Chapitre 32.

[Route ; Lorena, Texas ; fin de matinée]

Temps écoulé depuis le début de l'épidémie : 1 an, 9 mois et 25 jours ;


Les survivants avançaient lentement, épuisés par des jours de marche dans l'air glacial. Alors qu'ils débouchaient sur une légère colline, le paysage se déploya devant eux, un mélange de désolation et de beauté hivernale. Des champs autrefois verdoyants s'étendaient, désormais ternis par la négligence, parsemés de broussailles sèches et de quelques arbres dénudés. Une silhouette se dessina à l'horizon : une tour de guet, haute et rustique, s'élevait contre le ciel.

‒ Regardez ! s'exclama Alec en pointant du doigt la structure. Ça doit être l'un des potes avancés de Waco !

Sasha scruta la tour avec une attention particulière. Avec son métal rouillé et que ses parois en bois ternies, elle semblait abandonnée, vide, comme si le temps lui-même avait décidé de l'oublier. Un panneau, à moitié effacé par les intempéries, se tenait fièrement à l'entrée du chemin menant à la tour. « Post de Surveillance D : Accès Réservé », proclamait-il d'une manière étrangement autoritaire. Les lettres blanches, ternies par la poussière et la pluie, paraissaient presque se moquer de l'absence d'activité qui régnait autour de la structure.

Le groupe ralentit son avancée, une tension s'installant dans l'air. Les murs de la tour étaient faits de tôles de métal corrodées, laissant transparaître des traces de peinture militaire autrefois verte, maintenant effacée et décolorée. Les panneaux, fissurés et flétris, vibraient doucement sous l'effet du vent, produisant un bruit presque sinistre. La base de la tour, entourée de broussailles sèches et de débris, était couverte de gravats et de vieux équipements militaires : des morceaux de barbelés rouillés, des caisses vides et des sacs de sable décolorés. Des créneaux, aux angles de la structure, offraient une vue imprenable sur les environs, mais en même temps, ils semblaient conçus pour servir de points de tir. Les fenêtres, barricadées par des morceaux de métal, laissaient filtrer quelques rayons de lumière. Sasha pouvait presque imaginer des soldats surveillant le paysage, leurs visages graves.

‒ Y a un truc bizarre hein ? Cet endroit fait froid dans le dos, murmura Lyla comme si elle craignait que quelqu'un les entende.

‒ Si ça se trouve, il y a même plus personne là-bas.

La montée d'angoisse que ressentait Sasha était palpable. Les jours précédents, marqués par la fatigue et le stress, avaient laissé leur empreinte sur chacun d'eux, et l'approche de Waco ne faisait qu'intensifier ce sentiment. Sasha, Simon, Kole et Alec se rapprochèrent prudemment de la tour de guet, leurs pas résonnant faiblement sur le chemin dégradé. La chienne, toujours alerte, reniflait l'air autour d'elle, ses oreilles dressées, prête à réagir à la moindre menace. Le reste du groupe, en attente à distance, les observait avec des regards inquiets.

Les portes de la tour étaient entrouvertes, grinçant à chaque mouvement du vent. Simon, prenant les devants, poussa la porte avec précaution. L'intérieur était sombre et poussiéreux, une odeur de moisi flottant dans l'air. Des débris traînaient sur le sol, des caisses vides de munitions s'entassaient dans un coin, et des papiers froissés étaient dispersés ici et là.

‒ Eh ho ? Y a quelqu'un ?

Pas de réponse. Juste le vent.

L'espace à l'intérieur de la tour était vaste, avec des murs en acier brut. Des renforts en métal avaient été ajoutés aux coins, et des brèches dans le plafond laissaient passer quelques rayons de lumière, accentuant la poussière qui dansait dans l'air. Les fenêtres étaient barricadées avec des planches de bois épais, probablement pour se prémunir contre les assauts extérieurs. À l'arrière de la pièce principale, un panneau de contrôle rudimentaire attirait leur attention. Des appareils électroniques couverts de poussière y étaient reliés, des câbles dénudés pendaient lamentablement. Des cartes en papier, annotées de manière chaotique, étaient épinglées au mur, montrant des routes et des points stratégiques, sans doute essentiels à la survie de ceux qui avaient occupé cet endroit.

