Chapitre 19.

[Maison barricadée ; Unionville, Pennsylvanie ; matin]

Temps écoulé depuis le début de l'épidémie : 11 mois et 4 jours ;


Le matelas plongea tandis qu'un poids l'affaissa en son centre au niveau de la hanche de Sasha. Le mouvement répétitif de rebond la faisait balloter et la réveillait petit à petit d'une nuit agitée. La jeune femme grommela, épuisée jusqu'à la moelle, et chercha en enfouir son visage dans l'oreiller pour tenter de se rendormir. Quelque part au-dessus d'elle, sa fille gloussa et redoubla d'efforts pour la réveiller. Cela réussit à arracher un sourire à Sasha qui tendit un bras à l'aveuglette, l'enroula autour de la taille de la fillette et la tira contre elle dans une étreinte serrée.

‒ Maman ! gloussa Amy

Elle remua dans ses bras une poignée de seconds et tenta de se redresser mais elle finit par se blottir contre sa poitrine. Ses mains froides entrèrent en contact avec le cou de Sasha qui frissonna et tira la couverture sur elle pour la tenir au chaud.

‒ Bonjour bébé, marmonna la femme en frottant le bout de son nez dans ses cheveux.

‒ Je suis plus un bébé ! J'ai cinq ans !

Pas moins d'une semaine plus tôt, le calendrier avait atteint la date du onze février, jour de naissance d'Amelia. Tout le groupe avait organisé, en secret de la concernée et de sa mère, un semblant de fête que la fillette avait grandement apprécié. Sa mâchoire paraissait à deux doigts de se décrocher tant son sourire était grand, et elle avait prospéré sous l'attention de sa nouvelle famille. Simon, Alec et Lucas s'étaient même débrouillés pour lui trouver des cadeaux pendant un de leurs ravitaillements afin qu'Amy puisse réellement déballer des surprises. Sasha en avait été si émue qu'elle avait pleurée, cachée dans la cuisine pour que la petite ne la voit pas et que cela gâche son moment. C'était Lucas qui l'avait trouvé et qui l'avait réconforté avec un petit sourire amusée.

‒ Oh c'est vrai ça ? Tu es une grande fille maintenant ?

‒ Mmh mmh, fredonna Amelia à l'affirmative en hochant vivement la tête pour en attester, la cognant par la même occasion contre le menton de Sasha.

Cette dernière en fut amusée mais ne répondit rien. Elle resserra son étreinte sur son enfant, remonta un peu plus la couverture sur elles afin d'être bien au chaud et l'encouragea à se rendormir. Ayant été de garde jusque tard dans la nuit, Sasha ne souhaitait qu'une chose : dormir toute la matinée. Un souhait difficilement réalisable avec une petite fille aussi énergétique que la sienne. Amy resta tranquille et la câlina en tout et pour tout dix minutes avant de recommencer à s'agiter. Il lui fallut seulement la moitié de ce temps pour convaincre sa mère de sortir du lit et de se lever avec elle. Celle-ci ronchonna et traîna des pieds mais la suivit tandis qu'elle descendait avec enthousiasme les escaliers. En passant devant la première chambre du palier, elle repéra Zak qui dormait du sommeil du juste, étalé de tout son long sur son matelas gonflable. Cela signifiait qu'il avait été relevé de sa garde et qu'il devait être quelque part autour de neuf heure du matin. Quand elles entrèrent dans la cuisine, Lucas et Adam s'y trouvaient en train de prendre leur petit déjeuner et discuter. Le premier se préparait des tartines de confiture pendant que le second était avachi sur le bar et buvait son café. Sasha leur marmonna une salutation bien pâle comparée à celle d'Amy qui commença immédiatement à quémander l'attention des deux hommes. La fillette chercha à se percher toute seule sur le tabouret à côté d'Adam mais ce dernier lui apporta une aide discrète pour l'aider à monter. Pendant ce temps, la jeune mère avait récupéré un bol propre et l'avait rempli de céréales avant de s'occuper du lait. Elle l'approcha de son nez pour le sentir et s'assurer qu'il n'était pas périmé avant de le verser dans le bol et de glisser celui-ci vers Amy qui s'arrêta juste assez longtemps dans son monologue pour la remercier.

