Chapitre 5 : Le nom de l'inconnue

Alice avait très envie de le gifler. De partir en courant, puis de faire demi-tour pour l'insulter et lui coller ses tartines de beurre dans les cheveux. Au lieu de ça, elle inspira profondément, et, tout en triturant ses cheveux ondulés, se rappela qu'elle aussi avait posé une question indiscrète quelques jours plus tôt. S'enfuir n'était définitivement pas la solution à choisir.

- Jonas, prononça-t-elle d'une voix étranglée qui trahissait son angoisse.

- Désolé... j'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas, hein ?

Le jeune homme fixa son morceau de pain beurré comme si soudainement tout son monde ne tournait plus qu'autour de ça. Alice était certainement la seule personne à vouloir s'intéresser à lui, et il allait la perdre bêtement à cause d'une maladresse. Il s'en voulait terriblement pour ça.

- Non... enfin si mais... comment dire. Personne ne m'a jamais posé cette question alors...

- Désolé, Alice... tu veux une tartine ? demanda-t-il en poussant la deuxième languette de pain vers elle.

La jeune femme lui fit non de la tête et il reprit sa nourriture.

- Jonas, ne t'en veux pas, ça sert à rien. Je t'en parlerai quand je serai prête, mais pas maintenant.

C'était beaucoup trop tôt. Non pas que la jeune femme ait peur de répondre à cette question, ni que ça la rende triste, mais plutôt que l'idée que la réponse puisse entraîner d'autres questions dont elle ne connaît, et ne voudra jamais connaître la réponse, la plonge dans une angoisse profonde.

En face d'elle, Jonas avait repris sa tartine et se contentait de la regarder d'un œil vide. Son appétit s'était coupé en une fraction de seconde. Il se contenta de finir celle qu'il avait entamée, bien que le cœur n'y était plus, et son café. Le dernier morceau de pain irait à la poubelle, tant pis. Il détestait gaspiller de la nourriture, mais depuis qu'il avait été admis ici, il déculpabilisait grandement de laisser la moitié de son plateau avec les autres restes.

Le silence s'installa entre eux et aucun des deux n'osa dire mot. Alice regardait les nombreuses bagues qui ornaient ses doigts tandis que Jonas jouait avec ses cheveux encore humides et bien emmêlés. Il avait fait une bourde, il s'en mordait les doigts. Il avait l'habitude à force, de se sentir comme une erreur de la nature qui n'était bon qu'à dire des âneries et blesser les gens. Il se racla la gorge, fou d'envie de se confondre en excuse, mais quand il vit les prunelles noisette d'Alice qui l'interrogeaient, il se ravisa et reporta son attention sur son plateau encore à moitié plein.

Alice retourna à la contemplation de ses doigts. Le jeune homme se leva pour aller glisser son plateau sur les rails du chariot qui contenait les plateaux vides et le poussa en direction des cuisines pour que le plongeur puisse le récupérer sans avoir trop à marcher.

La brune le suivit du regard sans parler. Qu'avait-elle à dire de toute façon ? Elle n'en savait rien. La situation était gênante. Elle le regarda donc, encore une fois. Longuement. Elle s'attarda sur les traits de son visage, à la fois doux et anguleux, parce qu'il était trop maigre. Ça ne le rendait pas plus masculin, juste plus juvénile. Mais il était beau. Avec ses lèvres pâles, régulières, dont les coins tendaient plus vers le bas que vers le haut. Un peu comme Johnny Depp, pensa-t-elle. Ses cheveux en bataille lui allaient bien, même si elle le plaignait. Se coiffer ne devait pas être une partie de plaisir. De façon générale, il inspirait la confiance. Le réconfort. Elle sourit. Jonas était vraiment beau.

Elle soupira une première fois. Puis une deuxième. Jonas ne leva pas la tête vers elle. Il ne savait ni quoi faire, ni quoi penser. Ironiquement, il aurait aimé que Clara le voit là, prostré, et pense que malgré toutes ses paroles, non, il n'avait pas fait de progrès. Bien au contraire. Il se sentait encore plus paumé maintenant qu'Alice avait foutu le bazar dans sa tête qu'avant, quand il n'avait d'autre souci que ses parents qui le détestaient. Mais voilà, la jeune femme était là, avec son sourire et sa curiosité. Et il ne voulait plus qu'elle parte.

- Je veux être ton amie, dit-elle de but en blanc, brisant le calme.

Ça y est. Alice se sentait mieux. Elle était soulagée de lui avoir enfin dit clairement, de lui avoir fait comprendre que sa présence à ses côtés n'était pas à prendre à la légère, et qu'elle ne laisserait pas Jonas en plan juste parce qu'il était nécessaire qu'il reste ici. Et puis, elle ne lui en parlerait certainement pas, mais pour elle, l'amitié était une chose qui s'était faite rare dans sa vie, et ça restait sa plus grande hantise. Alors elle attendait une réponse, un quelconque signe de la part du jeune homme. Elle leva les yeux vers lui alors il qu'il se rassit en mordillant ses lèvres.

Il ne la regarda pas tout de suite. Il avait peur de l'observer et de découvrir que c'était une farce, une mise en scène qu'elle voulait sérieuse juste pour se foutre un peu plus de lui et de ses sentiments en désordre.

- Désolée, je... je suis sérieuse hein, reprit-elle, mais je ne savais pas comment le dire...

