Merde, merde, merde ! Je serre mon tee-shirt au niveau de mes côtés. Je maudis la douleur qui me tiraille et crache le sang qui empli ma bouche. Scorpius git à présent inconscient, à la merci de l'immense créature. Je dois le protéger à tout prix, je dois me sortir de cette merde, peu importe la souffrance que je ressens. Je jette un regard autour de moi mais ne voit que des cadavres, encore et encore. A part Scorpius, le garçon maladroit et moi, aucun autre n'a survécu. Et cet ange... Ce maudit ange qui nous observe avec un sourire bienheureux, comme si la situation était exquise à ses yeux. Je le tuerais. Je le jure.

Quelques heures plus tôt...

"Je n'avais pas remis les pieds ici depuis une éternité".

Le lac est pareil à mon souvenir : si grand qu'il paraît infini. On avait l'habitude de venir en vacances ici, mes parents et moi. C'est là que j'ai appris à nager et à pêcher pour la première fois. Un lieu chargé de souvenirs. Je me rappelle encore des fois où les parents de Draco l'autorisaient à nous accompagner. Dans ces moments-là, loin de tout, il n'avait plus d'apparence à maintenir. Il devenait enfin lui-même, un garçon plein de vie et capricieux au possible. C'est aussi cet endroit qui a connu notre premier baiser, notre première fois et notre première violente dispute. 

Un soir que j'aurais préféré oublier.

Tout était parti d'une question anodine, de savoir ce que nous étions réellement l'un pour l'autre. De simples amis qui s'embrassent et couchent parfois ensemble ou un couple ? Draco s'était agacé de la question, prétextant qu'on n'avait pas besoin de mettre d'étiquette sur notre relation, mais pour moi, c'était important. Sans ça, l'avenir me semblait incertain. Je m'étais énervé et finalement, nous étions restés en froid tout le reste des vacances. C'était peu avant le drame du lycée.

Mais il est inutile de ressasser le passé. A la place, je jette un coup d'œil à Scorpius qui observe l'étendue bleue avec émerveillement.

"La vue te plaît ?"

"C'est la première fois que je vois un lac en vrai !", s'exclame-t-il, tout sourire. "C'est si grand et si bleu ! Tu penses qu'il y a des poissons dedans ?"

"Oui, c'est même une certitude, j'en pêchais parfois avec mon père".

Scorpius s'approche de moi, les joues rougies, et quémande plus d'informations à ce propos. Son innocence me fascine. Je me demande quelle vie il menait avant tout ça. Il semble ignorer de nombreuses choses pourtant communes. Et sérieusement, qui n'a jamais vu de lac de sa vie ? Je préfères malgré tout m'abstenir de lui poser des questions. Parfois, on souhaite juste vivre l'instant présent sans être sans cesse questionné sur le passé, d'autres fois, on veut juste tout oublier et quitter ce monde. Je lui adresse un fin sourire pour ne pas le laisser entrevoir mes pensées. Ce gamin semble déjà s'être attaché à moi, s'il connaissait mon objectif, je suis certain qu'il en souffrirait.

"Dis Scorp', tu connais la légende du monstre du Loch Ness ?"

Scorpius cligne des yeux avant de secouer la tête, un peu honteux. 

"C'est pas grave, ne t'inquiète pas. Le monstre du Loch Ness est une créature qui vivrait dans un lac. Certains sont persuadés qu'elle existe et des photos ont été prise du dit monstre, même si beaucoup affirment qu'elles sont truquées. Quand j'étais petit, je rêvais de voir un jour le monstre du Loch Ness, mais c'était trop loin de la maison. Alors à la place, mes parents m'ont emmené ici. D'après ce qu'on raconte, ce lac abriterait le Bownessie, le cousin du monstre du Loch Ness. Il ressemblerait à une sorte de serpent des mers géants. Mais j'ai eu beau venir encore et encore à ce lac, jamais je n'ai eu la chance ou le malheur, selon les points de vue, de rencontrer ce monstre".

"I-Il paraît invraisemblable qu'une telle créature loge dans le lac", bégaye une voix derrière nous.

Instinctivement, je place une main sur la garde de mon épée, prêt à dégainer pour protéger Scorpius au moindre mouvement suspect. Mais le garçon qui nous fait à présent face n'a rien de dangereux. Au contraire, il semble gêné et inoffensif, passant d'un pied à l'autre et alternant son regard entre le lac et nous. Je sens Scorpius se rapprocher de moi, sûrement intimidé par le nouveau venu.

"Et tu es ?"

