Chapitre 2 - L'enfer, elle connaît
Chapitre 2
L'enfer, elle connaît
Les jours qui la séparaient du début des Jeux lui filaient entre les doigts. Elle n'eut pas souvenir d'avoir jamais eu autant l'impression de ne pas être sa place et d'observer de l'extérieur son corps s'exécuter de lui-même. Le centre d'entraînement était un étrange lieu où elle put encore plus se rendre compte de l'écart entre elle et les autres tributs, à tous points de vues, physique, mentale, technique. Les garçons comme les filles étaient grands et athlétiques pour la plupart.
Il n'y avait, comme elle l'avait compris déjà depuis longtemps, aucune chance.
Alors, elle se contentait de faire le minimum : apprendre des techniques de survie, manier un couteau, les caractéristiques possibles des arènes, le camouflage. En somme, les techniques des faibles, comme disait Kudz lorsqu'ils dînaient tous ensemble. Elle ne s'offusquait jamais frontalement de ses piques, maintenait un visage à l'apparence calme et apathique. Elle pouvait sentir sur elle le regard de Heavenberg qui l'observait comme un médecin étudiant son patient.
Kudz, justement, s'était rapidement rapproché des tributs des troisième et quatrième districts. Il avait tout d'abord tenté de séduire les tributs de carrière. Il avait dû revoir ses plans, ces derniers n'ayant besoin de personne sauf d'eux-mêmes. Le jeune homme se montrait très sûr de lui et très bon dans le maniement des armes.
- Qu'est-ce que tu fais ?
June se retourna, un peu surprise qu'une personne lui adresse la parole. C'était une jeune fille, sans doute de quelques années son aînée, aux cheveux longs attachés.
- J'apprends à faire du feu, murmura June d'une petite voix ennuyée.
- Ça a l'air passionnant...
Elles échangèrent un regard et, sans trop savoir, June lâcha un petit rire.
- Liz, je suis du District 9.
- June, du 12.
Elles se serrèrent la main. Puis, Liz s'accroupit à ses côtés et l'observa frotter frénétiquement un bout de bois en espérant faire de la fumée.
- Tu ferais un feu pour te réchauffer ou pour attirer des tributs ?
June s'arrêta un instant, réfléchissant sincèrement à la question.
- J'imagine que ça dépend de la situation.
- Je ne pense pas que je serai capable de tuer quelqu'un, lâcha Liz après un silence.
- Je pense que ça dépend aussi de la situation.
Liz sourit tristement.
- Tu as l'air d'avoir plus de cervelle que la majorité d'entre eux, en tout cas. On pourrait s'entraîner ensemble, proposa Liz.
June hocha simplement la tête. Une partie d'elle était réticente à l'idée de se faire des alliés si c'était pour avoir à les trahir plus tard. Mais Liz semblait être intelligente également et elle n'avait de toute façon pas d'autres prétendants, au vu de son jeune âge.
Les jours s'echaînaient et une certaine routine s'installa entre les deux filles. Elles se retrouvaient dans la matinée et s'entraînaient sans relâche sur les différents ateliers. June apprit les rudiments du combat avec un bâton. Elle lança également quelques couteaux dont la plupart toucha la cible. Liz lui apprit quelques informations sur les plantes comestibles de son district, tout en se trouvant une affinité avec l'utilisation d'une lance. June se surprit parfois à rigoler avec elle. Elle avait le don d'apaiser l'atmosphère et semblait apprécier la compagnie de la fille de douze ans.
*
- Tu ne manges pas ? lui demanda Heavenberg
C'était le jour du test de leurs compétences pour établir les notes. Elle jaugea son assiette de fruits frais et de tranches de pain croustillant. Il y avait ici ce qu'elle mangeait en un mois parfois. Elle laissa dériver son esprit vers la faim, l'orphelinat, et Colt. Elle ne pourrait définitivement rien avaler ce matin.
- Laisse là, elle stresse alors qu'elle sait déjà qu'elle n'aura pas plus de 2... Elle n'a rien à leur montrer.
