Chapitre 1 - La moisson
Chapitre 1
La moisson
Le District 12 de Panem avait jadis été une cité minière florissante si on en croyait les quelques anciens encore capables de transmettre leurs histoires. Il était pourtant difficile de se l'imaginer à présent. Les maisons modestes en bois entassées les unes contre les autres, le labyrinthe de ruelles étroites, la poussière noire s'infiltrant dans les corps et les vêtements, décrivaient un tout autre visage, celui d'une région sale et pauvre.
La saleté et la pauvreté, elle connaissait.
Elle passait une bonne partie de ses journées adossée à un mur qui portait sur lui les marques du temps et de l'usure, comme si lui aussi subissait le labeur de ses habitants. Assise sur le sol terreux, elle voyait les silhouettes revenir du marché ou de la plaque, les bras chargés de courses, passant par la veine, l'endroit le plus pauvre du district.
Elle restait contre ce mur parfois des heures, quand l'école refusait de la laisser rentrer car ses vêtements étaient trop sales, ou lorsqu'elle ne voulait pas retourner à l'intérieur des grilles de l'orphelinat. La violence elle connaissait également, les coups de la directrice, Madame Whitetree, lorsqu'elle ne ramenait pas assez d'argent, c'est-à-dire, la plupart du temps.
Les enfants de l'orphelinat avaient tous le même regard vide, comme s'ils avaient abandonné toute forme de vie. Elle n'était pas comme eux, son regard n'était pas vide, bien au contraire, il était rempli d'une multitude d'émotions, qu'on pourrait résumer par un intense et prégnant sentiment de haine. La haine de cet endroit miteux, de cet orphelinat horrible avec ses pensionnaires déjà morts, Madame Whitetree et ses longs doigts, les silhouettes qui ne lui accordaient qu'un regard déshumanisant, les pacificateurs qui la ramenaient entre les grilles.
Il y avait tellement de haine qu'elle se demandait parfois comment il pouvait rester un peu de place pour aimer son petit frère. Colt avait trois ans et il avait la chance de ne pas être assez grand pour se rendre compte de l'enfer de cette vie. Elle mettait un point d'honneur à ce qu'il ne s'en rende pas vraiment compte d'ailleurs, elle trouvait toujours un peu de nourriture par ci par là, qu'elle volait le plus souvent, pour qu'il mange chaque jour. Pour sa part, elle s'était habituée à la faim.
Il y avait deux mois à peine, elle avait atteint l'âge de douze ans et s'était précipitée pour inscrire son nom afin d'obtenir un tesserae, l'équivalent d'une ration de blé et d'huile pour une personne pour un an. En contrepartie, son nom avait été inscrit une deuxième fois sur les listes du tirage au sort des prochains Hunger Games. Sachant pertinemment que Madame Whitetree confisquait une partie des tesserae que les enfants orphelins ramenaient, elle les cachait discrètement dans un coin de la veine où personne n'osait s'aventurer.
Ainsi, ils survivaient. Elle continuait de voler car la ration ne suffisait pas et qu'elle était très douée pour cela. Il y avait toujours les marques des coups de bâton donnés parfois par Madame Whitetree. Elle sentait toujours le regard méprisant et désolé des habitants du District. Mais ils survivaient. Et elle avait appris à ne pas trop en demander à cette vie.
*
June était immobile au milieu des autres jeunes filles de son âge, une robe que l'orphelinat prêtait pour le jour de la moisson. Elle était trop maigre pour que de tels tissus la rendent joli mais elle ne pouvait nier que porter des vêtements propres était agréable.
La grande place du District 12 ne lui avait jamais paru aussi austère alors qu'elle n'y avait pas été plus d'une fois ou deux. Un silence de mort y régnait pendant lequel les possibles tributs se rassemblaient petit à petit.
Elle jeta un coup d'œil derrière elle pour voir Colt avec les autres enfants de l'orphelinat, trop jeunes pour être tirés au sort. Il se tenait droit et regardait ses pieds, attendant simplement qu'on lui dise de retourner à l'orphelinat.
