Chapitre 15.

[Maison; Mount Pocono, Pennsylvanie ; matin]

Temps écoulé depuis le début de l'épidémie : 5 mois et 25 jours.


Après son cauchemar, Sasha avait été incapable de se rendormir pour le reste de sa nuit alors elle était restée éveillée et avait discuté à voix basse avec son petit frère et Lucas jusqu'à ce qu'il soit temps qu'elle prenne le relais de la garde avec Kole. Elle en avait ensuite profité pour faire connaissance avec ce dernier et avait appris qu'ils avaient quelques goûts cinématographiques en commun. À l'aube, Simon avait proposé de prendre le relais pendant que les deux se reposaient encore un peu et que Lucas et Alec emmenaient Toby avec eux au concessionnaire pour récupérer des voitures. Les prochaines heures se déroulèrent dans une ambiance calme et ordonnée qui était apaisante après le tumulte de la veille et des jours d'avant. Quand les garçons revinrent avec deux voitures flambant neuves, tout le monde était debout. Ils partagèrent un petit déjeuner copieux, profitèrent de l'eau courante -et chaude- pour s'octroyer un dernier brin de toilettes et rassemblèrent leurs affaires en un rien de temps. Au moment où ils s'installaient tous dans les voitures garées dans l'allée, la moitié de la matinée de s'était même pas encore écoulé.

Avec l'excitation de retrouver sa fille, Sasha ne sentit pas l'heure passer -aussi parce que Winnie et Echo la gardaient activement occupée avec une session karaoké improvisée pour la première et des demandes incessantes de câlin pour la seconde. D'après Toby et ses estimations, il devait leur rester qu'une quinzaine de minutes avant d'arriver à leur campement. Cela avait été confirmé par Lucas à partir du moment où ils avaient bifurqué sur une petite route étroite et qui se rapprochait plus d'un chemin de terre. Leur véhicule ne semblait pas fait pour y rouler et ça s'attestait par tous les balancements et les vacillements qu'il effectuait. Soudainement, le minivan s'arrêta dans un dérapage très peu contrôlé alors que Toby jura. Ce dernier regarda dans le rétroviseur central avant d'amorcer une marche-arrière précipitamment.

‒ Pourquoi tu-

La jeune femme se coupa elle-même quand, en se penchant pour mieux lui parler, elle remarqua le groupe d'infectés qui leur barraient le chemin. A contrario de la horde de la veille, ce groupe n'était pas si nombreux mais ils les surpassaient en nombre et surtout ils créaient un obstacle conséquent sur cette route étroite. Toby ne pouvait pas les contourner et le groupe ne pouvait pas sortir pour les éliminer. Alors que derrière eux Kole les imitait, les rôdeurs avaient bien trop vite et quelques-uns d'entre eux avaient déjà atteint le minivan. Ils s'étaient jetés sur le capot dans un bruit sourd et, de leurs mains crochues, griffaient la carrosserie. Leurs présences firent grogner Echo qui s'était redressée et se tenait debout sur la banquette arrière au-dessus de Winnie pour la protéger de son corps. La chienne avait clairement un motif quand on en venait à devoir protéger quelqu'un.

‒ C'est pas vrai mais ils nous suivent ! s'exclama Sasha, un sentiment de malaise s'instaurant dans sa poitrine à l'idée d'être encerclée bien qu'à l'abri dans la voiture.

‒ Recule plus vite !

‒ Je fais ce que je peux Lucas !

Certains infectés avaient réussi à les dépasser mais ils se faisaient renverser et écraser alors que Toby continuait sa marche arrière. Leurs corps passèrent sous les roues et provoquèrent des rebonds qui les firent se cogner la tête contre le toit. Des coups de feu provenaient du deuxième minivan et un coup d'œil lui apprit qu'Adam avait ouvert la petite fenêtre de toit et tirait depuis son perchoir pour dégager un maximum le chemin. Ne souhaitant pas être inactive, la jeune femme attrapa le fusil de chasse derrière elle, se détacha et l'imita en ouvrant la petite fenêtre et en montant sur la banquette arrière pour être à la bonne hauteur. Ils échangèrent un regard et sans un mot firent équipe pour éliminer le plus de rôdeurs qui gênaient. Adam s'occupait de ceux qui arrivaient derrière et sur les côtés pendant que Sasha essayait d'empêcher les autres d'aller plus loin pour les encercler. Après un énième rebond où elle faillit trébucher de la banquette, la jeune femme sentit deux petites mains s'enrouler autour de ses mollets pour la soutenir.

