Chapitre 36.

[Scierie ; Southside, Virginie-Occidentale ; début de soirée]

Temps écoulé depuis le début de l'épidémie : 2 ans, 7 mois et 16 jours ;


Le crépuscule s'étendait lentement sur l'horizon et teintait le ciel de jolies nuances de violet et d'orange. Ces couleurs fascinaient Amy et Arden qui s'arrêtaient souvent pour les contempler, leurs yeux grands ouverts.

Devant eux, se dressait la scierie. Elle n'était pas imposante, juste fonctionnelle. La petite maison qui servait autrefois d'accueil et de bureau pour le gérant était toujours debout, bien que vétuste. Il n'y avait presque aucune clôture autour de la propriété, ce qui rendait le site plus vulnérable. Pourtant, ce manque de barrière permettait aussi au groupe de mieux surveiller les alentours. C'était un compromis que le groupe devait accepter. Des outils rouillés étaient éparpillés, et quelques engins de chantier abandonnés jonchaient le terrain. Quelques piles de bois, à moitié pourries, étaient disséminées çà et là, des témoins silencieux de l'activité passée du lieu.

Les survivants avaient choisi de s'installer à la scierie pour la nuit. Ce n'était pas l'idéal, mais avec l'obscurité qui s'installait rapidement, ils n'avaient pas d'autre choix. Le groupe se mit au travail, les gestes presque automatiques, leurs routines de survie bien ancrées dans leurs esprits après tant de mois de survie. Les frères Matthews montèrent des tentes près de la petite maison délabrée, tandis que Lyla et Kole faisaient le tour du périmètre pour s'assurer qu'il n'y avait aucune menace immédiate. De leur côté, Lucas, Winnie, et Toby cherchaient un moyen de sécuriser le campement avec les moyens du bord, examinant les outils et les engins de chantier pour improviser des défenses. Alec et sa sœur, accroupis près du sol, tentaient d'allumer un feu pour réchauffer tout le groupe alors que l'air froid et humide s'intensifiait à mesure que la nuit tombait. Les deux petites filles, visiblement épuisées par la longue marche de la journée, peinaient à tenir debout. Elles étaient blotties contre le médecin du groupe qui s'était trouvé un coin pour veiller sur elles en leur permettant de se reposer.

Une fois les tentes dressées et le campement établi, le groupe se rassembla pour un repas frugal, composé de quelques rations de pâtes précuites et d'un reste de haricots en conserve. Ils avaient réussi à récupérer un peu de fromage à la croûte dure et quelques morceaux de saucisse séchée. Malgré la fatigue, les discussions allaient bon train, entre blagues légères et récits d'anciennes aventures. La soirée continua à s'étirer, ponctuée de rires, et le crépuscule avait complètement laissé place à l'obscurité, enveloppant la scierie. Les lampes de poche dessinaient des cercles de lumière, mais au-delà, la nuit semblait grouiller de dangers invisibles.

Sasha balaya du regard le campement, observant les tentes éparses et les silhouettes fatiguées des autres qui se préparaient à dormir. Ils n'avaient pas assez de tentes pour tout le monde, et bien que ce ne soit pas l'idéal, elle s'était résignée à passer la nuit dans l'un des vieux engins de chantier. Au moins, la cabine offrait un abri sec et solide. Elle souhaita une bonne nuit à tout le monde, embrassa Lucas puis prit sa fille par la main. Cette dernière bailla à s'en décrocher la mâchoire, elle était trop épuisée pour émettre la moindre protestation. Winnie, enveloppée dans une couverture trop grande pour elle, traînait derrière, suivie d'Echo, qui remuait joyeusement la queue, indifférente au froid et à la pluie qui menaçait de reprendre.

‒ Allez, mon cœur, tu es crevée, murmura la jeune femme avec un regard attendri pour la petite fille.

Cette dernière hocha la tête sans dire un mot, ses yeux se fermant presque d'eux-mêmes alors qu'elle serrait sa peluche contre elle. Elles atteignirent l'un des engins, un vieux bulldozer couvert de boue et de rouille, mais dont la cabine offrait un abri sec. Sasha grimpa à l'intérieur la première, l'engin grinça légèrement. Elle tendit la main pour aider Winnie à monter après elle, la jeune fille se hissant avec précaution pour ne pas glisser sur la surface. La chienne sauta à sa suite et se faufila entre leurs jambes puis vient se rouler en boule à leurs pieds. Une fois installées, la mexicaine cala Amy dans un coin de la cabine, l'enveloppa dans leur couverture et déposa un baiser sur son front.