‒ Hey, l'accueillit Lucas avec un petit coup de hanche quand Sasha vient se préparer une tasse de café à côté de lui. Bien dormi ?

‒ Pas assez. Mais tu sais ce que c'est avec Amy, la journée n'attend pas.

‒ Si tu veux je peux m'occuper de l'aider avec sa lecture cet après-midi, comme ça tu pourras faire une sieste.

Depuis que le groupe avait investi cette maison et en avait un abri assez sécurisé, une routine s'était instaurée pas à pas dans leur vie. Et cela n'était pas pour leur déplaire. L'occasion avait été parfaite pour permettre à Sasha de reprendre l'éducation de sa fille. Chaque après-midi depuis trois mois, elles passaient du temps sur l'apprentissage de la lecture et de l'écriture.

‒ Ça serait génial Luke. Si ça te dérange pas, bien sûr.

‒ Je t'aurais pas proposé sinon.

‒ Merci. J'en ai vraiment besoin.

Alors qu'il allait enchainé sur autre chose, la porte donnant sur l'arrière de la maison s'ouvrit et lui coupa l'herbe sous le pied. Kole s'engouffra dans la pièce avec une mine refrognée et vient réclamer le dernier tabouret avant de s'avachir sur le comptoir avec un grand soupir.

‒ Brr, il fait un froid de canard ce matin, signala Simon qui entrait juste après lui, Echo trottinant joyeusement à sa suite.

Ce fut le signal pour Kole qui commença alors à ronchonner et à se lamenter que la chienne venait toujours le réveiller aux premières heures du matin et chouiner jusqu'à ce qu'il la sorte pour qu'elle fasse ses besoins. Lucas et Sasha échangèrent un sourire amusé à ces paroles tandis qu'Adam leva les yeux au ciel et lui rappela que s'il ne cédait pas au moindre caprice de l'animal, peut-être qu'Echo ne viendrait pas l'embêter. C'était trop tard, si on demandait l'avis à Sasha. La chienne savait très bien vers qui tourner ses yeux de chiot pour obtenir tout ce qu'elle voulait.

La matinée se déroula dans une ambiance aussi animée et agréable alors que le groupe démarrait leur journée ensemble.


◇ ◇ ◇

[Ferme ; Pennsylvanie ; fin de matinée]

Temps écoulé depuis le début de l'épidémie : 11 mois et 5 jours ;


La petite ville dans laquelle le groupe s'était installé se trouvait à environ une heure de marche d'une grande ferme. Pendant un de leurs ravitaillements, Toby, Lucas et Zak étaient tombés dessus par hasard et avaient été plus que ravis qu'un des bâtiments était une épicerie dont les rayons étaient encore pleins. Le clou du spectacle avait été de constater que certaines des plantations avaient résisté non seulement à la fin du monde mais aussi aux températures en baisse de l'automne et de l'hiver. Sasha n'aurait jamais pensé qu'elles pourraient prospéré sans aide humaine. Des poules avaient été aperçu se baladant en liberté dans le domaine et, de temps à autre, le groupe avait la chance de trouver quelques œufs frais. La ferme était certainement devenue un lieu incontournable pour réapprovisionner leurs placards. Grâce aux maigres compétences de Gabby en matière de jardinage et d'agriculture, obtenues de feu sa grand-mère, ils avaient réussi à maintenir la ferme et les plantations pour qu'elle soit, quasiment, leur seule source de nourriture.

Ce jour-là, Sasha et Lucas s'étaient portés volontaire pour s'y rendre et faire le plein. Le binôme s'entendait extrêmement bien et formait une très bonne équipe face aux rôdeurs, les mois écoulés l'avaient prouvé. C'était presque comme s'ils pouvaient communiquer sans mot alors qu'ils évoluaient en symbiose. Echo les accompagnait à la ferme afin qu'elle puisse se dégourdir les pattes et qu'elle leur fournisse un système d'alerte supplémentaire. À mi-chemin, ils avaient dit au revoir à Kole et Simon qui étaient partis dans la direction opposée à la leur pour chercher de l'essence et avaient continué vers la ferme. Les duo avaient deux heures pour réaliser leur objectif avant de devoir se retrouver au même endroit et de rentrer à la maison.

