Chapitre 35.

[Ferme ; Henderson, Virginie-Occidentale ; matin]

Temps écoulé depuis le début de l'épidémie : 2 ans, 7 mois et 11 jours ;


Le ciel gris plombait l'horizon, apportant avec lui un froid humide qui perçait jusqu'aux os et une fine bruine, rendant l'air encore plus glacial. De petites gouttes se déposaient sur le bois du perron, et une légère couche de brouillard serpentait à travers les champs déserts. Après des mois d'errance à travers les différents États, s'offrir quelques jours de repos dans cette ferme était un luxe auquel Sasha s'était presque désaccoutumée.

Ils avaient commencé par Louisville, au Kentucky, espérant trouver des traces d'un campement militaire ou gouvernemental. Mais la ville était déserte, peuplée uniquement de hordes de rôdeurs errants. Ensuite, la Georgie et Atlanta avaient été une épreuve : une grande ville, mais vide de vie, ses rues encombrées de véhicules abandonnés, ses magasins pillés et ses immeubles à moitié effondrés. La végétation, libre de toute intervention humaine, avait commencé à reprendre ses droits, envahissant les façades et les trottoirs. Puis il y avait eu la Caroline du Nord : Fort Bragg et Raleigh avaient éveillé un espoir chez eux, mais là aussi, rien d'autre que le silence et la désolation. Des complexes militaires abandonnés, des grilles défoncées et des tours de guet vides. La pire déception fut sans doute à Washington D.C., où ils avaient failli atteindre le cœur de la capitale. Mais encerclés par une marée de rôdeurs trop nombreux pour espérer passer, ils durent fuir précipitamment, manquant de perdre Toby et Kole dans la débâcle. Le Maryland, le New Jersey, et finalement l'Ohio... Tous ces endroits avaient été fouillés méthodiquement par le groupe, chaque lieu décevant plus que le précédent. Rien que des villes désertes, des bâtiments abandonnés, des signes de vie autrefois disparue. Rien d'utile, rien d'encourageant. Leurs espoirs, autrefois si forts, s'étaient effrités avec chaque nouvelle ville fantôme.

Quand ils ne marchaient pas, le groupe passait la majeure partie de la journée à chercher un endroit sûr pour se reposer, pour plus que quelques heures. Trouver des lieux où ils pourraient s'abriter devenait chaque jour plus compliqué. Ils évitaient les grandes villes, trop risquées à cause des hordes de rôdeurs, et préféraient des fermes isolées ou des maisons abandonnées dans de petites bourgades. Cependant, la sécurité n'était jamais garantie. Les routes, jadis animées, étaient maintenant jonchées de débris, rendant la progression difficile. Ils faisaient attention aux moindres signes d'activité, scrutant l'horizon à la recherche de fumée ou de bruit, car tout indice pouvait signifier qu'un autre groupe de survivants, ou pire, une horde, se trouvait à proximité. Chaque exploration des bâtiments abandonnés se transformait en mission à haut risque. Ils ne pouvaient se permettre d'être imprudents ; la moindre erreur pouvait leur coûter cher.

Le rythme était difficile à maintenir, surtout pour les fillettes, Amy et Arden, qui peinaient à suivre la cadence. Sasha s'inquiétait sans cesse pour sa fille, et Lyla veillait autant qu'elle sur sa petite sœur. Elles étaient les plus vulnérables, et cela pesait lourdement sur le moral du groupe. En plus de cela, le manque de nourriture devenait un problème de plus en plus criant. Le rationnement avait épuisé leurs dernières réserves, et chaque repas, aussi maigre soit-il, était une bataille. Les quelques provisions qu'ils trouvaient en fouillant les maisons ou les magasins délabrés étaient souvent périmées ou déjà dévalisées. Les grands magasins encore remplis, avec leurs étagères encombrées de produits, étaient trop dangereux pour s'y aventurer. Cependant, à un moment donné, ils n'auraient plus d'autres choix que de prendre le risque. Le manque de sommeil n'aidait pas non plus. Ils étaient constamment en alerte, chacun prenant tour à tour des gardes nocturnes. Le moindre craquement de branche ou le souffle du vent les faisait sursauter, toujours en crainte d'une attaque de rôdeurs ou de survivants hostiles. Avancer de plusieurs kilomètres par jour devenait un défi monumental avec leur fatigue accumulée, et parfois, ils n'en faisaient que cinq ou six avant de devoir s'arrêter, épuisés, pour reprendre leur souffle.