‒ Merci Winnie !

‒ Fais attention, la gronda-t-elle, la peur transparaissant dans sa voix.

Les deux conducteurs roulèrent plus facilement et réussirent à distancer assez les infectés pour faire un demi-tour correct et rebrousser chemin. Adam leva une main vers elle comme pour faire un high five et rentra dans le véhicule après qu'elle eut levé sa propre main en réponse.

‒ Ces marcheurs venaient du campement, affirma Lucas à son meilleur ami juste au moment où Sasha se rattachait.

‒ Quoi ?

‒ On peut pas en être sûr, rétorqua Toby.

‒ Si on peut. Y avait Megan et Leland parmi eux.

‒ Euh... qui sont Megan et Leland ? hésita la jeune femme alors que Tobias ne répondait que par un silence.

‒ Des survivants de notre camp. Je les connais pas tellement, ils sont arrivés le mois dernier, mais ils ont beaucoup participé à rendre notre endroit plus sécuritaire. Leland est garde forestier. Ou était...

Son cœur coula dans sa poitrine. Amy était dans ce campement. Amy était censé y être, en parfaite sécurité. Mais maintenant...

‒ On peut pas passer par cette route, remarqua Sasha dans un état second. Vous en connaissez une autre ?

‒ Oui. On doit faire un petit détour mais ça prendra pas très longtemps.

Le reste du trajet était silencieux. À chaque ralentissement, la jeune femme se redressait pour essayer d'apercevoir le campement à travers les arbres. Ce qu'elle vit, quand ils l'atteignaient finalement, fut un assemblage de tentes dépareillées mais surtout dévastées. Elles avaient été piétinées par les rôdeurs très probablement, ou alors par les survivants en fuite. Des traces de sang tâchaient quelques-unes, et il y avait des corps -infectés et humains confondus.

‒ Oh non.

Alors que Tobias arrêtait le minivan à quelques mètres des premières tentes, Sasha se détacha et sauta hors du véhicule. Elle n'avait qu'une seule chose en tête : retrouver Amelia. Depuis qu'elle avait retrouvé son petit frère et qu'elle avait appris que sa fille était en vie dans un camp non loin de là, l'espoir qui avait toujours vécu en elle n'avait cessé de grandir. Se faire confirmer que son enfant était en vie... elle ne s'était jamais sentie plus légère qu'après avoir reçu cette nouvelle. Mais soudain, cet espoir avait été écrasé face à l'horrible vue qui se dévoilait à elle. Elle pouvait voir les signes d'une vie qui se construisait ici, tout ça anéantit par le passage de rôdeurs. Elle commença à fouiller les lieux à la recherche de sa fille, priant pour la retrouver cachée quelque part et non de se retrouver face à son petit corps sans vie. Autour d'elle, le reste du groupe en faisait autant et prenait aussi le temps de vérifier que les morts l'étaient bien -morts- en planter un objet contondant dans leur crâne. Près d'une tente, Sasha trouva des affaires caractéristiques d'enfants et s'y arrêta plus longtemps mais rien ne criait « Amy » alors elle continua à chercher.

‒ Sasha.

‒ Elle est nulle part Alec.

‒ Je sais... mais Kole a trouvé des traces de voiture et il en manque un alors on pense que certains ont réussi à partir, révéla son petit frère en pointant un endroit par-dessus son épaule. Si y a aucun trace d'Amy ici alors elle est peut-être avec eux ?

