Chapitre 6 : Regarder droit dans les yeux

Fatiha les avait laissés s'installer dans une salle habituellement utilisée pour les thérapies de groupe. La décoration riche en couleurs et la grande surface de la pièce rendrait plus facile la discussion entre les parents et Jonas. Ce dernier avait d'ailleurs tenu à ce qu'Alice soit avec lui pendant qu'il voyait ses parents.

Quand l'infirmière était venue le chercher dans sa chambre, il avait cru qu'il referait une crise d'angoisse. Il avait senti sa poitrine se serrer comme dans un étau et Alice lui avait notifié sa pâleur grandissante. Mais sa voix douce l'avait apaisé, et il avait alors décidé qu'elle pourrait voir cet aspect de sa vie. Ainsi elle comprendrait un peu mieux la solitude qu'il ressentait.

Ils étaient donc tous les quatre assis dans la pièce. Irène et Paul avaient pris place près du tableau blanc, sur des poufs en mousse dure, Jonas s'était affalé sur la chaise en plastique près de la porte et Alice se tenait debout près du mur en face de lui, jetant un œil bizarrement intéressé aux œuvres peintes par les patients de ce service. Certains valaient la peine d'être observés, d'autres étaient tout simplement sordides. Elle voulait surtout éviter le regard dédaigneux d'Irène, bien serrée dans son tailleur crème du dimanche, qui ne l'avait pas quittée des yeux.

Paul s'était habillé plus simplement, d'un jean un peu vieux et d'un pull en cachemire bleu ciel. Lui promenait son regard sur la pièce, semblant à la fois mal à l'aise et curieux de cet environnement. Il semblait avoir presque été forcé de mettre les pieds ici alors qu'il n'en avait aucune envie, comme un adolescent à qui on obligerait un repas en famille.

- Et donc, tu ne nous présentes pas ton amie ? Demanda Irène, brisant le silence de la salle.

Alice tourna la tête vers Jonas, attendant la réponse. Elle était bien impatiente de savoir comment le brun la décrirait auprès de ses parents, et surtout auprès de sa mère qui la dévisageait depuis le début. Jonas la zieuta un instant, semblant chercher une quelconque approbation, puis soupira.

- C'est Alice. On s'est rencontrés pendant ma perm'.

- Tiens donc, répondit la mère d'un air hautain. Donc tu parles à des inconnues à tout va, mais tu ne racontes rien à tes parents.

- Comme si ce que j'avais à vous raconter vous intéressait, riposta Jonas. Vous vous êtes contentés de m'envoyer ici quand vous aviez remarqué que j'avais maigri. Ce que je peux ressentir ne vous intéresse pas, pourquoi je vous en parlerais ?

- Parce que nous sommes tes parents, coupa Paul d'une voix tranchante. Nous sommes là pour ça, moi en tout cas, j'en ai envie. Il appuya sa phrase d'un regard insistant envers sa femme, qui le fusilla du regard.

- Parce que tu crois que moi je n'en ai pas envie non plus ? Cracha Irène, furieuse mais pourtant très maîtrisée. J'ai porté Jonas dans mon ventre pendant neuf longs mois, à vomir et à avoir mal partout, je l'ai élevé dignement. Donc oui, j'aimerais bien qu'il me parle au lieu de fricoter avec des inconnus.

Paul s'apprêtait à répliquer, mais Jonas le devança.

- Dignement ? Vraiment, c'est le mot qui te servirait à décrire comment tu m'as élevé ? Rien n'est digne chez toi, Irène, et encore moins la façon dont tu m'as élevé. Tu ne m'as jamais encouragé, tu ne t'es jamais intéressée à ce que je puisse aimer, les amis que j'ai pu avoir...

Sa mère tiqua. Maintenant qu'elle y repensait, depuis que Jonas était entré au lycée, il ne l'avait plus appelée « maman ». Elle voulut répondre, mais sous l'œil attentif d'Alice, qui ne voulait pas prendre part à cette dispute, il regarda sa mère dans les yeux, sans cligner, fort, et continua.

- J'ai toujours eu dix-sept de moyenne générale pendant toutes mes années scolaires, les félicitations du jury, et ça ne t'a jamais suffit. Et même si j'étais coiffé et habillé comme tu le voulais, aussi classe que tu le voulais, ça ne serait pas encore assez bien pour toi et je serais indigne d'être ton fils. Tu ne m'as jamais considéré comme tel, Irène. Alors ne fais plus semblant de t'inquiéter pour moi.

- D'autant plus que ta grossesse ne t'a pas fait vomir une seule fois et que tu n'as jamais souffert d'être enceinte, ajouta Paul, qui profita de ce moment d'apaisement pour en rajouter une couche. Alors franchement, Caliméro, pour une fois, arrête de centrer la discussion sur toi et de te faire passer pour une martyre. C'est fatiguant.