‒ Regardez-ça... ils avaient un vrai système de surveillance ici, indiqua Simon en parcourant du doigt une carte où des cercles rouges marquaient les autres tours de guet dispersées dans les environs.

‒ Oui, et ça doit faire longtemps qu'ils sont partis, ajouta Sasha en feuilletant les pages jaunies d'un dossier laissé sur une table.

Les documents étaient remplis de notes griffonnées, des listes de ressources et des alertes de sécurité. Des annotations indiquaient des mouvements de troupes, des patrouilles manquées, et des rapports de possibles infestations de rôdeurs dans les zones environnantes.

‒ On dirait qu'ils ont quitté les lieux à la hâte, participa Kole alors qu'il examinait les restes de repas.

Des boîtes de conserve vides étaient éparpillées, certaines à moitié ouvertes, laissant échapper l'odeur de nourriture avariée. Des miettes de pain rassis traînaient ici et là. Sasha se sentait de plus en plus mal à l'aise en réalisant que cet endroit, qui avait dû être un bastion de sécurité, n'était plus qu'un vestige de ce qu'il avait été. L'idée que ces militaires avaient dû abandonner leur poste si rapidement, laissant derrière eux leurs affaires personnelles et leurs plans, était troublante. Quelque chose avait dû mal tourner.

‒ Qu'est-ce qui a bien pu les faire fuir si rapidement ?

Le petit groupe continua à fouiller la tour de guet avec une précaution méthodique. Echo reniflait les coins, éternuant quand la poussière s'infiltra dans sa truffe humide. Après plusieurs minutes de fouille minutieuse, ils commencèrent à rassembler des éléments épars : des documents militaires, des rapports déchirés, des cartes annotées de flèches rouges, et des carnets dont les pages étaient tachées par l'humidité.

‒ Ce carnet mentionne des mouvements fréquents entre les tours de guet et le camp principal. Ils avaient tout un système pour surveiller les alentours et protéger la région, dit Simon

Sasha déplia soigneusement l'une des cartes qu'elle venait de trouver. Les autres post de surveillance étaient indiqués, mais ce qui attira son attention fut un cercle plus large tracé au sud-est, juste à l'extérieur de Waco. En lettres capitales, à côté, était inscrit « CAMP PRINCIPAL – ZONE SÉCURISÉE ».

‒ J'ai trouvé l'emplacement, annonça-t-elle.

‒ Ça fait un moment qu'ils ont dû dégager, mais si ce camp est toujours en place, il pourrait nous offrir une sécurité qu'on n'a pas vue depuis longtemps.

Ils continuèrent leur inspection, fouillant les coins sombres et les armoires délabrées. Alec trouva des munitions usagées dans un tiroir. Dans une étagère poussiéreuse, Kole dénicha quelques rations militaires encore comestibles, bien que leur goût soit sans doute discutable après tout ce temps. Des talkies-walkies hors service gisaient sur une table, leurs antennes brisées, et dans un coin, une pile d'armes rouillées avait été abandonnée, inutilisables. Après avoir pris tout ce qui leur semblait utile, ils décidèrent qu'il était temps de revenir vers le reste du groupe.

Dehors, le vent s'était intensifié, balayant la plaine avec des rafales glaciales qui faisaient trembler les branches nues des arbres. Le mois de décembre au Texas n'était pas clément, et le froid mordant s'infiltrait sous leurs vêtements, les poussant à resserrer leurs manteaux autour d'eux. Chaque souffle d'air semblait plus coupant, forçant Sasha à marcher plus vite pour garder la chaleur. Elle tenait fermement la carte dans ses mains, comme si cette feuille fragile contenait la clé de leur survie. Lorsqu'ils rejoignirent les autres, tous les visages se tournèrent vers eux, marqués par la fatigue et l'attente.

