Chapitre 4 : Le sourire d'un ange

Alice ne vit pas le temps passer pour le reste de la journée. Elle s'acharna au travail pour ne pas mourir d'impatience. Elle allait revoir Jonas, bien que l'hôpital lui faisait peur. Tout ce qu'elle connaissait des environnements psychiatriques était ce qu'elle avait vu dans les films : des chambres blanches, entièrement matelassées, avec pour seule compagnie un hublot sur la porte, pour que tous ces types en blouse blanche puissent épier le patient. De quoi être encore plus fou que fou. Et Alice ne pouvait imaginer le jeune homme enfermé dans une pièce comme ça, frêle, ses cheveux longs en bataille.

Elle finit par rentrer se coucher le soir, après la fermeture à 18h, épuisée. Elle oublia de manger tant elle était vannée d'avoir rangé des livres, grimpé sur l'échelle pour aller chercher les œuvres en hauteur, passé commande pour des clients hautains qu'elle ne voulait plus voir revenir à Tournez la page. Elle ferma les yeux à cette pensée, grimaçant de dégoût, et fut emportée par ses cauchemars de psychopathes qui hurlaient en la regardant, le visage collé au hublot de leur cellule.

Jonas attendit que la journée se termine, enfermé dans sa chambre, à réfléchir, à tout et à rien en même temps. Il se repassait le visage d'Alice en boucle dans sa tête, gravant son sourire dans sa mémoire. Il fit l'effort de s'habiller, pour une fois, alors qu'il avait l'habitude de rester en pyjama et de n'aller prendre sa douche que quand on l'y obligeait. Il alla donc se laver dans la salle de bain aux tons froids et à l'apparence très médicale. Il n'avait jamais réussi à comprendre pourquoi il détestait se nettoyer à l'hôpital. C'était pourtant le moment de la journée que Jonas préférait, mais ici, dans ce service là où les infirmières pouvaient rentrer dans les chambres (et sans frapper pour certaines) comme bon leur semblait, il avait terriblement peur que quelqu'un brise son intimité.

Mais Jonas avait réussi à faire cet effort. Il laissa un mot sur la porte pour prévenir qu'il était sous la douche et qu'il aimerait bien ne pas être dérangé. Il lava ses cheveux, les démêla, frotta sa peau comme pour enlever une couche de crasse qu'il imaginait bien ancrée sur lui, et s'assit soudainement, le souffle coupé. Le jet d'eau continuait de ruisseler sur sa peau pâle et ses côtes saillantes alors qu'il n'arrivait plus à se calmer. Le jeune homme tâtonna à la recherche de la sonnette d'appel sur laquelle il appuya.

Soixante-trois secondes plus tard, Fatiha passa la porte après avoir frappé deux coups, comme elle avait l'habitude de le faire. C'était une infirmière que Jonas affectionnait autant que Clara. Il se souviendrait toujours du premier entretien qu'il avait passé ici, en arrivant.

Assis dans le bureau des infirmiers, entouré de toute l'équipe, il avait dû expliquer pourquoi il était là, ce qui l'avait poussé à faire ça. Il n'avait su quoi répondre d'abord et avait alors passé la minute qui suivit à scruter tous les visages tournés vers lui. Il passa en troisième sur celui de Clara, qui l'observait avec les sourcils froncés, comme une maman qui s'apprêtait à disputer son fils, qui le freina dans son envie de tout avouer, puis sur celui de Fatiha, hâlé, le nez fin, les yeux noirs, les cheveux bouclés en une queue de cheval mal faite. Et la seule chose qui sortit de sa bouche quand il l'ouvrit fut : « Vous êtes très belle madame. » Fatiha avait souri, et il avait parlé, pleuré, vidé son sac, et accepté tout ce qu'on lui avait proposé pour lui faire remonter la pente. Même s'il avait déjà dix-huit ans à son entrée ici, il n'avait pas eu le choix de se faire interner.

Fatiha s'annonça dans la chambre de Jonas et, la bouche presque collée au bois de la porte de la salle de bain, lui demanda si elle pouvait entrer. Il répondit par l'affirmative, hésitant, puis remonta ses genoux vers sa poitrine pour qu'elle ne voit pas son corps à la santé alarmante, ni sa nudité. Elle s'approcha de lui, l'air inquiet.

-Jonas, ferme les yeux, lui dit-elle sur un ton doux.

Il s'exécuta et elle en profita pour éteindre le robinet et apporter une serviette à son patient.

- Concentre-toi sur ma voix, reprit-elle. Tu sais que ça va marcher, n'est-ce pas ? Tu l'as déjà fait. Écoute ma voix et respire à fond. Allez. Une grande inspiration. Et une grande expiration. Voilà, c'est bien. Recommence maintenant.

Jonas suivit les instructions à la lettre, la voix de l'infirmière à moitié masquée par l'écho de son cœur qui battait. Il se concentra donc sur sa respiration et non sur ses pensées chaotiques. Et quand enfin il réussit à respirer suffisamment bien pour parler, il demanda :

- Tu crois qu'elle voudra bien venir ?

