Une requête impériale

Altéria, Rymian et Saosa restèrent un instant interdit devant le document cacheté du sceau impérial avant que Gemia ne le ramène à elle et l'ouvre, contemplant probablement pour la dixième fois les caractères tracés qu'aucun des trois novices ne pouvait déchiffrer à cette distance.

- La nouvelle d'un Enartien... exceptionnel, est arrivée jusqu'aux oreilles de l'impératrice. Cette dernière exige que cette personne soit assignée à une mission spécifique à son service.

- Mais vous nous avez dit tout à l'heure que notre nahori ne pouvait pas être assigné à des tâches dangereuses pour le moment, objecta Saosa qui pour une fois ne semblait pas prompte à se jeter dans une mission pourtant d'apparence glorieuse.

- La requête de l'impératrice n'est pas dangereuse à proprement parler. Nous l'aurions d'ailleurs probablement confiée à l'un de vos nahoris. Mais pas à vous trois. Vous exposer à la cour impériale, surtout Altéria, revient à faire de vous des cibles bien plus précocement que je ne l'aurais souhaité.

- Ne pouvez-vous pas envoyer un autre groupe plus expérimenté auprès de l'impératrice tout en disant qu'il s'agit de nous ? proposa Rymian de son côté.

- Je ne mettrai pas en danger les uns pour protéger les autres, répondit la selven dont le ton se durcit légèrement, ceux qui partiront à la poursuite d'un Enartien possédant dix sceaux emploieront des moyens contre lesquels même des novices de deux ans plus âgés que vous seraient mis à mal.

- Mais mettre Altéria qui n'a brisé que deux sceaux au milieu de ce piège est en revanche acceptable ? répliqua Saosa dont le ton côtoyait la limite de l'irrespect.

- Puisque je n'ai pas d'autre choix, oui. Déployer des ressources colossales pour la protéger ne ferait que renforcer l'intérêt que certains auraient pour elle et les pertes que nous encourions.

La réponse de la selven avait été nette et franche, réduisant au silence les jumeaux qui avaient jusque-là tenté de protéger leur camarade. Altéria de son côté leur était reconnaissante d'avoir immédiatement tenté de trouver une solution à l'épineuse situation dans laquelle ils se trouvaient sans jamais remettre en question leur présence dans le groupe. D'aucuns auraient certainement demandé qu'elle soit envoyée seule à la cour impériale, pas Saosa et Rymian. Les farouches jumeaux devaient cependant s'avouer vaincu après la dernière réponse de la Selven du Saphir. Cette femme avait dû évaluer toutes les alternatives possibles avant de se résoudre à envoyer ainsi trois jeunes gens dans la gueule du loup le plus monstrueux qui soit.

- Mon seul moyen de répondre à la requête de l'impératrice tout en vous protégeant tous les trois, c'est de bien choisir ceux qui vous accompagneront.

La Selven Gemia fit un geste de la main et la porte de son bureau s'ouvrit, mue par le mubsat de sa propriétaire devina Altéria, pour laisser entrer deux nouveaux venus. La première était une femme encore jeune, plus petite que Saosa et au physique frêle. Sa peau était claire et ses longs cheveux sombres et raides étaient maintenus par un anneau d'argent en une stricte queue de cheval. Ses longs yeux à la forme effilée, comme ceux de leur camarade Nuo, examinaient déjà le trio de novices avec attention alors qu'elle s'avançait vers eux.

Quelques pas derrière elle, comme pour lui donner la préséance, l'accompagnait un homme comme Altéria n'en avait jamais vu. Plus grand que tous ceux qu'elle avait pu rencontrer, plus grand probablement que son grand-père dans sa jeunesse, ce trait exceptionnel restait la moindre de ses particularités. Ses cheveux d'un blanc osseux encadraient un visage aux pommettes saillantes et aux lèvres si fines qu'on aurait pu douter de leur existence. Si la peau de Saosa et Rymian était pâle, la sienne était livide, faisant ressortir encore plus ses yeux aux couleurs impossibles. Altéria ne put s'empêcher de scruter ces deux globes noirs comme la nuit où un iris blanc apparaissait comme une île nue au milieu d'un sombre océan, percée de l'abîme parfaitement rond d'une sombre pupille. L'homme semblait âgé d'à peine quelques années de plus par rapport aux novices même si son apparence atypique rendait difficile toute comparaison.

