Chapitre 10.

[Restaurant Dutch Kitchen ; Dalton, Ohio ; aube]

Temps écoulé depuis le début de l'épidémie : 4 mois et 18 jours.


En silence, le petit groupe rassembla leurs affaires et chercha des cachettes. Le bâtiment avait été une ancienne ferme si on en croyait la brochure qu'ils avaient trouvé le premier jour et les pièces de l'étage étaient toutes des chambres transformées pour remplir d'autres fonctions ou des salles de bain. Simon fut installé dans le grand placard de la salle de repos avec pour mission de garder Echo calmer et silencieuse. La chienne avait repris du poids et des muscles, l'homme était le plus à même de la maintenir en place. Alors que Winnie la caressait pour la rassurer -et elle-même-, Adam et Sasha déplacèrent le canapé pour créer un petit coin dans l'angle des deux murs. Il serait assez grand pour que l'adolescente toute fine s'y faufile et y tienne en position fœtal mais trop petit pour attirer l'œil. Quand ils aidèrent la jeune fille à s'y insérer, elle les arrêta d'une pression sur l'avant-bras chacun.

‒ Pourquoi on se cache ? murmura-t-elle, les pupilles vacillant entre peur et incompréhension. Et s'ils étaient gentils ?

‒ Et s'ils le sont pas ? contre-attaqua Adam, lui aussi à voix basse. Tu entends comme ils hurlent ?

Et c'était vrai. Même si la conversation d'en bas était inaudible pour eux, ils pouvaient entendre le ton énervé et agressif. Les cris de douleur ne s'étaient pas arrêtés non plus.

‒ Mais et si tout ce qu'ils ont besoin c'est de l'aide ?

‒ Ca vaut pas le risque Winnie...

‒ Tu es sûr ? Je pense que-

‒ Je vais aller voir, la coupa Sasha. Toi tu te caches, OK ?

‒ Sasha, dit le jeune homme entre ses dents. C'est pas une bonne idée.

‒ Elle a raison, peut-être qu'ils sont sympas et ont juste besoin d'aide.

‒ Ils ont l'air vachement agressifs pour des mecs sympas.

‒ On est tous un peu à cran avec le bordel qui nous est tombé dessus ces derniers mois, raisonna la jeune mère. Je vais juste jeter un œil, pas plus. Je ne me montrerais pas.

‒ Tu resteras cacher ?

‒ Promis, confirma-t-elle.

‒ D'accord alors... mais fais attention ! Si tu le sens pas, tu fais demi-tour.

‒ Merci Sasha ! s'exclama l'adolescente presque trop fort alors qu'elle l'attirait dans une rapide accolade.

La jeune femme lui tapota le dos puis s'éloigna et la força à s'accroupir derrière le canapé. Elle lui passa son sac à dos et se tourna vers Adam.

‒ Caches-toi, je reviens vite.

Afin d'être plus légère et furtive, elle lui confia son sac à dos et sortit à pas de loup de la pièce. Sa bouche tordue dans une grimace étrange due à sa concentration, elle referma doucement la porte et marcha vers les escaliers. Plus elle avança dans cette direction, plus les voix étaient claires, ainsi que la discussion.

‒ Arrête de beugler putain, tu vas attirer tous les mordeurs du coin !

‒ J'arrive pas à voir s'il s'est fait mordre, il bouge trop !

‒ Fais-le s'arrêter de gueuler ! reprit la première voix.

En haut des escaliers, Sasha se baissa au ras du sol et tenta d'apercevoir les individus mais elle ne voyait pas grand-chose si ce n'était des pieds en demi-cercle. Si elle voulait avoir une vue plus dégagée, elle devrait descendre de quelques marches et il en était hors de question. À la place elle s'allongea à plat ventre et colla sa joue au sol. Si elle faisait fit des disputes et des cris de douleur, elle pouvait entendre des infectés grognaient et tapaient contre les vitres du restaurant. L'ensemble rendait l'atmosphère plus que pesante. C'était comme si l'air s'était épaissi et rendait la respiration de la jeune femme difficile. Son cœur battait à tout rompre et, au moindre bruit un peu fort elle sursautait.

‒ Il est trop lourd, se plaignit une troisième voix.

