Chapitre 2 : Tournez la page
Alice rentra chez elle penaude, se demandant encore pourquoi Jonas s'était enfui de la sorte. Qu'avait-elle fait qui puisse mériter qu'on la repousse comme ça ? Ou alors ce n'était pas sa faute. Le jeune homme ne lui avait donné aucune réponse, seulement un peu plus de questions. Elle se les posait toutes en boucle, fermant d'un geste pensif la vieille porte en bois de son appartement. Sans regarder le portemanteau à sa gauche, elle tenta de poser sa veste en jean sur un des portants, sans succès. Le vêtement tomba dans un froissement bruyant sur le parquet stratifié, mais elle n'y fit pas attention. Elle trouva sur la commode Ikea son carnet à fleurs qu'elle ouvrit pour y noter toutes ses interrogations, impatiente de rencontrer Jonas pour les lui poser.
Il faisait encore jour dehors, mais Alice n'avait pas envie de voir le Soleil. Elle traversa le salon et tira les rideaux opaques d'un geste sec. Quitte à broyer du noir et se demander ce qu'elle avait encore fait de mal, autant rester dans l'obscurité. Elle s'assit délicatement dans son vieux canapé convertible rouge, tâché à de multiples endroits et dont deux lattes avaient craqué parce que l'ancien propriétaire avait cru bon de sauter dessus en état d'ivresse. Elle s'allongea dessus, ferma les yeux. La jeune femme ne voulait pas dormir. C'était trop tôt. Cependant, elle garda toujours les paupières closes pour réfléchir. Alice se repassa en boucle toute la conversation qu'ils avaient eu. Elle chercha ce moment précis où les yeux de Jonas se noyèrent dans la tristesse, où elle fut frappée de plein fouet par ce petit bout d'âme qu'elle avait entraperçu juste avant qu'il ne lève son armure, qu'il se retranche derrière sa muraille.
Elle se redressa. Alice lui avait demandé avec un grand sourire, après lui avoir longuement détaillé sa passion pour les livres et le temps qu'elle pouvait passer dans une librairie sans se lasser, ce qu'il faisait dans la vie.
- Quelle idiote tu es Alice.
Non seulement cette question était de toute évidence taboue, mais en plus elle aurait pu simplement ne rien demander et aller voir sur Facebook. Elle fonça en quelques enjambées jusqu'à l'entrée où elle avait laissé sa veste en simili cuir et fouilla ses poches à la recherche de son smartphone. Elle ouvrit sans attendre l'application du réseau social et entra dans la barre de recherche : « Jonas ». Plus d'une centaine de résultats sortirent. La jeune femme soupira. À proximité de chez elle, trois Jonas, tous plus âgés que celui qu'elle avait rencontré, aucun correspondant à son physique. Elle fit défiler les noms et les photos pendant près de deux minutes avant de se rendre compte que ça ne donnerait rien. Sans le nom de famille du jeune homme, elle ne le trouverait jamais.
Elle reposa le téléphone là où elle l'avait trouvé, puis repartit s'allonger dans le canapé. Alice n'eut ni envie de regarder la télé (bien que ce soit l'heure de regarder Grey's Anatomy), ni envie de lire la suite des thrillers de Jean-Christophe Grangé. Elle soupira une fois de plus, frustrée d'être obligée d'attendre de revoir le jeune homme, chose qui n'arriverait probablement jamais. Rien ne lui faisait envie. Elle voulait savoir, à tout prix, ce qui pouvait bien être le quotidien de Jonas pour qu'il soit à ce point renfermé sur lui-même. Non, Alice n'avait définitivement pas le droit de se poser devant sa télé comme si de rien était alors qu'il se passait enfin quelque chose dans sa vie. Elle avait rêvé du moment où elle pourrait apprendre à connaître quelqu'un qui ne venait pas de là où elle avait grandi, elle ne pouvait pas laisser cette chance lui passer sous le nez.