Le perron en bois craquait sous ses bottes alors que Sasha sortait en silence, son fusil dans une main et une tasse fumante dans l'autre. Avec précaution, elle appuya l'arme sur la rambarde et s'y accoudait, ses yeux scrutant l'horizon à la recherche du moindre mouvement suspect. Ses mains gantées s'enroulèrent autour de la tasse pour en tirer la chaleur. Les clôtures encore debout et les terres reculées donnaient une impression de protection, bien que Sasha restait toujours sur ses gardes. Devant elle, un paysage rural et silencieux s'étendait, avec des collines verdoyantes et des champs déserts. Le ciel gris chargé de nuages bas donnait à la journée une teinte morne et humide. Quelques gouttes de pluie avaient commencé à tomber dès l'aube. Au loin, un oiseau chantait. C'était le matin, le genre de matin où l'air frais s'infiltrait partout, apportant avec lui un froid vivifiant qui mordait légèrement la peau. Les gouttes de rosée perlaient sur les herbes, et un léger brouillard flottait au-dessus des champs, ajoutant une touche de mystère au paysage rural. Pourtant, Sasha trouvait un réconfort dans ce silence matinal, un moment pour elle, loin des responsabilités et du stress constant de leur survie. Les membres du groupe dormaient encore à l'intérieur de la ferme, chacun épuisé par les mois de marche incessante à la recherche d'un refuge. Elle pouvait entendre de temps en temps un murmure léger ou un soupir à travers les murs en bois, un rappel de leur présence.

Dans ce calme précaire, la mexicaine laissa ses pensées vagabonder. Elle observa les feuilles mouillées, scintillantes sous la fine bruine, tout en portant la tasse à ses lèvres, profitant du goût amer du café qui lui réchauffait la gorge. Alors qu'elle contemplait l'horizon, Lucas sortit discrètement de la maison, s'étirant avec un bâillement. Ses cheveux en bataille et le regard encore embrumé de sommeil le rendaient adorable à ses yeux. Il jeta un regard tendre vers Sasha avant de s'approcher d'elle. Leur relation avait pris des racines solides au fil des mois.

‒ Bonjour, toi.

Sa voix était basse, presque chuchotée, comme s'il ne voulait pas briser la quiétude du moment. Il passa ses bras autour de sa taille et se blottit contre son dos, ses mains trouvant naturellement leur place contre son ventre couvert de plusieurs couches. La pluie fine continuait de tomber, créant une mélodie légère en touchant le toit de la ferme. Sasha, sans se retourner, détacha une main de sa tasse de café et glissa doucement ses doigts sur les siennes, offrant de tendres caresses en réponse à son geste.

‒ Bonjour. Bien dormi ?

Lucas hocha la tête, son menton frôlant l'épaule de sa petite amie. Il laissa ses lèvres effleurer son cou dans un baiser léger, le bout froid de son nez lui provoqua des frissons. Sasha portait une veste en cuir usée, dont l'épaisseur la protégeait de la bruine constante. En dessous, un pull gris un peu trop large la réchauffait, tout comme l'écharpe enroulée étroitement autour de son cou. Pourtant, malgré tout cet attirail, le froid humide s'infiltrait sous les couches de vêtements, rendant l'air glacial presque inévitable.

‒ Aussi bien que possible... compte tenu de tout, répondit-il, son souffle s'échouant sur sa peau. Et Toi ?

‒ Courte nuit, mais reposante.

Ses bras se faufilèrent sous la veste et l'enveloppèrent dans une étreinte plus serrée. Puis, après un moment, il se déplaça légèrement pour se placer à côté d'elle, gardant un bras possessif autour de sa taille. Il fit glisser son nez doucement de son cou à sa tempe, déposant un baiser réconfortant à chaque passage.

‒ C'est calme ici, reprit-il en observant l'horizon brumeux.

‒ Ça fait presque peur, avoua Sasha en serrant un peu plus sa tasse entre ses doigts, absorbant la chaleur qui s'en dégageait. On devrait se réjouir de ce genre de moment, mais j'ai toujours cette sensation... tu sais ? Que ça pourrait être notre dernier jour de calme avant une catastrophe.

Tournant légèrement sa tête vers lui, la mexicaine frotta son nez au sien dans un geste tendre, un sourire se dessinait sur ses lèvres. Elle aimait ces moments où ils pouvaient simplement être ensemble. Son front appuyé au sien, il plongea son regard dans le sien et lui rendit son sourire avant de déposer un chaste baiser sur ses lèvres.