À peine une poignée de secondes après qu'il ait parlé, un corps tomba soudainement au sol dans un bruit sourd. Sasha plaqua une main sur sa bouche pour retenir le cri de peur qu'elle manqua de lâcher. Au début, elle crut que l'homme par terre était mort puis elle remarqua que c'était de lui que venaient les cris de douleur. L'inconnu gesticulait et se tordait dans tous les sens, une main ensanglantée appuyée sur la jonction entre son cou et son épaule. Quand elle aperçut son visage, la jeune femme crut qu'il l'avait vu alors elle se blottit un peu plus contre le mur mais il était trop pris dans sa souffrance. Et plus le temps passait, plus il criait et se tortillait, plus les autres types s'énervaient.

‒ Ferme-la bordel !

Sans qu'elle ne l'ait vu venir et avant même qu'elle ne puisse comprendre ce qu'il se passait, une batte de baseball s'abattit sur le crâne de l'homme blessé. Les cris se changèrent en une sorte de gargouillis intelligibles qui se stoppèrent complètement au second coup porté à la tête. Celui qui maniait la batte s'arrêta après deux coups supplémentaires tandis que, dans le restaurant le silence était revenu. Plus de cris, plus de disputes, juste les infectés dehors qui s'agitaient.

‒ Eh bah voilà, parla l'homme, une note de plaisir dans la voix. Au moins il nous fera plus chier.

Les yeux écarquillés d'horreur, Sasha appuya avec plus de fermeté sa main sur sa bouche alors qu'elle fixait le mort. Dans sa tête, sa propre voix tournait en boucle : oh mon dieu, oh mon dieu, oh mon dieu, oh mon dieu.

‒ Y a une autre sortie au fond ! appela une autre personne depuis l'arrière du magasin.

‒ Des mordeurs ?

‒ Pas plus qu'on ne peut gérer.

Le groupe d'inconnus se remit en mouvements, laissant derrière lui le corps inanimé de leur ami. Alors qu'ils se rapprochaient de l'escalier, Sasha eut la présence d'esprit de ramper en arrière pour se blottir derrière le mur un maximum. Presque aussi vite qu'ils étaient arrivés, ils partirent. Allongée contre le sol et les yeux fermés, la jeune femme les écouta pousser le meuble et ouvrir la porte arrière. Elle ne l'entendit pas être refermée. Toujours choquée de ce qu'elle avait vu, Sasha se leva lentement de sa position et regagna la chambre où ses amis étaient cachés. Dans un état second, elle se rapprocha de la fenêtre et regarda le groupe de sept hommes courir à travers les champs, se battant avec les infectés qui les pourchassaient.

‒ Sasha ?

La voix étouffée de Simon se fit entendre depuis le placard tandis qu'il y avait derrière le canapé de légers bruissements.

‒ Sasha ? On peut sortir ?

‒ Oui.

Sa propre voix semblait à des kilomètres d'elle. C'était la première fois qu'elle était témoin d'un meurtre. Oui elle avait tué des dizaines d'infectés depuis le début de l'épidémie mais il s'agissait de monstres ayant perdus toute humanité. Elle savait que les gens pouvaient être horribles mais ça... c'était un choc de le voir.

‒ Il s'est passé quoi là-bas ?

Une truffe humide vient se coller à sa main tandis que dans son champ de vision elle vit Simon aidait Winnie à sortir de sa cachette. Comment pouvait-elle leur dire ? Que pouvait-elle dire ? Etaient-ils capable d'entendre ce dont elle venait d'être témoin ? Elle n'en était pas sûre. Et même s'ils l'étaient, Sasha ne se sentait pas la force de raconter ces évènements violents.

‒ C'était pas des gentils, se contenta-t-elle alors de marmonner.

Simon ouvrit la bouche pour la questionner mais il fut couper dans son élan par son petit frère qui débarqua dans la pièce avec précipitation.

‒ Des marcheurs ont envahi la maison, prévient-il. Faut qu'on se barre.

‒ Merde ! Sasha, ton sac !

Il le récupéra de derrière le canapé et l'aida à le mettre sur son dos.

‒ On peut passer ?

‒ Non, y en a trop. On doit trouver un autre moyen de sortir.

