Chapitre 3

 Yava croqua dans un fruit aux teintes orangées. Sa bouchée fondit  sa langue, y répandant une saveur sucrée. Délicieux !

Il termina son en-cas et se leva. Sa gourde venait d'être remplie et il était prêt à reprendre sa route. Dehors, le soleil était à son zénith. Combien de temps était-il resté inconscient ?

Il n'aurait su le dire. Le tapis de feuilles crissa sous les pieds de Yava.

Les hautes herbes frémirent et laissèrent le passage à un petit animal blanc. Visiblement terrifié, ce dernier traversa le chemin avec une rapidité étonnante pour s'engouffrer dans les buissons d'en face,ses petites oreilles rondes couchées, et sa queue touffue s'agitant convulsivement.

A la suite, apparut un grand fauve gris tacheté de bleu. Il était de haute taille, perché sur des pattes démesurément longues. Ses muscles roulaient sous sa fourrure. Ses deux grands yeux en amande étaient d'ambre fondue et fixaient intensément Yava. L'elfe dégaina son épée, par prudence. Si le grand félin se décidait à l'attaquer...

L'animal feula, découvrant quatre rangées de crocs acérés et repartit à la poursuite de sa proie, jugeant sans doute l'elfe trop combatif.Celui-ci poussa un soupir de soulagement avant de reprendre sa route.

Vers la fin de l'après-midi, Yava fit une halte, exténué, au milieu d'une clairière et entreprit de construire un camp de fortune. Il ramassa quelques brassées de branchages pour allumer un feu et les déposa en tas sur l'herbe.

Mais il avait négligé l'essentiel : il ne pouvait dormir à labelle étoile dans une forêt où de dangereuses bêtes sauvages régnaient en maîtres.

Il choisit avec soin les plus grosses et les plus solides des branches et le planta dans le sol en deux rangées parallèles, les extrémités se rejoignant, pour former une hutte provisoire.

Ces préparatifs achevés, la nuit commençait à tomber, et les tréfonds de la forêt à s'agiter.

Yava s'accroupit devant le reste des brindilles, et sortit ses pierres à feu, deux silex taillés.

Au premier choc, des étincelles jaillirent mais le feu ne prit pas.

Derrière la végétation, des paires d'yeux écarlates luisaient dans le noir,maintenant total.

Affolé, Yava sortit nerveusement quelques branches vertes du tas.

Les pupilles sanguines se rapprochaient de plus en plus.

Il cligna les yeux et frappa les pierres l'une contre l'autre de toutes ses forces.

Un petit crépitement retentit, et le feu jaillit, refoulant animaux et craintes.

Rassuré,il se retira à l'intérieur de son abri de fortune.

Il comptait bien ne pas s'endormir, mais le sommeil le cueillit au milieu de la nuit.

Il fut réveillé avant l'aube par un concert de sifflements. Dans l'obscurité se mouvaient de vagues formes ailées. Le feu n'était plus que quelques braises rougeoyantes.

Une poignée de boue humide lancée par des bestioles l'éteignit tout à fait.

Les animaux semblèrent satisfaits. Yava commençait à mieux les distinguer :

c'étaient des mammifères dotés d'ailes parcheminées, au bout desquelles saillaient des griffes acérées. Yava banda son arc et tira, une des bêtes tomba raide morte sur le sol.

Toute la nuée lui fondit dessus, le griffant de toutes parts.

Il battit en retraite, distribuant des coups du bois de son arc sans réussir à écarter les créatures. Du sang se mit à ruisseler sur son visage, et il tomba à terre en gémissant, sonné par ladouleur. Il se roula en boule, protégeant sa tête de ses mains et attendit, les dents serrées, que les monstrueuses créatures renoncent à leur vengeance.

L'aube commençait à poindre entre les arbres et ses agresseurs laissèrent à contre cœur Yava pour se réfugier dans leurs sombres repaires.