‒ Je comprends. Mais pour le moment, profitons-en. Ça ne durera pas.

‒ Tu as raison, admit-elle. C'est un luxe, hein ? Ce silence, cette tranquillité...

‒ J'aime partager ça avec toi, confia-t-il avec un autre baiser.

Alors que le couple profitait encore de leur moment de calme et de proximité, le bruit de pas attira leur attention, les tirant de leur bulle intime. Winnie sortit de la maison, frissonnante, emmitouflée dans un vieux manteau usé. Elle s'avança vers eux, son souffle formant de petites volutes blanches dans l'air glacé. Elle croisa ses bras contre elle, les frottant de ses mains pour tenter de se réchauffer.

‒ Brrr... C'est glacial, se plaignit-elle, ses dents claquant pour accentuer ses propos. Je crois que j'ai jamais eu aussi froid de ma vie.

‒ On aurait dû rester au lit un peu plus longtemps, chuchota Lucas à son oreille d'un ton taquin avant de lui voler un autre baiser.

‒ T'as peut-être raison, gloussa Sasha contre ses lèvres, ses yeux brillés de bonheur.

‒ Hey ! Je suis là ! Je vous entends, vous savez ?

Se détachant à regret de son petit ami, Sasha sentit ses joues se colorer et ses lèvres s'étirer en un sourire amusé alors qu'elle tendait sa tasse encore chaude vers l'adolescente.

‒ Café ?

‒ Volontiers.

Winnie accepta avec gratitude mais se laissa d'abord tomber sur une chaise en bois grise à côté d'eux, ses jambes tremblantes s'étendant devant elle. Elle saisit la tasse entre ses doigts gelés et but une gorgée avant de grimacer légèrement.

‒ C'est fort... mais ça fait du bien.

Avant qu'ils ne puissent la remarquer, Echo se précipita hors de la maison, aboyant joyeusement. Elle bondit dans l'herbe humide, ses pattes glissant sur le sol, la faisant déraper avec une maladresse comique. Avec une énergie débordante, elle se mit à se rouler dans une flaque de boue, sa langue pendante et ses aboiements résonnant dans l'air. Ses mouvements étaient désordonnés et frénétiques.

‒ Echo ! Non ! Pas encore, gronda Sasha, bien qu'elle ne puisse s'empêcher de sourire face à cette scène.

La pitbull semblait ignorer totalement les avertissements, s'enfonçant encore plus dans la boue, des éclaboussures de terre éclatant autour d'elle dans une danse joyeuse. Winnie éclata de rire, sa voix claire se mêlant à celle de la chienne.

‒ Elle va encore nous dégueulasser tout l'intérieur, constata Lucas, amusé.

‒ On la nettoiera, répondit Sasha en haussant les épaules, résignée. C'est pas la première fois qu'elle fait ça, et ça ne sera certainement pas la dernière.


◇ ◇ ◇

[Ferme ; Henderson, Virginie-Occidentale ; après-midi]

Temps écoulé depuis le début de l'épidémie : 2 ans, 7 mois et 11 jours ;


Sasha était assise contre la tête de lit en bois vieilli, son dos calé contre un coussin usé, tandis qu'Amy était blottie contre elle, un livre posé sur leurs genoux. La couverture en laine qui les enveloppait, bien que râpée par endroits, était encore bien chaude, parfaite pour l'après-midi pluvieuse qui s'écoulait dehors. La pluie tambourinait contre la fenêtre en un bruit régulier. Une petite plante desséchée trônait sur son rebord. Sur la commode en dessous, quelques bibelots étaient éparpillés : une petite figurine en céramique représentant un oiseau, et une photo jaunie encadrée d'un couple des années 60 dans leur tenue de mariage. Une lampe de chevet à l'abat-jour déchiré complétait le tableau.

‒ Allez, ma chérie, tu veux essayer de lire cette page toute seule ? proposa Sasha en caressant doucement les cheveux emmêlés de sa fille.

Cette dernière hocha la tête avec détermination, son petit doigt suivant les mots imprimés. Elle mordilla légèrement sa lèvre, concentrée.

‒ L-le... l-io... lion e-est... gro-gros... hésita-t-elle, ses petits sourcils froncés par l'effort, tandis que ses yeux plissés sautaient de mot en mot.

‒ Oui, c'est ça ! Le lion est gros. Très bien, continue.