‒ Par les toits ? proposa Sasha dont la situation lui permit de s'éloigner de son état figé. Ils sont pas si haut. On les longe jusqu'au bout de la terrasse et s'aider des colonnes pour descendre.

‒ Bonne idée.

‒ Et Echo ? demanda Winnie. Elle peut pas faire ça.

‒ Ne t'inquiète pas, je vais descendre en premier et Adam me la passera.

‒ D'accord.

‒ Dépêchons avant que le bruit en attire encore plus et que la maison soit encerclée, commanda le plus jeune frère.


◇ ◇ ◇

[Rue; Newton, New Jersey ; après-midi]

Temps écoulé depuis le début de l'épidémie : 5 mois et 20 jours.


Le mois qui s'était écoulé depuis les évènements au restaurant Dutch Kitchen avait soudé les quatre survivants comme une sorte de petite famille. Le périple avait été long et éprouvant. Ils devaient constamment faire attention à tout et à tout le monde alors qu'ils traversaient les états à pied. Cela avait été quelques dures semaines. La fatigue, les ravitaillements de nourriture, la recherche de lieux sécurisés pour se reposer. De plus en plus de rôdeurs s'étaient rassemblés en horde aussi, et parfois des routes entières étaient envahis par eux. Le petit groupe avait dû de temps à autre emprunter des chemins plus long pour les contourner. Et ce n'étaient pas seulement les morts. Depuis leur quasi rencontre avec ces types au restaurant, ils étaient devenus méfiants avec les inconnus. Après que Sasha ait été capable de leur dire ce dont elle avait été témoin plusieurs heures plus tôt, Adam leur avait fait par des personnages méchants que les histoires d'apocalypse dans les films, les livres et les jeux vidéo abordés toujours. Des personnes sans foi ni loi, qui se voyaient changer pour se tourner vers leur partie la plus sombre ou laisser celle-ci pleinement s'exprimer si elle était déjà présente avant tout ça. Adam leur avait dit qu'ils profiteraient du fait qu'il n'y ait plus de règles, plus de gouvernement, plus de police... pour faire tout ce qui leur plaisaient. D'un commun accord, ils avaient alors décidé d'éviter un maximum les autres survivants qu'ils pourraient croisés. Et c'était avec un étrange mélange de soulagement et d'anxiété que le groupe avait presque atteint New York, sains et saufs. D'après Simon, ils devaient être à un ou deux jours de marche de la grande ville.

‒ OK, à moi alors, s'exclama Winnie, les mots mal articulés autour du réglisse qu'elle mâchouillait depuis plusieurs minutes. Qu'est-ce qui doit être cassé avant qu'on l'utilise ?

‒ Oh... elle est pas mal celle-là, s'enthousiasma Simon. Laisse-moi réfléchir.

Très peu forte aux devinettes, Sasha avait passé son temps à froncer les sourcils face aux réponses tandis qu'elle surveillait Echo qui trottinait quelques mètres devant eux et sentait tous les brins d'herbes dépassant un peu trop sur la route. Et il commençait à y en avoir beaucoup dans ce monde abandonné. Dès que la chienne s'éloignait un peu trop, la jeune femme sifflait et la rappelait à l'ordre. Echo revenait alors immédiatement à ses pieds, quémandait des caresses puis reprenait ses petites aventures.

Une goutte d'eau tomba sur le front de Sasha, très vite suivi par une autre. Elle leva les yeux au ciel et scruta les nuages à la recherche d'un signe de mauvais temps. Plus tôt tout était dégagé, la journée s'annonçait belle mais personne n'avait remarqué les nuages sombres et gorgés d'eau qui s'étaient formés.

‒ Je sais ! dit Adam après avoir proposé plusieurs réponses avec son frère. Un œuf !

Avant qu'elle n'ait eu le temps de prévenir les autres, le temps tourna et l'averse se déchaina. En quelques secondes, ils furent trempés.

‒ Merde ! Merde, merde, merde !

C'était bizarre comme les gens se mettaient à courir à la recherche d'un abri dès que le déluge s'abattait. Le petit groupe n'était pas différent. Un étrange brouillard commença à se former et les empêchait de voir à plusieurs mètres, il fallait qu'ils trouvent un abri. Cela deviendrait trop dangereux d'être dehors à la merci des infectés sinon.