Elle reporta son attention sur l'estrade. Dans quelques instants, ce serait fini. Son nom n'était qu'inscrit que deux fois. Il y avait des adolescents de 17 ans qui avaient des centaines de risques d'être choisi, elle n'en avait presque aucun.
Elle vit quelques personnalités monter, le maire du District 12 qu'elle n'avait jamais vu à un autre moment qu'à la moisson, et accompagné d'un homme d'une trentaine d'années, aux cheveux déjà gris, qu'elle n'avait jamais vraiment pris le temps de regarder. Orion Heavenberg. Il avait gagné les Jeux, il y a longtemps, et semblait toujours un peu ailleurs. L'hôtesse attitrée au District 12, Topaz Ashway, était une petite femme, d'une trentaine d'années, arborant un tailleur rouge criard et les talons les plus hauts que June n'avait jamais vus.
Après un discours du maire et le film sur la construction de Panem et l'origine des Jeux, que June n'écouta ni ne regarda vraiment, l'hôtesse s'approcha du pupitre.
- Joyeux 46ème Hunger Games ! Puisse le sort vous être favorable !
Elle fit une pause comme si elle s'attendait à quelques applaudissements mais ce fut un silence froid qui accueillit ses mots. Alors elle laissa échapper un petit rire gêné de ses lèvres violettes.
- Les dames d'abord.
Elle se dirigea vers la première urne remplie de milliers de petits papiers. Elle releva son bras d'une manière énigmatique. Elle savait que tous ses yeux étaient fixés sur elle, que c'était son moment de gloire. June en eut la nausée.
Elle tira un petit papier qu'elle déplia avec le plus grand soin et surtout le plus lentement possible. June sentit sa gorge devenir sèche. Elle espérait presque parvenir à lire à travers.
L'hôtesse se pencha vers le microphone.
Son cœur s'accéléra.
Deux petites chances, pensa-t-elle, juste deux petites chances.
Comme si ça allait changer quelque chose.
Et, de toute façon, de la chance elle n'en avait jamais eu.
- June Keensand !
Elle resta bloquée une seconde ou deux, incapable de réagir. Elle pouvait entendre les chuchotements, les yeux qui la cherchaient, des murmures de soulagement aussi. Elle essaya de respirer mais elle en était bien incapable.
- June Keensand ? Où es-tu jeune fille ? s'écria la voix de Topaz
Ce fut sa voisine qui la poussa légèrement pour qu'elle sorte du rang. June ne résista pas et un pacificateur attrapa son bras pour la traîner jusqu'à l'estrade. C'était comme si son cerveau avait cessé de fonctionner.
Elle aperçut simplement Colt, au loin, qui la regardait sans comprendre pourquoi on emmenait sa sœur. Elle monta d'une démarche tremblante, son regard s'attarda d'abord sur Heavenberg qui avait l'air bien plus vieux de près, il ne la regarda même pas, puis ce fut l'hôtesse qui s'empressa de l'accueillir. D'ici, June pouvait voir son maquillage, ses ongles vernis, elle pouvait même sentir la douceur de ses vêtements. Elle crut qu'elle allait vomir.
- Quel âge as-tu ?
- Douze ans, répondit elle.
Il y eut des murmures dans la foule. D'un coin de l'œil, elle put voir le Heavenberg baisser la tête.
- Les garçons maintenant, s'écria l'hôtesse.
June balaya l'assistance d'un rapide regard. Personne n'osait croiser ses yeux. Ils fixaient presque tous leurs pieds. Ils avaient toujours eu un certain talent pour rester hypocrites en toutes circonstances. Une vague de haine commença à la submerger et elle s'empressa de tourner les yeux vers Colt qui ne semblait toujours rien comprendre à la situation. Elle le fixa longuement mais ça ne l'aida pas.
- Kudz Everleaf !
Elle sortit de sa rêverie pour voir un adolescent bien plus âgé qu'elle sortir du rang. Il était hésitant et elle pouvait voir d'ici son angoisse. June ne put s'empêcher de remarquer qu'il était grand et musclé, sans doute travaillait-t-il déjà à la mine.