"J-Je m'appelle Neville. Neville Londubat. J'ai croisé les autres participants à l'Épreuve mais ils m'ont fait comprendre qu'ils ne me voulaient pas avec eux... J-Je suis assez maladroit et pas très intelligent, mais je veux aider et être utile dans ces Épreuves..."

J'échange un regard avec Scorpius et voyant que ce dernier ne semble pas en total désaccord avec l'idée, j'acquiesce en direction de Neville.

"Moi c'est Harry et lui, Scorpius. Et pour information Neville, ce qui paraissait encore invraisemblable il y a quelques temps ne l'est plus aujourd'hui".

Il ouvre la bouche pour répondre mais se fait couper par le son d'une trompette. Je lève les yeux au ciel et les plisse devant l'éclat de lumière. Celui-ci est aussi fugace qu'étincelant. Bien vite, il est remplacé par une silhouette androgyne, si bien qu'il est impossible de déterminer si l'être est de sexe féminin ou masculin. Ses cheveux, d'une couleur aussi ardente que la lave, semblent animés d'une conscience propre, bougeant de manière étrange autour de sa tête. Son visage, quant à lui, exprime une certaine tristesse. 

"Ce n'est pas de chance", me souffle la voix d'Asmodée à l'intérieur de mon esprit. "Tomber sur un ange comme Anauel pour la première Épreuve... Peut-être que tu vas trouver la mort plus rapidement que prévu".

Sa voix tremble, mais ce n'est pas d'effroi. Non, je sens qu'il se retient de rire du mieux qu'il peut, comme si tout ça n'est qu'un jeu pour lui, un divertissement et c'est sûrement le cas. C'est un démon après tout, il se nourrit de la misère des hommes. Ça ne me rassure pas pour la suite. Cet ange est-il à ce point dangereux ? Je vais devoir être prudent si je veux protéger Scorpius. 

"Quel chagrin que de vous voir tous réunis ici pour passer cette Épreuve", se lamente l'ange. "Néanmoins Père nous a confié une mission et je me dois d'accomplir la mienne si je veux qu'il lève ma punition".

Sa punition ? De quelle punition parle-t-il ? L'espace d'un instant, son visage change d'expression et ne devient que colère, haine et dégoût. Des sentiments qui nous sont adressés à nous, misérables humains. Ce n'est que le deuxième ange que je rencontre et je me rends compte que l'idée que nous avions d'eux est bien différente de celle que nous imaginions. Ils ne sont pas les êtres bons qui veillent sur nous, non. C'est le contraire, ils semblent nous haïr profondément.

"Ce n'est pas le cas de tous les anges, si cela peut rassurer le petit humain que tu es", soupire Asmodée, cette fois ennuyé. "Certains aiment les créations du gars là-haut plus que tout au monde. Les Archanges en particulier. Mais d'autres ne vous considèrent que comme des nuisances, des créatures que l'on peut tuer et remplacer à volonté. Sympas, hein ?"

Non, c'est tout sauf sympas. J'écoute à demi-mot les lamentations d'Anauel mais mon attention se retrouve happée par certaines de ses paroles.

"Père a laissé sous-entendre que vous deviez nous vaincre pour remporter ces Épreuves. Il y a plusieurs façons de nous battre. En nous combattant directement, bien évidemment, mais cette option-là ne fera que vous conduire à une mort certaine. L'autre choix, dans mon cas, c'est de vaincre ma magnifique création, mon tout-petit à moi, le Bownessie. Ah, pourquoi a-t-il fallu qu'il déplaise autant à Père ? Même si vous n'avez aucune chance de le vaincre, vous risquez de le blesser... J'espère sincèrement qu'il vous réduira à l'état de nourriture avant que cela se produise".

Au moins, ses intentions sont claires. Il ne compte pas nous laisser sortir d'ici vivant. Malgré tout, si nous vainquons le monstre, l'Épreuve sera réussie et il n'aura pas d'autre choix que de respecter les règles. Enfin, en toute logique. Avec eux, rien n'est vraiment certain. 

"Harry, est-ce que battre le monstre est réalisable ?", me questionne Scorpius en attrapant un pan de mon tee-shirt, le visage marqué par l'inquiétude.

"Au moins, ça l'est plus que de vaincre un ange". 

Même si ma réponse n'est pas des plus réconfortante, elle semble le rassurer. Je jette un coup d'oeil à Neville et soupire devant sa pâleur. Je ne sais pas s'il nous sera d'une grande aide, j'espère simplement qu'il sait un minimum se défendre, histoire de ne pas se faire tuer.

