Au départ, je ne réagis pas, je n'en ressens ni le besoin, ni l'envie. Mais par curiosité, je lève une nouvelle fois mon regard le ciel. L'ange et le démon ont disparu et aucun être de leur espèce n'est visible là-haut. Le ciel a retrouvé sa forme initiale et je peux facilement replacer les constellations. Sans bouger, je scrute l'horizon autour de moi et j'aperçois une forme non loin. Rare sont les personnes qui viennent jusqu'ici. Généralement ce sont des fugueurs ou des sans-abris qui n'ont trouvé aucun endroit où dormir. Ils s'installent dans ici pour être au calme et pouvoir pleurer leur triste sort sans personne pour les prendre en pitié ou les critiquer. Mais jamais une personne aussi richement vêtue ne se serait aventurée dans cet endroit. Ça ne peut être qu'un ange ou un démon.

Je le fixe sans un mot, sans un mouvement, ce qui paraît le surprendre. S'attendait-il à avoir plus de réaction ? Le pauvre est malheureusement tombé sur un humain qui n'a aucune foi en la vie et qui préférait accueillir la mort à bras ouvert. Je me demande ce que ça ferait de mourir de ses mains.

"Ce serait une chose fort désagréable, crois-moi. Nous autres sommes loin d'être des tendres. J'ignore même si les humains supporterait une telle mort. Leur âme serait brisée à tout jamais. Mais c'est plutôt surprenant, tu es loin de l'image que je me faisais."

Est-ce qu'il lit dans les pensées ? Je me redresse sur mes coudes pour avoir une meilleure vision de lui, à présent conscient que me tuer n'est pas sa volonté première. Ce ne sera pas encore pour aujourd'hui, il faut croire. C'est assez surprenant. Bien qu'il ne soit pas humain, il y ressemble presque en tout point. C'est un homme séduisant, aux cheveux longs noir et à la peau sans imperfection. Son sourire malicieux, ses yeux semblables à ceux d'un serpent et les deux cornes cachées par ses cheveux m'indiquent qu'il s'agit sans doute d'un démon. Du moins, c'est comme ça que se les représentait Draco le plus souvent.

"Même si tu sembles n'avoir aucun objectif ou de quelconque volonté, tu m'as l'air réfléchi. C'est une bonne chose, la conversation aurait été particulièrement ennuyante dans le cas contraire."

"Vous êtes qui au juste ? Et qu'est-ce que vous me voulez ? Si vous ne voulez pas me tuez, je ne vois pas l'intérêt que vous auriez à discuter avec moi."

"Tu le sauras bien assez tôt. Et détrompes-toi, nous avons tous les deux un intérêt à discuter ensemble. Je voudrais te proposer un marché."

"Quel genre de marché ?"

"Je t'offrirais ce que tu désires le plus dans ce monde en échange de tes services."

Ce que je désire le plus au monde ? Me propose-t-il de me tuer en échange de mes services ? Je distingue son sourire dans le noir et je soupire. Bah, de toute manière, que la mort soit douloureuse ou non, ce sera toujours une délivrance. Et puis, je suis incapable de mettre moi-même un terme à ma vie, donc la proposition me serait bénéfique. Reste à savoir ce qu'il attend exactement de moi. Je le fixe, impassible, et son sourire s'élargit.

"Tout ce que tu as à faire, c'est de signer ce pacte", susurre-t-il en me tendant un parchemin avec une expression amusée. 

Lis toujours les clauses d'un contrat avant de le signer Harry, c'est imprudent de ne pas le faire. La voix de ma mère résonne dans mon esprit et je m'applique à lire chaque ligne inscrite sur le parchemin. Au fur et à mesure de ma lecture, je fronce les sourcils. Est-ce bien ce que je crois ?

"N'y-a-t'il pas erreur sur la personne ?", je questionne le démon en secouant le parchemin.

"Pas la moindre."

"Alors quoi, je fais parti des méchants ?"

"Il n'y a pas de méchants ou gentils, Harry. Simplement des pécheurs et des vertueux."

Je relis la première phrase sans rien laisser paraître. "Harry Potter, l'incarnation de la Colère, s'engage à offrir ses services au démon Asmodée, en échangeant d'un fragment des pouvoirs de ce dernier". La Colère. Pourquoi j'incarne un tel péché ? Je veux dire, je ne suis pas le plus colérique d'Angleterre, c'est certain. D'autres pourraient prétendre à ce rôle à ma place. 