‒ C'est pas trop mal, souffla l'adolescente en s'étirant, son souffle visible dans la nuit.

Le bruit des autres membres du groupe se dissipait au loin. Sasha s'allongea contre le siège dur du bulldozer et ferma ses paupières. Peu à peu, la fatigue l'enveloppa, le murmure du groupe se mêla aux battements de son cœur, l'apaisant alors qu'elle glissait doucement vers le sommeil.

La mexicaine se réveilla en sursaut plusieurs heures plus tard, le cœur battant. Un bruit indistinct l'avait tirée de son sommeil. Elle cligna des yeux, s'efforçant de s'acclimater à l'obscurité de la cabine du bulldozer. Le silence ambiant lui semblait lourd, comme si le monde retenait son souffle. Dans ce moment suspendu, elle restait immobile, ses sens en alerte, tentant de déceler l'origine du son qui avait troublé sa nuit. Un frisson parcourut son échine. Peut-être était-ce simplement un rêve qui l'avait perturbée, mais l'angoisse persistait et s'insinuait dans son esprit. Elle se redressa légèrement, faisant attention à ne pas réveiller Amy, qui dormait paisiblement sa petite main agrippée à sa peluche. L'odeur de l'argile humide et du métal rouillé du bulldozer l'entourait. En scrutant l'obscurité, elle aperçut une lueur vacillante. Les lampes de poche dessinaient des ombres mouvantes sur le sol. Elle reconnut rapidement les formes familières de Simon et Toby, qui montaient la garde près de la petite maison de la scierie.

Son cœur battait toujours plus vite, partagé entre l'inquiétude pour son groupe et la confiance qu'elle avait en eux. Elle se leva lentement, évitant de faire du bruit, et jeta un dernier coup d'œil à Amy, vérifiant qu'elle était toujours en sécurité dans son sommeil, puis se glissa hors de la cabine. L'air frais de la nuit l'accueillit, mordant comme un rasoir, mais elle n'y prêta guère attention, ses pensées déjà tournées vers l'extérieur. Elle s'approcha d'eux, se fondant dans l'ombre, et chuchota afin de ne pas briser le silence :

‒ Hé, vous avez entendu ça ?

Les deux hommes se retournèrent légèrement, soulagés de la voir, mais leur expression restait préoccupée, leurs yeux scrutant l'obscurité avec méfiance.

‒ Oui, répondit Toby, les sourcils froncés et la voix tendue. Ça ne ressemble pas à un animal.

Une légère brise fit bruisser les feuilles autour d'eux, et le son s'intensifia, presque un murmure, comme un souffle étranger. Des grognements. Il s'agissait de grognements. De nombreux. Qui se rapprochaient. Les trois survivants échangèrent un regard alarmé.

‒ C'est pas des animaux, constata Simon, le cœur au bord des lèvres.

‒ Faut réveiller tout le monde et se tirer ! cria la jeune femme en se précipitant vers le bulldozer.

La peur provoqua des frissons qui parcoururent son échine. Son estomac se nouait alors qu'elle ouvrait la porte de l'engin, sa main tremblant légèrement sur la poignée, et commença à secouer Winnie avec une urgence désespérée.

‒ Winnie ! Réveille-toi ! Y a des rôdeurs !

Winnie cligna des yeux, d'abord confuse, son esprit s'accrochant à un sommeil troublé par les cris et le tumulte. Puis, son visage se transforma en une expression de terreur pure, la réalité frappant comme une gifle.

‒ Quoi ?! dit-elle, se redressant brusquement.

Mais Sasha la poussa juste à s'extirper de la cabine et de prendre les armes pour se protéger.

‒ Adam ! Alec ! hurla Toby dans la nuit sombre, ses mots se mêlaient à l'écho des balles qui fusaient.

Ses appels s'entremêlaient dans le chaos. Le temps était compté. Sasha attrapa sa fille, qui s'était réveillée sous les cris paniqués, et la porta sur sa hanche puis descendit de l'engin en resserrant sa prise sur Amy. La chienne bondit de l'engin avec des aboiements furieux et s'élança vers Simon pour le protéger. La mexicaine fit quelques pas en arrière, ne sachant pas si elle devait garder son poste ou se déplacer. Les grognements se faisaient de plus en plus forts autour d'eux et paraissaient provenir de partout à la fois.