La Selven Gemia se leva pour accueillir les nouveaux arrivants. L'homme s'inclina respectueusement tandis que la femme se contentait d'un léger signe de tête auquel la selven répondit du même geste.

- Jeunes gens, déclara cette dernière, je vous présente la Selven Lacemil de l'Obsidienne et Camexen de la division du Bronze. Lacemil, voici les novices dont tu as malheureusement déjà tant entendu parler.

La Selven de l'Obsidienne continua de dévisager un instant les trois novices qui se tenaient face à elle avant de s'approcher sans hésitation d'Altéria.

- C'est elle, n'est-ce pas ? demanda-t-elle en s'adressant à Gemia avec une voix au timbre presque enfantin, le prodige de Niméo.

- Cela sera aussi aisé de le deviner ? se désola Gemia en acquiesçant.

- Les deux autres portent les perles de Thénéan et sont clairement apparentés. Sa peau est encore bronzée du climat de l'archipel et le bijou autour de son cou n'est d'aucune fabrication continentale récente. Un bijou de famille pourrait s'entendre mais ce style remonte d'avant le Règne noir alors à moins de l'avoir volé dans le trésor impérial il ne peut venir que d'un endroit suffisamment reculé pour ne pas l'avoir fait refondre depuis.

- Je ne pense pas qu'elle soit reconnue uniquement par son bijou.

- C'est que tu ne penses pas comme un courtisan, répliqua Lacemil en se tournant vers son homologue, ils le remarqueront bien plus vite que sa peau ou la parenté des deux autres.

- Si elle le dissimule, combien de temps penses-tu pouvoir cacher son identité ?

Altéria porta spontanément sa main à son cou pour protéger le bijou qui attirait tout à coup tant d'attention. Elle n'appréciait pas l'idée de se voir ainsi forcée à abandonner le seul présent de sa grand-mère. La petite selven s'arrêta un instant et détailla les trois novices de la tête aux pieds avant de se tourner à nouveau vers Gemia.

- Je ne le pourrais pas, soupira-t-elle d'un air las, en tout cas pas pour ceux qui la chercheraient spécifiquement.

Les deux selven restèrent silencieuses un instant et la jeune femme centre de toute cette attention s'interrogea sur la possibilité d'une conversation cachée sous le voile du don d'améthyste.

- Espérons que vous parveniez à les protéger malgré tout, finit par conclure Gémia en se rasseyant à son bureau, je ne sais pas si l'impératrice à conscience du danger qu'elle fait planer sur sa fille avec cette décision.

- Elle nous fait toujours porter la responsabilité de la disparition de l'empereur Dornar, expliqua Lacemil les bras croisés, elle reste persuadée que si nous avions mobilisé les plus puissants des nôtres il serait toujours parmi nous. Dans son idée, exiger que nous mettions Altéria à son service est le meilleur moyen d'épargner à la princesse le sort de son père.

- Plutôt d'en faire une victime collatérale, maugréa Gémia qui avait désormais perdu son air jovial si caractéristique.

Durant toute la discussion, Saosa, Rymian et Altéria étaient restés silencieux, glanant là où ils le pouvaient les rares informations que les selvens laissaient échapper. Le dernier témoin de la scène, que Gémia avait présenté sous le nom de Camexen, n'avait lui pas bougé d'un cil, à tel point que quiconque serait rentré à cet instant aurait pu le confondre avec une statue de marbre. La Selven du Saphir se tourna finalement vers les novices qui attendaient fébrilement d'obtenir plus de précisions sur la tâche qui leur était ainsi imposée.

- A partir de demain, vous serez placés sous la supervision de Camexen, qui sera désormais votre nahori. D'ordinaire les nahoris appartiennent spécifiquement à la division du Saphir, mais à situation exceptionnelle...

- Dans une semaine vous quitterez Agathil pour rejoindre le palais impérial, ajouta la selven de l'Obsidienne d'un air sévère. Vous y serez officiellement sous ma responsabilité, même si Camexen restera en pratique votre tuteur. Les détails de ce qui sera attendu de vous ne vous seront communiqués que lorsque vous prendrez la route. Cette situation est la preuve même qu'il existe des réseaux d'informations et de communications qui nous ne contrôlons pas à l'heure actuelle.

- Toutes vos questions devront attendre que vous quittiez la cité, vint conclure Gémia, et pour votre sécurité, je vous conseille de ne pas ébruiter la nouvelle de votre départ.