‒ Ou peut-être qu'elle est avec ces rôdeurs qu'on a croisé en venant, répondit-elle retenant ses larmes tant bien que mal. J'avais tellement d'espoir. Je priais pour qu'Amy aille bien et qu'elle soit en sécurité, et quelque chose au fond de moi pensait que c'était le cas. C'est ça qui m'a fait tenir quand j'ai été séparé de maman et que je me suis retrouvée toute seule...

‒ Je sais pas quoi te dire... hormis que je te demande pardon.

‒ Tu n'as rien à dire ou à te faire pardonner.

‒ J'ai l'impression que si. C'est moi qui ait pas réussi à garder Amy en sécurité.

‒ Non, c'est pas ta faute et je refuse que tu le crois, rétorqua la jeune femme. Parce que ces derniers mois, c'est ce que tu as fait. Tu t'es occupée d'elle quand je pouvais pas, et je pourrais jamais te remercier assez pour ça.

Les quelques secondes qui suivirent se passèrent en silence alors que le frère et la sœur se regardaient dans le blanc des yeux. Finalement, ce fut Alexander qui franchit les derniers pas les séparant et il la serra de toutes ses forces dans ses bras.

‒ Faut pas qu'on perde espoir d'accord ? On sait pas encore ce qui lui est arrivée, peut-être qu'elle va bien.

‒ Tu as raison, peut-être que c'est le cas.

Et Sasha avait besoin que ce soit le cas. Sa fille était tout pour elle et, comme elle venait de le dire à son petit frère, c'était l'espoir qu'elle soit encore en vie qui l'avait faite tenir jusque-là. Si elle avait survécu aux premiers jours, à apprendre qu'elle devrait tuer ces choses, à vivre à leurs contacts constants, à la solitude... à tout ce que la vie leur faisait endurer dernièrement. Tout ce qu'elle avait affronté c'était pour elle, pour Amelia. Cela lui avait permis de continuer et de rester en vie. D'avoir une raison de se lever pour chaque nouveau jour. Alors la fillette devait aller bien, parce que sinon Sasha ne savait pas comment elle ferait.

L'étreinte entre le frère et la sœur dura assez longtemps pour qu'ils puissent refouler au fond de leurs esprits les sentiments de peur et d'incertitude qu'ils ressentaient face au destin d'Amy. Quand ils se séparèrent, c'était avec des sourires apaisés bien que toujours crispés. Le reste du groupe était rassemblé de l'autre côté du campement ravagé autour de Kole et ce qui était certainement les traces de pneus. Ils semblaient discuter de quelque chose de sérieux si on prenait en compte leurs traits sérieux. Seule Winnie ne participait pas à la discussion mais surveillait plutôt la chienne qui reniflait à travers le camp. D'un léger coup de coude, Alec lui fit signe de prendre les devants et ils rejoignirent les autres.

‒ -qu'on a croisé sont ceux qui ont détruit le campement ça voudrait dire que ça vient de se passer. Et le fait qu'aucun des nôtres ne se soit encore relevé pour rejoindre leurs rangs peut le confirmer, fit remarquer Tobias en regardant distraitement les corps autour.

‒ Alors si on se dépêche on pourrait sûrement rattraper ceux qui ont réussi à s'enfuir, réalisa Adam. Les traces nous donnent déjà la direction qu'ils ont pris, si on roule assez vite on peut recouvrer la distance.

‒ Eh bien, en théorie oui mais on devrait d'abord enterrer nos morts.

‒ Merde, je suis désolé mais on peut pas faire ça Lucas. J'aimerais mais on perdrait un temps considérable, et on a déjà peu d'éléments pour nous aider à les retrouver...

‒ Tous ces gens étaient de bonnes personnes, insista le jeune homme avec un froncement de sourcils et un mouvement de bras qui englobait tout le campement et ceux qui y avaient péri. Ils méritent qu'on leur rende un dernier hommage et non qu'on les laisse pourrir à l'air libre.

‒ Mais ils sont déjà morts, pas ceux qu'on essaie d'atteindre. Ca devrait être plus important.

‒ Ce que mon frère essaie de dire même si ça manque de tact c'est qu'il vaut peut-être mieux se concentrer sur ceux qu'on peut aider ? tenta de tempérer Simon.