Alice retourna donc chercher son téléphone et ouvrit à nouveau l'application Facebook. Elle cliqua sur la barre de recherche, mais fut prise d'un doute, le pouce en suspension au-dessus de son écran tâché d'empreintes. Que pouvait-elle bien chercher qui pourrait lui permettre de tomber sur le profil de Jonas ? Elle ne connaissait pas son nom de famille, et le moteur de recherche était déjà paramétré pour faire ressortir uniquement les profils qui se trouvaient à moins de dix kilomètres de chez elle. Elle se mordilla la lèvre pendant une bonne minute, sa chemise à carreaux trop grande glissant sur ses épaules, quand elle eut la réponse, apparaissant comme par enchantement.
Elle soupira de bonheur, heureuse que Facebook lui propose d'aimer la page de l'Arlequin, en sachant qu'elle y avait été dans l'après-midi. Plus de deux cents personnes aimaient cette page, mais elle pourrait certainement filtrer. Elle cliqua sur la liste et indiqua dans la barre de recherche le prénom du jeune homme. Deux profils en ressortirent. Michel Jonas, un quadragénaire tout juste divorcé, et Jonas Conrad, son homme à elle, qui lui torturait l'esprit. Elle cliqua pour aller sur la page complète du garçon, et resta coi devant la photo de profil. Elle était en noir et blanc, pleine de ces cheveux châtains en pagaille qui lui tombaient presque en paquet devant ses yeux, et le reste de son visage était masqué par la couverture d'un livre ouvert : l'Île mystérieuse. Il aimait lire.
Et alors qu'elle souriait bêtement à son smartphone, elle l'ajouta en ami.
Elle se rendit toute souriante à son travail, le lendemain. Elle s'arrêta devant l'enseigne, comme à son habitude, avant l'ouverture, et prononça en souriant : « Tournez la page ». Le patron, Yves Montblanc, comme la montagne, avait trouvé ça amusant de nommer sa boutique de la sorte. Tournez la page. Ça voulait tout et rien dire à la fois. Alice poussa la porte arquée en verre et entra. Il faisait toujours frais, et bien que la librairie creusée dans une ancienne galerie paraissait toujours un peu sombre, l'endroit dégageait une atmosphère propice à la lecture et au calme. La plupart des clients qui venaient acheter ici n'étaient pas là par hasard : c'étaient de vrais passionnés toujours à l'affût d'un coup de cœur. La jeune femme promena ses yeux sur les étagères en bois massifs remplis de bouquins en tout genre, le premier présentoir étant celui le plus vendeur, à savoir les ouvrages préférés par les vendeurs. Parmi eux un petit livre de poche qui ne payait pas de mine, dont l'œuvre datait déjà d'il y a deux siècles, mais qu'Alice chérissait plus que tout.
L'Île au trésor lui donnait toujours envie d'évasion et de piraterie. C'était d'ailleurs Alain, son tuteur, qui lui avait offert ce livre le jour de ses dix ans. Elle n'avait alors cessé de le relire chaque soir pour rêver d'aventure et s'évader un peu de sa chambre. Depuis, Alice vivait parmi les pages de ses livres, qu'elle achetait au format poche dès qu'elle avait un peu d'argent. Mais le Capitaine Flint et ses acolytes restaient toujours le centre de son attention, chose qu'elle aimait mettre en avant, et que les clients appréciaient.
Elle ouvrit tranquillement la boutique à 10h et accueillit les premiers acheteurs avec un enthousiasme qui lui était habituel. Quand elle avait cinq minutes, elle feuilletait les premiers chapitres des nouveautés qu'elle mettait en rayon. Elle était d'ailleurs en pleine lecture d'une autobiographie quand son téléphone s'alluma sur le comptoir en pierre, à quelques pas de l'étagère. Sans quitter son livre, elle attrapa le smartphone et le leva vers ses yeux pour voir la notification.