Jonas se retourna vers Alice, désireux de ne partager son sourire naissant qu'avec elle. Il était heureux d'avoir enfin pu leur dire leurs quatre vérités, surtout à sa mère. Il savait que ce n'était pas la peine de s'en prendre à son père. Des deux, même s'il restait très secret là-dessus, Paul était le plus inquiet pour son fils. Il ne lui avait pourtant jamais parlé, jamais passé de moment intime entre parent et enfant, et n'avait jamais pris au sérieux la solitude de son garçon. Entraîné par sa femme, il avait fermé les yeux sur l'état de son fils et l'avait poussé à être toujours meilleur, alors qu'il avait déjà atteint l'excellence. Et aujourd'hui, alors qu'il voyait son fils pâle et maigre comme un clou, qui préférait se confier à une jeune femme qu'il n'avait rencontré que quelques jours plus tôt, il se prenait en pleine figure le plus grand échec de sa vie. Et bien qu'il n'était pas le plus fautif de cette histoire, d'après lui, Paul se blâma et se blâmerait encore longtemps de ne pas avoir été un bon père.

Irène resta interdite un moment. Jonas se leva, en proie à des larmes de frustration et de colère qui menaçaient de couler à tout moment, et s'approcha d'Alice. Il aurait voulu ne pas avoir honte de cacher son visage dans les cheveux ondulés de la jeune fille. Il l'aurait certainement fait, que ses parents soient là ou pas, mais il se retint. Elle le regarda, douce et compatissante, et posa une main tendre sur sa joue qui disait : « Je suis là, je suis fière de toi, et ce n'est pas grave de pleurer ».

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Jonas aurait presque oublié sa mère, noyé dans les yeux noisette de son amie, quand celle-ci toussota pour ramener l'attention sur elle. Elle toisa son fils, puis Alice, et s'attarda sur elle.

- Et donc tu préfères te lier d'amitié avec cette pauvre jeune fille qui n'a rien demandé plutôt qu'à ta mère. Quand je disais que tu étais un fils ingrat.

Alice n'avait pas ouvert la bouche depuis le début, mais elle mourrait d'envie de renvoyer cette mégère à sa place, et de la lui faire boucler une bonne fois pour toute. Pour qui se prenait-elle à la juger sans la connaître, elle et ses vieux yeux ridés de vautour ?

- D'autant plus, renchérit Irène, que cette pauvre.... Alice c'est ça ? n'a même pas l'air d'avoir le même âge que toi.

- J'ai vingt ans oui, coupa la concernée, voyant très bien où la mère de Jonas voulait en venir. C'est gentil d'avoir demandé.

- Je vous prierais de me parler sur un ton plus respectueux, jeune fille, je ne suis pas votre mère.

La brune leva les yeux au ciel, tendit les bras, et s'exclama :

- Dieu soit loué. Si j'avais eu une mère comme vous, j'aurais vendu mon âme au diable pour qu'il me rende orpheline.

- Je ne veux plus que tu fréquentes cette idiote, Jonas, lâcha Irène en faisant mine de ne pas avoir entendu l'ironie du ton de la brune. Elle est maigre comme une planche à pain, mal habillée... vraiment, elle te ferait honte.

Jonas soupira, et s'approcha à nouveau de sa mère, pour qu'elle entende bien ce qu'il allait lui dire, et qu'elle puisse aussi le lire sur ses lèvres si le besoin se faisait sentir.

- Irène. De toutes les personnes présentes dans cette pièce, c'est de toi que j'ai le plus honte. Et j'aurais préféré ne pas avoir de mère plutôt que de t'avoir toi, qui me brandit comme un vulgaire trophée depuis que je suis tout petit, pour dire « regardez ce que j'ai accompli avec mon ventre, je mérite une médaille ». Mais tu ne m'aimes pas. Tu n'as jamais passé un seul moment avec moi, sauf pour détailler mon bulletin et y trouver quelque chose à redire. Tu me fais honte. Pas elle.

La mère pâlit. Visiblement, Jonas avait réussi à la blesser. Lui qui la pensait insensible, il s'était trompé. Cependant, elle reprit contenance très rapidement, ajusta son brushing parfait, et se leva.

- Paul, nous avons terminé, annonça-t-elle. Je vais de ce pas chercher les infirmières pour te faire sortir d'ici, Jonas. Tu vas très bien, inutile que je continue de payer pour ces soins.

Alice hoqueta. Elle ne connaissait pas beaucoup Jonas. Vraiment pas. Elle ne savait rien de son groupe préféré par exemple, de ce qu'il aimait lire, son film préféré. Mais elle savait une chose sur lui. Le jeune homme avait besoin de cette hospitalisation plus que jamais, et le faire sortir maintenant pour le livrer à lui-même était certainement la plus grosse erreur qu'Irène s'apprêtait à commettre.

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Salut à tous. 

J'espère que cette petite suite vous a plu. Je tiens juste à vous remercier, vous qui m'avez soutenu grâce à vos lectures, votes et commentaire. 

Malheureusement, pour ceux qui ne l'ont pas vu, je vais placer cette histoire en hiatus pour de nombreuses raisons que j'ai expliqué ici : https://www.wattpad.com/631438169-rantbook-pourquoi-je-vais-l%C3%A2cher-wattpad. 

Il n'y aura donc pas de chapitre la semaine prochaine, ni les suivantes jusqu'à nouvel ordre. Et je ne publierai pas non plus d'extrais, vu que ça ne sert tout simplement à rien. Personne ne les lit. 

Bon dimanche à vous,

Alice.


* Ce chapitre a été corrigé dans son intégralité.

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