‒ On y voit plus rien putain !

‒ Là, une maison !

Alors qu'ils courraient tous aléatoirement droit devant eux, Winnie pointa une forme sombre à peine discernable quelque part au loin sur le droite. Le groupe bifurqua immédiatement pour se diriger vers là-bas. Le regard de Sasha voyageait de part et d'autre à la recherche d'Echo mais le brouillard l'empêchait de distinguer quoique ce soit. Même les silhouettes des frères étaient à peine visible. Elle siffla pour rappeler la chienne à ses pieds tout en continuant d'avancer. Un bruit sur sa gauche la fit ralentir, elle fut surprise par l'apparition soudaine d'un infecté. Ce dernier était beaucoup trop près pour qu'elle puisse l'éviter alors sa main attrapa précipitamment le couteau à sa ceinture. Entre temps, le rôdeur avait tendu ses bras et l'avait attrapé par son avant-bras. Il la tirait vers lui en claquant sa mâchoire dans l'espoir de la mordre. Au cours du mois, Sasha s'était nettement améliorée dans ses compétences de combat, elle balaya l'infecté au sol tout en durcissant tous ses muscles afin qu'il ne l'entraîne pas dans sa chute. Au sol et bloqué par un pied sur sa poitrine, il essayait toujours de l'atteindre et agitait furieusement ses bras dans sa direction. Sasha se pencha et lui enfonça la lame de son couteau directement dans son cerveau en passant par son oreille.

‒ Sasha ! l'appela Winnie.

Cette dernière avait dû rebrousser chemin quand elle avait remarqué que Sasha ne les suivait plus. De plus, Echo était apparue de nulle part -sûrement pendant que la jeune femme éliminait l'infecté- et se tenait désormais à mi-chemin entre les deux femmes. Sa langue hors de sa bouche tandis qu'elle lui adressait son sourire de chien.

‒ J'arrive, chope Echo !

Tout en faisant un vague geste vers l'animal, Sasha attrapa son couteau par le manche et tira brusquement dessus pour le récupérer. Elle essuya tant bien que mal le sang tâchant la lame sur les vêtements du rôdeur puis se redressa et rejoignit Winnie et Echo dans un petit trot.

‒ Où sont les gars ?

‒ Devant, ils vont voir si la maison est sûre.

La fameuse maison était un petit bâtiment biscornu et mal entretenu. De ce qui pouvait être vu, elle l'était certainement avant la fin du monde et cela ne s'était pas amélioré par la suite. Cependant il ne servait à rien de faire la fine bouche. La plupart des bâtiments étaient désormais dans des états similaires. Et sur cette route, ils avaient croisé peu de maisons ces derniers kilomètres, le champs des possibles était nettement réduit. Quand les deux filles et la chienne atteignirent finalement la maison, Simon et Adam étaient en train de déplacer deux cadavres de rôdeurs dehors.

‒ Ça va ? demanda immédiatement l'aîné en les scannant des pieds à la tête pour toutes blessures.

‒ Oui. Vous ?

‒ Ouais, la maison est vide. Et semble assez solide pour y attendre que le temps s'améliore.

Désireux de se mettre à l'abri, le petit groupe s'engouffra dans l'habitacle et soupira de soulagement une fois au sec. L'intérieur était plus agréable que l'extérieur, les meubles étaient peut-être dépareillés mais on pouvait voir un effort de créer un cocon. Des dessins d'enfants avaient été accrochés un peu partout dans le couloir et sur le frigo de la cuisine. Une légère odeur de poussière et de pourriture flottait dans l'air mais maintenant tout sentait plus ou moins pareil.

Dès que Winnie lâcha sa laisse, Echo trotta jusqu'au tapis du salon et s'allongea dessus avec son propre petit soupir. Elle se roula sur le dos et gesticula pour se gratter contre le tissu rugueux.

‒ Je vais voir si je peux nous trouver des vêtements de rechange, indiqua l'adolescente en disparaissant dans le couloir.

‒ Et moi je vais fouiller la cuisine pour de la bouffe, ajouta Adam alors qu'il posait son sac à dos sur le canapé et s'éloignait.