Lejeune elfe reprit son souffle et étendit ses bras en croix. Ses vêtements étaient maculés de boue, mais à cet instant, il ne s'en souciait pas. Il était toujours en vie, et c'était tout cequi importait ! Cependant, lorsqu'il porta la main à sa joue droite, ses doigts s'en détachèrent poisseux de sang.

Il découpa hâtivement un morceau de tissu à la hauteur de sa manche et l'appuya sur sa blessure.

Au bout de quelques minutes, le saignement s'atténua, pour enfin disparaître.

Yava se sentit épuisé. Regarder sa carte lui procura un peu de réconfort : dans à peine une heure, il atteindrait la prochaine ville.

Durant tout le chemin qu'il parcourut ensuite, il n'aperçut aucun animal,dangereux ou non. Sans doute, l'approche d'une cité les rendait plus craintifs.

A proximité de la ville, il se cacha derrière une rangée de saules pleureurs, au bord de la rivière qui traversait la cité de part en part.

En regardant ses chaussures couvertes d'une pellicule marronnasse, une idée germa dans son esprit.

Il ramassa une poignée de terre et en surmontant son dégoût, il s'en étala sur le visage.

Puis,il répéta cette opération sur ses mains, ses bras, et ses pieds.

Quittant le refuge des arbres, Yava contempla son reflet dans l'eau. Il eut du mal à se reconnaître, en voyant en face de lui un jeune homme à la peau plus sombre qu'aucune personne qu'il avait vue auparavant.

Il n'avait plus aucun souci à se faire, quant à son apparence, et était sûr de ne pas être reconnu. Il laissa un petit sourire satisfait s'épanouir sur ses lèvres et s'approcha de la cité. Lerda n'était pas une ville comme les autres : son aspect et ses fortifications choquaient plus d'un elfe. Mais son cœur résonnait des cris des commerçants et des marchandages des matrones, et une odeur d'épices flottait dans l'air.

Deux soldats gardaient la lourde porte à deux battants de chêne qui permettait l'entrée.

Ils laissèrent passer Yava sans lui accorder aucune attention, d'un air blasé.

Lejeune elfe se sentit submergé par un flot d'émotions contradictoires : la tristesse, car cela lui rappelait les moments passés à flâner dans les rues avec sa mère mais aussi le soulagement d'avoir quitté la forêt angoissante.

S'éloignant des rues passantes, il s'isola dans un petit passage sombre, afin de pouvoir réfléchir au mieux.

« Malgré ce que Marven m'a dit et répété, pourquoi irai-je en pays humain ?

Là-bas,peut-être, est-ce pire que dans la forêt profonde, il n'y est jamais allé.

Je pense que pour l'instant, le mieux est que je m'installe dans la forêt, à proximité de la ville, là où les bêtes ne sont pas. »

Sa résolution prise, il s'engouffra dans la première boutique qu'il vit, une herboristerie.

Au comptoir se tenait un grand elfe aux cheveux blonds et aux yeux verts.

Il leva les yeux de son travail dès qu'il le vit.

-Bonjour ! Que puis-je pour toi ?

-Pardonnez-moi de vous déranger, mais vendez-vous des médecines provenant de la forêt ?

-Oh, mon ami, j'aimerai bien, mais personne, à part les forestiers,ne s'y aventure et je pense qu'ils ont autre chose à faire que de chercher des champignons. Je le regrette, mais je n'en ai pas.

-Voyez-vous mon père est un forestier, mentit Yava, et ma mère et moi vivons dans la forêt. Je peux tout à loisir me consacrer à la cueillette.

L'excitation se lut sur les traits de l'elfe.

-Vraiment,alors je peux te montrer les plantes que je désire ? 

 Yava acquiesça avec enthousiasme. Le marchand sortit avec peine des étagères un livre volumineux relié de cuir et feuilleta les pages.

-Voilà !Pourrais-tu me ramener cette espèce, celle-là, et celle-ci ?Je t'en donnerai un bon prix !

