Chapitre 18.
[Maison ; Bellefonte, Pennsylvanie ; début d'après-midi]
Temps écoulé depuis le début de l'épidémie : 6 mois et 2 jour.
La personne allongée dans le canapé ne ressemblait en rien à celle que Sasha avait contemplé sur les photographies du chalet. Elle se souvenait d'un visage timide mais accueillant... bien loin du teint maladif qui se trouvait maintenant devant elle. D'affreuses cernes marquaient ses yeux clos et ses lèvres gercées tremblaient comme si elle avait froid. Néanmoins la chaleur qui irradiait d'elle et sa peau luisante de transpiration racontaient autre chose. Quel spectacle déconcertant, et attristant.
Alors qu'elle approchait d'un pas, la mourante tourna légèrement son visage vers elle et ouvrit à demi ses paupières. Son regard tomba sur elle mais ses yeux étaient hagards, c'était comme si elle ne la voyait pas vraiment.
‒ Petra ? essaya Lucas en se rapprochant lui aussi. Tu m'entends ? C'est Luke.
Les yeux aux pupilles dilatées se dirigèrent sans grande conviction vers lui tandis que l'homme venait s'accroupir à côté du canapé et attrapait une main molle dans la sienne.
‒ Je suis désolé Petra.
La femme grogna une réponse qui semblait plus proche du rôdeur que de l'humain. Les sons avaient certainement été des mots dans son esprit mais ils parvenaient au reste de la pièce comme des gargouillis et des paroles inintelligible. Cela avait fait se tendre Winnie dans son champ de vision, mal à l'aise près de la mourante, incertaine de son état et de la suite de sa transformation. Ou résurrection... quel mot était le bon pour décrire cela ? L'adolescente avait tenu à rester loin du canapé et surveillait plutôt leur chienne qui s'épanouissait sous l'amour et l'admiration que lui servait Amy comme tout enfant devant un animal. Après des retrouvailles touchantes entre la mère et la fille, Sasha avait souhaité qu'elle soit présentée à Petra. Elle voulait la remercier d'avoir pris soin de sa petite fille et de l'avoir sauvé quand elle, elle ne le pouvait pas.
‒ Je voudrais te présenter Sasha, c'est la maman d'Amy, continua l'homme en lui faisant signe de se rapprocher un peu plus.
‒ Bonjour, commença-t-elle presque timidement tandis qu'elle venait prendre la place de Lucas. Je suis navrée que l'on se rencontre dans ces circonstances. Merci d'avoir pris soin de ma petite fille.
Pendant un court instant, c'était comme si la maladie avait fui le regard de Petra. Les yeux braqués sur la jeune survivante portaient un regain de reconnaissance et de vie. Une langue pâlotte sortit pour lécher les lèvres asséchées comme si cela pourrait l'aider à parler mais quand elle ouvrit la bouche, rien n'en sortit. Néanmoins, elle réussit à soulever un bras, qui paraissait peser une tonne tant elle déployait des efforts pour y parvenir, et vient attraper sa main. Sa prise était molle et glissante de sueur mais l'intention était là. Avec un sourire contrit, Sasha resserra ses doigts autour des siens. Le silence était pesant mais entre les deux femmes s'étaient comme si quelque chose se passait, comme si elles n'avaient pas besoin de mots pour se comprendre. Leurs regards traduisaient ce qu'elles voulaient dire. Un immense soulagement et une grande reconnaissance pour Sasha. De la tendresse et de l'abnégation pour Petra.
◇ ◇ ◇
[Maison ; Bellefonte, Pennsylvanie ; début de soirée]
Temps écoulé depuis le début de l'épidémie : 6 mois et 2 jour.
Le soir était tombé tandis que tout le monde veillait la mourante dans le salon. Les bougies qui avaient été allumées et éparpillées dans la pièce rendaient l'ambiance déjà lugubre encore plus. Chaque respiration de Petra était un sifflement douloureux qui tendait tout le monde mais personne n'avait émis l'idée de mettre fin à ses souffrances. Sasha et son groupe ne s'étaient pas sentis légitime à le proposer et les autres souhaitaient profiter de la femme le temps qui lui restait. Sa fille l'avait sauvé de cette situation morbide en tombant de fatigue. L'excitation des retrouvailles l'avait épuisée.
De longues minutes s'étaient écoulées depuis lors. La jeune mère était toujours allongée au milieu d'un grand lit à l'étage, Amy étalée en étoile de mer à ses côtés. À un moment donné, Sasha s'était mise sur son flanc et s'était redressée sur son coude afin de mieux la contempler dormir paisiblement. Amy donnait l'impression qu'il n'y avait aucun soucis au monde. Avec son index, elle traçait en douceur et lentement la pente de son petit nez en trompette qu'elle avait hérité de Reed avant de passer à ses sourcils. Ses yeux se dirigeaient souvent vers son torse et s'assuraient qu'il se soulevait toujours régulièrement. La jeune femme avait l'impression de revenir des années en arrière alors que sa fille n'était qu'un nourrisson et qu'elle avait été effrayée qu'elle s'arrête soudainement de respirer. Plus d'une fois Marcela s'était levée au milieu de la nuit et était venue encourager sa fille à retourner au lit.