« Jonas Conrad a accepté votre demande d'ami. Faites-lui coucou ! »
Elle en lâcha presque son livre tant elle était surprise. Elle avait passé la soirée à se convaincre que c'était peine perdue, qu'il ne voulait plus entendre parler d'elle et qu'elle ne le reverrait jamais. Mais il avait accepté. Elle posa le livre ouvert à l'envers sur la tablette et déverrouilla l'appareil pour lui envoyer un message.
« Salut ! Merci pour l'ajout, je n'aurais jamais cru que tu accepterais :) »
Elle n'eut pas le temps d'appuyer sur le bouton d'envoi qu'un message de Jonas s'afficha dans la conversation vierge.
« Hey, désolé d'être parti aussi vite hier... »
Alice, tout sourire, repoussa une mèche derrière son oreille et effaça son message pour le remplacer par un autre.
« Il n'y a pas de mal, je sais que je peux être envahissante parfois. C'est plutôt à moi de m'excuser. »
« Non non ! Je t'ai trouvée très sympa, c'est juste que... »
« Que ? »
« Personne ne m'a jamais posé ce genre de questions. Et ça... m'a fait un peu peur ? »
Alice ne put se retenir de hausser un sourcil. Elle posa son téléphone le temps d'encaisser un habitué qui prit de ses nouvelles au passage et lui souhaita une bonne journée quand il la salua pour partir. Elle reprit sa petite tablette immédiatement après qu'il ait quitté la boutique et tapa un message à la va-vite, pressée d'en apprendre plus et de discuter avec Jonas.
« Peur ? Je t'ai juste demandé ce que tu faisais dans la vie, c'est si indiscret que ça ? Tu fais partie du FBI ? »
« Non, mais c'est un peu particulier... et rien que d'y penser j'ai honte... »
Le cœur de la jeune fille rata un battement. Elle n'aimait pas ce genre de message qui la mettait sur sa faim. Elle avait la désagréable impression d'arriver à la fin d'un épisode de série et de devoir attendre d'avoir la réponse à la saison suivante. C'était frustrant, et sa curiosité la poussait à vouloir savoir.
« Rendez-vous ce soir à l'Arlequin pour en parler ? »
Alice secoua la tête et jeta un œil à ses cartons encore plein de livres à ranger. Il fallait qu'elle se mette au travail. Dans moins d'une heure, il serait midi, et les clients allaient arriver plus nombreux. Elle lâcha son téléphone et partit ranger les rayons, remettant parfois à leur place des livres policiers ou des romans d'heroic fantasy qui n'avaient rien à faire au milieu des collections de la Pléiade, et quand elle eut fini la moitié des cartons, elle s'autorisa à regarder si Jonas avait répondu son invitation.
« J'aimerais bien, mais je ne peux pas avant un moment... »
« Quoi, tu ne veux pas me voir ? » avait-elle écrit, ironiquement.
Alice se mordilla la lèvre, attendant impatiemment la réponse du jeune homme. Elle avait la sensation qu'elle pouvait se faire un nouvel ami, qu'enfin elle aurait quelqu'un à qui parler (son patron ne comptait pas), et elle ne voulait pas laisser passer cette chance. Elle crut tomber des nues quand la notification arriva, et elle se dit, ignorant royalement la cliente qui attendait à la caisse, que quelque chose clochait vraiment.
« C'est pas ça.... je suis à l'hôpital. »
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Coucou !
Voici le deuxième chapitre où on en apprend un petit peu plus !
Je vais d'ailleurs essayer de publier plus régulièrement, à savoir un chapitre tous les dimanches. Comme je travaille encore je ne suis pas sûre d'arriver tout de suite à rentrer dans le rythme mais je vais faire de mon mieux :)
Bisous !
P.S : N'hésitez pas à partager cette histoire autour de vous si elle vous plait, ça me ferait très plaisir
* Ce chapitre a été corrigé dans son intégralité.
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