Sasha observa distraitement le salon alors qu'elle s'avançait vers le canapé et y posa son propre sac. Elle s'étira de tout son long, son dos craquant agréablement, avant de se laisser tomber sur la surface molle. Le mouvement brusque souleva un nuage de poussière qui la fit tousser. Simon l'imita avec plus de grâce et s'assit sur le fauteuil en face d'elle.

‒ Tu as une idée de la date ? demanda-t-elle alors qu'elle se redressait et jetait un coup d'œil vers le couloir.

‒ Euh, quelque part entre fin août et début septembre je crois. Pourquoi ?

‒ L'anniversaire de Winnie est passé y a quelques mois, chuchota la jeune femme sur le ton de la confidence. Elle m'a dit qu'elle était née le trois mai.

‒ Sérieux ?

‒ Mmh mmh, on pourrait le fêter ? Je sais qu'elle était triste de pas pouvoir le fêter. J'y ai pensé plus tôt dans la semaine pendant qu'on faisait un ravitaillement. Je suis tombée sur des bougies d'anniversaire et je les ai prise avec moi au cas où... t'en dis quoi ?

‒ C'est une super idée Sasha. Ca lui ferait plaisir j'en suis sûr.

Plus tard dans la soirée, tous les quatre étaient réunis dans le salon et partageaient un repas chaud composé de soupe en boîte et de conserves d'haricots. Les faibles lueurs des bougies trouvées dans la maison éclairaient leurs visages fatigués mais rieurs. Dehors, la pluie tombait toujours et créait une mélodie presque apaisante sur le toit. Blottis les uns contre les autres, ils appréciaient la chaleur corporelle qui se dégageait d'eux mais aussi les vêtements propres et secs que Winnie avait déniché pour eux dans les placards des chambres.

‒ Partant pour un petit dessert ? proposa Adam avec une lueur complice dans le regard.

‒ De la soupe, des haricots et un dessert ? Wow, c'est royale aujourd'hui ! s'exclama l'adolescente avec enthousiasme. On a quelque chose à fêter ?

Discrètement, Simon et Sasha se faufilèrent vers la cuisine comme deux adolescents prêts à faire des bêtises. Pendant que l'aîné du groupe déballait leur dernière pop-tart, la jeune femme sortait les bougies bleues et jaunes de ses poches puis les planta dedans. Simon l'aida à les allumer avant de retourner précipitamment dans le salon pour éviter que Winnie se pose des questions. Sasha lui suivait plus lentement afin que les bougies ne s'éteignent pas à cause de ses mouvements.

‒ Qu'est-ce que- ? commença l'adolescente en la voyant arriver.

‒ Joyeux anniversaire Winnie ! la coupèrent les trois autres dans un cri de joie.

‒ Quoi ?

‒ On sait que ton anniversaire est passé depuis longtemps mais ça nous empêchera pas de le fêter, s'empressa d'expliquer Adam. Donc, joyeux anniversaire !

‒ Oh.

Les yeux de la jeune fille devinrent larmoyants alors qu'elle les regardait tour à tour. D'Adam qui était penché en avant et tapotait son genou pour lui apporter du réconfort. À Simon qui l'observait avec un regard presque paternaliste depuis le fauteuil en face d'elle. Pour finir sur Sasha dont le sourire n'avait pas été aussi grande depuis si longtemps. Une main posée sur le cœur et les lèvres tremblotantes d'émotion, elle voulut dire quelques mots mais rien ne sortait.

‒ Allez fais un vœu et souffle avant que je ne me crame les doigts, ordonna la jeune femme qui tenait le gâteau de fortune.

‒ Oh, oui pardon.

Les paupières fermées, l'adolescente réfléchit à un vœu et l'énonça dans sa tête puis se pencha et souffla de toutes ses forces pour éteindre les bougies. Toute la pièce éclata alors en applaudissement, momentanément peu soucieux de faire trop de bruit. Même Echo participa avec son propre aboiement de joie. Simon les rappela néanmoins à l'ordre et caressa la chienne pour la calmer. De son côté, Sasha retira les bougies éteintes du biscuit et le tendit à la star de la soirée en glissant un nouveau « joyeux anniversaire Winnie » plein de larmes contenues.