‒ Adam ! Bouge toi !

Alors qu'elle s'élançait vers une des tentes pour réveiller les autres, la lumière de la lampe de poche de Toby balayait le terrain, révélant la horde de rôdeurs qui avançait. Leurs silhouettes décharnées se détachaient dans l'obscurité. Les tirs de Simon, précis malgré la panique ambiante, abattaient tous ceux qui se rapprochaient trop, mais d'autres affluaient, implacables, comme une marée soudaine et inarrêtable.

‒ Debout ! criait Sasha. Marcheurs !

Mais alors qu'elle se frayait un chemin de tentes en tente pour les réveiller, les premiers infectés atteignirent le campement. Ils grognaient et se débattaient, leurs mains osseuses cherchaient des proies. Les autres survivants se réveillaient un à un et se jetaient dans le combat mais ils perdaient du terrain.

Le chaos s'ensuivit alors que chacun tentait de repousser les créatures décharnées.

‒ Lucas, couvre-moi ! cria Lyla alors qu'elle grimpait sur le toit d'un véhicule abandonné afin d'avoir une meilleure vision d'ensemble.

Le survivant s'exécuta, se plaçant derrière un engin de chantier et tirant sur les zombies qui tentaient de s'approcher. Mais les créatures semblaient multiplier leurs attaques, inondant la scierie de leur présence menaçante. Leurs grognements gutturaux résonnaient comme une symphonie macabre, créant une atmosphère de terreur palpable.

‒ Faut se replier avant qu'on se retrouve encerclé ! appelait Kole quelque part au milieu du campement.

‒ Par ici ! indiqua Lyla depuis sa position surélevée, désignant une issue potentielle entre deux machines abandonnées.

Le groupe se mit en mouvement, ils migrèrent rapidement vers la sortie potentielle. Chacun était conscient de l'urgence de la situation. Sasha luttait entre le besoin d'agir et la peur qui menaçait de la paralyser. Blottie contre elle, sa fille tremblait et cherchait du réconfort dans sa chaleur. Ses petites mains s'accrochaient à son pull avec fermeté et son visage était enfouie dans son cou pour se cacher des créatures. Alec avait pris position devant sa sœur et sa nièce, arme à la main, prêt à repousser les assaillants. Chaque muscle de son corps était tendu, concentré sur la menace. Quand Sasha jeta un coup d'œil par-dessus son épaule, son cœur se serra à la vue : Gabby avait choisi de rester en arrière et défendait sa position pour leur laisser le temps de s'échapper. Il se battait avec une barre de fer, frappant les marcheurs avec une détermination farouche, mais il était rapidement encerclé. La sueur perlait sur son front, ses mouvements devenaient de plus en plus désespérés alors que les morts-vivants se rapprochaient.

‒ Gabby ! l'appela Kole en l'aidant à les repousser avec son fusil. Recule, c'est bon !

‒ Dépêche-toi Gabby !

Le médecin leva les yeux, l'angoisse mais la détermination se battant sur ses traits, mais avant qu'il ne puisse bouger, un infecté se jeta sur lui, l'attrapant par le bras avec une force surprenante. Il se débattit avec force, tentant de se dégager, mais la prise était trop forte, et il pouvait sentir le souffle putride sur sa peau.

‒ Non ! s'écria Sasha, son cœur se serrant.

Elle voulut s'élancer vers lui mais il était trop loin, trop entouré. Avec sa fille dans les bras, elle ne pouvait pas prendre de risque. Dans un mouvement désespéré, Gabby réussit à frapper le rôdeur avec sa barre de fer, le faisant chanceler, mais un autre lui tomba dessus immédiatement après, l'entravant. Le groupe s'efforçait de repousser les créatures, mais la situation semblait sans issue.

‒ Aidez-le ! cria Winnie avec désespoir.

Même après avoir réussi à se dégager un instant, il n'alla pas loin. Un troisième marcheur l'attrapa par le bras, ses griffes crochues s'enfonçant dans sa chair. Il hurla alors que la douleur le submergeait, un cri qui résonna dans la nuit comme un écho funeste. Sasha ne pouvait plus rester passive. En un éclair, elle confia sa fille à Alec et se fraya un chemin en direction de leur ami. Il était si proche...

‒ Gabby, accroche-toi !