Il désigna un champignon noir à points rouges, un jaune rayé de bleu,et un marron aux lamelles violettes.

-Oh oui ! Et également celui-ci . Déclara t-il en tournant quelques pages.

Yava se pencha pour mieux voir, curieux. Dans le manuscrit enluminé,était dessiné un champignon longiligne, de couleur jaune safran.

-Si tu le trouves, lave-toi les mains après l'avoir touché. Il baissa la voix.

-C'est un poison mortel ! J'en ai beaucoup, fit-il en désignant une rangée de bocaux hermétiquement fermés, mais celui-ci est le plus demandé. A présent, va ! et que la chance t'accompagne !

Cette nuit là, Yava s'installa au bord de la rivière, n'ayant aucun moyen de se payer une chambre d'auberge, mais cela ne le gêna absolument pas car il avait l'habitude de dormir à la belle étoile avec ses amis de Sandar. En revanche, ce souvenir raviva sa tristesse et sa nostalgie mais il s'interdit d'y penser et finit par trouver le sommeil .

Le lendemain matin, il se réveilla néanmoins de bonne humeur et commença à battre la forêt. Il était temps pour lui de commencer sa nouvelle vie.

Il trouva les trois premiers champignons énoncés en grande quantité très rapidement.

Mais,quand survînt midi, il n'avait pas encore aperçu le champignon vénéneux.

Ils'arrêta pour manger un petit peu au pied d'un arbre gigantesque. En en faisant le tour, il remarqua qu'il y avait un trou entre les racines de l'arbre, juste assez grand pour qu'un elfe puisse y passer.

Ilpassa la tête à l'intérieur et constata qu'aucun animal n'y habitait.

« Voilà qui ferait un abri idéal ! Je pourrais même envisager de m'y installer, pensa t-il ».

Il se remit en quête du champignon jaunâtre, soulevant des branches,fouillant sous les buissons...

Au milieu de l'après-midi, il déboucha dans une clairière où trônait un immense rocher.

Et au pied de ce rocher se dressaient les champignons recherchés !

Ravi,il les cueillit avec soin et les glissa dans sa musette, à l'écart des autres, puis décida de regagner Lerda pour les apporter à l'herboriste.

Soudain, il entendit un bruit inquiétant : on aurait dit un grognement animal.

Sur ses gardes, Yava regarda de tous côtés, sans rien remarquer de suspect. Il allait reprendre son chemin, lorsque,dans un grand bruit de sabots frappant le sol, un énorme sanglier surgit des broussailles.

Ses poils étaient noirs et ébouriffés, plantés par plaques sur un cuir sale. Une épaisse crinière emmêlée séparait sa tête de son corps.

Au-dessus de son groin démesuré, qui remuait à intervalles réguliers,étaient enfoncés deux petits yeux marrons, bornés et stupides,brillants d'une cruauté hideuse qui pétrifia l'elfe d'horreur. La bête possédait en outre une belle paire de défenses blanches, longues et tranchantes.

Le sanglier mugit une seconde fois, tandis que Yava se reprenait et dégainait son épée.

Mais cette vue ne fit qu'augmenter la colère de l'animal, qui chargea.

En le voyant galoper vers lui, Yava lui asséna un grand coup de sa lame pour le repousser.

La bête recula mais Yava ne distingua pas de blessure sur son dos. Son cuir était probablement plus solide que n'importe quelle armure.

Yava sentit le désespoir le gagner.

A l'assaut suivant, il visa plutôt la tête de son adversaire qu'il frappa juste en dessous de l'œil. Furieux, le sanglier prit Yava de revers, d'un coup de tête dans le ventre et l'envoya valser contre le rocher.

Une douleur intense vrilla le crâne de l'elfe lorsque son corps buta contre la pierre.

Des milliers d'étoiles scintillantes virevoltèrent autour de lui.

« Cette fois, c'est vraiment la fin. pensa-t-il. »

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