Amy esquissa un sourire timide avant de se pencher à nouveau sur le texte. Elle prononçait lentement les phrases, trébuchant parfois sur certains sons, mais sa mère était toujours là pour l'encourager. Toujours patiente, elle corrigeait les erreurs tout en l'encourageant.

Le livre que tenait Amy était un vieil ouvrage pour enfants, trouvé lors d'une fouille dans une maison abandonnée quelques semaines plus tôt. Bien qu'il soit usé, avec des pages jaunies et écornées, il avait tout de suite fasciné la fillette. Elle aimait les histoires d'animaux et d'aventures qu'il racontait. Ayant fêtée ses six ans cette année, elle avait commencé à apprendre à lire avec l'aide du groupe. Chaque membre l'encourageait, prenant des moments pour l'aider à reconnaître les lettres et les sons.

Alors que la petite fille continuait à déchiffrer laborieusement le livre, Sasha remarqua du mouvement à la porte de la chambre. Lucas entra, la mine froissée, visiblement préoccupé. Il leur adressa un sourire, mais au lieu de les rejoindre, il se posta près de la fenêtre, les bras croisés. Son regard était fixé dehors, tendu. La mexicaine lui lança un regard interrogateur, mais il secoua légèrement la tête. Pas maintenant, sembla-t-il dire. Amy, absorbée dans sa lecture, ne remarqua rien du manège entre les deux adultes. Elle continuait, fière de ses progrès.

‒ Le lion est g-gentil... et il aime... jouer avec... ses am-amis, balbutia-t-elle, avant de lever les yeux, cherchant l'approbation de sa mère.

‒ Très bien, ma puce ! Tu as presque fini cette page, l'encouragea-t-elle d'une voix douce, tout en gardant un œil sur son petit-ami.

La fillette cligna des yeux à plusieurs reprises, ses paupières lourdes luttant contre le sommeil qui s'installait peu à peu. Elle bâilla discrètement, secouant légèrement la tête comme pour se réveiller. Mais malgré ses efforts, ses mouvements devenaient plus lents, et elle se blottit un peu plus contre elle, cherchant le réconfort. Sasha referma doucement le livre, tapotant la couverture usée de ses doigts, un sourire attendri sur les lèvres.

‒ Tu veux faire un petit dodo maintenant, mon cœur ?

Sans un mot, Amy hocha la tête, bien que ses paupières papillonnaient encore, bataillant contre le sommeil qui l'envahissait. La jeune mère déposa un baiser tendre sur le sommet de sa tête, son bras enveloppant son petit corps. Elle la berça doucement, savourant cette proximité intime et apaisante. Le souffle d'Amy devint plus lent et régulier, Chaque inspiration devenait un peu plus profonde, jusqu'à ce que son petit corps s'alourdisse dans les bras de sa mère, s'abandonnant. Avec une tendresse infinie, elle déposa un dernier baiser sur son front avant de se pencher pour l'allonger complètement. Elle tira doucement la couverture en laine jusqu'à ses épaules, la bordant avec soin. Sa fille murmura quelque chose dans son sommeil, mais ne bougea pas. Satisfaite, elle se redressa lentement, prenant garde à ne faire aucun bruit, puis vint se placer aux côtés de Lucas, son bras frôlant le sien, et l'observa attentivement, lisant l'inquiétude sur son visage.

‒ Qu'est-ce qui se passe ?

‒ Y a un groupe de rôdeurs dehors. Ils ne sont pas encore proches, mais ils traînent dans les environs. J'ai compté une dizaine, mais il pourrait y en avoir plus.

‒ Ils nous ont repérés, tu penses ? demanda-t-elle en jetant un coup d'œil rapide par la fenêtre.

Dehors, la pluie continuait à tomber, créant un faible brouillard au-dessus du sol détrempé. Le ciel gris pesait lourdement sur l'horizon. Elle regarda au-delà de la vitre embuée, mais ne distinguait rien d'anormal. Tout ce qu'elle voyait, c'était le paysage noyé par la pluie, les arbres maigres secoués par les rafales de vent, et des flaques boueuses se formant un peu partout.

‒ Je ne crois pas. Ils errent encore au loin, mais ils s'approchent petit à petit. Avec le vent qui souffle dans la mauvaise direction, ils pourraient capter notre odeur.

Elle suivit son regard, mais les silhouettes des infectés se fondaient dans la grisaille lointaine, difficile à distinguer sous la pluie battante. Avec une moue, elle poussa un soupir puis vient l'enlacer par derrière, ses bras se glissant autour de sa taille.