- Comment expliquerons-nous notre absence à l'entraînement auprès de nos camarades, finit par demander Saosa avec circonspection.

- Grâce à toi nous avons une parfaite excuse pour une sanction, répondit la selven du Saphir et son sourire revint fleurir au coin de ses lèvres.

Altéria sentit sa camarade se raidir à côté d'elle à la mention de sa récente incartade avant de la voir acquiescer sans un mot. La jeune femme de son côté ne se sentait en aucun cas à l'aise avec la situation dans laquelle elle et ses camarades se trouvaient. Elle n'avait jusqu'à présent jamais été responsable que de sa propre survie, ce qui lui arrivait n'impactait pas les autres autour d'elle. Mais désormais tout ce qui la mettrait en danger menacerait aussi les jumeaux qui lui étaient liés pour les années à venir. Et bien que Rymian et Saosa lui aient jusqu'à présent prouvé être bien plus capable qu'elle de se défendre, elle ne supportait pas l'idée qu'ils puissent être en danger par leur simple relation. Un pressentiment que les choses finiraient forcément par mal tourner pour l'un d'entre eux lui restait dans la tête.

La Selven Gemia se leva alors, mettant fin à leur entretien, et invita les novices à rejoindre leurs camarades pour profiter de ce qui serait, pour eux, le seul quartier libre dont ils pourraient profiter. L'impressionnant Camexen les suivit dans leur sortie, tandis que les deux selven reprenaient leurs discussions, qu'Altéria craignait bien être toujours à propos du même sujet. Le retour à l'extérieur ramena à la jeune femme un semblant de calme alors qu'elle profitait enfin à nouveau de l'air libre. L'office pourtant immense de la selven du Saphir lui avait parut se refermer autour d'elle comme un piège à mesure que leur conversation s'était poursuivie, et elle était désormais heureuse de ne voir que le ciel dégagé d'un été déjà bien avancé pour la surplomber.

Lorsqu'ils furent tous sortis, le pâle Enartien tourna vers eux ses iris opalescentes et un timide sourire vint doucement s'étirer sur ses étranges lèvres presque inexistantes.

- Je n'ai pas vraiment eu l'occasion de me présenter, déclara-t-il d'une voix chaude qui contrastait avec son physique si anguleux, je m'appelle Camexen, de la division du Bronze. J'ai été chargé de votre protection à Xephios, et par la force des choses je serai désormais votre nahori. Je vous demanderai de m'excuser mes futures maladresses dans votre apprentissage. Les membres de la division du Bronze sont d'ordinaires des combattants plus que des tuteurs, je n'ai pas vraiment été formé pour le rôle que je vais devoir remplir avec vous.

- Pourquoi avoir été choisi dans ce cas ? demanda Saosa de but en blanc et Altéria put observer du coin de l'œil son frère lever les yeux au ciel.

- Les selvens ont pensé que mes... particularités permettraient d'éloigner une partie de ceux qui pourraient s'en prendre à vous.

- Parce que tu es un combattant ?

Camexen se retourna vers Altéria qui avait posé la question. Cette dernière avait parfaitement compris que les particularités dont il était question ne concernaient pas les aptitudes de leur nahori mais son apparence. Elle avait cependant essayé de ne pas s'apesantir sur le physique étrange de l'Enartien. L'intéressé laissa échapper un léger rire avant de reprendre.

- Non plutôt parce que je ressemble à l'idée que les enfants doivent se faire des monstres qui rôdent la nuit dans la campagne. Pas la peine d'éviter le sujet, mon apparence fait fuir tous les scellés et même parmi les nôtres certains préfèrent ne pas rester trop proches de moi.

Les scellés, comme Altéria l'avait appris depuis son arrivé à Agathil, était le terme qu'utilisaient les Enartiens pour désigner les autres êtres humains, ceux pour lesquels les dons de la déesse restaient à jamais scellés hors de portée.

- Et pour répondre à toute forme de question qui pourrait venir embarrasser nos futures relations, poursuivit Camexen en désignant sa personne entière, ce que vous voyez devant vous est le résultat que l'on obtient quand une apothicaire enceinte continue de tester les onguents et préparations qu'elle élabore pour soigner ses habitués. Une enfance de paria et une vie à se cacher dans l'ombre pour éviter les brûlures du soleil dès le mois des Fleurs arrivé.