L'idée de perdre un ami, un frère de cœur, l'embrasait d'une rage nouvelle. Lucas n'était pas loin derrière, et ensemble, ils se battirent avec une ferveur inégalée pour l'atteindre et l'extraire de l'emprise mortelle des créatures.

Mais Gabby avait déjà été mordu. Ses yeux, empreints de terreur, croisèrent ceux de son groupe. Dans un dernier acte de bravoure, il frappa le rôdeur qui le tenait avec toute la force qu'il pouvait rassembler, mais c'était trop tard. Il s'effondra dans un cri déchirant, son visage déformé par la douleur. Le son résonna comme un glas dans la nuit. La vision de leur ami tombant au sol, vaincu, brisa le cœur de Sasha. Elle se sentit paralysée, une boule d'angoisse lui serrant la gorge, alors qu'une partie de la horde l'engloutissait, le faisant disparaître sous leur masse grotesque. Les hurlements de Gabby résonnaient dans son esprit, chaque écho frappant comme un coup de poignard.

‒ Non ! hurla Simon quelque part derrière elle. Non !

‒ On doit partir, dit Kole à contre-cœur, la panique se lisant sur son visage.

Lucas parvint à repousser les créatures suffisamment loin pour attraper sa petite amie par l'avant-bras et la tirer à sa suite, mais elle était incapable de détourner son regard de Gabby.


◇ ◇ ◇

[Eglise ; Southside, Virginie-Occidentale ; nuit]

Temps écoulé depuis le début de l'épidémie : 2 ans, 7 mois et 17 jours ;


Le silence qui régnait dans l'église contrastait douloureusement avec le chaos des heures précédentes. La lumière de la lune filtrait à travers des vitraux brisés, projetant des ombres fantomatiques sur le sol et leurs visages. Ils avaient couru pendant deux heures, l'esprit embrouillé par le chagrin et la peur, traquant leurs propres ombres dans la nuit, jusqu'à ce qu'ils trouvent refuge ici.

Le choc de la perte de Gabby les avait tous laissés à vif, comme des blessures ouvertes. Winnie était assise par terre, sa couverture enroulée autour d'elle comme une carapace, des larmes silencieuses coulant sur ses joues. Ses yeux étaient rougis, et elle semblait perdue dans ses pensées. Lucas avait passé un bras autour de ses épaules et l'avait attiré dans un câlin mais il se sentait impuissante. Il était incapable de trouver les mots pour apaiser la douleur de son amie alors que la sienne était tout aussi grande. Adam était recroquevillé dans un coin plus loin, son visage enfoui dans ses bras, et il étouffait ses propres sanglots. La douleur de la perte était trop vive, et il se reprochait de n'avoir pas pu protéger leur ami. Appuyé contre le mur à sa droite, Alec avait le regard perdu dans le vide. Ses mains tremblaient, et il se mordait la lèvre inférieure, une habitude qu'il avait développée quand il était stressé.

‒ On aurait pu faire quelque chose, dit-il d'une voix brisée, s'étranglant. On aurait dû l'aider.

L'émotion dans sa voix traversa tout le groupe, chacun ressentant la même douleur, la même culpabilité qui les rongeait. Sasha, assise à côté de lui, se mordit la lèvre pour retenir ses propres larmes. Elle revoyait encore Gabby, luttant désespérément, entouré par les morts. Elle se blâmait pour ne pas avoir agi plus vite, pour avoir hésité alors que la vie de leur ami était en jeu.

‒ Si seulement j'avais été plus rapide, si j'avais pu... je n'aurais pas dû le laisser derrière, approuva-t-elle en colère contre elle-même.

‒ Tu n'y es pour rien, Sasha, la contredit Lyla. Tu as fait ce que tu as pu. On a tous fait ce qu'on a pu.

Même si elle voulait l'apaiser, elle savait que les mots ne suffiraient pas. Lyla elle-même se battait pour ne pas céder au désespoir. Assise en tailleur, les poings serrés au point que ses ongles enfoncés dans sa chair laissaient des marques rouges. Elle ressentait le même vide, la même impuissance. Aucun d'eux n'avait été préparé à une telle perte. Arden et Amy, dans les bras l'une de l'autre, les observaient avec des yeux grands ouverts, pleins d'incompréhension et de peur. Leur chienne s'était allongée sur leurs jambes tendues, comme pour leur apporter chaleur et protection. Ses oreilles se dressaient au moindre son, attentive.

‒ Qu'allons-nous faire maintenant ? demanda Toby en repoussant ses cheveux dans un geste nerveux.