‒ Alors ? interrogea Winnie, impatiente, tandis qu'elle s'accroupissait pour caresser la chienne.

‒ La tour est vide, annonça Simon avec gravité. On dirait qu'ils l'ont abandonnée y a un bon moment.

Un léger murmure parcourut le groupe, des regards inquiets s'échangeaient tandis que l'idée d'une tour déserte résonnait en eux. Sasha prit une profonde inspiration, décidée à recentrer leur attention sur ce qu'ils avaient trouvé.

‒ Mais on a trouvé des informations importantes.

La jeune femme déplia soigneusement la carte qu'elle avait récupérée, ses doigts gantés effleurant les bords usés par le temps. Les autres se rapprochèrent instinctivement, leurs yeux fatigués scrutant le papier jauni. Elle désigna le cercle rouge, tracé avec soin à la périphérie de la ville.

‒ Le campement est juste ici, à l'extérieur de Waco. On peut supposer que les militaires s'y sont réfugiés. Ils ont probablement dû abandonner cet avant-poste parce qu'ils n'arrivaient pas à le maintenir.

‒ C'est si ce camp est encore debout.

Adam, les bras croisés et un air sceptique sur le visage, plissa les yeux en regardant la carte. 

‒ Alors on y va ? demanda Lucas, les mains enfouies dans les poches de sa veste usée. Si on se rapproche, on saura si c'est encore habité ou non, pas vrai ?

Ils échangèrent des regards, évaluant silencieusement la proposition. Ils étaient tous épuisés, leurs corps et leurs esprits usés par la marche sans fin et le froid mordant de décembre qui s'installait de plus en plus dans les plaines du Texas. Le souffle de l'hiver leur caressait déjà la peau, menaçant de devenir bien plus que cela si la situation restait la même.

‒ Je pense qu'on a pas le choix. Il pourrait être notre meilleure option, déclara la mexicaine alors qu'elle repliait la carte. Et s'il est déserté, au moins on saura à quoi s'en tenir.

Un silence tendu s'installa, interrompu seulement par le léger bruissement du vent froid qui faisait frissonner tous ceux présents. Toby, toujours inquiet, s'avança un peu et posa une question, le froncement de ses sourcils trahissant son appréhension.

‒ Et si on tombe sur quelque chose de pire qu'un camp déserté ?

‒ Ouais, je comprends ton inquiétude mais on est épuisés Toby, et l'hiver arrive. Les nuits sont déjà glaciales, on peut pas se permettre de rester à l'extérieur sans but, rétorqua Lyla avec conviction.

‒ Et on doit penser aux filles, ajouta Lucas en baissant les yeux sur Amy, l'idée de la voir trembler de froids le hantait. L'hiver fait que commencer, et chaque jour qui passe la situation devient pire.

‒ Si on ne tente rien, on aura plus de solutions, continua Sasha.

‒ Très bien, de toute façon où vous allez je vous suis.


◇ ◇ ◇

[Route ; Waco, Texas ; après-midi]

Temps écoulé depuis le début de l'épidémie : 1 an, 9 mois et 25 jours ;


Près de cinq heures de marche plus tard, le groupe distingua une silhouette qui se dessinait à l'horizon : le campement militaire. La tension monta parmi eux, une appréhension silencieuse émanant de chacun. Leurs cœurs battaient à l'unisson, la fatigue alourdissant leurs pas mais la vue de ce refuge potentiel leur insufflait une énergie nouvelle.

