et dégagés. Il marchait sans savoir vers où, au hasard, poussé par ses sombres réflexions et ses interrogations intérieures.
Tant de questions se bousculaient dans sa tête, si bien qu'aucune pensée cohérente ne parvenait à s'y former. Il se rendit compte qu'il était perdu. Il faisait nuit noire.
Cet endroit ne lui était pas familier, il n'y était jamais allé auparavant.
Quant à la carte, elle ne lui était d'aucun secours : la petite étoile signalant sa position s'était brusquement et mystérieusement éteinte.
Yava entendit le craquement en premier. C'est ensuite qu'il aperçut la queue, blanche et touffue qui dépassait de la végétation.
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