Alors que Sasha enfilait sur son dos le sac rempli de denrées, elle jeta un coup d'œil vers Lucas qui était déjà prêt à quitter les lieux et l'attendait pour se mettre en route. Il flânait distraitement près des nombreux parterres de fleurs entourant la petite épicerie et les contemplait avec un visage émerveillé. Il était vrai qu'elles étaient sublimes, vibrantes de couleurs dans ce paysage hivernale un peu morose. Quand l'homme finit par se détourner et revenir vers Sasha, il rougit légèrement et lui offrit un sourire maladroit en constatant qu'elle le regardait. Les deux survivants s'assurèrent qu'ils n'avaient rien oubliés avant de rebrousser chemin, discutant de tout et de rien avec facilité comme c'était à l'accoutumé entre eux. Après une poignée de kilomètres, un peu avant d'arriver au point de rendez-vous avec l'autre équipe, Sasha repéra une jolie fleur blanche qui avait poussé sur le bord de la route. Elle ressemblait à une jonquille mais la jeune mère ne connaissait pas assez les plantes pour savoir son nom. Sans réfléchir, elle s'éloigna pour la cueillir avec délicatesse. Lucas s'était stoppé dans sa marche et l'observait avec un sourcil haussé, confus.

‒ Tiens, lui présenta-t-elle la fleur du bout des doigts.

‒ C'est pour moi ? demanda bêtement le jeune homme avec un rougissement plus profond sur les joues et en acceptant le cadeau. Merci.

Tout le reste du chemin, il conserva un petit sourire ravi au lèvres et jouait parfois distraitement avec la fleur, caressant ses pétales, l'amenant à son nez pour en sentir l'odeur. Toujours en prenant garde à ne pas l'abimer. Une sensation de chaleur remplit la poitrine de Sasha et l'accompagna tout au long de la journée alors qu'elle repensait à ce moment et à la joie discrète de Lucas.


◇ ◇ ◇

[Maison barricadée ; Unionville, Pennsylvanie ; soir]

Temps écoulé depuis le début de l'épidémie : 11 mois et 7 jours ;


‒ C'est froid ! s'exclama Amy avec un cri de protestation.

‒ Je sais, je suis désolée ma chérie, mais on a pas le choix.

Avec une grimace compatissante, la jeune femme essora le gant de toilette au-dessus du saut et vient recommencer à frotter la peau de sa fille avec douceur mais fermeté. Elle la savonna et élimina la saleté du mieux qu'elle pouvait mais les conditions d'hygiène étaient rudimentaires. L'eau chaude et la propreté restaient un luxe plus coutumier en ces temps d'apocalypse et, bien que le groupe se servait du réchaud pour chauffer un saut d'eau, celle-ci tiédissait bien vite en ces températures hivernales. Le moment de la toilette était une épreuve pour tout le monde, ils oscillaient tous entre envie de se sentir propre et rechignement à subir cette épreuve. Amy n'était pas exclue de cela. Sa mère tentait toujours de faire au plus vite pour couvrir la fillette frissonnante de vêtements confortables et chauds tandis qu'elle voyait le contact de l'air froid sur sa peau mouillée lui provoquer la chair de poule.

‒ C'est bientôt fini mon cœur, assura Sasha en caressant sa joue.

Elle rinça le gant et se débarrassa du savoir avec un dernier passage avant de s'empresser d'attraper la serviette propre posée sur le bord du lavabo et d'emmitoufler la petite fille dedans. Elle la souleva hors de la baignoire, la posa sur le tapis et frotta énergiquement le tissu afin de la sécher et de la réchauffer en même temps.

‒ Allez ! On frotte, on frotte, on frotte, chantonna-t-elle, faisant glousser son enfant qui se tortillait dans tous les sens.