"N'est-ce pas ?", me répond Asmodée en fixant le ciel. "Je connais de nombreux humains sur qui aurait pu peser ce lourd rôle d'incarnation. Et malgré tout, c'est toi qui a été choisi. Parce que ta volonté de mourir, de disparaître de ce monde, n'est que le résultat de cette Colère. Je sais tout de toi Harry. De ce que tu as fait au lycée, de ce qui s'est passé avec tes parents. De tes excès de violence et de tes tendances pyromanes. Finalement, ne penses-tu pas correspondre à ce péché ?"

Ah... Comment pourrais-je le contredire face à tant d'arguments ? Je soupire en continuant ma lecture et ne voyant rien de véritablement alarmant au regard de la situation, j'appose ma signature en bas du parchemin. 

"Au fait, vous avez le droit de passer des contrats avec nous ? Ce n'est pas de la triche ?"

"Crois-moi, Harry, si nous ne passions pas de pactes avec vous, alors vous n'auriez aucune chance de survie."

"Alors, c'est quoi la suite ? Qu'est-ce que je dois faire pour toi pour que tu exauces mon souhait ? Tuer quelqu'un ?"

"Hahaha, un humain qui propose aussi simplement de prendre une vie, comme c'est amusant ! Mais pas suffisamment à mes yeux. Non. Ce que je veux, c'est me divertir. Et pour ça, tu devras passer les Épreuves." 

Les Épreuves ? Il me semble que l'ange et le démon les ont évoqué. Le chemin le plus dur et incertain pour se sortir de cette apocalypse, un chemin qui demande de la coopération avec les autres humains et qui pourra sauver tant les pécheurs que les vertueux. L'espace d'un instant, je me demande pour quelle raison l'on voudrait sauver les pécheurs. Avoir commis un péché devrait enlever aux Hommes le droit de vivre.

"C'est ce que tu penses ?", questionne Asmodée sans se départir de son sourire. "Alors, imaginons un enfant qui vole du pain pour nourrir un cadet qui n'a pas mangé correctement depuis plusieurs jours. Vois-tu en lui un pécheur qui mériterait la mort ?"

"Non, bien sûr que non..."

Il faut avouer que sur le coup, il a raison. Je me tourne vers lui, prêt à lui poser une autre question, mais l'espace à côté de moi est vide. Il a disparu. Enfin, il est sûrement occupé. Asmodée... Je devrais être terrifié à l'idée d'avoir signé un pacte avec un tel démon. Un des princes de l'Enfer, un démon connu pour aimer les plaisirs de la chair. C'est d'ailleurs étonnant qu'il s'intéresse à moi alors qu'il devrait plutôt se soucier de l'incarnation de la Luxure. Bah, passons. Tout ce que j'ai à faire, c'est de passer ces Épreuves. Soit je réussis, j'accomplis la volonté d'Asmodée et je meurs, soit je perds et je meurs. Dans tous les cas, la fin que je désire me sera donnée. 

C'est sur cette pensée que je m'élance vers mon nouvel objectif.

***

D'après Asmodée, les Épreuves ne commenceront que dans deux semaines, ce qui me laisse le temps de rassembler le nécessaire de survie. En d'autres circonstances, peut-être que je me serais laisser mourir de faim, mais l'une des clauses du pacte stipule que le contractant humain n'a pas le droit de se donner la mort lui-même, soit par action, soit par négligence, sinon quoi il sera condamné à l'éternité des enfers. Intelligent et cruel, quand on pactise avec une personne pour qui la vie est un fardeau. Mais sachant que je finirais de toute manière par trouver ma fin, je ne me formalise pas de ce détail.

J'ai réussi à trouver une supérette isolée non loin de chez moi, une qui n'a pas encore été totalement pillée. Déjà trois jours se sont écoulés depuis l'annonce du Jugement Dernier et le monde commence peu à peu à sombrer dans le chaos. C'est fou ce que la peur et la panique peuvent transformer les Hommes. Vols, agressions, meurtres... Je pense que les démons favorisent ces comportements mais même sans, je doute que les humains auraient acceptés de coopérer aussi facilement entre eux. 

Je soupire et remonte mes lunettes sur mon nez, observant les boites de conserves avec intérêt. Pour être honnête, je n'ai jamais vraiment eu besoin de lunettes. Ce n'est qu'après le lycée que j'ai commencé à en porter. C'était une façon de me camoufler, de cacher ce visage que j'étais venu à détester et finalement, je les ai gardé. A présent, je me demande si elles ne seront pas une contrainte en cas de combat. A peine cette pensée effleure mon esprit que ma main se dirige vers ma hanche, là où repose mon épée.

