Chapitre 5:
-Que fais-tu là ? demanda Yava au petit garçon aux yeux vairons.
Ce dernier l'ignora complètement.
-Où as-tu trouvé ce livre ?
- Comme je l'ai expliqué à la boutique...
- Ne te moques pas de moi et réponds ! A moins que tu ne veuilles que je te traîne jusqu'aux gardes ?
- Et pourquoi donc ? fit Yava en blêmissant, affolé.
- S'il te plaît, ne dis pas de bêtises ! Et avoue que tu t'appelles Yava , et pas Delran !
-Mais pas du tout ! Qu'est-ce-que tu racontes, enfin ?
Tiksi plongea les mains dans l'eau transparente de la rivière et en aspergea le visage de Yava. L'eau était glaciale et Yava s'essuya rapidement avec le revers de sa tunique, ce qui eut pour effet de lui rendre sa pâleur habituelle.
Voilà donc là où voulait en venir Tiksi : il ne pouvait plus nier son identité, à présent.
Il n'eut d'autre choix que de lui répondre :
- D'accord. Viens avec moi.
Il fit tout son possible pour passer par des chemins détournés et traverser les taillis, mais rien ne semblait décourager le gamin qui était sur ses talons.
Soudain, il pensa au monstrueux sanglier. Un garçonnet ne ferait pas le poids face à la bête, et il n'allait sûrement pas le faire passer par son tunnel souterrain...
- Tu sais Tiksi, il y a des bêtes sauvages très féroces qui rôdent par ici...
- Tu as déjà dû y aller, alors avec toi, je ne crains rien !
Yava se résigna. Cet enfant était têtu comme une mule, et avait un sens de déduction assez déconcertant.
Dès que Yava et Tiksi posèrent les pieds dans la clairière, le sanglier fit son apparition, précédé de son grognement caverneux.
- Ouvre la porte, déclara froidement Tiksi. Je m'occupe de ce cochon sauvage.
Et il sortit de dessous son manteau un long bâton qui semblait avoir été taillé dans un bois très sombre. Le plus étrange était que le bâton avait été taillé pour un adulte et qu'il dépassait l'enfant d'une demi-tête.
De longues lanières de cuir noir étaient enroulées autour, pour former une poignée.
Yava eut pitié de ce bambin qui se prenait pour titan. Son épée chatoya dans la lumière déclinante. Mais Tiksi eut un petit sourire en coin, et toucha du bout du doigt un des motifs sculptés sur le bois.
Il y eut un petit bruit sonore et une lame affûtée, brillante d'une pâleur froide apparut à l'extrémité du bâton. Où avait-il bien pu trouver un tel objet ?
Mais avant que Yava n'ait pu faire un geste ou prononcer un mot, le petit fit tournoyer son arme avec une habileté incroyable et trancha ne tune des défenses du sanglier.
Alors,une petite voix souffla à Yava de s'en aller, de laisser Tiksi seul.
Il lui obéit, sous la pression de sa main, la roche s'ouvrit et il descendit dans la grotte par la vieille échelle branlante. Il effleura le socle de la première torche, et comme de coutume, lasalle fut éclairée.
Yava se dépêcha de pousser une petite bibliothèque contre l'entrée du tunnel menant à son gîte, afin que Tiksi n'en connaisse pas l'accès.
A peine avait-il terminé de la calfeutrer que Tiksi pénétra dans la pièce.
Le rocher se referma derrière lui, une unique goutte de sang perlait sur la lame de son bâton-épée.
- Tu l'as tué ? Demanda Yava avec un mélange de satisfaction, et de pitié pour l'animal.
- Non.
Tiksi se referma sur lui-même et ne souffla plus mot de ce fait. Mais son regard s'éclaira tout de même lorsqu'il aperçut toutes les étagères qui croulaient sous les ouvrages.
Il posa son bâton contre le mur. Mais alors qu'il attrapa un livre, son image se brouilla et se mua en celle d'un vieillard aux cheveux blancs, tout courbé et rabougri, vêtu d'un long manteau noir à capuche.
Cela ne dura qu'un instant, mais assez pour plonger Yava dans le doute.Qui était cet étrange enfant ?
Entre temps, Tiksi avait repris son apparence habituelle et ne semblait pas s'être rendu compte de sa brève transformation.
Yava décida d'ignorer le fait et sortit un gros livre noir appelé « Sciences et arts occultes ».
La couverture était ornée de motifs schématiques représentant une grosse boule de cristal, et un sorcier jetant des sorts.
Au milieu de tout cela, s'étendait le titre en lettres argentées.
Il l'ouvrit à la première page. Celle-ci était barrée d'une longue phrase à l'encre rouge qui clamait :
« La magie noire n'est qu'un ramassis de sornettes inventées par des vieillards séniles ».
Au même moment, Tiksi s'approcha, et après avoir lu le titre sur la tranche, il déclara :
- De toute façon, les sorciers, ça n'existe pas ! Pas en ce sens là,en tout cas... Et seules quelques rares personnes parviennent à maîtriser les énergies qui régissent la terre : c'est un don, et il est rare !
Malgré toutes ces remarques, Yava feuilleta quelques pages, préférant se forger son opinion par lui même. On montrait dans l 'ouvrage la position adéquate pour lancer des boules de feu, ou une formule tarabiscotée censée faire apparaître des esprits vengeurs.