À mesure qu'ils approchaient, les contours du campement devenaient plus nets. Une palissade en barbelés encerclait la base. Ce n'était pas une simple clôture : un assemblage hétéroclite de grillages métalliques et de plaques de tôle s'étendait sur plusieurs mètres de haut, visiblement renforcé dans l'urgence. Chaque section semblait improvisée, comme si les militaires avaient ajouté des couches de protection en réaction à des menaces croissantes. Des sacs de sable, visiblement empilés en hâte, formaient une ligne de défense à la base de la clôture. Certains sacs étaient déjà déchirés, leur contenu s'éparpillant dans le vent, créant une petite tempête de grains autour d'eux. Au sommet d'un mât, un drapeau militaire déchiré flottait faiblement dans le vent, ses couleurs fanées témoignant d'un passé glorieux mais révolu. Pourtant, malgré l'aspect décrépit, il y avait quelque chose d'étrange. Cela ne ressemblait pas à un lieu totalement abandonné.

Accroché à l'un des grillages, un panneau en métal propre et lisible se dressait, contrastant avec l'aspect délabré du reste : « Bienvenue au Campement Waco - Sécurité et Refuge ». Les lettres blanches étaient soigneusement peintes, leur éclat presque incongru face à la désolation environnante. Juste en dessous, un autre panneau, plus petit et plus stricte, portait l'inscription : « Attention : Zone sous surveillance. Accès restreint. »

Le groupe s'arrêta à une distance prudente, scrutant l'horizon, espérant entrevoir une quelconque activité à l'intérieur. Mais les hauts murs de la palissade bloquaient toute vue, laissant un voile d'incertitude planer au-dessus d'eux. Sasha resserra son emprise sur la main de sa petite fille tandis qu'une boule se forma dans son estomac. Son instinct de mère la poussait à protéger sa fille, mais elle se forçait à envisager la sécurité de tout le groupe. Les panneaux bien entretenus, la palissade toujours intacte... tout cela donnait l'impression d'un lieu surveillé, mais sans aucune présence visible.

‒ Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? demanda Lucas, sa voix trahissant sa propre nervosité.

Ses doigts tapotaient machinalement la crosse de son arme, un tic qu'il avait développé ces derniers jours, un signe de son anxiété grandissante.

‒ On approche prudemment.

‒ Ouais, Sasha a raison, approuva Kole. On doit d'abord évaluer la situation. Et s'il y a encore des militaires ici, on veut pas les surprendre.

Ils avancèrent lentement, chaque pas mesuré, la crainte palpable dans l'air. Sasha jetait des regards fréquents vers Amy, cherchant à capter la moindre émotion sur son visage. La petite paraissait calme malgré l'inquiétude que manifestait sa mère. Lorsqu'ils arrivèrent à environ deux mètres de l'entrée, ils s'arrêtèrent tous mais Lyla s'approcha du portail coulissant, une large structure en métal. Elle posa doucement ses doigts sur la surface froide, y collant son oreille, espérant capter le moindre bruit venant de l'autre côté. Elle ferma les yeux, ses sourcils froncés, écoutant attentivement. Rien. Pas un son, pas un murmure, seulement le sifflement léger du vent qui tourbillonnait à travers les grillages. Un peu plus loin, Kole, debout, scrutait le haut des barbelés, cherchant un quelconque signe de vie au-dessus des murs. Il prit une profonde inspiration avant de parler à voix haute.

‒ Bonjour ? lança-t-il. Nous sommes un petit groupe de survivants. Nous avons vu votre panneau plus au sud et on espérait trouver refuge chez vous.

L'homme marqua une pause, laissant les secondes s'étirer au cas où quelqu'un voudrait bien lui répondre. Quand il n'entendit aucune autre voix s'élever, il continua.

‒ Nous sommes pas une menace, juste des gens à la recherche d'un abri, pour l'hiver au moins. S'il y a quelqu'un, faites-nous signe s'il vous plait.

Mais le silence fut sa seule réponse, comme si le camp lui-même était plongé dans un profond sommeil, abandonné depuis longtemps. Lyla se redressa lentement, les sourcils froncés, et posa une main prudente sur la poignée froide du portail. Elle la fit légèrement bouger, testant sa résistance. Aucun verrou ne retint le portail.