‒ Merci à tous, pleura cette dernière en acceptant le gâteau d'une main et attrapa celle de son amie de l'autre. Je sais qu'on se connait depuis pas si longtemps mais j'ai l'impression qu'on est une famille maintenant. Je vous aime et je suis contente qu'on se soit trouvé.

‒ Oh Winnie...

Dans un élan non prévu, Sasha et les deux frères vinrent engloutir l'adolescente dans une étreinte pleine d'amour. Au milieu de ses pleurs de joie, celle-ci éclata de rire et leur donna à tous un baiser sur la joue. Quand ils reculèrent pour reprendre leur place, Winnie coupa sa pop-tart en quatre et, malgré les protestations du reste du groupe, partagea son gâteau d'anniversaire avec eux. La soirée continua un moment dans les rires et la joie, comme se déroulaient souvent leurs nuits depuis que les frères Matthews les avaient rejoint.


◇ ◇ ◇

[Interstate 280 ; West Orange, New Jersey ; fin de matinée]

Temps écoulé depuis le début de l'épidémie : 5 mois et 22 jours.


La vision était inhabituelle, et pourtant elle se répétait près de chaque grande ville. Les voies qui menaient à celles-ci étaient complètement désertes, pas une voiture ne s'y trouvait. En revanche, les voies qui permettaient d'en sortir étaient saturées. Les gens créaient un bouchon dans leur quête de fuir leur ville. Chaque fois qu'elle en était témoin, Sasha se posait les mêmes questions : qu'était-il advenu de tous ces gens ? Etaient-ils morts ? S'étaient-ils transformés en un de ses monstres ? Les avaient-elle croisé et tué ? Ou alors ont-ils réussi à s'enfuir et à se mettre en sécurité ? Tant de monde était tombé ces premiers jours... ils ne pouvaient pas tous avoir survécu.

Alors qu'elle essuyait sa bouche avec la manche de sa veste, Sasha tendit sa gourde à sa cadette et jeta un coup d'œil à Simon, il servait un peu d'eau à Echo dans une écuelle. La chienne buvait comme une assoiffée et éclaboussa des gouttes sur l'homme qui ria. Du mouvement vers sa gauche l'attira vers le camping-car sur lequel Adam s'était posté pour scruter l'horizon avec ses jumelles. Il était en train de descendre du véhicule et courait vers eux.

‒ Faut se barrer de l'autoroute ! les pressa-t-il dès qu'il arriva à leur niveau.

‒ Y a quoi ?

‒ Une horde. Elle arrive droit sur nous, et avec ces murs de chaque côté on sera piéger si on reste là.

Sans contester ses affirmations, le groupe rangea leurs affaires, remirent leurs sacs sur leurs dos et se dépêchèrent vers la sortie de l'autoroute à quelques mètres derrière eux. Comme à son habitude, Echo prit les devants et jeta des coups d'œil par-dessus son épaule pour vérifier qu'ils la suivaient bien. Déterminé à les distancer de la horde, le cadet des Matthews les dirigea à travers les rues et les routes pour continuer à avancer en parallèle de l'autoroute. Près d'une demi-heure plus tard, ils avaient traversé un grand terrain de country club, avaient escalader le petit grillage qui le bordait et avaient ralenti leur course jusqu'à s'arrêter complètement à côté d'une église.

‒ Oh wow, on peut dire que mon cardio s'est amélioré, constata Winnie essoufflée. Ma professeur de sport, madame Powell, serait fière de moi si elle voyait ça.

Courbée en avant, ses mains sur ses genoux, Sasha essayait de reprendre son souffle et de repousser la douleur qui pulsait à cause d'un point de côté. Ses yeux ne pouvaient pas se détacher des quelques mots écrits sur le mur de l'église avec du sang -si elle en croyait la couleur maronnasse et l'infecté avachi tout proche et son ventre béant- : réjouissez-vous dans l'espérance et soyez patients dans la détresse ; persévérez dans la prière.

‒ On est où là ? demanda l'adolescente en se redressant et inspirant profondément.

‒ West Orange. Ou South ? Je sais pas exactement.