Il referma brusquement le livre, ce qui projeta un petit nuage de poussière juste sous son nez. En quelques secondes, il se mit à éternuer et se dépêcha de le reposer à sa place.
- Prends celui-là, lui indiqua Tiksi en lui tendant un manuscrit intitulé : « Faune et flore du pays humain ».
Yava en fut vivement intéressé, et encore plus lorsqu'il découvrit qu'il était écrit entièrement à la main, par un célèbre chroniqueur elfique. Habituellement, les livres étaient conçus grâce à un habile système d'estampes. Sur la première page, étaient représentés deux beaux oiseaux.
Leur plumage était constellé de multiples taches éclatantes, oranges,rouges, ou bien bleues. Malheureusement, il était annoté en-dessous : « Disparu pour cause de braconnage intensif ».
Il y avait de nombreux autres animaux qui étaient magnifiques, ou encore comiques.
Mais la plupart n'existaient plus dans ce monde.
De ce fait, la majorité des espèces humaines étaient ternes, comme le paysage que laissait supposer la carte.
Sur une page, un dessin représentait un petit mammifère avec un pelage brun, deux petites incisives protubérantes, et qui possédait deux oreilles démesurées sur sa tête !
Il était communément appelé « lièvre ».
Yava découvrit aussi une ravissante créature avec un pelage brun l'été, et blanc l'hiver, fine et gracieuse du nom d'hermine. Il en resta rêveur et referma le livre. Brusquement, une vive douleur lui laboura la tête, pour s'évanouir aussi vite qu'elle était apparue.Oppressé, l'elfe décida alors sortir à l'air libre pour retrouver la fraîcheur de la forêt et échapper ainsi à la moiteur étouffante de la bibliothèque.
Dehors,la nuit était complète et la première étoile était apparue dans le ciel.
En l'apercevant, Yava sentit la nostalgie le gagner.
Qui ne s'est jamais senti triste en voyant cette lumière frêle, seule,au milieu de la noire voûte céleste ?
En cette saison, le soleil se couchait tôt : il devait être cinq heures de l'après-midi.
Il retourna chercher Tiksi et le raccompagna jusqu'aux murailles de la cité.
Ce dernier l'assura qu'il garderait le secret à condition de pouvoir revenir tous les après-midi. Une fois qu'il fut parti, Yava soupira d'aise. Il était enfin débarrassé de cet importun. Dès qu'il fut à l'abri sous son « arbre-maison », il sortit le carnet de l'alchimiste qu'il avait caché sous un nœud de racines et reprit sa lecture à l'endroit où il l'avait arrêté.
Il était à peu près au milieu du mémoire. Il y avait une suite de calculs, de noms d'ingrédients qui lui étaient inconnus , et enfin une formule, qui tenait sur toute une page, mais qui malheureusement, était partiellement calcinée.
Sur la dernière page, la plume avait tracé quelques à la va-vite et avait éraflé la surface du papier. Yava réussit tant bien que mal à la déchiffrer.
« J'ai enfin atteint mon but, mais ils me cherchent . »
L'auteur avait sans doute voulu ajouter autre chose, mais il n'avait pu terminer et à la fin s'étalait une grosse tâche d'encre.
Yava en déduisit avec horreur que ses poursuivants avaient dû faire irruption dans la clairière et qu'il s'était enfui par le tunnel souterrain en laissant tout son matériel derrière lui. Le boyau exigu l'avait sans nul doute forcé à abandonner ses livres, trop encombrants, pour n'emporter que l'essentiel, qu'il avait rassemblé à la hâte.
Le jeune elfe repoussa le carnet en refoulant la pensée que son propriétaire était peut-être ou plutôt sûrement mort. Pour se remonter le moral, il prit le gros volume enluminé qu'il avait également gardé.
C'était un recueil de contes. Le premier avait pour titre : « l'arbre ». Yava commença à le lire :
« Il était une fois, dans une sombre forêt, un très vieux chêne, au tronc rugueux.
Ses branches étaient un refuge parfait pour les oiseaux, qui se plaisaient à y pépier.
Il était enraciné sur les bords d'un ruisseau, et aucune tempête ne l'en avait délogé.
Malgré son grand âge, force et vitalité coulaient dans ses veines de bois.
Cet arbre éprouvait un fort sentiment, qui aurait pu s'apparenter à de l'amour, pour sa voisine de la famille des bouleaux. Elle était frêle, mince et parée d'un habit noir et blanc.
Tous deux savouraient simplement le plaisir d'être ensemble et n'auraient jamais voulu être séparés.
Mais un jour, un vent violent vint troubler leur bonheur.
Les branches s'entrechoquèrent, les feuilles tombèrent à terre, et l'aimée du vieil arbre sentit ses racines s'arracher de la terre.
Quelques instants encore et elle allait s'effondrer dans le ruisseau.
Alors, le grand chêne étira ses longues branches, et au prix d'un long et douloureux effort, il la retint. »
C'était un très beau récit, qui était censé enseigner aux elfes la notion de sacrifice et de partage.
Yava était content : ne pouvait-on pas dire qu'il avait sacrifié sa tranquillité en laissant Tiksi fouiner dans les rangées de livres ?
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