‒ Je sais exactement ce que je dis ! T'as pas besoin de t'en mêler, grommela-t-il à son frère aîné. Si on perd du temps à creuser des tombes pour-

‒ Tu penses que c'est une perte de temps d'offrir une sépulture à des innocents dont la vie a été arraché trop tôt ? prit parti Kole alors qu'il venait se tenir aux côtés de son ami.

‒ Si c'est pour qu'on finisse par devoir en creuser plus une fois qu'on aura atteint ceux qui sont partis parce qu'on aura pas pu les sauver à temps alors oui, c'est ce que je pense !

Le ton commençait à monter entre les quatre hommes tandis que les autres les regardaient presque abasourdis de ce qui se passait. Sasha pouvait comprendre tous les points de vue évoqués. Lucas et Kole se souciaient de ceux qui les avaient quittés alors qu'ils n'auraient pas dû, de ceux qui méritaient une vie meilleure mais qui avaient fini par périr. Tandis que les frères Matthews se préoccupaient plus des vivants, de ceux qui étaient encore là et qu'ils pouvaient aider.

‒ On sait même pas s'ils ont besoin d'aide ! s'exclama Kole. Ils ne sont peut-être même pas en danger !

‒ Ils fuient des rôdeurs ! rétorqua Adam comme pour souligner une évidence.

Les éclats de voix attirèrent l'attention de l'adolescente qui s'était petit à petit éloignée en suivant Echo. Elle se releva de sa position accroupie à côté d'une tente et leur jeta un regard, intriguée et confuse. Alors qu'elle fit un pas dans leur direction pour les rejoindre, Sasha rencontra ses yeux et secoua la tête pour lui signifier de rester où elle était. La jeune fille obéit, bien que ses sourcils se froncèrent, et se reporta vers la chienne qui lui léchait les doigts en quête d'attention. Finalement, Tobias décida qu'il en était assez et craignit que la dispute attire d'autres rôdeurs. Il s'interposa entre les deux parties et leva les mains comme pour stopper physiquement les paroles.

‒ OK, on arrête maintenant, cette discussion ne mène nulle part, arbitra l'homme. Vous avez tous raison et essayer d'argumenter autour de ça n'aidera personne alors voilà ce qu'on va faire : on va prendre un moment pour s'occuper de nos morts puis on reprendra la route pour retrouver les autres.

‒ Mais on va les-

‒ On ne perdra pas leurs traces, on sait où ils vont. Ou plus ou moins.

‒ C'est vrai, on avait un plan de secours si le campement rencontrait un problème et qu'il était compromis, ajouta Alec qui avait été silencieux jusque-là. Une fille de notre groupe, Violet a- eh bien avait je suppose, se reprit-il avec une grimace et un coup d'œil pour un corps partiellement dévoré à quelques mètres de là. Elle avait un chalet à Jacks Mountain assez loin des villes pour qu'on y rencontre pas trop de marcheurs -c'est ce qu'on a supposé en tout cas. S'ils sont encore en vie, c'est là qu'ils iront.

‒ Ouais, donc je pense qu'on peut épargner un peu de temps pour enterrer les nôtres avant de partir, décida Tobias en baissant finalement ses mains. De plus, si on s'y met maintenant et tous ensemble alors ça devrait être rapide.

‒ Il a raison, et on devrait se répartir les tâches. Vous, vous rassemblez les vôtres et nous on va commencer à creuser, ordonna Simon.


◇ ◇ ◇

[Route 522; Lewistown, Pennsylvanie ; après-midi]

Temps écoulé depuis le début de l'épidémie : 5 mois et 25 jours.