- Kudz ! le réprima Topaz d'un œil réprobateur
- Arrêtez de jouer les hypocrites, ça en devient ridicule, pouffa-t-il simplement.
Toujours sans aucune réaction, June se surprit pourtant à tripoter nerveusement son couteau, passant délicatement ses doigts sur la lame. Elle vit que Heavenberg arqua un sourcil et se reprit immédiatement, lançant un sourire poli à Topaz.
- Tout va bien, je ne me sens pas offensée.
- Vous voyez, elle a déjà accepté d'être tuée dès les premières secondes, lâcha Kudz d'un air de vainqueur en quittant la table.
Topaz soupira et entreprit de le suivre pour lui apprendre les bonnes manières. Heavenberg resta bien immobile sur sa chaise à observer la petite fille.
- Quoi ? brusqua-t-elle lorsqu'il commença à la mettre mal à l'aise
- Rien... Qu'est-ce que tu penses leur montrer tout à l'heure?
Elle haussa les épaules, comme si ça n'avait pas d'importance.
- Comment faire un feu.
- Pourquoi tu n'essayerais de leur montrer que tu sais voler, proposa-t-il l'air de rien. Ou quelque chose avec ça.
Il désigna le couteau. Elle se contenta d'une moue circonspect et son mentor sembla s'agacer quelque peu.
- Écoute moi, June. Je ne vais pas te mentir, tes chances sont infimes, nous sommes bien d'accord là-dessus, mais tu as des qualités qu'aucun autre tribut ne possède : tu es petite, intelligente, modeste, stoïque face à la peur et tu connais la faim et le désespoir.
- En quoi c'est une qualité ?
- Tu as toujours vécu dans une arène, tu as toujours faim, tu as toujours lutté pour survivre. En quoi les Jeux seraientt différents pour toi ?
- On n'a jamais essayé de me tuer, il me semble que ça fait une sacrée différente.
Il sourit presque tendrement, comme si elle ne se rendait pas compte de ce qu'elle disait.
- Le capitole essaye tous les jours de nous tuer, toi, moi, Kudz, que ce soit en nous laissant crever de faim dans des districts, ou dans une arène, qu'est-ce que cela change ?
Elle ne répondit rien et laissa un silence s'installer. Elle eut l'impression de voir un certain lien se tisser entre eux, comme si, d'une certaine manière, ils avaient vécu des expériences similaires.
- Je n'ai jamais tué personne.
- Tout s'apprend, June, tuer comme toute autre chose.
- Apprenez-moi alors.
*
Comme annoncé, June eut un petit trois et Kudz écopa d'un huit. June n'était pas vraiment déçu, elle s'y attendait et Heavenberg n'avait pas non plus l'air mécontent, pour une raison qu'elle ignorait toutefois. Liz eut un six ce qui - elle s'en étonna elle même - lui fit plaisir. Kudz ne parla que de sa note et de celles de ses alliés pendant tout le repas. La jeune fille n'avala presque rien encore une fois.
Dans son lit, elle resta éveillé longtemps, observant les lumières de la nuit du Capitole. Il ne restait qu'une journée, une petite journée. Elle ne trouva pas le sommeil, mais il y était habitué. Rien de nouveau sous le soleil. Elle repensa à ce que lui avait dit Heavenberg. Tu as toujours vécu dans une arène.
*
- On va mettre en place une stratégie.
June hocha la tête.
- Je vais être honnête avec toi. La note que le jury t'a décerné ne te permet pas d'avoir de sponsor, au début tout du moins. Le plus crucial va être de rester en vie jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'une dizaine de participants, il faut que tu t'illustres, que tu montres que tu ne fais pas que te cacher.
- Comme quoi ?
- Tu pourrais en suivre discrètement certains, voler leurs provisions.
- C'est dangereux, murmura-t-elle d'un air pensif.
- Pas plus qu'une autre stratégie. Tu peux aussi rester avec la fille du neuf que tu as trouvé.
June pensa à Liz. Devraient-elles essayer de rester ensemble dès le début ?