La porte de la chambre s'ouvrit dans un léger grincement, la sortant de ses pensées, avant que Winnie n'apparaisse. La bougie dans sa main faisait vaciller une flamme et éclairait son doux visage. Echo, qui ne quittait que rarement l'adolescente, se faufila dans la pièce et sauta sur le lit pour les rejoindre. Elle renifla Sasha puis Amy avant de se créer une place confortable aux pieds de cette dernière et de poser sa tête entre ses pattes.
‒ Le repas est prêt, murmura Winnie en jetant un coup d'œil à la fillette endormie. Zak fait apparemment des merveilles avec des boîtes de conserve et un réchaud... tu descends ?
‒ Oui, dans un instant. Je veux juste la regarder encore un peu, avoua Sasha. Je n'arrive pas à croire qu'elle est enfin là.
‒ Je suis contente que nous l'ayons trouvé.
Elles échangèrent un sourire rempli d'émotions dont elles ne voulaient évoquer l'existence à voix haute. La jeune mère observa une énième fois le visage paisible de son enfant avant de se pencher et de déposer un baiser sur son front, un souhait de bonne nuit murmuré contre la peau. Elle s'extirpa du lit, caressa Echo et vient rejoindre son amie avec qui elle descendit les escaliers bras-dessus bras-dessous. Dans le salon, le groupe de son frère était toujours en train de veiller Petra qui se reposait difficilement à travers sa souffrance. Les hommes s'étaient installés sur chaque surface plane de la pièce et mangeaient en silence leur repos. Winnie ne s'y attarda pas et entraîna plutôt la jeune femme dans la cuisine où Simon et Adam étaient accoudés à l'imposant îlot central. L'aîné jouait avec le maïs dans son assiette pendant que le cadet se goinfrait comme s'il n'avait pas vu de nourriture depuis des semaines. Il marmonna quelque chose autour d'une bouchée qu'elle prit pour un « bonsoir » mais dont elle ne pouvait être sûre.
‒ Hé, l'accueillit quant à lui Simon en se redressant et en poussant une assiette pleine vers elle. Ça va ?
‒ Ouais. Vous ?
Il haussa une épaule avec un regard évident pour l'autre pièce tandis qu'elle prenait place sur un tabouret.
‒ C'est jamais facile de faire face à un truc comme ça. Toute cette histoire d'apocalypse ne rend pas cela moins difficile.
Tout ce que Sasha pouvait dire ou faire était de lui offrir un sourire contrit avant de se concentrer sur sa propre assiette. Ce fut en silence que se déroula le diner, seulement entrecoupé à de rares occasions par une discussion qui s'essoufflait rapidement. C'était la première fois depuis qu'ils étaient tombés sur les autres que les frères Matthews, Winnie et Sasha partageaient un moment entre eux seulement. Même si peu de mots était échangé, ils semblaient apprécier ce moment et la compagnie des uns et des autres. Quand les assiettes furent entièrement vidées, l'adolescente tombait de fatigue. Elle avait lutté durant tout le repas pour rester éveillée et finir sa nourriture mais désormais elle avait sa tête entre ses bras et somnolait sur l'ilot. Sasha se leva, aida les garçons à débarrasser puis leur souhaita un bon repos et entraîna avec douceur sa jeune amie à l'étage pour aller se coucher. Dans la chambre, Amy n'avait pas bougé d'un poil. Elle était toujours étalée en plein milieu du lit avec Echo ronflant allégrement à ses pieds. Les deux survivantes se glissèrent sous la couverture chacune d'un côté de l'enfant après s'être débarrasser de leurs vêtements sales et inconfortable et prirent garde à ne pas la réveiller en s'installant.
‒ Bonne nuit Sasha, chuchota la jeune fille au milieu d'un bâillement.
‒ Bonne nuit.
Elle regarda Winnie se blottir contre son oreiller et remonter la couverture jusque sous son menton avant qu'elle ne ferme les yeux et ne s'endorme en moins de temps qu'il ne fallait pour dire « ouf ».
Des heures plus tard, la maison était silencieuse alors que la nuit était bien avancée. Sasha, elle, ne dormait toujours pas malgré l'épuisement de son corps. Son cerveau refusait de la laisser sombrer dans le monde des rêves contrairement aux deux filles à ses côtés. Décidant de descendre boire un verre d'eau, elle se tortilla hors du lit en prenant garde de ne réveiller personne et marcha sur la pointe des pieds. La faible lumière de la lune qui pénétrait dans la pièce lui permettait de se guider pour éviter de se cogner. Au bout du lit, la chienne releva sa tête de ses pattes et gémit vers elle.
