Chapitre 3.
[Route I-80 ; Nebraska ; fin de matinée]
Temps écoulé depuis le début de l'épidémie : 3 mois et 11 jours.
‒ ... comme j'étais trop malade pour voyager, papa est resté avec moi, raconta Winnie alors qu'elle jouait avec une marguerite cueillie quelques instants plus tôt. J'étais dégoutée de louper les vacances annuelles chez grand-mère alors il m'a promis que si je me sentais mieux d'ici quelques jours nous les rejoindrions mais les rôdeurs ont ruiné nos plans.
Sasha avait l'impression qu'il n'existait pas de bouton off sur l'adolescente. Depuis qu'elles s'étaient mises d'accord pour s'associer, Winnie n'avait pas arrêter de parler ne serait-ce qu'une seule minute. D'abord, elle avait passé la première heure à convaincre Sasha de prendre la route en direction d'une petite ville près de Tulsa dans l'Oklahoma pour y retrouver le reste de sa famille. Etant donnée que cela ne la détournait pas énormément de son chemin, la jeune femme avait accepté. Après cela, l'adolescente avait expliqué pourquoi elle avait tenu à observer Sasha avant de l'approcher et qu'elle avait craint qu'elle ne soit pas gentille. Finalement, elle en était à raconter où elle se trouvait au début de l'apocalypse et comment elle avait fini ici, seule.
‒ On a attendu un mois avant que papa ne dise qu'il fallait rejoindre maman et Debbie. On suivait les grandes routes jusqu'à ce que des types pas hyper sympas s'en prennent à nous et nous volent toutes nos affaires. Papa a essayé de nous défendre mais il a été blessé, continuait Winnie, l'émotion dans la voix. Sa jambe n'a jamais eu le temps d'aller mieux parce qu'il voulait pas qu'on s'arrête mais il était trop lent...
Le cœur de Sasha se serra alors qu'elle attendait que la suite arrive. En général, ce genre d'histoire ne se finissait pas avec un « happy ending ».
‒ On a été séparé par un grand groupe d'infectés vers Denver. Il a toujours dit que si ça arrivait, nous devions nous retrouver à notre dernière cachette alors j'y ai attendu trois semaines puis j'ai commencé à avoir faim... il y avait plus rien à manger autour donc fallait que je parte. C'est là que je t'ai vu, et que j'ai décidé de te suivre !
‒ Et ton père ? S'il revient à votre cachette ? Il va penser qu'il t'ait arrivé un truc.
‒ Je lui ai laissé un mot ! J'ai écrit que je me rendais chez grand-mère. J'espère qu'il nous y retrouvera au plus vite ! s'exclama Winnie avec un grand sourire. Et toi ? Tu vas où ? Parce que si tu as nulle part où aller, tu pourras rester avec nous ! Grand-mère adore avoir des invités ! Elle mettra les petits plats dans les grands. Tu te sentiras comme chez toi, promis !
‒ Ma famille est à New York, ou elle l'était avant tout ça. Quand je t'aurais accompagné jusqu'à chez ta grand-mère, je reprendrais ma route pour aller les retrouver.
‒ Oh. Je comprends, répondit l'adolescente avec nettement moins d'enthousiasme dans la voix. En tout cas, si tu as besoin de repos tu pourras en prendre chez nous.
‒ C'est gentil Winnie.
Elles marchèrent en silence pendant cinq minutes avant que la plus jeune, incapable de se taire très longtemps, ne recommence à parler de tout et de rien.
‒ Tu sais que mon prénom est Winifred ? Maman m'a appelé comme sa mère à elle. Elle était anglaise et...
◇ ◇ ◇
[Route I-80 ; Nebraska ; après-midi]
Temps écoulé depuis le début de l'épidémie : 3 mois et 13 jours.
‒ On doit continuer encore, annonça Sasha en repliant sa carte des Etats. Lexington est tout proche, ça veut dire qu'on a peut-être une trentaine de kilomètres à faire avant de quitter l'I-80. Si on marche à bonne allure, on pourrait en faire la moitié avant que la nuit tombe et qu'on doive s'abriter.
‒ Je suis fatiguée Sasha, on peut pas faire une pause ?
Tout en fourrant la carte dans son sac, la jeune femme leva ses yeux vers sa compagne de route. Cette dernière s'était étalée de tout son long sur le sol à l'ombre d'un panneau, un bras en travers de ses yeux. De son autre main, elle jouait et arrachait distraitement des brins d'herbe. Sasha soupira. Elle lui avait demandé de surveiller les alentours pendant qu'elle consultait leur itinéraire. Visiblement, elle avait trouvé plus important de se reposer et de les rendre toutes les deux vulnérables. Avec un second soupir, elle enfila son sac sur son dos et vient s'accroupir près d'elle. Elle attrapa la gourde de la jeune fille qui dépassait de son sac abandonné près d'elle et lui tapota l'épaule avec. Cette dernière se redressa en position assise et accepta l'offrande avec une moue.
‒ On s'est arrêtées y a peine trois heures Winnie. À ce rythme, on mettra des mois à atteindre notre objectif.