‒ Faut s'en occuper avant qu'ils en attirent d'autres, c'est ça ? se résigna-t-elle, posant son menton contre son épaule. Déjà des volontaires pour aller s'en occuper, ou y a encore de la place ? questionna-t-elle après qu'il ait confirmé avec une grimace.

‒ Simon et Adam se préparent, mais... ils pourraient avoir besoin de plus de mains alors j'y vais aussi, lui annonça Lucas, se retournant complètement cette fois pour la prendre dans ses bras.

‒ OK, je viens avec vous.

‒ J'ai pas spécialement envie de te voir en première ligne. On peut gérer ça avec les gars, je préférerais que tu restes ici. Avec Amy.

Cependant, Sasha n'était pas du genre à laisser les autres se battre pendant qu'elle restait en retrait. Pas après tout ce qu'ils avaient traversé ensemble. Pas alors qu'ils étaient devenus bien plus qu'un simple groupe de survivants. Chaque épreuve, chaque bataille les avait rapprochés, tissant entre eux des liens plus forts que n'importe quel sang. Leur famille, désormais marquée par la douleur et les sacrifices, était tout ce qui comptait. Elle inspira profondément avant de poser une main rassurante sur son torse.

‒ Amy dort. Elle est en sécurité ici, murmura Sasha avec un regard pour la fillette endormie. Et je ferai attention, tu le sais, ajouta-t-elle d'une voix douce.

Lucas fronça légèrement les sourcils, hésitant un instant avant de céder avec un hochement de tête résigné.

‒ D'accord, mais on fait ça vite. On sort, on les élimine, et on rentre avant qu'Amy ne se réveille.

‒ C'est le plan, confirma Sasha avant de se pencher pour déposer un rapide baiser sur ses lèvres.


◇ ◇ ◇

[Ferme ; Henderson, Virginie-Occidentale ; après-midi]

Temps écoulé depuis le début de l'épidémie : 2 ans, 7 mois et 11 jours ;


La pluie martelait le sol en un rideau incessant, créant des flaques autour de leurs pieds. Les gouttelettes glacées fouettaient leurs visages, pénétrant jusqu'à leurs os, et imbibaient leurs vêtements ; mais personne ne prêtait vraiment attention à l'inconfort. Le vent, chargé d'humidité, portait avec lui l'odeur de la chair pourrie et du danger imminent. Lucas, Simon, Adam et Sasha se tenaient prêts, leur corps tendu, leurs yeux rivés sur la lisière de la propriété où les silhouettes des marcheurs se dessinaient dans la brume. Floues, mais indéniablement menaçantes. L'adrénaline circulait dans leurs veines tandis qu'ils vérifiaient leurs armes une nouvelle fois.

Le visage fermé, Lucas resserra instinctivement sa prise sur sa machette. Cette arme, à la fois familière et rassurante, était une extension de lui-même, ayant déjà été son salut plus d'une fois. À côté de lui, Sasha ajustait discrètement le couteau à sa ceinture, un geste presque automatique à ce stade, puis s'assura que son chargeur était plein. Son regard croisa celui de Lucas, un échange silencieux. Son cœur battait vite, mais ce n'était pas de la peur. Pas vraiment. Elle était habituée à ces moments où la tension précédait l'action. C'était une habitude désormais.

‒ Ils sont une dizaine, signala Simon, ses yeux fixés sur les silhouettes vacillantes, à une cinquantaine de mètres, à peine sous les rafales de pluie. Si on agit rapidement, on peut les neutraliser sans en attirer d'autres. La pluie couvrira nos mouvements.

‒ Faisons ça proprement, participa Lucas. Restez silencieux autant que possible. On ne veut pas de complications.

Avec un hochement de tête déterminé, ils se mirent en mouvement, avançant avec précaution vers les infectés. Leurs pas étaient amortis par le sol boueux, rendant presque inaudibles les bruits de leurs bottes. Les créatures déambulaient sans but, inconscients de la menace. Éparpillés en petits groupes de deux ou trois, ils étaient plus faciles à gérer, mais un faux pas pourrait rapidement tourner la situation en leur défaveur.