S'assurant qu'Amy était bien au chaud et à l'aise, Sasha enroula une seconde serviette autour de ses épaules, la fit asseoir par terre le dos contre la baignoire et entreprit de lui laver les cheveux. Dix minutes plus tard, la fillette portait son pyjama rouge décoré de camions de pompiers et arborait deux tresses encore humides. Mains dans la main, la mère et la fille descendirent au salon pour que cette dernière puisse faire le tour de chaque membre du groupe et leur dise bonne nuit. Amelia riait et parlait avec enthousiasme comme si elle était encore plein d'énergie bien qu'elle n'ait pas arrêtée de bailler dans la salle de bain. Arrivée à son oncle, elle battit des cils et réclama une histoire qu'il accepta avec joie de lui raconter. Alec la laissa embrasser la joue de Sasha avant de l'attraper et la soulever brusquement puis de la jeter sur son épaule comme un sac à patate et de grimper quatre à quatre les escaliers sous les regards amusés des adultes. Les cris de joie et les éclats de rire d'Amy résonnèrent dans la maison longtemps après qu'ils aient disparu à l'étage. Quant à Sasha, épuisée, elle traina des pieds vers le canapé et vient s'effondrer à côté de Winnie et posa sa tête sur l'épaule de celle-ci. Echo en profita et s'empressa de sauter sur ses genoux, lui coupant le souffle par la même occasion. La chienne vient se blottir contre elle et gémit pour des caresses comme le gros chiot qu'elle était. Sasha gratta distraitement son crâne tant qu'elle se laissa aller à somnoler sur l'adolescente. Autour d'elle, les discussions continuèrent jusque tard dans la soirée avant de s'essouffler petit à petit alors qu'un à un les membres du groupe se retiraient pour aller se coucher.


◇ ◇ ◇

[Maison barricadée ; Unionville, Pennsylvanie ; midi]

Temps écoulé depuis le début de l'épidémie : 11 mois et 11 jours ;


Tout en écoutant attentivement Simon, Gabby et Zak lui relater le matériel qu'ils avaient trouvé ce matin même, Sasha feuilletait son livre de chasse et prenait des notes de certains pièges. Elle mit de côté ceux qui semblaient trop complexe ou demandaient trop de matériels spécifiques et se concentra sur ceux visant à attraper de petits gibiers. Ces dernières semaines, le groupe s'était plaint de plus en plus de leur apport en nourriture. Oui la ferme était un don du ciel mais manger des légumes tous les jours commençait à être redondant. Leurs maigres protéines animales provenant des œufs trouvés de temps à autre, de la viande séchée et de rares conserves qu'ils devaient aller chercher de plus en plus loin. L'autre matin, Lucas avait évoqué l'idée de chasser et, aspirant à de la viande fraîche, les autres s'étaient immédiatement attelés à ce nouvel objectif. Depuis, les membres du groupe alliaient toutes leurs compétences dans différents domaines et leurs maigres savoirs pour tenter d'attraper un gibier. Sasha avait déterré de son sac le livre sur la chasse et la pèche que lui avait gracieusement offert Sully des mois plus tôt quand il les avait recueilli avec Winnie. Son cœur s'était serré à sa mémoire et elle avait grimacé en levant ses yeux vers l'adolescente. Cette dernière avait, semble-t-il, dû ressentir une chose similaire. Elle s'était penchée pour poser sa tête sur son épaule et avait entrelacé leurs doigts au-dessus du livre. Ce soir-là, les deux amis s'étaient murmurées des mots qu'elles espéraient rassurant, essayant de se convaincre ainsi que l'autre que le vieil homme était encore en vie et qu'il s'en sortait très bien dans sa ferme.

Du bout des lèvres, la jeune mère remercia distraitement Lucas alors qu'il déposait un bol de soupe fumante devant elle. Elle leva ses yeux vers lui assez longtemps pour lui offrir un petit sourire avant de se reconcentrer sur sa tâche. Les tâches du jour étaient de préparer le matériel nécessaire à la confection de collets puis d'envoyer Alec, Zak, Toby et Adam en deux binômes pour les poser au coucher du soleil. Sasha s'assurait de leur écrire des fiches récapitulatives sur les informations importantes pour mettre en place les pièges tandis que Winnie se chargeait de leur dessiner des schémas élaborés.

‒ Hé, j'ai trouvé ce qui nous faut pendant la sortie de ce matin. Je vais pouvoir te montrer comment faire des points de suture, informa Gabby en se penchant par-dessus son épaule pour jeter un coup d'œil à ce qu'elle écrivait. Si t'es ok, on peut s'y mettre dès que tu as donné son cours à Ams.