‒ Mais mes pieds me font mal, chouina-t-elle. Et mes muscles aussi ! Si les rôdeurs nous attaquent, bah je te serais inutile parce que j'ai bien trop mal pour bouger !
Sasha retient ses pensées et écouta plutôt les conseils de son vieux voisin qui lui disait toujours de tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de dire quelque chose. Il n'empêche qu'elle ne pouvait pas s'empêcher de penser que sa partenaire ne lui était pas d'une grande aide. Elle se demandait si elle serait encore en vie aujourd'hui si ce n'était pas pour la protection de son père. Winnie était maladroite, ne semblait pas capable de se tenir sur ses pieds sans tomber constamment et balançait sa poêle déformée par les coups, sa seule arme, avec maladresse quand il s'agissait de frapper des infectés. Elle avait d'ailleurs avoué pas plus tard que ce matin qu'elle avait eu un révolver quand elle était avec son père mais qu'elle l'avait laissé dans son ancienne cachette parce qu'elle ne savait pas s'en servir.
‒ D'accord, on peut se reposer, céda Sasha avec un énième soupir. Mais pas plus de quinze minutes !
‒ Merci ! Merci, merci, merci ! s'exclama-t-elle en se jetant à son coup.
‒ Garde les yeux ouverts, je vais marcher jusqu'à ces voitures et voir si je peux en démarrer une ou trouver des trucs intéressants.
‒ OK !
‒ Crie si tu as besoin de moi.
Avec un dernier regard circulaire, la jeune femme se releva et se marcha vers les véhicules abandonnés quelques mètres plus loin. Tandis qu'elle se rapprochait, elle remarqua les cadavres à moitié dévorés qui étaient éparpillés tout autour. À la première voiture, elle jeta un œil à l'intérieur pour s'assurer qu'elle était vide avant de tester la portière. Celle-ci refusa de s'ouvrir alors elle passa immédiatement à la suivante juste un peu plus loin. La portière côté conducteur était déjà ouverte alors qu'elle se faufila à l'intérieur. Les clés étaient déjà sur le contact mais la voiture refusa de démarrer. Sasha fouilla dans la boite à gants et y trouva une barre de céréales aux fruits périmé qu'elle empocha tout de même. La dernière voiture était déverrouillée et démarra mais le sourire sur les lèvres de la jeune femme ne resta pas longtemps quand elle constata que la jauge essence indiquait que le réservoir était vide. Elle décida de fouiller les cadavres à la recherche des clés du premier véhicule, son dernier espoir. L'odeur de décomposition était insoutenable. Enfonçant son nez dans la manche de son sweatshirt, elle commença à faire les poches des morts, évitant les enfants. Elle trouva un trousseau fermement serrer dans le poing d'une femme dont le visage était défiguré. Retenir l'envie de vomir était difficile. Elle prit un instant pour repousser les nausées mais elles revinrent en force quand elle essaya de retirer les clés des doigts figés par la rigidité cadavérique. Sasha dût tirer de toutes ses forces jusqu'à briser les doigts pour en extraire les clés. Quand elle se releva, c'était trop et elle vomit, éclaboussant cette pauvre femme qui avait déjà assez vécu de choses. Elle s'excusa à voix basse et s'éloigna sur des jambes flageolantes.
Quand elle fut assise à l'intérieur de la voiture, la jeune femme prit quelques secondes pour fermer les yeux et respirer lentement. Après avoir repris ses esprits, elle mit le contact et ne put retenir un grand sourire quand le moteur rugit. L'essence était presque épuisée mais cela serait suffisant pour faire quelques kilomètres et peut-être tomber sur une station essence. Sasha se pencha vers la boite à gants, il y avait des chewing-gums mentholés et un paquet de cigarettes mais rien de réellement intéressant. Alors qu'elle s'apprêtait à ressortir pour prévenir Winnie, un bruit attira son attention et elle tourna précipitamment la tête vers la portière ouverte. Un cri s'échappa involontairement de sa bouche quand elle vit quelqu'un si près.
‒ Winnie ! Bordel, préviens quand tu t'approches !
‒ Pardon, je pensais que tu m'avais entendu arriver.
‒ Ca va... j'aurai dû être plus attentive.
‒ On a une voiture ?
‒ On a une voiture, confirma Sasha avec un nouveau sourire ravi.
Elle rit quand l'adolescente lâcha un cri enthousiaste et dansa quelques pas. En moins d'une minute, elles rangèrent leurs sacs sur la banquette arrière, s'installèrent et furent en route.
◇ ◇ ◇
[Route US-183 ; Kansas ; nuit]
Temps écoulé depuis le début de l'épidémie : 3 mois et 13 jours.