Je sors de mes pensées lorsque je sens la terre trembler sous mes pieds. Aussitôt, je me mets en garde et dégaine mon épée. C'est la deuxième fois que je la sors de son fourreau. La première fois que je l'ai reçu, la curiosité m'a poussé à la contempler pendant des heures, à me demander si j'arriverais ou non à la manier. Un sentiment particulier m'avait parcouru en la tenant, sentiment que je ressens une nouvelle fois. Comme si l'épée était animée d'une volonté propre, un peu comme les cheveux de l'ange. C'est vraiment passionnant. Je me place devant Scorpius et Neville et me prépare à l'arrivée du monstre.

Mais il faut croire que l'idée que je m'en faisais était à des lieux de la réalité. Lorsque la créature émerge de l'eau, mon souffle se coupe et mes yeux s'écarquillent. Elle est immense, bien plus grande que ce que les légendes racontent. Ses crocs font bien deux fois ma taille et ses yeux, deux sinistres globes dorés, nous dévisagent avec envie. Je n'ai même pas le temps de dire à Scorpius et Neville de fuir que la créature plonge non loin de nous, attrapant au passage deux autres participants. Ses mâchoires se referment violemment sur leurs corps, éclaboussant les survivants figés de sang. La peur les tétanisent et l'homme au rire gras qui s'en était pris verbalement à Scorpius hurle d'effroi avant de se faire arracher la tête. Derrière moi, j'entends Neville vomir et Scorpius pleurer. Moi-même, qui ne craint pourtant pas la mort, je sens mon estomac se contracter.

C'est ça que nous sommes censés battre ? 

J'ai beau appeler Asmodée, lui demander la marche à suivre, aucune réponse ne me parvient. En gros : à toi de te démerder Harry. 

"On va mourir, c'est fichu. Quoi qu'on fasse, quoi qu'on essaye, les humains sont voués à périr dans tous les cas", se lamente Neville en se balançant d'avant en arrière, accroupi sur le sol.

J'aurais aimé lui dire d'arrêter de penser de façon aussi pessimiste mais je ne peux pas lui donner tort. C'est un combat perdu d'avance. Ma poigne sur mon épée se renforce lorsque je sens les orbes dorées se tourner vers nous. La créature nous a repéré. Elle fond sur nous, les babines barbouillées de carmin et je comprends rapidement que sa prochaine proie n'est autre que Scorpius. Instinctivement, j'attrape son tee-shirt et le pousse pour prendre sa place. Grâce à mon épée, je dévie l'attaque du monstre mais le Bownessie ne me laisse pas indemne pour autant. Une douleur atroce tiraille mon épaule gauche et un liquide chaud s'en écoule. Je n'ose même pas jeter un oeil à la gravité de la plaie. Malheureusement pour moi, avant que je ne puisse reprendre mes esprits, il repique en direction de Scorpius, bien déterminé à en faire son dîner. Cette fois, je ne pourrais pas m'interposer, mais le corps du Bownessie est long. C'est une faiblesse pour lui. Je sens une force soudaine parcourir mon corps et je transperce les écailles du Bownessie avec ma lame. Ce dernier hurle, accablé par la souffrance et s'effondre l'espace de quelques secondes non loin de Scorpius. Le choc du corps de la créature avec le sol a provoqué un second tremblement qui étourdit le pauvre enfant. 

Un filet rouge s'écoule du front de Scorpius et aussitôt, mon sang ne fait qu'un tour. J'ai promis de le protéger, je dois absolument empêcher la créature de se relever. J'aperçois Scorpius prendre appui sur la tête du monstre mais à peine l'a-t-il effleuré que le Bownessie reprend ses esprits et assomme Scorpius. J'esquisse un mouvement pour le rejoindre mais la queue du Bownessie frappe mes côtes violemment, me projetant à quelques mètres de là.

Merde, merde, merde ! Je serre mon tee-shirt au niveau de mes côtés. Je maudis la douleur qui me tiraille et crache le sang qui empli ma bouche. Scorpius git à présent inconscient, à la merci de l'immense créature. Je dois le protéger à tout prix, je dois me sortir de cette merde, peu importe la souffrance que je ressens. Je jette un regard autour de moi mais ne voit que des cadavres, encore et encore. A part Scorpius, Neville et moi, aucun autre n'a survécu. Et cet ange... Ce maudit ange qui nous observe avec un sourire bienheureux, comme si la situation était exquise à ses yeux. Je le tuerais. Je le jure.