‒ Vous savez par où on doit aller ?

‒ Absolument pas. Faudrait qu'on trouve un plan.

‒ Cherchons un hôtel de ville, un commissariat ou un truc comme ça, décida Simon qui raccourcissait la laisse d'Echo maintenant que les rues étaient plus étroites. Ils auront bien des cartes épinglées sur leurs murs.

Winnie rechigna à se remettre déjà en route après avoir autant couru et en ayant à peine repris leurs souffles. Cependant, elle se contenta de marmonner quelques protestations et de faire la moue mais attrapa le bras de Sasha et l'entraîna avec elle dans la direction que pointait Adam. Les rues qu'ils traversèrent étaient plutôt résidentielles, avec ces belles maisons familiales dont la jeune mère avait tant envie d'un jour posséder. Il fallait bien entendu faire fit de leurs états délabrés dû à l'abandon, des déchets, du sang projeté et des corps ici et là. Très vite, le groupe tomba sur une route un peu plus large qu'il prit, elle le mènerait sûrement vers le centre-ville et donc faire leur objectif. Hormis quelques infectés qui se baladaient ici et là, la ville était plutôt déserte.

À un moment, l'attention de Sasha fut attirée par une maison à sa droite. Elle ne sut pas ce qui l'avait appelé jusqu'à ce qu'elle voit un rôdeur collé à la fenêtre près de la porte d'entrée. Cela avait été une femme avant, morte dans son sommeil ou dans les heures proches de celui-ci si on en croyait sa robe de chambre maculée de sang. Elle griffait la vitre de ses ongles comme pour tenter de se frayer un passage vers l'extérieur tandis que ses dents claquaient dans le vide. Sans comprendre pour quelles raisons, Sasha était happée par cette vision. C'était comme si les yeux laiteux avaient aspiré les siens et ne voulaient plus les lâcher... La jeune femme n'avait pas remarqué qu'elle s'était arrêtée pour regarder l'infecté jusqu'à ce qu'elle sente un tiraillement venant de la laisse d'Echo. La chienne était manifestement contrariée que la corde était raccourcie et que l'humaine la ralentissait. Sasha secoua sa tête pour se sortir de son état mental et se dépêcha d'avancer et de rattraper son retard sur le reste du groupe, au grand plaisir d'Echo.

‒ Là ! Regardez, appela Adam au détour d'un virage.

À plusieurs mètres devant eux, un pick-up était rentré dans un poteau électrique. Son capot était complètement enfoncé, coupé en deux jusqu'au parebrise brisé. De là où ils étaient, ils pouvaient voir que les airbags avaient été déclenchés dont l'un accueillait le visage du passager. Des traces de freinage étaient visibles sur le bitume entre les cadavres de rôdeurs renversés et montraient une trajectoire peu contrôlée par le conducteur. L'arrière du véhicule était rempli du vivres et de fournitures utiles en temps d'apocalypse alors d'un commun accord le petit groupe décida de s'arrêter pour le fouiller. Pendant qu'Adam commençait à regarder dans les affaires à l'arrière, Sasha confia la laisse de leur chienne à Winnie et suivit l'aîné des frères pour faire le tour du pick-up et achever les potentiels victimes de cet accident. Un rôdeur était coincé entre le poteau électrique et le parechoc. Comme mort pour de bon, il s'éveilla et s'agita vivement dès qu'il les entendit s'approcher. Trop piégé pour les atteindre, cela ne l'empêcha pas de vouloir faire d'eux son repas. D'un coup d'œil à l'intérieur du véhicule, Sasha repéra le conducteur et le passager, immobile mais n'ayant plus rien d'humain physiquement. Simon commença par éliminer l'infecté dehors, on était jamais trop prudent comme il n'arrêtait pas de dire. La jeune femme fit alors diversion, attirant l'attention sur elle pour éloigner ses dents dangereuses de l'homme, pendant que ce dernier se pencha par-dessus les débris du capot et enfonça sa lame bien profondément dans son crâne.

‒ Chacun le sien ? proposa-t-il ensuite en récupérant son arme et indiquant la voiture d'un signe de la tête.

‒ Chacun le sien.