- Mais je crois pas qu'elle sache voler ou se cacher comme toi, ajouta Heavenberg pour faire pencher la balance.
Il avait raison. Peut-être que cette alliance bénéficierait plus à Liz qu'à elle. Mais l'amitié qu'elle avait commencé à développer pour la fille n'était pas facile à ignorer désormais.
Il l'observa un instant pour guetter une réaction mais elle resta de marbre.
- Tu peux t'en sortir seule. Si j'ai bien appris une chose en étant mentor pendant toutes ces années, c'est qu'il y a une multitude de façons de tuer. En frappant, en égorgeant, en poussant, en empoisonnant. Tu n'es pas obligée d'être plus musclé que ton adversaire, tu peux aussi te servir de ça, reprit son mentor en tapotant sur son crâne. Il suffit parfois de quelques baies, d'une fiole de poison dans un sac à dos, ou d'un couteau.
- Plus facile à dire qu'à faire... Je ne sais pas si j'en serai capable. Tu-tu ne devrais pas perdre ton temps avec moi.
Elle baissa la tête comme si l'affronter du regard était au-dessus des ses forces. Heavenberg se rapprocha d'elle et releva son menton d'un doigt.
- Jeune fille, je perds mon temps avec qui je veux et il se trouve que je préfère mille fois être ici avec toi qu'avec Kudz et son égo surdimensionné, pas toi ?
Elle laissa échapper un petit rire et il lui répondit par un sourire rassurant.
- Je vois quelque chose en toi, un espoir, je ne sais pas comment l'expliquer et ça ne repose sans doute sur rien, mais je suis persuadée que tu peux aller loin.
Elle hocha la tête et essaya de se persuader qu'il avait raison. Le mentor attrapa un objet caché derrière lui.
- Est-ce que tu sais à quoi ça sert ? demanda Heavenberg en posant un buste en silicone sur la table.
- Vous l'avez volé chez les stylistes ?
Il pouffa et claqua des doigts pour ramener son attention.
- Tu n'as pas la force et les muscles des garçons ou des filles qui sont bien plus âgés que toi mais tu es petite, agile et tu peux survivre si tu frappes au bon endroit la première. Ici, il toucha la jugulaire en silicone, un coup sec et personne ne s'en relève.
June toucha machinalement sa propre jugulaire.
- Tu as compris ?
Elle acquiesça.
- Revenons sur la stratégie. Enfuis-toi et cache-toi, concentre-toi sur ta survie, trouve de la nourriture, de l'eau, un endroit sec, tout dépend du type d'arène que tu auras. Ensuite essaye de trouver des cibles isolées pour tenter de voler, de les suivre et... Ce serait bien que tu montres que tu peux tuer, pour les sponsors. Tu en auras besoin dans les derniers instants des Jeux si tu arrives jusque là. Si tu tombes sur Liz par hasard, devenez allié mais dans un premier temps, reste seule.
- Mais si je dois...
- Je pense que tu le comprendras à tes dépens, dans l'arène, mais là-bas ce sera l'enfer, tout le temps, chaque seconde, et parfois on est capable de choses extrêmes quand on vit l'enfer. Tuer Liz ou ne pas tuer Liz, je ne peux que te conseiller de ne pas trop ressasser cette question et d'attendre le moment venu, parce qu'une fois dans l'arène, tu sauras.
Elle n'était pas sûr de comprendre ces mots mystérieux mais il parlait en connaissance de cause, ça se sentait dans son regard désabusé.
June ne vit pas beaucoup Kudz les dernières heures. Il était enfermé dans sa chambre et elle en fit de même. L'interview passa en un éclair et elle n'eut pas l'impression de réussir ou de rater, mais plus d'être invisible, comme si on lui donnait la parole mais on ne l'écoutait pas pour autant.