Après avoir enterré ceux qui avaient succombé à l'attaque du campement et prononcé une rapide prière en leur honneur, le groupe avait rassemblé ses affaires et s'était réparti dans leurs deux minivans et le SUV abandonné à l'entrée du camping. Ils étaient assez nombreux pour se diviser en plus petits groupes et avaient tous été d'accord sur le fait qu'il valait mieux prendre un troisième véhicule au cas où il y aurait un problème avec ceux qu'ils possédaient déjà. Pendant trois bonnes heures, ils avaient roulé en fil indienne en direction de l'ouest et suivaient un itinéraire approximatif donné des mois plus tôt quand ce plan de secours avait été discuté. Sasha n'avait pas quitté des yeux les paysages à l'affut du moindre groupe d'infectés. Peut-être qu'ils tomberaient encore sur eux et qu'elle pourrait alors vérifier que le petit corps de sa fille ne se trouvait pas parmi les morts. Mais, à part quelques rôdeurs isolés, pas de signe de ceux ayant attaqué le camp. Ni même de ceux qui s'en étaient enfuis.

‒ On se rapproche, indiqua soudainement Lucas alors qu'ils dépassaient un panneau leur souhaitant la bienvenue à Lewistown. On devrait être arrivé d'ici un quart d'heure. À peu près en tout cas.

Etant donné que seul le groupe d'Alec connaissait l'itinéraire à prendre pour rejoindre le chalet, la jeune femme et les siens avaient dû se séparer. Elle était montée avec Echo dans le SUV conduit par Lucas et, pendant que la chienne rongeait une épaisse branche ramassée pour elle par Simon, les deux humains avaient commencé à discuter. La compagnie de Lucas était agréable et facile, avait-elle constaté. Il aimait parler de tout et de rien, avait toujours quelques commentaires à faire sur n'importe quel sujet mais était aussi parfaitement capable d'être silencieux s'il voyait qu'elle avait besoin d'un moment de calme. Sasha avait sincèrement apprécié ces heures avec lui.

‒ Comment ça « à peu près » ?

‒ On est bientôt à Lewistown et à partir de là, le chemin à prendre est un peu flou.

­‒ C'est-à-dire ?

‒ On connait pas l'emplacement exacte du chalet, juste que c'est dans le coin, avoua-t-il.

‒ Tu te fous de moi ?

‒ J'aimerais.

‒ Ca veut dire qu'on va rouler à l'aveuglette en priant pour qu'on trouve ce putain de chalet ?

‒ Eh bien, pas exactement... on sait que c'est au nord de la ville et à flan de montagne.

Sasha s'effondra dans son siège et ferma ses paupières alors qu'elle poussait un long soupir dépité. Pourquoi avait-elle l'impression que le sort s'acharnait à la garder loin de sa fille ? Ou peut-être qu'Amy n'était pas dans ce chalet et quelqu'un ou quelque chose au-dessus essayait de ne pas tuer ses espoirs trop vite.

Le groupe avait fini par passer quatre jours à rouler autour de la ville sans jamais tomber sur ce foutu chalet où les autres survivants étaient supposés se cacher et les attendre. La jeune maman pouvait sentir son espoir s'amenuisait à mesure que les heures s'enchaînaient sans résultats mais Toby, Alec et Lucas gardaient une détermination suffisante pour motiver tout le groupe à continuer matin après matin. Le ciel s'assombrissait en ce quatrième jour sans succès quand ils décidèrent de s'arrêter pour la nuit. Hormis la fatigue et le moral en baisse, l'essence aussi commençait à s'épuiser, tout comme leurs réserves de nourriture. Pendant que Kole, Simon et Toby traçaient un périmètre sécurisé autour du lieu choisi pour établir leur campement, les plus jeunes du groupe mettaient en place des cordages pour le délimiter à l'aide des arbres puis ils s'attelaient à y faire prendre des boîtes de conserve. Ce système avait été réfléchi et proposé conjointement par Winnie et Alec. Ca n'empêchait pas les rôdeurs d'entrer ou ne ralentissait plus qu'en les faisant trébucher mais le bruit que cela causait permettait d'alerter sur une intrusion. C'était un ingénieux moyen d'assurer un minimum de protection en plus des tours de garde, ils l'utilisaient dès qu'ils devaient camper à découvert désormais. Winnie avait rougi sous les compliments quand tout le groupe avait félicité les deux jeunes d'avoir pensé à cela.