- Qui ça ?

- Alice... hier elle m'a dit qu'elle viendrait aujourd'hui, mais et si elle n'avait plus envie ?

Fatiha sourit. Elle avait tendance à être un peu maman poule avec les patients les plus fragiles, dont elle estimait que le jeune homme faisait partie.

- Demande-lui. Je suis certaine que si elle tient à toi, elle n'aura pas changé d'avis. Et si elle a changé d'avis sans bonne raison de le faire, alors elle ne mérite pas que tu la considères comme une amie. Hein ?

Jonas hocha la tête, et promit à l'infirmière de lui envoyer un message aussitôt qu'il serait sorti de la douche. Elle lui sourit à nouveau, et lui dit qu'elle était fière de lui. Quand elle eut quitté la pièce, Jonas se leva, tremblant, regarda ses avant-bras dont les veines étaient plus que saillantes, et actionna à nouveau le jet d'eau pour terminer de se laver.

Il enfila un sweat-shirt pour faire plaisir aux infirmiers, et un jean dont il serra la ceinture jusqu'à un trou qu'il avait dû faire lui-même tant il était rachitique. Sa maigreur l'avait rendu faible et frileux, lui qui était plutôt du genre à venir en t-shirt au mois de novembre sans jamais attraper froid. Il enfila ses Converses trouées et partit prendre son petit-déjeuner, espérant qu'on n'ait pas retiré son plateau, l'heure du repas étant déjà passé.

Quand il entra dans la salle à manger, près de la véranda, il y trouva encore le plateau à son nom. Son sourire s'effaça un instant, voyant quelqu'un assis à sa place. Mais même à contre-jour, il put reconnaître la voix enjouée qui le salua. Son sourire reprit sa place, encore plus grand, plus rayonnant, et Alice eut un pincement au cœur. Comment pouvait-il être aussi triste, comment pouvait-il ne jamais sourire comme ça, comme un ange avec des cheveux mouillés en bataille.

- Alice !

Il s'assit en face d'elle (tant pis pour sa place fétiche en face de la baie vitrée) et tira le plateau vers lui.

- Tu vois que je suis venue, lui dit-elle sur un ton taquin.

De toute évidence, c'était Fatiha qui avait accueilli la jeune fille, et lui avait fait par de son inquiétude, même si en théorie, elle n'avait pas le droit, secret médical oblige.

- Désolé...

- Jonas. J'ai dit quoi à propos des excuses ?

- Rien du tout ! T'as juste dit qu'il fallait pas que je me dénigre, argumenta le jeune homme, masquant son enthousiasme derrière une moue boudeuse, tout en beurrant sa tartine.

- Mouais... en attendant, je t'ai apporté des bonbons. J'me suis dit qu'ils te feraient plaisir.

Jonas baissa les yeux sur le paquet de bonbons en question. Des Arlequins. Bien qu'il avait une grande préférence pour les fraises Tagada de Haribo, il ne put s'empêcher de remercier la jeune fille en précisant :

- Il faudra que je le dise aux infirmières quand même. Il faut éviter de ramener la nourriture ici, à cause de Louis.

- Louis ?

- Ouais, un mec qui fait de la boulimie, il a tendance à manger un peu tout ce qui lui passe sous la main, surtout les sucreries. Il faudra que je le cache bien.

- Il serait capable de te les piquer ? Demanda la jeune fille, perplexe.

- Ouais, mes parents m'avaient ramené des cookies un jour. Je les avais mis dans ma table de nuit, trois heures plus tard le paquet n'était déjà plus là.

Alice le regarda manger le contenu de son plateau tranquillement. Elle devinait à sa soudaine voracité que Jonas n'avait plus eu faim de la sorte pendant longtemps, et elle ne croyait pas si bien penser. D'habitude, le plateau était débarrassé, et la seule chose qui avait disparu était le café au lait. Les tartines partaient à la poubelle intactes, les dosettes de beurre avec.

- Dis Alice, reprit-il, une question lui venant soudainement à l'esprit.

- Oui ?

- Doe, c'est vraiment ton nom de famille ?

Ce fut à cet instant précis, alors qu'Alice eut elle aussi envie de s'enfuir en courant, que ses doigts pleins de bagues se mirent à trembler, que ses yeux devinrent noirs et que toute joie disparut d'elle, que Jonas comprit que comme lui, elle aussi avait des cicatrices qu'il ne valait mieux pas rouvrir.

-------------------------

Hello ! 

Et oui, Alice n'est pas la seule à dire des bêtises, et c'est tant mieux x)

J'espère que ce petit chapitre vous plaira, et je vous dis à la semaine prochaine pour le prochain épisode. N'hésitez pas à le dire ce que vous en pensez d'ici là, ça m'aide à m'améliorer aussi. 

Bisous~ 


* Ce chapitre a été entièrement relu et corrigé. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top