- Je suis heureuse de rencontrer un malaimé du soleil comme moi autre que Rymian, s'enthousiasma Saosa.

- C'est agréable à entendre. Je ne vous retiens cependant pas plus longtemps. La journée est déjà bien avancée, allez profiter de ce répit tant que vous le pouvez.

Le trio salua rapidement leur nouveau mentor et, sous l'impulsion de Saosa, tous trois s'enfuirent en courant à travers la cité pour rejoindre la fameuse place du quartier est qui leur avait été conseillée. L'après-midi était largement entamée, comme l'avait fait remarquer Camexen, et l'ombre des montagnes commençait déjà à recouvrir l'ouest d'Agathil. Heureusement quand ils débouchèrent sur la place située au centre du quartier est, le soleil illuminait encore les pavés de pierre et l'objet de leur course.

Au milieu de la petite place d'ordinaire déserte se trouvaient les stands de plusieurs marchands que les novices n'avaient encore jamais vus. Les toiles bariolées protégeaient de la chaleur et de la lumière de nombreux étals qui débordaient encore de marchandises. Fruits, légumes, textiles, articles de maquillage ou de coiffure, bibelots, tout ce dont un marché de grande ville pouvait rêver se trouvait centralisé ce jour sur la petite place d'Agathil. Au milieu de ce marché aux trésors, déambulaient une foule encore dense d'Enartiens, novices ou non, qui profitaient ainsi des biens que les marchands venus d'au-delà des montagnes avaient pu amener avec eux.

En posant quelques questions autour d'elle, Altéria apprit qu'il s'agissait là d'une caravane qui faisait escale une demi-douzaine de fois par an dans la cité énartienne, au gré de leurs pérégrinations à travers l'Empire. Ils étaient ainsi les seuls scellés à obtenir le droit de résidence dans la cité de manière pérenne et entretenaient une relation unique avec les Enartiens. L'hiver, il leur arrivait même de séjourner plusieurs semaines à Agathil si les neiges venaient à bloquer les cols par lesquels ils allaient et venaient dans le grand cirque rocheux et possédaient ainsi un caravansérail qui leur était dédié dans ce même quartier est.

Au milieu de tous les étalages, un petit stand paraissait pris d'assaut par une foule bien plus compacte que sur le reste du marché. Le cœur d'Altéria s'emballa quand elle comprit la raison de cet attroupement. Sous un petit auvent de toile bleue se trouvaient trois hommes et un enfant d'une dizaine d'année. Le petit parcourait avec une vitesse effarante une imposante pile de papiers pliés ou cachetés à la demande des passants, en extrayant parfois un parmi le lot pour le tendre à celui qui l'avait demandé et qui repartait souvent en le serrant vigoureusement contre sa poitrine. Parmi les trois adultes, les deux plus âgés se chargeaient de récupérer les documents qui leur étaient donnés par les Enartiens attroupés autour du stand tandis que le dernier était installé à un pupitre d'écriture où il retranscrivait avec frénésie ce que certains venaient lui dicter. Ces hommes et l'enfant qui les aidait étaient chargés de toutes les correspondances qui avaient pu leur être transmises pendant leur voyage à destination des Enartiens de la cité et inversement. Contre une pièce d'argent, ils se chargeaient de faire parvenir les lettres des guerriers de la déesse à leurs familles dans tout l'empire.

Après s'être assurée auprès des autres marchands moins débordés que la caravane serait encore là pendant quelques jours, et d'avoir eu la certification que les hommes de la tente bleue étaient capables de faire parvenir une missive jusqu'à Niméo si elle venait à leur en remettre une, Altéria reporta son attention sur les autres étals où elle flâna longuement à la suite des jumeaux. Elle n'avait à l'heure actuelle pas d'argent à y dépenser, sa solde minimale fournie par l'Ordre ayant été presqu'entièrement dépensée dans l'achat d'une nouvelle tenue et le peu qui lui restait étant désormais réservé pour envoyer une lettre à ses grands-parents, mais elle aimait ce sentiment de normalité à parcourir ainsi les allées de cet improbable marché. Lorsque finalement les trois camarades eurent fait le tour des étals, ils décidèrent de quitter la cité pour aller profiter des dernières heures du jour sur un promontoire du cirque d'Agathil qui donnait une vue imprenable sur la ville.