- Quel âge as-tu Kudz ?
- 17 ans.
Il avait une voix grave. Ils échangèrent un regard et elle y vit de la détresse mais aussi une once d'arrogance.
- Nous avons nos deux tributs ! s'écria Topaz d'une voix enjouée. Joyeux 46ème Hunger Games et puisse le sort vous être favorable !
Sur ces belles paroles, l'hymne de Panem retentit dans les hauts parleurs et June crut que ses oreilles allaient exploser. Un pacificateur lui fit signe de quitter la scène. Elle ne comprit pas tout de suite et voulut d'abord apercevoir Colt. Il n'était plus là. Elle fut prise d'un vent de panique. Elle n'avait pas eu le temps de lui dire au revoir.
- Attendez ! Je dois parler à...
- Du calme, murmura Heavenberg d'un ton égal, ta famille va venir te voir.
Elle n'eut pas le temps de répondre, le pacificateur lui attrapa fermement le bras et ils se dirigèrent dans une petite pièce aux fenêtres condamnées. Il y avait une chaise et elle s'assit en fixant la porte fermée devant elle. Il n'y avait aucun bruit. Elle attendit de longues minutes jusqu'à ce qu'enfin un petit garçon pousse la porte.
- Colt, s'écria-t-elle en le prenant dans ses bras.
Le petit garçon ne prononça pas un mot et se contenta de rester fermement accroché à elle. June le serra le plus fort possible comme si, de cette manière, il garderait un souvenir d'elle. Elle inspira profondément pour ne pas risquer de pleurer.
Comment allait elle lui dire au revoir ? Elle n'y avait jamais réfléchi.
- Colt, dit-elle en se détachant de lui, je-je ne vais plus pouvoir m'occuper de toi.
Il ne dit toujours rien.
- Tu vas devoir te débrouiller tout seul. Utilise la cachette de la nourriture si tu as faim mais essaye toujours d'en garder de côté, est-ce que tu comprends ?
- Où tu vas ? murmura Colt
- J-Je dois aller jouer à un jeu.
- Un jeu ?
- Un jeu où je peux gagner beaucoup de nourriture.
- Et tu reviens après ?
Elle ne sut pas quoi répondre.
- Je vais essayer, mentit-elle. Reste avec les enfants de l'orphelinat, ils te diront quoi faire.
Le garçon de trois ans seulement était bien incapable de comprendre la situation mais il voyait dans les yeux de June que ce n'était pas normal. Lorsqu'un pacificateur entra pour signifier que le temps était écoulé, il refusa de quitter la pièce, restant accroché à ses vêtements.
- Il faut suivre le monsieur, Colt.
- Non, je reste avec toi !
- S'il te plaît, Colt.
- NON ! cria-t-il avec des larmes plein les yeux
Le pacificateur attrapa le bras du petit garçon pour le traîner. Il hurla et June sentit son cœur se déchirer en petits morceaux. Elle n'eut même pas la force de tenir sa main et la lâcha.
Elle entendit les cris s'éloigner à mesure que le pacificateur quittait le bâtiment. Elle allait mourir dans deux semaines et il serait seul. Elle allait l'abandonner, comme elle avait été abandonnée et il la détesterait, comme elle avait appris à détester chaque individu.
Il y avait, dans ce monde, des cercles qu'on pensait pouvoir briser mais qu'on finissait toujours par répéter à son tour.
*
Le train était au-delà de tout ce qu'elle avait vu dans sa vie. L'intérieur était un mélange de luxe et de modernité, évoquant un monde auquel elle n'avait jamais pu prétendre. Les parois lisses et lumineuses contrastaient fortement avec les façades froide du District 12. Les fenêtres panoramiques offraient une vue imprenable sur les paysages changeants tandis que le train s'élançait vers le Capitole. Les sièges moelleux, revêtus d'un tissu doux, étaient sans doute les plus confortables qu'elle n'avait jamais vus.