Sasha rebroussa chemin de quelques pas et, couteau à la main, ouvrit avec lenteur la portière passager. Le bruit, même aussi minime, sembla réveiller les morts. Le conducteur, qui était affalé en arrière sur son siège, se redressa tandis que le passager sortit sa tête de l'airbag et commença à émettre leurs râles caractéristiques. Ils ne les avaient pas encore remarqués alors Sasha ne perdit pas de temps et, s'aidant du marchepied, s'élança en avant et planta son couteau dans l'orbite du rôdeur. Immédiatement, le corps tomba sur le côté, seulement retenu par la ceinture de sécurité.

‒ C'est clean de mon côté, tout est bon pour toi Sims ? demanda-t-elle en essayant d'apercevoir de l'autre côté.

‒ Yep. La voie est libre.

Le conducteur fut tiré hors de la voiture et tomba dans un bruit sourd tandis qu'elle vit son ami prendre la place derrière le volant et lui sourire. Victorieux, il souleva de quelques centimètres le fusil de chasse auparavant entre les deux sièges.

‒ Jackpot ! Y a peut-être des balles quelque part, on pourra recharger le nôtre avec aussi.

Après un coup d'œil vers les deux plus jeunes et la chienne pour vérifier que tout allait bien pour eux, la jeune femme détacha la ceinture qui bloquait le rôdeur, l'attrapa par sa veste et le tira hors de la voiture. Elle fit un pas sur le côté et le regarda tomber avant de grimper sur le siège passager pour aider Simon. Les airbags, même un peu dégonflés par le temps écoulé, étaient handicapants alors l'homme était en train de les retirer avec son couteau. Dès que ce fut fait, ils commencèrent à fouiller l'habitacle à la recherche d'affaires utiles. Sous le pare-soleil, Sasha trouva un plan plié en plusieurs fois et avec quelques coups de feutre de ce qu'elle pouvait voir. Elle referma le pare-soleil et déplia le plan. Il s'agissait de Newark et de ses environs. Des lieux étaient entourés avec des feutres de différentes couleurs et des petites annotations à côté. C'étaient essentiellement des supermarchés, des épiceries et autres endroits où on pouvait trouvé de la nourriture. Plus besoin de trouver un commissariat, une caserne ou un hôtel de ville, ils avaient ce qu'il fallait pour continuer à avancer vers New York. Alors qu'elle l'agitait dans la direction de Simon avec son propre sourire victorieux, elle sursauta presque quand Winnie apparut de manière soudaine et sans prévenir derrière l'aîné des Matthews. Ses sourcils étaient froncés d'inquiétude et Sasha pouvait apercevoir leur chienne s'agitait nerveusement à ses pieds, bien qu'elle voyait que le haut de sa tête avec la hauteur excessive du véhicule.

‒ Adam dit qu'il faut qu'on laisse le pick-up et qu'on trouve un abri.

‒ Maintenant ?

‒ Ouais, y a des rôdeurs qui arrivent. Beaucoup de rôdeurs.

‒ Encore ? râla Simon en s'extrayant de son siège.

‒ Ils sont proches ? demanda Sasha tandis qu'elle fourrait le plan dans son sac à dos, les yeux dirigés vers ses amis.

‒ Très.

Adam répondit en se matérialisant à côté des deux autres. La jeune femme attrapa la bretelle de son sac, sauta hors de la voiture et se dépêcha d'en faire le tour pour les rejoindre. Elle arriva au même moment où Simon jura.

‒ On a pas le temps de vider une maison !

‒ Et cette voiture ?

Suivant le doigt de l'adolescente, Sasha vit un van plus loin dans la rue et plus proche des infectés. Ses fenêtres étaient semi-opaques et il était assez grand. Si le groupe se débrouillait bien, il pourrait l'atteindre et s'y cachait sans se faire voir. Pas le temps de réfléchir plus longtemps. Ils s'élancèrent vers le van tout en tuant les quelques rôdeurs qui avaient pris de l'avance sur le reste et qui leur bloquaient de la route. Du coup de l'œil, la jeune femme vérifiait la progression de la petite horde, voyant qu'ils marchaient plutôt vite. Elle pria pour qu'ils atteignent le van avant qu'ils ne soient sur eux.


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