L'excursion jusqu'à leur point de vue les mena jusqu'aux dernières heures du jour et ils purent admirer ainsi la cité énartienne encore illuminée tandis que l'ombre des montagnes à l'ouest s'allongeait de plus en plus pour venir l'engloutir. Ce soir-là, le spectacle était saisissant de beauté, tandis que le ciel se paraît de mauve et d'oranges que de longs nuages roses et gris venaient zébrer. L'herbe sèche et jaune de la sécheresse de l'été prenait des couleurs d'or et les murs de la cité se teintaient de bruns et d'ocre chauds. Le soleil emportait avec lui les dernières chaleurs de la journée tandis qu'une brise fraiche venait balayer le cirque de sa froide caresse. De là où étaient les trois camarades, aucuns des sons de la ville ne parvenait. Ni la clameur du marché de la place de l'Est, ni les bruits des forges des remparts, ni l'agitation des terrains d'entraînement des novices. Seuls les chants des oiseaux et des herbes balayées par le vent perçaient le silence du crépuscule.

En jetant un œil à ses camarades, Altéria put voir que Saosa s'était allongée dans l'herbe un peu en amont du promontoire et paraissait dormir paisiblement. Rymian en revanche, s'était assis sur une pierre plate et sortait de sa besace un grand carnet aux pages usées d'avoir été tournées ainsi qu'une étrange trousse de cuir.

- Altéria, je peux te demander un peu d'eau s'il te plaît ? quémanda ce dernier en désignant un petit godet de corne recouvert de cuir.

La jeune femme acquiesça et, d'un geste, poussa le Nolensat à condenser l'humidité ambiante de cette fin de journée pour venir s'écouler en un fin filet dans le récipient tendu. Après un geste de remerciement fugace, Rymian s'installa en tailleur, le carnet ouvert sur les genoux, et entreprit de déballer les instruments de sa trousse de cuir. Il s'agissait là d'un pinceau et de quelques petites boîtes de métal contenant ce qu'Altéria finit par reconnaître comme étant des pigments de couleur. Sans prêter attention à celle qui l'observait, Rymian se mit alors à mélanger couleurs et eau, avant de venir marquer le papier vierge de son carnet.

La jeune femme vint doucement s'installer près de lui et se laissa absorber par la beauté de l'ouvrage de son camarade. Par petits gestes précis, couleur après couleur, Rymian donnait vie au paysage qui s'étendait en contrebas. Sous ses coups de pinceaux, les remparts d'Agathil s'érigèrent sur le papier immaculé, presque menaçants. Puis l'océan de verdure qui l'entourait vint adoucir les reliefs militaires de la cité et le pinceau vint tracer en un seul geste expert le sombre cours de la rivière qui traversait le cirque. Les mêmes ocres et pourpres vinrent colorer le ciel de papier que celui qui les surplombait et, un instant, Altéria trouva la vision peinte par Rymian plus belle encore que celle qui leur avait été donné d'admirer.

- J'aimerai savoir faire ça, déclara-t-elle dans un souffle, mais je n'aurais jamais autant de talent que toi.

- Il suffit de savoir observer et de se lancer, répondit Rymian sans lever les yeux de son ouvrage, mes premiers dessins étaient catastrophiques. Il ne faut pas s'arrêter parce que ton premier essai n'est pas parfait, il faut continuer pour pouvoir s'améliorer.

- Tu fais cela depuis longtemps ?

- Très longtemps.

Pour prouver ses dires, le jeune homme vint tourner avec précaution les pages de son carnet tout en maintenant celle sur laquelle il travaillait séparée des autres. Altéria vit ainsi défiler sous ses yeux ce qu'elle comprit être les paysages enneigés de Thénéan et du Kulel l'hiver. Il y avait aussi des plantes, des fleurs, des bâtiments et au milieu, souvent, le visage d'une femme. Une femme aux yeux noisette et aux cheveux cuivrés qui, bien que la qualité des différents dessins témoignât du temps qui passait pour leur auteur, ne semblait jamais vieillir. Altéria ne dit rien, feignant de ne pas avoir remarqué ce fantôme qui hantait les pages du carnet de Rymian. Elle reporta alors son regard sur le spectacle de la cité que l'obscurité commençait à engloutir et essayer d'imaginer quelles formes et quelles couleurs son camarade peindrait lorsqu'ils arriveraient à Xéphios.

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