Asmodée me l'a fait parvenir un jour après sa disparition, en même temps que certaines informations. J'avoue avoir ri en voyant l'épée, me demandant s'il était au courant que plus personne ne se battait avec ce genre d'armes. Mais trop de choses ont changé durant ces trois derniers jours. Les anges ont banni les armes à feu ainsi qu'une partie des technologies humaines. Plus de transports, plus de véhicules, plus de réseaux ou d'appareils électroniques. C'est comme si on était de retour au Moyen-Age. Finalement, cette épée était une aubaine et je me suis étonné qu'un démon me l'ait offerte. Après tout, les démons ne sont pas "gentils", alors pourquoi ce présent ?

Je n'en ai pas la moindre idée, encore maintenant.

Bon, c'est décidé, je les enlève, elles sont trop gênantes. Je retire mes lunettes avec une grimace, les plie et les coince dans un rayon de la supérette avant de reprendre mes recherches. Je fourre tout ce qui est utile dans un sac avant de me figer. J'ai entendu un bruit. Si l'on m'attaque maintenant, je pourrais tout simplement me laisser me faire tuer, mais cela serait considéré comme de la négligence par Asmodée. Je serre mon épée et me retourne lentement, près à affronter quiconque se présente à moi. Mais ce n'est qu'un vieil homme souriant, qui lève les mains en signe de paix.

"Où est le gérant de la supérette ?", questionne-t-il d'un ton chaleureux en examinant le comptoir vide.

"Mort. Son cadavre est à l'arrière. Sûrement le résultat d'un pillage. La caisse a été forcée et tout l'alcool ainsi que les cigarettes ont disparu. Les gens n'ont vraiment pas le sens des priorités", je réponds en croquant dans une pomme encore fraiche.

"C'est malheureux."

"Je ne vous le fais pas dire."

Voyant que le vieil homme n'est pas dangereux, je me dirige vers le rayon des bonbons et pique trois paquets différents. Etrangement, la voix de Draco envahit mon esprit et le souvenir de son rire me donne un coup au moral. Quand nous étions au lycée, il se moquait toujours de mon addiction au sucre et pourtant, chaque jour, il m'achetait un nouveau paquet. 

"C'est si bon que ça, les sucreries ?", m'avait-il demandé en observant l'une des friandises curieusement. "Père et Mère disent que ce n'est pas bon pour mon organisme, alors je n'en ai jamais goûté, mais j'avoue y être intéressé". Je lui avais proposé d'en prendre un, mais au lieu de glisser sa main dans le paquet, nos lèvres qui s'étaient rencontrées et sa langue s'était glissée dans ma bouche pour me subtiliser l'un de mes bonbons. Je me rappelle très bien m'être reculé vivement face à son action tandis que lui m'observait, à la fois moqueur et attendri. Arrête de te faire du mal Harry, n'oublie pas. Le Draco que tu aimais t'a abandonné. Je sors de mes pensées, agacé à présent. 

Je me rends compte que l'homme n'a pas bougé de là où il est et qu'il dévisage les citrons d'un œil gourmand.

"Vous devriez être prudent, les gens sont devenus fous. Ils pourraient voir en votre âge une faiblesse et vous attaquer. Vous devriez prendre une arme blanche pour vous défendre au cas où", je lui lance en guise d'avertissement et ses yeux brillent d'une lueur indescriptible.

"Ne vous en faites pas, mon enfant, mais votre sollicitude me touche profondément. Je suis sincèrement navré que votre désir prédominant soit de me recroiser un jour. Pour une fois que j'étais plutôt enthousiaste à l'idée de faire une exception. Enfin, ce n'est pas encore le bon jour. J'ai été ravi de vous rencontrer, Monsieur Potter. Pour une incarnation de péché, vous me paraissez bien intéressant".

Et juste comme ça, le vieil homme disparaît. Est-ce que... Est-ce que j'ai rêvé ? Est-ce qu'il s'agissait d'un démon ? D'un ange ? Non, physiquement, c'était un humain comme les autres. Je reste un peu idiot et ses paroles tournent encore et encore dans mon cerveau. 

Je crois qu'aujourd'hui n'est pas le bon jour pour les comprendre.