‒ Mmh mmh, carrément, fredonna-t-elle en réponse. Vers le milieu d'après-midi ça te va ?

Ce fut ainsi que, bien plus tard dans la journée, ils se retrouvèrent tous deux à cette même table sauf qu'elle était débarrassée de tout et, qu'à la place de notes et de bols sales, une espèce de jouet en silicone trônait fièrement devant eux avec, tout autour, divers outils à l'aspect moins médical qu'ils auraient dû l'être.

‒ Je vais t'enseigner comment faire avec le bon matériel mais on a aussi quelques trucs relativement ressemblant qui seraient plus facile à trouver là dehors. À l'allure où vont les choses, y a peu de chance que tu aies un kit médical sous la main au moment où tes compétences en suture seront requises, remarqua l'étudiant en médecine alors qu'il l'observait appliquer avec minutie ce qu'il venait de lui montrer.

Au moment où ils s'étaient installés par la leçon près d'une heure plus tôt, les binômes de mission chasse était en train de s'équiper pour partir poser les collets et Kole avait tenu à les accompagner. Avec la moitié du groupe à l'extérieur en train de vadrouiller, la maison était relativement vide et assez silencieuse. Amy était à l'étage, couchée pour sa sieste, avec la chienne pour compagnie tandis que Lucas, qui s'était écroulé de fatigue sur le canapé une poignée de minutes plus tôt, ronflait légèrement. Dehors, sur la terrasse arrière, Winnie était en train de s'occuper de faire la lessive avec Simon agissant comme garde du corps. Si Sasha se penchait légèrement en arrière, elle pourrait l'apercevoir à travers la fenêtre du salon. Son visage porterait certainement un air concentré et méfiant alors qu'il surveillait l'approche de toutes menaces potentiels, quelle soit de type mort-vivant ou vivant tout cours.

‒ Fais gaffe, ne les serre pas trop.

La voix de l'homme la rappela inconsciemment à l'ordre. Sasha ramena pleinement son attention sur ce qu'elle était en train de faire et força son esprit à ne plus s'en éloigner.

‒ Il faut pas que la peau se chevauche, la prévient Gabby en lui pointant les deux bords du jouet trop rapprochés par le point qu'elle venait de faire. Voilà... encore un peu... stop, là c'est super. Faut vraiment que tu fasses attention à rapprocher les deux côtés pour éviter les infections mais sans les faire venir l'un sur l'autre. Tu comprends ?

‒ Mmh mmh, fredonna la jeune femme, de nouveau trop concentrée pour former de réels mots.

‒ Tu t'en sors hyper bien en tout cas pour une débutante.

Quand Lucas fit par sortir de sa sieste un long moment plus tard, il se rapprocha d'elle et vient se pencher par-dessus son épaule pour jeter un coup d'œil aux nombreuses lignes de points de suture qu'elle avait déjà réalisé. Les premiers étaient chaotiques, avec des distances inégales et des points trop serrés ou pas assez, mais plus on avançait plus on pouvait constaté que la jeune femme avait progressé. Ces points étaient désormais plus équilibrés, ils donnaient plus l'aspect d'avoir été fait par un professionnel.

‒ Hé, mais y a une belle amélioration, s'exclama-t-il avec un grand sourire alors qu'il pressa son épaule comme pour la féliciter.

Sasha leva son visage vers lui et lui rendit son sourire, ravie.


◇ ◇ ◇

[Maison barricadée ; Unionville, Pennsylvanie ; nuit]

Temps écoulé depuis le début de l'épidémie : 11 mois et 15 jours ;