Sasha marcha légèrement en retrait de son petit-ami, sa main frôlant la poignée de son couteau alors qu'elle avançait. En scrutant le terrain, elle repéra rapidement une créature solitaire à une vingtaine de mètres d'eux, ses vêtements en lambeaux collant à son corps décharné. D'un signe de tête discret, elle indiqua à Lucas qu'elle allait s'en occuper. Silencieusement, elle détacha son couteau et s'approcha du rôdeur par derrière. Ses mouvements étaient mesurés, lents. Une fois à portée, elle glissa son bras autour de son cou et planta son arme directement à la base du crâne, un coup net et précis. Le corps s'affaissa immédiatement dans la boue, sans un bruit, alors qu'elle retirait son couteau. Le sang sombre se mêla à l'eau qui s'accumulait au sol.

Plus loin, les deux frères s'occupaient déjà d'un petit groupe de trois qui s'approchaient dangereusement de la maison. Simon s'agenouilla, stabilisant son fusil pour tirer une balle propre à la tête de l'un d'eux. La détonation fut étouffée par la pluie, mais l'impact fit basculer la créature en arrière dans un bruit sourd. Adam réagit instantanément, il balança sa hachette avec force dans le crâne du deuxième infectés, le faisant s'écrouler. Alerté par la chute de ses camarades, le dernier se tourna vers le plus jeunes Matthews avec une lenteur macabre, les mâchoires claquant dans un gémissement rauque. Mais avant qu'il ne puisse l'atteindre, l'aîné fit feu à nouveau, un tir précis entre les deux yeux qui mit fin à ses mouvements maladroits.

‒ On continue.

À mesure qu'ils progressaient, les rôdeurs devenaient plus dispersés, mais leur nombre restait préoccupant. Il ne fallait pas les sous-estimer, même lorsqu'ils semblaient éparpillés et désordonnés. Lucas en repéra deux avançant maladroitement en tandem vers Simon, leurs pieds traînant dans la boue épaisse. Il jeta un coup d'œil à Sasha et lui fit signe de le suivre. Ils s'approchèrent silencieusement, évitaient les flaques et les branches mortes, prêts à frapper. L'homme prit l'initiative, sa machette fendit l'air avec un sifflement, décapitant le premier avant même qu'il ne puisse régir. Trop lent, le deuxième tourna la tête vers eux. Mais avant qu'il ne puisse esquisser le moindre mouvement, la mexicaine bondit en avant et planta son couteau profondément dans son front puis se recula tout aussi brusquement et le regarda s'effondrer face contre terre. Alors qu'elle essuyait distraitement sa lame sur la manche trempée de son pull, ses yeux scrutaient les environs. Le silence retombait lentement, seulement perturbé par le martèlement constant de la pluie. Les cadavres, désormais immobiles, gisaient éparpillés autour d'eux, enfoncés dans la terre détrempée. Leurs corps sans vie se mêlaient à la boue, presque indiscernables dans la grisaille ambiante. Sasha jeta un regard vers Lucas, qui balaya la zone d'un dernier coup d'œil avant de relâcher un soupir.

‒ Ça fait combien ? Demanda Simon en les rejoignant, ses yeux balayés le champ de bataille improvisé.

‒ Dix, répondit Lucas. On a eu les derniers là-bas.

‒ On a été rapide, constata Adam en plissant les yeux vers l'horizon. Pas de bruits, pas d'autres invités.

Un moment de soulagement traversa le groupe, mais il était de courte durée. Ils savaient que ce genre de calme ne durait jamais longtemps. La pluie continuait à tomber, et même si les marcheurs étaient neutralisés, il restait toujours la possibilité qu'un autre groupe passe dans les parages. Il fallait rester vigilant. Néanmoins, c'était fini pour le moment, et l'adrénaline commençait à redescendre. Sans un mot de plus, ils se retournèrent et commencèrent à marcher en direction de la maison, leurs vêtements alourdis par la pluie et la boue, mais leur esprit en paix. Ils avaient fait leur part, encore une fois.

L'air intérieur leur sembla soudain beaucoup plus chaud que lorsqu'ils étaient sortis, une chaleur relative qui contrastait avec l'humidité glaciale à laquelle ils venaient de faire face. En entrant, ils furent immédiatement accueillis par la voix enjouée de Winnie, fidèle à elle-même, toujours capable de garder sa bonne humeur malgré les épreuves.

‒ Wow, vous ressemblez à des rats noyés ! plaisanta-t-elle alors qu'elle refermait la porte derrière eux. Heureusement pour vous, on a fait chauffer des marmites d'eau. Vous allez pouvoir vous laver un peu et vous débarrasser de toute cette boue.