‒ Il est pas verrouillé, murmura-t-elle en se tournant vers le groupe, incertaine.

Dans un grincement sourd, le portail coulissant s'entrouvrit. Le son métallique résonna étrangement dans l'air, brisant le calme oppressant qui les entourait. Le bruit semblait si fort qu'il fit tressaillir plusieurs d'entre eux, leurs mains instinctivement se rapprochant de leurs armes. Tous les regards se tournèrent instinctivement vers l'intérieur, comme s'ils attendaient que quelque chose surgisse.

À travers l'ouverture, une vaste étendue de terrain s'étendait devant eux. Le campement était organisé sur ce qui avait été un ancien parc pour camping-cars. Des tentes militaires de couleur olive, désormais décolorées par le soleil, étaient disséminées çà et là, leur toile tendue sur des structures en métal. L'un des coins du camp abritait des préfabriqués militaires, alignés comme des sentinelles muettes, leurs fenêtres sombres et poussiéreuses observant le monde extérieur.

Lyla se glissa à l'intérieur du camp, suivie de près par le reste du groupe. La mexicaine observa attentivement les alentours en prenant soin de pousser Amy derrière elle pour la protéger. Des traces de vie subsistaient encore, comme un vieux barbecue en métal, abandonné près d'une table de pique-nique renversée. Des chaises de camping éparpillées, certaines retournées, donnaient l'impression qu'une discussion animée avait été brutalement interrompue.

‒ On dirait qu'ils sont partis en plein milieu d'un repas, murmura Alec en désignant les assiettes brisées au sol.

Le regard de Sasha glissa sur une tente qui semblait avoir été ouverte à la hâte. Les bords de la toile étaient déchirés, comme si quelqu'un l'avait arrachée dans la précipitation. Elle s'approcha, son cœur battant plus fort, et jeta un coup d'œil à l'intérieur. Des affaires personnelles traînaient, éparpillées, sans aucun ordre apparent. Un sac à dos renversé laissait échapper des vêtements froissés, un carnet avec des pages arrachées, et à côté, une petite peluche sale, son sourire usé et déformé.

Près d'un des préfabriqués, un tas d'objets trainait, attirant l'attention de Simon qui s'agenouilla pour ramasser une petite chaussure bleue avec des dinosaures dessinés dessus.

‒ On dirait qu'il y avait des enfants ici...

À côté, un sac à dos déchiré en forme de renard gisait sur le sol, son pelage orange fané par les éléments. Sasha ressentit une vague d'inconfort grandir en elle, la boule dans son estomac se faisant plus pesante à mesure qu'elle observait les objets abandonnés. Sur le mur, un panneau accroché de travers affichait des instructions simples : « École du Camp Waco : Cours tous les jours à 10h pour les enfants de 5 à 12 ans. Apportez vos cahiers et soyez prêts à apprendre. » Le texte était accompagné de dessins d'enfants crayonnés à la main, témoignant d'une tentative désespérée de normalité au milieu du chaos.

‒ Ils n'ont pas pu partir tous ensemble, fit remarquer Toby, observant les affaires éparpillées un peu partout. Sinon, pourquoi laisser derrière eux toutes ces affaires ?

‒ Peut-être qu'ils étaient pressés de partir... ou qu'ils ont été forcés de le faire, ajouta Gabby avec une grimace.

‒ Ca expliquerait le désordre.

Le groupe avançait toujours avec précaution, les regards balayant constamment les alentours, à l'affût du moindre signe de danger ou de vie. Ils s'arrêtèrent devant plusieurs tentes militaires, chacune semblant avoir été laissée à la hâte. Des sacs de couchage à moitié dépliés gisaient encore à l'intérieur, certains à moitié roulés comme si leurs propriétaires avaient eu l'intention de partir avec, mais avaient dû abandonner l'idée. Des vêtements détrempés par les pluies, couverts de poussière et de boue, étaient éparpillés sur le sol, donnant une fois de plus l'impression d'un exode soudain, presque chaotique. Les survivants continuèrent à explorer. Ils s'approchèrent ensuite d'un autre préfabriqué, son extérieur usé portant toujours un panneau indicatif : Infirmerie. Sasha s'arrêta pour lire les instructions affichées :