‒ Tout est en place, signala Lucas en venant rejoindre la jeune femme et en l'aidant à installer les couvertures et les sacs de couchage. Les clés sont sur le contact et les voitures dans le sens du départ.

‒ Parfait.

Comme à l'accoutumé maintenant, les trois véhicules étaient garées de manière que la fuite soit optimale. Ils étaient à plusieurs mètres d'eux, assez près pour pouvoir les atteindre rapidement et facilement mais assez loin pour ne pas obstruer leur vue durant les tours de garde. Petit à petit, ils entraient dans une routine et les frontières entre les deux groupes commençaient à s'estomper. C'était presque comme s'ils avaient toujours survécu ensemble, et les compétences de chacun étaient bénéficiaires au groupe.

Quand les autres revirent après avoir vérifié le périmètre et installé les cordes, le soleil avait quasiment disparu à l'horizon et on distinguait de moins en moins de chose. Winnie fit un tout droit vers les sacs de couchage et s'effondra de fatigue sur l'un d'eux. Elle retira ses chaussures, s'enfouit sous le duvet et attrapa Echo pour l'attirer contre elle dans un câlin. L'adolescente et la chienne ne prirent pas plus d'une minute pour commencer à ronfler. Sasha gloussa tout en continuant à installer le campement. Dès qu'elle aurait fini, ils partageraient un repas puis ils se relayeraient tous pour avoir un repos bien mérité avant que le jour suivant ne commence et qu'ils reprennent leur recherche du chalet.


◇ ◇ ◇

[Forêt; aux alentours de Lewistown, Pennsylvanie ; aube]

Temps écoulé depuis le début de l'épidémie : 5 mois et 30 jours.


Au moment où Sasha quitta le monde des rêves et ouvrit les yeux, la brume encore présente du sommeil la rendit confuse et l'empêcha de comprendre immédiatement à qui le bras autour de sa taille et la masse blottie dans son dos appartenait. Un coup d'œil par-dessus son épaule et elle vit le visage de Lucas. Ses cheveux étaient adorablement en pagaille et de légers ronflements sortaient de sa bouche entrouverte. La jeune femme se remémora alors. La veille, le jeune homme et elle-même avaient pris leur tour de garde ensemble comme c'était souvent le cas ces derniers temps et avaient passé les heures en discutant. Quand ils cédèrent la place aux prochains gardes, ils s'étaient installés sur une des couvertures afin de continuer leur conversation à voix basse et s'étaient assurés d'être suffisamment proche pour que leurs chuchotements soient assez faible et ne dérangent pas les autres. Ils avaient dû finir par s'endormir à un moment donné et ont dû se blottir pendant la nuit. Sasha se sentit rougir. La dernière fois qu'elle avait partagé son lit avec un membre du sexe opposé c'était quelques mois avant le début de l'épidémie quand elle avait accepté d'aller à quelques rendez-vous avec Tyler.

C'était un gars sympa, timide mais charmeur, et du même âge qu'elle. Il venait souvent au restaurant dans lequel elle travaillait avec sa bande d'amis et avait trouvé le courage de lui demander un rendez-vous après plusieurs semaines de flirt maladroit. Sasha avait passé un bon moment avec lui, et cela lui avait fait du bien de voir de nouveau quelqu'un après Reed, mais ça n'avait pas abouti à quelque chose de plus sérieux. Tyler était prêt à s'investir pleinement, c'était pas lui le problème. Il n'avait aucun soucis à ce qu'elle soit déjà mère et voulait rencontrer Amy avant que les choses deviennent sérieuses entre eux mais la jeune femme avait freiné des quatre fers. Elle ne se voyait pas avec lui sur le long terme. La dernière fois qu'ils se sont parlés c'était y a presque un an maintenant, mais ils se voyaient toujours de temps en temps au restaurant. Les choses étaient gênantes... Ou elles l'avaient été. Sasha se demandait ce qu'il était devenu. Elle espérait qu'il était vivant et en sécurité.

‒ Hey, bien dormi ?