Elle se précipita vers eux pour les aider à enlever leurs manteaux trempés, qui gouttaient sur le sol. Sasha se défit de sa veste avec un soupir, sentant le poids de l'humidité la quitter, mais la fatigue la rattraper rapidement. L'adolescente, qui avait déjà attrapé la veste de Simon pour la suspendre, prit la sienne avec efficacité.

‒ Sérieusement, vous avez vu dans quel état vous êtes ? On pourrait croire que vous avez roulé dans la boue avec les marcheurs ! ajouta-t-elle avec un sourire moqueur.

Malgré ses plaisanteries, la jeune femme avait préparé tout ce qu'il fallait avec l'aide de Gabby. Elle leur indiqua que des marmites d'eau chaude attendaient dans la cuisine, prêtes à être utilisées pour un brin de toilette. Elle les avait installées dans des bassines pour leur permettre de se laver sommairement et enlever la crasse accumulée

‒ C'est pas des bains à bulles, mais ça fera l'affaire ! leur lança-t-elle joyeusement avant de repartir vers la cuisine pour vérifier que tout était en ordre.

Bien que reconnaissante pour l'attention, Sasha se sentait soudainement submergée. Sans un mot, elle attrapa une des bassines et s'éclipsa en direction d'une des salles de bains. Elle poussa la porte doucement, veillant à ne pas faire trop de bruit pour ne pas réveiller Amy qui dormait encore paisiblement dans la pièce d'à côté. La petite salle de bain était sommairement équipée : un miroir fêlé accroché au mur, un vieux lavabo rouillé et une baignoire qui ne fonctionnait plus. Elle déposa la bassine sur le sol et retira lentement ses vêtements. Un frisson lui parcourut la nuque quand l'air froid caressa sa peau humide. Son corps était couvert de tâches de boue séchée et de sang, mais ce n'était plus qu'une routine pour elle. Elle avait arrêté de compter les fois où elle s'était retrouvée dans cet état. Elle se pencha au-dessus de la bassine, trempant ses mains dans l'eau chaude, et sentit immédiatement ses muscles se détendre. Elle laissa échapper un soupir d'aise alors qu'elle éclaboussait son visage avec l'eau. Avec un vieux chiffon, la jeune femme se lava sommairement et frotta son visage, son cou, ses bras... Elle observa son reflet dans le miroir fissuré, et pendant un instant, elle chercha la femme qu'elle avait été avant l'apocalypse.

Ses traits étaient tirés, ses cernes marquées par des mois sans sommeil réparateur. Son visage, autrefois plein de jeunesse et de vie, semblait maintenant sculpté par la fatigue et le poids de la survie. Aujourd'hui, ses joues étaient plus creuses, et sa peau, autrefois éclatante, avait pris une teinte terne. Ses mains étaient couvertes de petites cicatrices, souvenirs de combats acharnés contre les morts et les vivants. Ses cheveux, qui jadis tombaient en longues boucles, étaient maintenant ternis par la crasse, souvent attachés à la va-vite pour ne pas gêner ses mouvements.

Sasha était perdue dans ses pensées, toujours face au miroir fissuré, quand un léger toc toc résonna contre la porte de la salle de bain. Elle cligna des yeux, comme si le bruit la tirait de ses réflexions, et tourna lentement la tête.

‒ Sasha ? C'est Lyla. Je peux entrer ?

La jeune mère hésita un instant, puis soupira avant de répondre :

‒ Oui, entre.

La porte s'ouvrit doucement, laissant apparaître Lyla et son sourire chaleureux et sa chevelure rousse éclatante. Les bougies allumées dans la pièce créaient une lumière tamisée qui se reflétait sur ses traits.

‒ Je me suis dit que tu pourrais avoir besoin d'aider... ou juste d'un peu de compagnie, dit-elle en refermant la porte derrière elle.

Laissant son regard se détacher de son reflet abîmé, elle tourna son visage vers elle, esquissa un sourire reconnaissant et hocha la tête en réponse.

‒ Ouais, un peu de compagnie ne ferait pas de mal, je suppose.

Un petit silence s'installa entre elles tandis que la rousse venait s'asseoir sur le bord de la baignoire et jouer distraitement avec la manche de son pull. Son regard pétillait de curiosité, et elle ne pouvait s'empêcher de l'observer avec une lueur malicieuse dans les yeux. On pouvait presque sentir de manière tangible son énergie vibrante. De son côté, Sasha continuait à frotter sa peau pour se débarrasser de la saleté,

‒ Quoi ? demanda cette dernière, un brin suspicieuse face au sourire entendu de son amie.