Dehors, le temps était à la tempête. Toute la journée, des nuages sombres avaient couverts le ciel mais la pluie n'avait commencé que timidement en début de soirée. Maintenant, au cœur de la nuit, un vent fort faisait trembler la maison et était accompagné de pluies intenses dont le battement des gouttes sur le toit avait maintenu Sasha éveillée. Elle était restée couchée à tourner et retourner dans le lit un moment avant de décider de sortir de la chambre pour ne pas déranger les deux filles qui partageaient son lit. Le bowwidow au fond du couloir de l'étage avait été sa destination. Après avoir attrapé un oreiller et un plaid, elle s'y était installée aussi confortablement que possible. Depuis la fenêtre par laquelle elle regardait, Sasha ne pouvait pas voir grand-chose si ce n'était l'arbre directement devant qui affrontait le vent. La noirceur de la nuit et le mauvais temps empêchaient de distinguer quoique ce soit. Parfois un éclair déchirait le ciel et parvenait à éclairer le jardin. La lumière qu'il fournissait était néanmoins trop courte pour que la jeune femme puisse réellement voir. Sans surprise, Echo avait quitté la chambre pour enquêter sur sa disparition seulement une poignée de minutes après qu'elle ait quitté la chambre. Elle était désormais allongée de tout son long contre elle, la tête posée sur ses cuisses, et appréciait les caresses que l'humaine lui donnait avec distraction. Sa chaleur corporelle avait été le parfait ajout pour mettre définitivement fin aux frissons de Sasha.

L'escalier craqua derrière elle. Echo, toujours à l'afflux malgré ce qu'on pouvait penser, releva la tête et pivota ses oreilles vers l'origine du bruit. Sa queue, qui jusque-là remuait lentement, s'était figée et tous ses muscles s'étaient tendus. La jeune survivante passa une main le long de son dos pour essayer de l'apaiser, sachant très bien que les seules personnes dans cette maison étaient le groupe. Elle tourna son visage à temps pour voir apparaître sur le palier Kole et Simon. Si le premier ne semblait pas les avoir vu, le second marqua une brève pause dans sa marche. Il avança jusqu'à l'autre homme qui s'était arrêté devant la porte de sa chambre, lui souhaita une bonne nuit dans un murmure étouffé et le regarda s'engouffrer dans la pièce avant de se diriger vers elle.

‒ Hé là. Tu dors pas ? demanda-t-il bêtement une fois à son niveau.

Sa voix était restée basse, et il lui lança un regard incertain, tandis qu'il vient caresser la chienne sous le menton. Celle-ci s'était immédiatement détendue à son approche et frémissait désormais de joie, léchouillant avec enthousiasme sa main, son poignet... tout ce qu'elle pouvait atteindre.

‒ J'y arrive pas, répondit Sasha, ses jambes contre sa poitrine pour faire de la place à l'homme. Toi non plus ?

‒ Euh... non, hésita-t-il avec un regard latéral pour la chambre dans laquelle Kole avait disparu. Je tenais compagnie à Kole pendant sa garde.

‒ Oh.

Pendant un instant, les deux amis ne dirent plus rien. Simon souleva le plaid, s'assit sur le banc en face de Sasha et décala légèrement la chienne pour avoir plus de place. À peine eut-il reposé la couverture sur lui qu'Echo se précipita vers lui et trébucha à cause du manque de place. Elle s'étala de tout son long sur ses cuisses mais, à par rouler sur le dos pour recevoir des grattouilles sur le ventre, elle ne chercha pas à se relever. L'homme gloussa et accéda à sa demande avant de relever son visage vers son amie pour voir qu'elle le regardait déjà.

‒ Tu m'as pas dit ce qui te tenait réveillée ? Tu veux en parler ?

‒ C'est rien. Juste le mauvais temps.

‒ Mmh... tu penses que ça va faire fuir tous les lapins ?

‒ Aucune idée. Mais de toute façon c'est pas comme si on arrivait à en attraper un seul.

Ils échangèrent un regard entendu avec un soupir pour l'un et une moue déçue pour l'autre.

‒ J'aimerais vraiment que nos pièges marchent, j'en ai marre de la viande séchée.

‒ Vu le vent dehors, ça m'étonnerait que nos collets soient restés bien sagement en place donc il faudra les remettre, rétorqua Sasha. Peut-être qu'on pourrait en profiter pour les changer de place et voir si on est plus chanceux ?

‒ Bonne idée. Je le proposerais aux autres demain.

‒ C'est si le temps s'est calmé, sinon je pense qu'il vaudrait mieux que tout le monde reste à l'intérieur.