Une table dressée de manière somptueuse, ornée de couverts en argent et de vaisselle délicate attira son attention, tout comme celle de Kudz. Des mets exquis, aux aspects étranges et mystérieux, étaient disposés dans des plats raffinés. Des odeurs alléchantes emplissaient l'air, éveillant ses sens à une variété de saveurs qu'elle n'aurait jamais imaginées. Des plateaux débordant de fruits frais, de pains moelleux et des viandes en sauce. Une nausée s'empara soudain de son estomac et elle dut s'appuyer contre le mur pour ne pas perdre pied. Kudz, quant à lui, se précipita vers la table pour goûter chacun des plats.
- Tu devrais manger June, s'écria Topaz d'une voix haut perchée, le Capitole vous fait une faveur. Tout ceci est rien que pour vous !
- Comme c'est aimable, grinça-t-elle en s'asseyant aux côtés de Kudz.
- N'est-ce pas, répondit l'hôtesse qui, de toute évidence, ne perçut pas l'ironie dans son ton.
June voulut répliquer mais la vision et l'odeur de tous ces plats l'empêchaient presque de réfléchir. Elle attrapa une fine cuisse de poulet et la mangea avec les doigts. Topaz fit une grimace mais ne répliqua rien ce qui soulagea June. Elle était fatiguée. Le poulet était délicieux, sans doute le meilleur plat qu'elle n'ait jamais mangé.
- Alors, comment vont mes champions ? s'écria Heavenberg en entrant dans la voiture
- La nourriture est excellente, répondit Kudz.
Heavenberg arqua un sourcil et se tourna vers June mais elle était concentrée sur son assiette. Elle remarqua une magnifique montre à son poignet.
- Qu'est-ce que vous allez m'apprendre ? demanda Kudz
- Je vais vous apprendre quelques petites choses pour que vous soyez prêt une fois dans l'arène.
Kudz pouffa.
- Je vous en prie, ricana-t-il, j'ai 17 ans, j'ai mes chances. Ne perdez pas votre temps avec elle.
June s'arrêta tout à coup de manger pour relever la tête vers le garçon. Elle ne répondit rien, au fond il avait raison. Mais le mentor ne semblait pas d'accord.
- Je suis votre mentor à tous les deux.
- Si vous voulez la bercer d'illusion, lâcha-t-il en se levant. C'est une orpheline, elle n'a même pas assez de muscles pour tenir un couteau j'en suis sûr...
Kudz ne resta pas plus longtemps et partit en direction de sa chambre, tandis que June se remettait à manger discrètement.
Elle inspira profondément pour garder son calme.
Il est de ton district. Tu n'es pas censé le haïr.
- Ne l'écoute pas, reprit Heavenberg. Tu n'as pas les mêmes atouts mais je suis sûr que nous trouverons des choses dans lesquelles tu excelles.
- Vous croyez ? dit-elle en relevant la montre qu'elle avait subtilisée avec une certaine agilité
Son mentor écarquilla les yeux et toucha instinctivement son poignet.
- Je vois que tu as des ressources cachées... soupira-t-il en reprenant la montre.
- J'ai hâte que vous m'appreniez des choses alors.
Il fronça les sourcils.
- Peut-être que vous pourriez commencer par m'expliquer comment tuer Kudz. Il m'agace.
Elle avait lâché ces mots en le regardant droit dans les yeux et il fut parcouru d'un frisson.
Cette fille... se dit-il. Elle est différente.
Elle avait ce regard des personnes qui cachaient un certain dégoût de la vie et de leurs semblables. Ce n'était pas pour lui déplaire. Il n'aimait pas beaucoup les gens non plus, ceux du Capitole encore moins.
- Nous verrons ça.
***
Un chapitre assez long pour commencer !
Merci pour la lecture ! J'espère que ça vous a plu ! Dites moi tout !
Je vais pas passer beaucoup de chapitres sur les Hunger Games de June je pense. A un moment c'est une fanfic sur Haymitch aussi haha. Mais je me suis dit que c'était important pour s'attacher à June quand même.
A plus pour la suite alors !
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