La colère m'envahit et mon cerveau se déconnecte. La fureur est plus forte que la raison. Je m'élance vers la créature et j'abats mon épée à plusieurs reprises sur ses écailles. Je la blesse, c'est certain, mais pas suffisamment pour la vaincre. Je suis encore trop faible, je ne maîtrise pas le pouvoir d'Asmodée. Je le sens, là, en moi, prêt à sortir à tout instant, mais la présence de Scorpius et Neville me pousse à le réfréner. J'ai bien peur d'être capable de tuer quiconque se trouvant à mes côtés avec une telle force. Mais je ne m'avoue pas vaincu pour autant. Je dois détourner l'attention de la créature de Scorpius. 

Étonnamment, les mouvements du Bownessie sont plus lents, désordonnés, comme si sa vision n'était plus optimale. Il pousse des râles incompréhensibles et se tortille, comme pour chasser un insecte gênant. Il semble lutter contre une force invisible. C'est le moment. Je dois profiter de cet instant pour en finir. Il suffit de trouver son point faible et-

"À genoux".

Mon corps s'affaisse à l'ordre et je tourne la tête difficilement vers l'origine de la voix.

"C'est de la triche", je grogne en direction d'Anauel qui me dévisage avec férocité.

"Qui a dit que nous devions être franc-jeu ? Vous avez blessé mon enfant trop violemment, quel parent pourrait rester de marbre devant cet affront ?"

"Je te tuerais, c'est une promesse".

"Dommage que tu ne puisses pas honorer une telle promesse. Te voir essayer de mettre fin à mon existence aurait été des plus divertissants. Ta vie se termine maintenant, Harry Potter".

Avec un sourire machiavélique, il ordonne au Bownessie de me dévorer et je sers les dents de colère. Je ne peux pas mourir, pas encore. Pas quand je sais que le prochain sur la liste est Scorpius. Je tente de me débattre contre la force de l'ange mais c'est inutile. La mort semble réellement me tendre les bras cette fois, prête à m'accueillir, mais à la place, une lumière m'aveugle. Je ferme les yeux, sentant mes rétines brûler, et un énorme choc à mes côtés me fait sursauter. Lorsque j'ouvre de nouveau les yeux, la tête de l'immense Bownessie est détachées de son corps et un liquide bleuâtre me recouvre de la tête aux pieds. Sûrement son sang. Je crache de dégoût et me rends compte que je suis de nouveau libre de mes mouvements.

"CE N'EST PAS JUSTE", crie Anauel en se précipitant vers la créature décapitée. "Pourquoi une vertu protégerait des péchés ! Ils devaient mourir, ils devaient être exterminés !"

"Il suffit Anauel", réponds froidement une voix féminine. "Qu'un démon pense à l'anéantissement de l'humanité avant sa cohésion, c'est compréhensible. Mais qu'un ange se permette un tel affront. Nous sommes là pour déterminer si les humains ont le droit à une nouvelle chance. Nous ne sommes pas là pour favoriser leur destruction. Mon incarnation est parvenue à vaincre ton Bownessie et ce, à l'aide de péchés. Ils ont tous les trois joué un rôle dans la mort de cette monstruosité que tu appelles enfant. Je considère l'Epreuve réussie. A présent, pars".

Anauel disparaît à peine ces mots prononcés. Je cherche du regard l'ange qui est intervenu mais ne le trouve nulle part. A la place, tout ce que j'aperçois, c'est Neville, une lame entre ses mains, le souffle haché. Son regard se pose sur moi et il me sourit de soulagement avant de s'évanouir de fatigue. Je le rattrape in-extremis pour qu'il ne se cogne pas la tête contre le sol et l'allonge par terre pour lui offrir le repos mérité. L'incarnation d'une vertu, hein. Ce gars qui tremblait et vomissait quelques instants plus tôt a réussi à vaincre une créature pareille... Il faut une sacrée dose de courage pour y arriver. Peut-être qu'il est le genre de garçon capable d'un courage sans égal dans les situations les plus extrêmes. En tout cas, il a bien mérité son repos et j'ai une dette envers lui. Grâce à lui, Scorpius est sauf.

Avec la force qu'il me reste, je me dirige vers Scorpius et éponge son front avec ma manche avant de dégager gentiment ses cheveux. Sa plaie est moins profonde que prévue. Je sens sa tête rechercher plus de contact de ma part et surpris, je caresse tendrement sa joue. Lui qui n'aime pourtant pas le contact. Ses yeux papillonnent et il lui faut plusieurs secondes pour comprendre que tout est fini. Il sourit, heureux d'être en vie, mais sa bouche tremble de terreur en prenant conscience que ma main se trouve sur son visage. Je me retire aussitôt mais le geste réveille l'ensemble de mes blessures et, comme si c'était le signal, l'adrénaline quitte mon corps et je m'évanouis.