‒ Shh, ça va ma fille, rassura-t-elle dans un chuchotement. Ca va... dors, je reviens vite.
Echo attendit qu'elle lui frotte une oreille avant de lécher sa main et de reposer sa tête sur le matelas. Elle ne referma pas immédiatement ses paupières mais l'observa plutôt quitter la chambre en silence. Même en prenant garde, le parquet dans le couloir craquait à certains endroits, tirant des grimaces de la jeune femme. Elle espérait ne déranger personne, tout le monde avait grand besoin de sommeil. Au rez-de-chaussée, toutes les pièces paraissaient vides d'un premier coup d'œil. Seul le canapé contenait toujours le corps de Petra dont un drap fleuri en camouflait mal l'existence. Une tâche de sang assombrissait le tissu au niveau de la tête, là où très probablement un des gars lui avait enfoncé sa lame dans le crâne pour stopper sa transformation. Petra avait dû succombé à un moment donnée entre la veille et maintenant mais Sasha n'en avait pas été témoin. Elle sentit un pincement de culpabilité de ne pas avoir accompagner cette femme dans sa mort. Elle avait pris soin d'Amy mais en même temps la jeune mère ne la connaissait pas bien. Ne serait-ce pas étrange si elle avait été là ? Le silence et la pénombre qui régnaient dans la maison rendaient l'atmosphère pesante. Elle avait l'impression d'être dans un film d'horreur et que quelque chose sortirait de l'ombre pour s'en prendre à elle. Le parallèle entre son imagination et la réalité de leur situation depuis des mois ne sembla pas lui venir à l'esprit.
S'empressant de rejoindre la cuisine, Sasha repoussa au fond d'elle ces étranges sensations et se concentra plutôt sur sa quête d'eau. Les affaires du groupe avaient toutes été rassemblées sur l'ilot central, elle n'avait plus qu'à fouiller dedans pour en trouver. Alors qu'elle débouchait une bouteille, une silhouette se matérialisa au niveau de l'arche séparant la cuisine du salon. Cette apparition soudaine fit sursauter la jeune femme qui renversa un peu d'eau sur le sol. Elle ne s'en préoccupa pas et chercha à refermer sa main sur le manche de son couteau... qui n'était pas à sa ceinture. Ce dernier était toujours là où elle l'avait posé quand elle était partie se coucher, dans le tiroir de la table de chevet. Sasha n'avait pas pensé à le prendre avec elle en se levant. Alors que la silhouette faisait un pas vers elle, elle tendit la main pour attraper une fourchette qui traînait dans l'évier. Son mouvement fut avorté quand le visage de Lucas se révéla dans la douce lumière projetée par la lune. Tout son corps se relâcha, ainsi qu'un petit soupir de soulagement. Le jeune homme semblait être en train de patrouiller dans la maison, un fusil attaché dans le dos, le pas tranquille et les mains dans les poches.
‒ Toujours debout ? demanda-t-il rhétoriquement avec un sourcil haussé.
‒ Mmh, je venais boire.
Elle leva la bouteille et l'agita très légèrement comme pour le prouver avant de boire de longues gorgées. Sa gorge était sèche. Comme si elle ne s'était pas hydratée depuis des jours au lieu de quelques heures.
‒ Tu as réussi à dormir un peu au moins ? Parce que t'en donne pas l'impression.
‒ Ouais, nan, j'y arrive pas. Tu sais avec Amy... ça fait des mois que je la cherchais et maintenant elle est là... j'ai peur de me réveiller et que tout ça ne soit qu'un rêve, confia Sasha avec une grimace.
Sortant ses mains de ses poches, Lucas se rapprocha d'elle et vient poser une main sur la sienne. Le sourire qui lui offrit était intime.
‒ Je n'ai jamais été père jusqu'ici donc je ne peux pas dire que je comprends ce que tu ressens. Mais je compaties, et j'aimerais pouvoir t'aider à ne pas ressentir cela, répondit-il alors qu'il tapotait sa main gentiment. Tout ce que je sais c'est que tu as besoin de sommeil, tu tombes de fatigue. Va te coucher Sasha, je te promets qu'Amy sera toujours là demain matin.
‒ Plus facile à dire qu'à faire, grommela-t-elle. Mais je vais essayer.
Sasha lui rendit son sourire, serra sa main pour le remercier de ces quelques mots gentils et empocha sa bouteille d'eau puis, après lui avoir souhaité une bonne nuit, elle disparut à l'étage. Son cœur était bizarrement plus allégé maintenant qu'elle avait confié sa crainte à Lucas. Peut-être que le sommeil viendrait finalement la trouver.
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