‒ Rien... c'est juste que... ça se passe bien avec Lucas, n'est-ce pas ?

Un éclat de rire secoua Sasha, la prenant complètement au dépourvu. Elle ne s'attendait pas à une telle question.

‒ Oh, s'il te plaît, Lyla... ne commence pas avec ça.

‒ On voit vos petits regards, vous êtes adorables. Ça fait plaisir de voir qu'il y a encore de la place pour ce genre de choses...

Au lieu de répondre, elle décida de contre-attaquer. Un sourire taquin se forma sur ses lèvres, et un sourcil s'arqua avec malice.

‒ Eh bien, si on parle de relations... tu ne vas pas me dire qu'il ne se passe rien entre toi et Toby, hein ?

Le visage de l'autre femme prit instantanément une teinte rosée, et elle se mit à rire nerveusement, balayant la question d'un geste de la main.

‒ Toby ?! Non, mais... il n'y a rien du tout, insista-t-elle, bien que son sourire nerveux et ses joues rougissantes trahissaient l'inverse. On discute, c'est tout. Il est juste... gentil.

‒ Oh, je vois, juste 'gentil'.

L'accent fut mis sur le mot avec une exagération amusée, alors qu'elle se détourna du lavabo, s'y adossa et croisa les bras sur sa poitrine. Leurs échanges étaient chargées de complicité et de rire.

‒ Ben écoute, si c'est 'rien', tu devrais lui dire d'arrêter de te lancer des regards de chiot perdu à chaque fois que tu passes près de lui.

Lyla tapa légèrement l'épaule de Sasha, éclatant de rire à son tour.

‒ T'es impossible ! D'accord, d'accord ! Peut-être qu'il est un peu plus que juste gentil, admit-elle finalement, détournant le regard comme si elle essayait de cacher son sourire embarrassé. Mais honnêtement, ce n'est rien. On parle juste beaucoup. Il me fait rire et... c'est tout.

‒ Lyla, tu sais que je te connais, hein ? Ne me dis pas que tu rougis comme ça juste pour un « gentil » garçon avec qui tu parles.

Incapable de retenir un petit rire nerveux, elle se mordit la lèvre inférieure tandis qu'elle se laissa aller contre le mur. Elle regarda ses pieds un moment, puis reprit un air plus sérieux.

‒ Bon, d'accord, peut-être qu'il me plaît un peu. Mais je ne pense pas qu'il se passe vraiment quelque chose. C'est juste... agréable de parler à quelqu'un qui comprend, tu vois ? On a tous tellement perdu dans ce monde, c'est... c'est bien d'avoir quelqu'un à qui se confier.

Ses pensées dérivaient vers Lucas. Elle se remémora leur première rencontre dans ce chaos, deux âmes cherchant désespérément un abri dans un monde en ruines. Leur relation avait commencé timidement, comme une lueur fragile dans la nuit, mais s'était vite renforcée par des rires, des secrets partagés et un soutien mutuel.

‒ Je comprends, vraiment, lui sourit Sasha. C'est pareil avec Lucas. Ce n'est pas que je cherchais à m'attacher à quelqu'un, mais... c'est arrivé.

‒ Et tu te sens bien avec lui ? Tu sais que vous pouvez tout traverser ensemble, même dans ce monde pourri ?

‒ Oui, je me sens bien avec lui. Mais il y a toujours cette peur, tu sais ? La peur de perdre quelqu'un encore une fois. Ça fait si longtemps qu'on lutte pour survivre, et chaque jour peut être le dernier.

Leur compréhension était évidente : le monde dans lequel elles vivaient était imprévisible. Sasha se tourna à nouveau vers le miroir, mais cette fois, elle ne voyait plus seulement une femme fatiguée. Elle voyait une mère, une amie, et surtout, une femme amoureuse. Les temps étaient durs, mais elle avait la chance d'avoir des gens qui l'entouraient, qui la soutenaient, et qui l'aimaient.

‒ Bon, assez de mélancolie, lâcha Lyla, chassant l'air lourd de la pièce d'un geste théâtral.

‒ Ouais, tu as raison... parle-moi plutôt de Toby et toi.

‒ Sasha !

Elles éclatèrent de rire, et pour un instant, l'angoisse du monde extérieur semblait s'estomper, laissant place à un moment de pure complicité. 

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