Il était déjà plus de minuit et elle était assise dans son lit, incapable de fermer un œil, ou de faire cesser le brouhaha qui sévissait dans sa tête. Les 46ème Hunger Games commençaient demain. Elle pensa à Colt. Avait-il compris où elle était ? Les gamins de l'orphelinat n'étaient pas du genre à mentir pour le protéger. Elle espérait qu'il ne regarderait pas les Jeux, qu'il ne la verrait pas mourir, ou tuer. Mais, s'il était difficile de trouver de la nourriture au District 12, il était bien plus aisé de trouver un écran diffusant les jeux. Elle inspira profondément et détailla le plafond de sa chambre. La nuit serait longue.
*
Heavenberg et June se faisait face dans la petite salle avec un espèce de tuyau trônant au milieu. Elle venait de revêtir une tenue qu'un pacificateur lui avait donnée, un pantalon rembourré, un t-shirt et une veste avec de la fourrure à l'intérieur et une capuche. Elle se frottait doucement le bras gauche où un traceur lui avait été injecté.
- Il fera visiblement froid dans l'arène. Attends-toi à de la neige, des températures négatives et des nuits où il gèle.
Elle hocha fébrilement la tête. Elle crut l'entendre rajouter quelques mots mais honnêtement sa voix était presque imperceptible. L'air oppressant glissait sur sa peau, éveillant des picotements d'anxiété s'insinuant dans chaque fibre de son corps. La froideur de l'atmosphère semblait se condenser autour d'elle, un étau implacable qui enserrait sa poitrine, faisant naître un vertige étouffant. Dehors, il y avait la mort qui l'attendait. Des enfants, comme elle, qui se battraient dans un bain de sang. Les secondes s'étiraient en une éternité, chaque battement de son cœur résonnant dans sa poitrine comme le compte à rebours inexorable d'une destinée funeste.
- June ?
Elle sentit une main sur son épaule. Une bouffée d'étouffement la saisit, l'air refusant de rentrer dans ses poumons. Elle chercha désespérément un point d'ancrage, une main invisible à laquelle se raccrocher dans l'obscurité grandissante de sa panique. Ce fut le bras d'Heavenberg qu'elle broya littéralement pour ne pas s'effondrer.
- Calme-toi. Respire.
Elle était incapable de répondre, de bouger, plombée par une paralysie insidieuse. Elle ne pensait qu'à l'arène, ses jambes tremblaient, à Colt, à l'autre bout de Panem, à cette fin qui l'attendait. Chaque inspiration était un défi, un affront à une réalité devenue trop lourde à porter.
- Écoute moi, murmura une voix qui paraissait lointaine, reprends toi, ce n'est pas la fin, tu vas t'en sortir, tu es intelligente, tu peux t'en sortir.
Inspire.
- Je crois en toi, petite fille. Ne l'oublie jamais, dit-il en l'enserrant dans ses bras.
Respire. Elle se laissa aller contre lui et sentit le rythme de son cœur se calmer légèrement.
- Tu vas t'en sortir.
Inspire. Elle laissa ses yeux fermer et se força à verrouiller son esprit.
- Désolé, murmura-t-elle doucement.
Il ne répondit rien et continua de tapoter son dos. Elle se détacha finalement de lui, encore essoufflé par la panique qui s'était emparée d'elle. Elle regarda Heavenberg dans les yeux, ne comprenant toujours pas ce qu'il faisait là avec elle.
- Je voulais vous demander, si-si je ne reviens pas, est-ce que vous pourrez vous occuper de mon petit frère, Colt, il aurait juste besoin de nourriture et d'un toit, rien de...
- Je te donne ma parole, assura son mentor, mais je suis sûr que tu peux t'en sortir, et que tu pourras revoir ton petit frère.
Une partie d'elle eut envie d'y croire. Il avait le don pour être persuasif.
- N'oublie pas, June. L'arène n'est pas si différente de ta vie. Survie à tout prix.
Là-bas, ce sera l'enfer, tout le temps. Et l'enfer elle connaît.
***
Merci pour la lecture !
J'aime vraiment beaucoup cette fanfiction et j'ai plein d'idée, donc je pense qu'elle sera plutôt courte pour que j'arrive à ne pas abandonner haha
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