Ses yeux se levèrent pour croiser ceux de Simon qui était allongé sur le flanc dans le sac de couchage en face d'elle. Il bailla, ses yeux se plissant, puis lui sourit quand il referma la bouche.

‒ Plutôt. Toi ?

‒ On a fait mieux. Echo était très collante cette nuit.

Et effectivement, elle ne l'avait pas vu avant mais la chienne était enfouie dans le sac de couchage de l'homme et avait son museau collé à son cou. Le duvet n'était prévu que pour une seule personne et l'ajustement était déjà serré pour Simon avec ses larges épaules mais avec l'animal en plus ? Il devait être à l'étroit.

‒ Au moins elle m'a tenu chaud, relativisa-t-il en caressant distraitement une oreille d'Echo.

‒ Ouais, c'est bien de se concentrer sur le positif.

Le silence revient tandis que les deux amis prenaient le temps de s'éveiller pleinement. Simon finit par quitter son couchage pour rejoindre son petit frère et Kole, les deux derniers à avoir monter la garde. La chienne bougea à peine. Elle émit juste une sorte de soupir satisfait quand plus de place se libéra et ajusta sa position avant de recommencer à produire ses petits ronflements adorables. De son côté Sasha se laissa encore profiter du confort et de la chaleur du corps dans son dos avant de se détacher de l'étreinte et de s'éloigner de quelques centimètres en veillant à ne pas bousculer Lucas et le réveiller. Elle se redressa sur un coude et regarda le campement tout autour d'elle : hormis les trois cités plus tôt, le reste du groupe dormait encore. La forme endormie de Winnie faisait une bosse dans le sac de couchage de l'autre côté dont seule une poignée de cheveux blonds était visible. Depuis qu'elle s'était effondrée de fatigue dedans la veille, l'adolescente n'avait pas bougé. Même quand ils avaient tenté de la réveiller pour qu'elle mange un bout. Sur la couverture, Lucas commença à remuer alors Sasha ramena son attention sur lui. Peu à peu, il sortit de son sommeil et revient à lui. Ses yeux papillonnèrent quelques instants tandis qu'il se reconnectait à la réalité et il finit par braquer sur elle ses yeux marrons.

‒ Oh. On s'est endormi en parlant, constata-t-il avec un rougissement adorable avant de se redresser. Désolé si j'ai été envahissant pendant la nuit, euh... c'était pas prévu. Sinon je serais allé me coucher tout seul.

‒ Ca va, lui sourit-elle aimablement. On était fatigué, ça arrive.

‒ Euh... ouais.

‒ Vraiment Lucas, aucun mal.

‒ D'accord.

Cherchant à tout prix un moyen de sortir de cette situation légèrement embarrassante, Sasha trouva un échappatoire en pointant du pouce par-dessus son épaule les trois hommes qui partageaient un petit-déjeuner et proposa de les rejoindre.

‒ Heya Sasha, l'accueillit Kole en lui tendant une barre de céréale. Ça va ?

‒ Mmh mmh. Et vous ? Pas de problème pendant la garde ?

‒ Rien à signaler. Quelques rôdeurs sont venus faire les curieux mais on s'en est débarrassé avant qu'ils causent des ennuis.

Un regard vers les limites du campement et elle réussit à distinguer dépassant d'un buisson une paire de baskets qui, à un moment donné, avait dû être blanche. Une main qui tira sur son bras la ramena à son groupe. Adam l'avait attrapé par l'avant-bras et la poussait à s'asseoir entre son aîné et lui sur l'épais tronc d'arbre couché.

‒ Comment va ta blessure ? se renseigna-t-il en lui passant une gourde.

‒ Elle cicatrise.

‒ T'as toujours mal ?

‒ Bof. Parfois ça tire un peu, ou ça gratte. Mais c'est plus que supportable.

‒ Si tu veux on prendra le temps d'y jeter un coup d'œil avant de partir, proposa Simon.

‒ Ouais, faisons ça. On a assez de galère comme ça pour que je rajoute une infection.

‒ Comme tu dis. 

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