Il leva enfin les yeux vers elle. Alice regarda Jonas et se sentit tomber de haut. Comme une chute libre. Ses prunelles étaient obnubilés par les orbes bleus de Jonas. Elle n'avait jamais remarqué avant, mais il les avait très clairs, d'un bleu presque tropical, mais si emprunts de tristesse qu'ils semblaient foncés, si foncés, qu'ils n'étaient finalement que ténèbres. Elle ne sut quoi dire devant les larmes qui roulèrent sur les joues diaphanes du jeune homme.

Jonas se leva. Les larmes avaient devancé le sourire, mais il était heureux, en dépit de son attitude. Il était tellement content d'être là. Tellement content que Berthe ait interverti les deux verres par inadvertance. Il avait hâte de retourner la voir et de la remercier. Grâce à elle, il avait enfin une amie. Il se posta devant Alice, lui prit doucement la main (il se surprit même à avoir osé), et quand elle fut debout devant lui, il se rapprocha d'elle et glissa ses bras autour de son buste pour la serrer dans ses bras. Il laissa ses sanglots résonner sur les murs de la salle à manger déserte, riant en même temps.

- Jonas tu-

- Es heureux oui. Pour la première fois depuis longtemps.

Elle sourit et laissa aller sa tête contre le torse osseux de Jonas. Elle était bien là, finalement, avec son nouvel ami. Et lui aussi se sentait bien mieux. Il eut une pensée pour Richard, dans le sud, qui avait fait comme s'il ne le connaissait soudainement plus, et lui adressa un majestueux doigt d'honneur. Ah oui tu ne me considérais pas comme un ami ? pensa Jonas. Alors tu peux bien aller te faire voir, je n'ai pas besoin de toi.

- Tu sais que tu es ma seule amie, Alice ?

La brune releva la tête, toujours calée contre son torse, pour le regarder. Elle trouvait ça mignon d'avoir deux ans de plus que lui, mais une bonne tête et demi de moins que lui. Et elle sourit. Ils s'étaient finalement bien trouvés tous les deux, même si elle sentait que ça serait compliqué d'être sur la même longueur d'onde en permanence. Mais Alice ferait de son mieux. Jonas aussi.

- Tu es mon seul ami aussi, lui répondit-elle d'une voix douce. Si on ne compte pas mon patron.

- Non, tu as raison. Les patrons, ça ne compte pas.

- Les infirmières non plus.

- Les infirmières ne sont pas mes amies. Elles sont gentilles, mais ça s'arrête là.

Et ils aurait été contraire à l'éthique de lier une amitié avec un patient en pleine dépression et surtout, en pleine thérapie. Ça n'aurait apporté du bon ni à l'un, ni à l'autre.Un silence se fit sans qu'aucun des deux ne soit gêné. Puis Jonas se détacha d'elle, tout sourire, et l'entraîna dans le couloir en carré du service.

- Je vais te montrer ma chambre, on sera mieux !

La jeune femme ne répondit rien et le suivit. Elle tourna la tête pour regarder autour d'elle. C'était dénué de toute décoration. Un peu angoissant d'ailleurs. Au milieu du carré se trouvaient des salles utilisées pour les entretiens et les séances de thérapie en groupe. Seuls les murs sur lesquels était encastrée la porte étaient fait de vitrages, et de l'autre côté du carré, à l'angle entre la salle à manger et le bureau de la cadre de service se trouvait la salle de soin des infirmiers. Elle les vit là, à discuter posément, et à la regarder, elle et Jonas du coin de l'œil.

Alice se demanda ce qui pouvait bien encourager les patients à se livrer et à suivre une thérapie. Parce que de son point de vue, rien de rien ici ne pouvait bien faire en sorte que les gens se sentent en sécurité et propices à faire des confessions. Au détour du troisième côté du carré, à l'opposé de la salle à manger, Jonas ouvrit une porte beige qui donnait sur une chambre aérée, mais encore plongée dans le noir. Il alluma la lumière et Alice promena ses yeux sur les murs bordeaux, nus. En face du lit simple se trouvait un placard fermé par une porte coulissante, faute de place. Mais ce qui la frappa encore plus, c'était que les murs ne contenaient rien. Qu'il n'y ait aucune photo de ses amis, comme il n'en avait pas eu depuis longtemps, elle pouvait le comprendre, mais aucune photo de sa famille ? Et ses parents, et ses frères et sœurs ? Il en avait pourtant.

Elle allait ouvrir la bouche pour lui poser la question quand on frappa à la porte. Jonas autorisa la personne à entrer et sur le seuil, il trouva Fatiha, à demi souriante.

- C'est déjà l'heure de la séance ? demanda-t-il.

- Non, je pense qu'on peut les annuler pour toi aujourd'hui, répondit l'infirmière.

Jonas l'interrogea du regard.

- Tes parents sont là.


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Hello ! 

J'espère que vous avez passé de bonnes vacances. Je reviens avec le chapitre 5, et comme convenu d'après mon sondage sur Twitter (n'hésitez pas à me follow, c'est @_AlicePan) je posterai dorénavant tous les mercredi un petit extrais en préview du prochain chapitre, qui sort tous les dimanches.

J'espère que ce chapitre vous aura plu. 

Sur ce, bonne journée à vous. 

Alice.


* Ce chapitre a été corrigé dans son intégralité. 

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