L'humeur des deux survivantes s'étaient grandement améliorées depuis qu'elles avaient acquis ce véhicule. Leurs pieds ne pouvaient que les remercier de ne plus avoir à marcher des heures -du moins tant qu'elles avaient de l'essence. De plus, elles n'étaient plus autant vulnérables aux infectés grâce à la carrosserie. C'était aussi un soulagement et ça leur avait permis de s'octroyer une sieste. Les jeunes femmes avaient roulé deux bonnes heures avant que Sasha ne choisisse un parking désert possédant plusieurs sorties en cas de problèmes. Elle y avait arrêté la voiture et s'était installée pour une sieste. Winnie s'était avachie de tout son long sur la banquette arrière tandis que Sasha avait incliné le siège et avait couvert son visage avec une casquette.
Quand cette dernière s'était réveillée, le soleil était en train de se coucher à l'horizon et colorait le ciel de jolis couleurs. Après un encas et quelques gorgées d'eau, elle avait repris la route sans attendre que sa jeune partenaire ne se réveille. Winnie était vraiment exténuée, et le sentiment de sécurité qu'offrait la voiture avait aidé dans sa quête de sommeil. Il avait fallu plusieurs heures avant qu'elle ne quitte le monde des rêves. Depuis lors, Winnie n'avait cessé de jouer avec tout ce qui était à sa portée dans la voiture.
‒ Je m'ennuie, ronchonna-t-elle alors qu'elle trifouillait la radio. Y a rien à faire... Si j'avais eu mon permis, j'aurais au moins pu m'occuper un peu en conduisant.
Elle baissa le dossier de son fauteuil pour être dans une position semi-allongée et gratta une tâche verte sur la surface feutrée du toit avant de s'en lasser et de passer à autre chose.
‒ Ta ceinture, avertit Sasha quand la plus jeune se détacha pour attraper son sac à l'arrière.
‒ Ca va, y a personne sur la route.
‒ Tu n'as jamais vu le film « Bienvenue à Zombieland » ?
‒ Bienvenue à quoi ?
‒ Un vieux film sur une apocalypse zombie, il est cool.
‒ Connais pas.
‒ Bah, un des persos a plein de règles à suivre si tu veux survivre. Et la règle numéro 4 c'est « attache ta ceinture », expliqua la jeune femme alors qu'elle ralentissait jusqu'à arrêter totalement la voiture. Je pense que c'est une bonne règle et pas illogique. Donc si tu veux que je redémarre, tu sais quoi faire.
Un paquet de biscuits entre les dents et une main enfouie au fond de son sac, Winnie la regarda et se figea. Elle lâcha un son qui se rapprochait d'un « vraiment » mais qui était incompréhensible à cause de ce qui lui obstruait la bouche.
‒ Je suis sérieuse Winnie, on ne prend pas de risques inutiles.
Avec un roulement d'yeux, la jeune fille referma la fermeture éclair de son sac à dos et le laissa tomber à ses pieds avant de poser le paquet de gâteaux sur le tableau de bord et de rattacher sa ceinture. Sasha la remercia et reprit la route.
‒ Hé, tu veux pas jouer à un jeu ? quémanda Winnie, la bouche pleine et projetant des miettes de biscuits partout. Genre le jeu des vingt questions ! En plus, on a pas vraiment pris le temps de faire connaissance toutes les deux !
‒ Si tu veux.
‒ Cool ! Je commence ! Tu as quel âge ?
‒ Vingt-quatre.
‒ Vraiment ? Je te pensais plus âgée, et en même temps... ouais, ça te convient bien ! OK, ton tour !
‒ Même question.
‒ J'ai seize ans, répondit Winnie en bombant le torse de fierté -pour quoi, l'aînée ne savait pas mais elle se souvenait avoir eu hâte d'atteindre cet âge elle-aussi. De la famille ?
‒ Ouais.
Dans le bord de son champ de vision, la jeune femme repéra du mouvement. Un infecté se dépatouillait hors des bois, avançant difficilement vers la lumière projetée par les feux de route. Le temps que la voiture arrive à son niveau, il avait atteint la route alors elle dût faire un léger écart pour l'éviter.
‒ C'est tout ? Tu vas pas en dire plus ?
‒ Tu m'as juste demander si j'avais de la famille, pas qui, quoi, quand, comment.
‒ Mets-y un peu du tien Sasha, ronchonna Winnie. Mais d'accord, à toi.
‒ Ta couleur préférée ?
‒ Violet ! Ou vert. Non, attends ! Bleu turquoise ! Argh je sais pas ! Toutes ? Je peux pas en choisir qu'une ! Ta question est trop dure !
Un petit sourire aux lèvres, la jeune femme écoutait sa partenaire vantait les mérites de chaque couleur et argumentait sur leur beauté et pourquoi elle les aimait.
Sasha avait besoin de remercier quiconque avait placé Winnie sur sa route. La survie était devenue moins pénible et éprouvante depuis qu'elle avait fait sa rencontre. La solitude et le désespoir qui faisaient serrer son cœur s'étaient peu à peu éloignés ces deux derniers jours alors que l'adolescente comblait le silence par ses monologues constants. Elle priait que leur temps ensemble durerait et qu'elles ne se sépareraient pas de sitôt. Sasha n'avait pas hâte de reprendre une vie de nomade seule et silencieuse.
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