◇ ◇ ◇

[Terrasse de la maison barricadée ; Unionville, Pennsylvanie ; milieu de matinée]

Temps écoulé depuis le début de l'épidémie : 11 mois et 23 jours ;


‒ Non, pas ce couteau, prévient avec urgence Sasha en retenant la main de Gabby. Celui-ci c'est pour les marcheurs. Lui, c'est celui pour notre nourriture.

‒ Pardon, j'étais pas assez attentif, s'excusa l'homme avec un froncement de sourcils.

Les deux survivants se tenaient sur la terrasse de leur abri et essayaient de dépecer le lapin qui avait été attrapé le matin même. La toute première proie que le groupe avait réussi à chasser. Quand Alec et Adam étaient revenus de la tournée des collets, personne ne s'attendait à ce qu'ils reviennent avec l'animal. Les mines dépitées qu'ils avaient l'habitude de voir avaient été remplacé par des sourires victorieux. Zak et Lucas montaient la garde mais c'était Gabby et Sasha qui avaient été choisi pour le dépeçage. Le premier avait été une évidence. Ces compétences en médecine le rendaient plus à même d'être soigné et précautionneux dans les découpes. Pour la seconde, le fait qu'elle ait étudié de fond en comble le livre sur la chasse de Sully l'avait indiquait comme parfait second choix. Dans la maison, le reste du groupe s'assuraient que Winnie et Amy ne voyaient pas ce qui se déroulait dehors afin de ne pas heurter leurs sensibilités et les gardaient distraite. Echo aussi était maintenu à l'écart de peur qu'elle ne pense que la proie était son repas.

‒ Et maintenant ?

‒ Euh... Ils disent d'utiliser ton doigt pour dégager les entrailles, indiqua Sasha avec le nez plissé d'un léger dégoût, ses doigts pleins de sang laissaient des empruntes sur le livre. Apparemment ça devrait tomber quasiment tout seul.

‒ Attends, tu m'avais pas dit qu'on devrait d'abord commencer par la vessie ?

‒ Oh oui, tu as raison ! C'est ce qu'ils conseillent !

Sasha se redressa légèrement et chercha le passage dans le livre où cette étape était évoquée. Une mèche de cheveux rebelle s'était détachée de son chignon et gênait sa vision alors, distraitement, elle amena une main à son front pour la repousser et étala du sang sur sa peau par la même occasion. Concentrée sur l'importance de sa tâche, Sasha ne le remarqua même pas. Elle lut à voix haute les instructions pour retirer la vessie de l'animal sans en contaminer sa viande et vient aider Gabby à les exécuter.

‒ OK... ça m'a l'air d'être bon... marmonna la jeune femme une fois toutes les étapes du livre réalisées.

Prenant le temps de relire une dernière fois tout le passage sur le dépeçage d'un lapin, la jeune femme laissa ses lèvres bouger mais aucun son n'en sortit. Quand elle referma le livre ce fut avec un léger bruit sourd signala la finalité du moment.

‒ On l'a fait ? demanda son partenaire, la fierté et la stupeur rendant sa voix fébrile.

‒ On l'a fait, affirma Sasha en relevant son visage vers lui.

‒ Putain de merde, on l'a vraiment fait !

‒ Bien joué les gars ! les félicita Zak avec un grand sourire. Franchement vous avez été top ! Moi j'aurais pas pu !

‒ C'était impressionnant, les complimenta à son tour Lucas.

Il laissa le fusil pendre à son épaule, sortit un chiffon bien plié de sa poche arrière et le tendit à Sasha avec un petit sourire.

‒ Tu as un peu de sang là, sur ton front.

Alors que la jeune femme tendit la main pour accepter le tissu, elle lui rendit son sourire en dix fois plus grand. Elle était fière de ce qu'elle venait d'accomplir. Si on lui avait dit un an plus tôt qu'elle aurait dépecé un animal...

Tant de choses avaient changé avec la fin du monde. Dans la plupart des cas, ce n'était ni agréable ni plaisant mais parfois... parfois Sasha se laissait surprendre à penser que si, ce qu'elle vivait là était un bon moment. Aujourd'hui était une bonne journée. Elle venait de réaliser quelque chose qu'elle n'aurait jamais cru être capable de faire. Elle découvrait de nouvelles forces chez elle. C'était un bon moment.  

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