« En cas de symptômes suivants : toux, forte fièvre, convulsions, comportement irrationnel, veuillez vous rendre immédiatement auprès du personnel médical. L'accès est strictement réservé aux malades et aux soignants. Toute non-conformité sera sanctionnée. »

Une sensation étrange s'empara d'elle, une sorte d'appel silencieux, comme si quelque chose de crucial l'attendait à l'intérieur. Elle ne savait pas exactement pourquoi elle ressentait le besoin d'y entrer, mais c'était plus fort qu'elle, une intuition viscérale qu'elle ne pouvait ignorer. La jeune femme se tourna vers Lucas, qui observait les alentours avec une vigilance accrue. Le camp était peut-être désert, mais l'atmosphère était trop étrange pour qu'ils baissent leur garde. Elle n'hésita pas une seconde à lui confier la tâche la plus importante qu'elle puisse déléguer : la protection de sa fille. Il se plaça immédiatement près de la petite fille, sa main prête à saisir son arme au moindre signe de danger. Amy, comme à son habitude, se tenait calmement à proximité, ses grands yeux observant les mouvements des adultes avec une curiosité inquiète.

‒ Je vais juste jeter un coup d'œil à l'intérieur, signala-t-elle aux autres, dispersés à observer les lieux.

Sasha inspira profondément, serrant les poings pour se donner du courage. Son regard balaya brièvement le groupe, s'assurant que Lucas veillait bien sur Amy, puis elle se tourna résolument vers l'infirmerie. Les trois marches métalliques qui menaient à la porte grinçaient sous ses pas, chaque son résonnant dans le silence oppressant du camp. Une odeur fétide, mélange de moisissure, de pourriture et de sang séché, émanait de l'entrebâillement de la porte, agressant aussitôt ses narines. Elle plissa les yeux, retenant une grimace, et tendit une main hésitante vers la poignée froide et rugueuse. La porte grinça dans un mouvement lent, s'ouvrant sur un espace sombre et exigu. L'obscurité semblait presque palpable, les fenêtres obstruées par des stores abaissés, interdisant à la lumière extérieure de percer. L'air était lourd, vicié, comme si la mort elle-même avait imprégné les murs. Sasha sentit un frisson glacé remonter le long de son dos. Le silence était assourdissant, seulement perturbé par son souffle rapide et le bruit étouffé de ses bottes. Elle fit un pas, puis un autre, ses yeux peinant à s'ajuster à la pénombre. Soudain, un bruit mou sous ses pieds la fit s'arrêter net. Elle baissa lentement les yeux et aperçut un tissu médical froissé, imbibé d'un liquide noirâtre. Le battement de son cœur s'accéléra. Elle savait que quelque chose ne tournait pas rond ici. Ses sens étaient en alerte maximale.

Puis, elle les vit.

Dans un coin de la pièce, trois silhouettes semblaient figées dans une posture agenouillée. Leurs torses et bras étaient enserrés par des cordes épaisses, les maintenant immobiles contre leur gré. Leurs corps décomposés portaient cette teinte grisâtre caractéristique des rôdeurs, et bien que leurs muscles soient rigides, leurs yeux, eux, bougeaient encore, cherchant quelque chose, ou quelqu'un, à mordre. Leurs mâchoires, disloquées pour l'un, s'ouvraient et se refermaient avec un claquement sec, un mouvement lent mais continu, comme une machine en panne qui refusait de s'éteindre.

Ils étaient zombifiés.

‒ Oh mon dieu, souffla-t-elle en portant une main à sa bouche.

