Chapitre 18 : La foutue fierté.
Va-t'en. Ah, c'était donc ça. Jonas cligna des yeux plusieurs fois, peu sûr d'avoir bien entendu. Et s'il avait pu cligner des oreilles aussi, il l'aurait sûrement fait. Alice était donc là, regardant droit devant elle, attendant qu'il s'en aille comme elle le lui avait demandé. Il ne comprenait plus rien à ce qui se passait. Ils étaient allés chez les parents de la jeune femme, elle en était ressortie bouleversée. Il pouvait le concevoir, lui-même avait des relations tendues avec sa mère. Mais il avait accepté qu'elle l'épaule dans cette épreuve, pourquoi le rejetait-elle maintenant que c'était à son tour de l'aider ?
- Jonas, répéta Alice en se retournant pour le toiser. Va-t'en.
Le jeune homme ne mit pas longtemps avant de sentir le sang bouillonner dans ses veines. Pourquoi ne le laissait-elle pas être là ? C'était si compliqué de s'ouvrir un peu comme il avait fait l'effort de le faire ? Oui, en fait. Pour lui, ça l'avait été. Il avait tout gardé pour lui depuis dix-huit ans. Fatalement, au moment de lui dire tout ce qui n'allait pas chez lui, la thérapie, les antidépresseurs, son odieuse mère, ça lui avait paru insurmontable. Mais, il avait réussi et à présent, il souhaitait qu'elle fasse de même. Qu'elle désamorce la bombe avant qu'elle n'éclate et que ça lui plombe le moral. Jonas ne devait pas s'énerver, alors il remonta le col de sa veste, qu'il n'avait pas enlevé, et fit demi-tour. Il claqua la porte derrière lui sans même un "au revoir" à l'attention de la jeune femme.
Alice resta une minute dans l'entrée à se demander si Jonas avait bel et bien quitté son appartement. Une boule amère se forma dans sa gorge. Elle avait été si choquée de rencontrer ses parents, d'avoir été autant fascinée par son père, pourtant violent, seulement parce que sa ressemblance avec lui était frappante. À aucun moment elle n'avait vraiment souhaité qu'il parte. Elle voulait le brun à ses côtés. Alice avait juste été incapable de lui demander. Maintenant, il était parti, et elle était seule dans son appartement froid.
La jeune femme ne comprit pas tout de suite ce qui était en train de lui arriver, mais elle se sentit tout à coup remplie de quelque chose d'horrible. Un néant lui creusait la poitrine. Elle se mit à trembler de tout son corps, son manteau encore sur le dos, ses chaussures encore aux pieds. La poitrine d'Alice se serra et elle se mit à suffoquer, à respirer comme si elle avait tenu dix minutes en apnée, et quand les larmes dévalèrent ses joues, elle se jeta sur son lit, la tête la première sur son oreiller. Elle hurla à pleins poumons, espérant que la douleur s'évapore. Les pleurs s'intensifièrent, elle eut de plus en plus de mal à respirer.
Au loin, au bout de la rue, Jonas enfonça les mains dans ses poches, se pinçant les lèvres. Il aurait juré entendre une voix de femme implorer le pardon, supplier un retour inespéré, et sangloter. Il marcha tête baissée jusqu'au nouveau campus de Nancy, à côté de chez lui, et emprunta la rue pour arriver chez son père. Il sonna juste pour prévenir, et enfonça sa clé dans la serrure pour entrer. Paul, bien moins fatigué qu'à Noël, l'accueillit avec une accolade paternelle. Ces étreintes avaient manqué au jeune homme. Enfin il obtenait ce qu'il avait toujours désiré : être considéré comme un fils, et voir de la fierté dans les yeux de ses parents. Il ne se fit pas d'illusion cependant : sa mère mettrait bien plus de temps à changer son attitude. Mais voir son père aussi heureux de le voir rentrer chez lui procura un plaisir sans nom, et adoucit un peu la colère de Jonas.
- Que me vaut ta visite ? Demanda Paul en souriant.
- J'aimerais rester dormir ici quelques jours.
- Tu es ici chez toi mon grand, et aussi longtemps que j'habiterai encore cette maison.
- Justement, je pense rester ici le temps de me trouver un travail.
Jonas se triturait les doigts, peu sûr de l'accueil de cette annonce. Pourtant, le fait qu'il veuille se reprendre en main et essayer de faire ce qui lui plaisait était une très bonne chose, du moins dans sa tête. Que se passerait-il s'il ne se plaisait pas dans son travail, s'il faisait une rechute ? Mais il ne pouvait pas savoir s'il n'essayait pas. Il ne pourrait pas dépendre de son père ou d'Alice tout le reste de sa vie. Plus il y pensait, plus ça lui torturait l'esprit. Son père lui servit un thé, comme d'habitude, et Jonas livra enfin ses projets d'avenir. Paul écouta attentivement, haussant les sourcils à mesure que le récit avançait. Il avait l'impression que son fils avait fait un véritable bond dans sa façon d'être, passé d'un garçon éteint, avec pour seul projet de mourir, à un garçon dans la fleur de l'âge, qui trouvait un sens à sa vie sans se soucier de ce que pourrait en penser les autres. Finalement, son divorce avait du bon.
- Tu sais, si c'est une question d'argent je pourrais t'en prêter, finit par dire Paul. Même avec le divorce et les frais d'avocat à payer, il me restera bien assez pour t'entretenir le temps que tu fasses les études que tu veux. Et puis ta mère a aussi le devoir de subvenir à tes besoins.
- Tu plaisantes, railla Jonas, mes études ne sont pas assez prestigieuses pour elle, Irène ne lâchera pas un seul centime pour son pauvre couillon de fils.