Sa voix tremblait, et il regarda autour de lui, comme s'il cherchait des réponses dans les visages de ses compagnons. Mais personne ne savait vraiment quoi dire. Ils étaient tous terrifiés, vidés par les événements de la nuit. Lucas, qui s'était montré si fort pendant l'attaque, semblait maintenant désemparé.

‒ On ne peut pas rester ici, murmura Simon, brisant le silence qui s'était à nouveau installé.

‒ Il faut bouger avant qu'ils ne nous trouvent, confirma Kole jusque-là silencieux, mais il était toujours le premier à voir être en mouvement. Être à l'arrêt, c'est être vulnérable. Dès que le soleil se lève, on bouge.

Ses mots résonnèrent dans l'espace vide, chacun sachant qu'il avait raison. Mais bouger signifiait continuer à avancer malgré la douleur, malgré la perte, et personne ne se sentait prêt. Pourtant, rester ici n'était pas une option. 


◇ ◇ ◇

[Route ; Southside, Virginie-Occidentale ; aube]

Temps écoulé depuis le début de l'épidémie : 2 ans, 7 mois et 17 jours ;


L'aube se levait lentement et peignait le ciel d'une lueur grise et froide, comme un miroir de leur état d'esprit. Le soleil semblait hésitant à percer les nuages épais, comme s'il savait qu'il n'y avait rien à illuminer ici, rien qui ne méritait vraiment sa chaleur. Le groupe marchait en silence, le bruit de leurs pas sur le sol humide à peine perceptible. Ils n'échangeaient pas un mot, tous enfermés dans leur propre douleur, incapables d'exprimer le poids de la perte. C'était le deuil, le choc, qui tissaient une chape de plomb autour de chacun d'eux, les rendant presque incapables de ressentir autre chose que le vide laissé par Gabby.

À l'avant, Simon ouvrait la marche, son fusil dans une main, l'autre poing crispé autour de la sangle de son sac à dos. Son visage était impassible, une façade qu'il portait comme un bouclier, mais Sasha connaissait cet air de vide dans ses yeux, l'écho d'une douleur trop grande pour être exprimée. Juste derrière lui, Winnie traînait les pieds, les épaules affaissées, sa couverture tirée haut sur sa tête comme une carapace. Elle ne pleurait plus, mais son visage restait marqué, creusé par la tristesse et l'épuisement. Ses yeux, fixés sur le sol, étaient comme éteints, vidés de toute lueur d'espoir.

Sasha avançait avec son regard fixe sur le chemin devant elle. Se concentrer sur le mouvement de ses pieds, rythmé et constant, paraissait être la seule chose qui la maintenait debout. Ses bras entouraient fermement Amy, qui avait niché sa tête contre l'épaule de sa mère. Trop jeune pour comprendre pleinement ce qui venait de se passer, la petite fille n'avait pas posé de questions, mais elle sentait la lourdeur de l'atmosphère. Ses petits doigts s'accrochaient au col de Sasha. Echo trottait près d'elles, ses oreilles basses et le museau frôlant le sol, sentant peut-être aussi l'absence de Gabby.

Kole, toujours vigilant, fermait la marche, son regard scrutant l'horizon sans relâche, cherchant le moindre signe de danger. Habituellement implacable et sûr de lui, même lui semblait vaciller, ses gestes moins assurés qu'avant. Une partie de lui avait été brisée cette nuit-là, quelque chose d'invisible mais profond. Il avait tenté de maintenir un semblant de moral, parlant de leur prochaine destination, de la nécessité de trouver des provisions, mais ses paroles avaient résonné dans le vide. Personne ne voulait parler. Le souvenir de la fin brutale de Gabby hantait chacun d'entre eux, un poids lourd qui pesait sur leurs épaules.

Le reste du groupe marchait devant lui, dispersé, chacun enfermé dans son propre chagrin, dans son deuil silencieux. Personne n'échangeait de regards, comme si le simple fait de croiser les yeux de l'autre risquait de faire éclater la bulle de contrôle qu'ils tentaient tous désespérément de maintenir. Chaque pas les éloignait un peu plus de Gabby, un peu plus de ce dernier campement où leur ami avait trouvé une fin tragique. Sasha le savait : ils ne se remettraient jamais complètement de cette perte.

Il n'y avait rien à dire. Rien à faire. Seulement marcher, encore et encore, en espérant que le prochain refuge serait un peu plus sûr. 

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