Leurs corps étaient mutilés, des plaies béantes marquaient leurs ventres, leurs torses et leurs cous. À travers la faible lumière, Sasha discerna des blessures par balles, infligées avec une précision cruelle. Ces coups n'étaient pas destinés à les tuer immédiatement, mais à les faire souffrir. Des contusions profondes sur les membres, des lacérations sur la peau, et une violence gratuite qui se lisait dans chaque coup. Le sang noir, coagulé et sec, tâchait leurs vêtements en lambeaux.

Elle s'approcha de l'un d'eux, un homme, probablement dans la quarantaine avant sa transformation. Il portait encore un uniforme de militaire, mais la veste était déchirée et abandonnée derrière lui. Ses plaques d'identification tintaient faiblement à chaque mouvement. À ses côtés, un autre corps, celui d'une femme, semblait avoir été un médecin, identifiable à la blouse blanche tachée de sang. Ses mains étaient entravées, les doigts griffant le sol comme si elle cherchait à se libérer de ses liens. Un bandeau de fortune, fait de tissu sale, était noué autour de sa tête, laissant entrevoir des mèches de cheveux en désordre qui avaient perdu leur éclat. Le troisième individu semblait plus jeune, probablement dans la vingtaine. Son corps était affaissé, la tête penchée en avant, son uniforme militaire orné de taches sombres. Son visage, bien que décoloré, conservait une certaine douceur, presque juvénile.

L'estomac de Sasha se tordit, une vague de nausée lui nouant la gorge. Pourquoi les avoir attachés ? Pourquoi ne pas les avoir achevés ? Les questions tourbillonnaient dans son esprit comme un orage menaçant. Elle recula légèrement, essayant de comprendre ce qui s'était passé ici. Ces infectés n'étaient pas de simples victimes d'une attaque quelconque ; ils avaient été capturés, neutralisés et enfermés comme des animaux dans une cage. Un frisson glacé parcourut son échine, lui donnant la chair de poule. Elle comprit avec horreur que quelqu'un avait décidé de les garder en vie – ou en quelque chose qui s'en rapprochait – volontairement. Cela impliquait une cruauté inimaginable, un abandon de l'humanité. Était-ce une sorte de punition, une forme de torture destinée à infliger une souffrance interminable à ceux qui avaient été réduits à cet état ?

‒ Sasha ?

La voix de Lucas résonna dans l'obscurité de l'infirmerie, brisant le silence lourd qui l'entourait. Il se tenait près de la porte ouverte, son visage éclairé par la lumière extérieure, l'inquiétude gravée dans ses traits. Elle pouvait presque voir la tension dans ses épaules, prête à se tendre au moindre bruit suspect.

‒ Ça va ?

Elle ne lui répondit pas mais recula lentement vers lui, sans quitter des yeux les trois marcheurs qui continuaient à gémir faiblement. Elle devait sortir, retourner auprès des autres, mais une nouvelle peur s'était installée en elle. L'horreur de ce qu'elle venait de voir pesait sur son cœur comme une chape de plomb. Si les survivants avaient été capables de faire cela à leurs propres semblables, qu'étaient-ils prêts à faire à d'autres ?

‒ Ça va ? réitéra-t-il avec une insistance douce.

Sa main attrapa la sienne, entremêlant leurs doigts, et il la tira doucement pour sortir du préfabriqué sombre. La lumière, bien que maussade, l'aveugla momentanément, provoquant une légère douleur à ses yeux. Elle plissa les paupières, s'efforçant de s'accoutumer à la clarté extérieure qui contrastait violemment avec l'obscurité qui l'avait enveloppée. Les bruits de son groupe lui parvinrent peu à peu, un mélange de chuchotements et de mouvements, mais l'angoisse demeurait dans son ventre. Elle ferma doucement la porte derrière elle, le cliquetis du verrou la rassurant sur la fermeture, comme un bouclier entre elle et les horreurs qu'elle avait vues. L'idée de relater les atrocités observées dans l'infirmerie la paralysait, son esprit englué par des images terrifiantes. Lucas l'observait intensément, son regard plein de questions et d'inquiétude.  

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