Paul soupira. Il avait connu son ex-femme assez longtemps pour savoir que Jonas n'avait ni raison, ni tord. Il n'allait pas enfoncer le clou. Il en était sûr, Irène se rendrait bientôt compte de son erreur, et Jonas allait devoir lui pardonner ça. Le contraire serait vraiment dommage.
- Quoi qu'il en soit, reprit le jeune homme, même avec l'assurance que tu pourrais me passer de l'argent en attendant que je termine mes études, ma rentrée n'est pas avant le mois de septembre prochain. On n'est même pas en janvier, donc je pense bien me trouver un travail pour passer le temps.
- Fais comme tu veux, mais tu sais que je suis là si tu as besoin.
Le brun n'eut pas besoin d'ajouter quoi que ce soit. Sa relation avec son père grandement améliorée depuis quelques temps, ils n'avaient presque plus besoin de se parler pour se comprendre. Du moins, pour ce genre de conversation. Paul continuait d'en apprendre tous les jours sur son fils, en dehors de ça.
Ils discutèrent encore longtemps avant que Jonas ne décide de monter dans sa chambre pour ranger et s'aérer l'esprit. La dispute, ou plutôt le rejet d'Alice, une nouvelle fois, le mettait en colère. Elle s'était imposée dans sa vie et l'avait aidé sans lui laisser le choix, et maintenant qu'il voulait de bon cœur lui rendre la pareille, elle le rejetait comme un vulgaire mouchoir. Non, décidément, il n'allait pas se laisser faire. Il fallait qu'elle réagisse, et quoi de mieux qu'une bonne remontée de bretelles pour ça. Si Alice ne se rendait pas compte de son attitude après ça, Jonas voulait bien manger sa chemise.
Il prévint donc son père qu'il se rendait chez elle pour avoir un tête à tête qui pourrait s'avérer douloureux, et promit de rentrer pour le marathon des Seigneurs des Anneaux. Peter Jackson avait brillamment interprété les chef-d'œuvre de Tolkien, il ne pouvait donc décemment pas rater ça. Il courut presque jusqu'à l'immeuble, profita de la sortie d'un résident pour passer la porte d'entrée sans avoir à sonner. Le jeune homme, toujours en colère, déterminé à lui dire ses quatre vérités, prit cependant son temps pour gravir les marches jusqu'au deuxième étage. Il inspira longuement alors qu'il se rapprochait de la sonnette, qu'il pressa doucement.
Il n'entendit rien d'abord, et crut même que la jeune femme devait être absente. Puis des pas feutrés, une voix qui marmonnait, et Alice, les yeux bouffis, cernés, lui ouvrit la porte. Son expression presque désemparée changea immédiatement après l'avoir vu. Ses yeux noisette, brillants, se refroidirent comme un hiver glacial emporte l'été.
- Alors ? Demanda-t-elle froidement, la main sur la porte, prête à la lui fermer au nez. T'avais froid dehors et t'es revenu me demander pardon pour avoir un peu chaud cette nuit ?
- Non.
- Non, répéta-t-elle mécaniquement, à demi surprise.
- J'ai réfléchi.
Alice ne dit rien. Elle ne savait pas quoi lui répondre, là tout de suite, et préféra attendre ce qu'il avait à lui raconter.
- J'ai réfléchi sur comment tu te comportais avec moi.
La jeune femme déglutit. Un sentiment de lourdeur, comme si quelqu'un venait de s'asseoir sur sa poitrine, l'empêchait de respirer correctement.
- En fait, tu t'es servie de moi. T'as trouvé un petit chiot abandonné au bord de la route avec un problème pour le coup nettement plus sérieux que le tien et t'as décidé que tu pourrais oublier tout ton passé en te focalisant sur ma guérison. Ce dont je te remercie au passage, puisque ta présence m'a fait un bien fou. Mais tu vois, si ça s'arrêtait là, je ne le prendrais pas aussi mal. J'aurais été un peu déçu, mais j'aurais quand même persisté à croire qu'une amitié entre toi et moi était possible. Mais tout ce que je vois là, c'est que quand tu te rends compte que les gens s'attachent à toi et veulent te renvoyer l'ascenseur pour régler ton problème, là ça ne va pas. Il ne faudrait surtout pas que quelqu'un t'oblige à voir la réalité en face. À enfin mettre les choses au clair dans ta vie. Et juste à cause de ça, juste parce que t'as peur d'aller bien, tu veux pas que les gens t'aident. Quitte à leur faire des croche-pieds pour qu'ils se cassent une nouvelle fois la gueule et que tu puisses les aider à se relever. T'as peur de quoi ? D'être seule ? Tu ne le seras pas. Maintenant si tu préfères me remettre au fond du trou à tout prix, soit. Essaye. Mais une dernière chose avant que je fasse demi-tour : à chaque fois, je riposterai. Et c'est toi qui tomberas.
Et, sans un mot ni un regard de plus pour elle, il tourna les talons, et repartit par là où il était venu, directement chez son père. La seule différence qu'il arrivait à noter, c'était son cœur qui se brisait en mille morceaux, alors qu'il regrettait chaque millimètre de cette vérité qu'il venait de lui faire sauter au visage.
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Hello !
Voilà le nouveau chapitre ! J'ai terminé l'écriture de l'histoire, donc je pense poster les chapitres très régulièrement (genre un par jour jusqu'à la fin de la semaine, vu qu'il en reste pas beaucoup), et je répondrais à tous les commentaires quand j'aurais terminé de publier.
Merci à tous ceux qui me suivent encore après tout ce temps :)
Alice
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