Expériences Maritimes
Pour la première fois de sa vie, la jeune femme put contempler l'île où elle avait grandi. Elle se rendit compte de l'immensité du volcan qui en pratique représentait la majorité de la surface de Niméo et comprit que, contrairement à ce qu'elle avait souvent pensé, le temple abandonné n'était en aucun cas situé à mi-chemin du sommet. Vue de loin, l'île était une tâche vert sombre au milieu de l'océan turquoise surmontée de la silhouette sombre du géant endormi. Saisio ne formait qu'une pointe blanchâtre à la pointe de Niméo.
- Ça va ? vint s'élever la voix de Nanthamo à côté d'elle.
- Ça ira, répondit-elle en s'efforçant de cacher l'émotion qui l'envahissait, c'est juste que... j'ai toujours rêvé de partir. Et maintenant que ça arrive, je ne suis pas sûre de faire le bon choix.
- Quelqu'un comme toi ne pouvait pas rester sur cette île.
- Pourquoi ?
- Trop de potentiel pour un endroit aussi calme. Tu aurais fini soit par t'éteindre de toi-même et ne jamais briser tes sceaux, soit par devenir un danger pour les autres le jour où tu les aurais brisés. Laisser sans guide quelqu'un avec ce genre de capacités que nous possédons, c'est risqué.
- Si c'est tellement dangereux pourquoi ne réaliser l'appel qu'à vingt ans, demanda Altéria d'un air surpris, de ce que tu m'as expliqué beaucoup brisent leurs premiers sceaux bien avant.
- C'était le cas autrefois, expliqua Nanthamo en s'accoudant lui aussi au bastingage, avant les Enartiens retrouvaient les leurs le plus tôt possible, dès que leurs pouvoirs se manifestaient.
- Pourquoi avoir arrêté ?
- Ieza pourrait mieux te répondre que moi. De ce que j'en ai compris l'idée était qu'en laissant les futurs Enartiens grandirent auprès de leurs familles ils en apprennent les valeurs et les enjeux. Ils sont plus à même de comprendre les problématiques des gens qu'ils défendent. Alors que si tu élèves tous ensemble des enfants avec des pouvoirs supérieurs aux autres humains, ils ne se sentiront jamais comme appartenant au même peuple qu'eux. Cela a dû amener à des dérives dans le passé.
Altéria imaginait parfaitement la sensation de détachement des autres qu'avaient pu ressentir ces enfants extraordinaires. Elle se demanda alors ce qu'elle serait elle-même devenue si ces sceaux s'étaient brisés auparavant. Aurait-elle été plus acceptée ou alors plus crainte encore. Aurait-elle profité de ses capacités pour s'assurer une place différente sur l'île. Minéa aurait-elle osé l'attaquer.
- Bon, le spectacle va rester le même pendant un moment, déclara Nanthamo en la tirant de ses réflexions, je te montre ta cabine ?
- J'ai une cabine personnelle ? demanda la jeune femme avec étonnement.
- A moins que tu n'aies envie de passer toutes tes nuits avec un équipage de marins bruyants. Et soldats en plus de cela.
- Ça change quelque chose qu'ils soient soldats ?
- Tu peux rajouter au niveau sonore de base les combats d'entraînement réguliers dans leurs quartiers, expliqua le jeune homme avec un sourire non dissimulé.
Brûlant de le questionner sur la familiarité que son compagnon avait avec le monde marin, Altéria se retint cependant et choisit plutôt de le suivre vers les cabines des passagers. Sur le chemin, tous les membres de l'équipage qui les croisaient les saluaient respectueusement d'un signe de tête et s'écartaient rapidement pour les laisser passer.
- C'est toujours comme ça ? finit par interroger la jeune femme en avisant un marin qui avait dû se hisser sur le bastingage pour qu'ils puissent descendre les escaliers côte à côte.
- Avec les militaires oui, ils nous respectent autant pour nos capacités que parce que nous sommes, comme eux, des guerriers.
- Je n'ai pas bien compris tout à l'heure, le commandant a appelé Ieza Mar alors que toi tu l'as appelé Setven...
- Selven, corrigea Nanthamo, c'est son titre exact mais le commandant est trop loin des hautes sphères pour connaître ce genre de choses.
- Mar, selven, nahori, énuméra Altéria en réfléchissant, ce sont des mots que je n'avais encore jamais entendus.
- Comme je te l'ai dit hier ces mots viennent de l'ancienne langue d'Orlegon, parlée au moment de la fondation de notre ordre.
- Tu veux bien m'expliquer ?
- Tu ne veux pas déjà voir ta cabine et y poser tes affaires ?
La cabine en question, située sous la dunette d'où ils venaient, était une petite pièce à l'ameublement restreint. Une couchette suspendue sous une fenêtre en occupait l'essentiel de l'espace, une petite table et sa chaise venaient compléter le mobilier. Altéria resta un instant sur le seuil de la pièce sans oser y pénétrer. Bien que le confort y soit rudimentaire c'était la première fois que la jeune femme était logée dans une pièce qui lui soit dédiée et celle-ci était bien plus grande que sa sous-pente. Le lit était muni d'une paillasse propre et bien fournie sur laquelle elle vint s'asseoir quelques secondes avant de poser son sac de voyage à côté. Elle observa ensuite avec attention la table située juste à côté.
- Je n'ai jamais vu personne dévorer du regard une table en bois, se moqua Nanthamo accoudé à l'embrasure de la porte.
- J'essayais d'imaginer ce qui avait pu être rédigé sur cette table, des mémoires, des lettres à des familles, des ordres militaires.
- Plus vraisemblablement des listes d'équipage, avança l'Enartien après une seconde de réflexion, c'est normalement la cabine du quartier-maître qui est descendu s'installer sous le pont pour le trajet.
Altéria se leva immédiatement du lit, gênée d'avoir fait déplacer un membre de l'équipage suffisamment gradé pour avoir sa propre cabine.
- Je peux dormir ailleurs, s'affola-t-elle.
- Non, répondit simplement son compagnon, déjà parce qu'il n'y a pas d'autre cabine de disponible. Et ensuite parce que je pense que c'est pour lui un honneur de prêter sa cabine à une Enartienne.
Entendre ce terme lui être appliqué fit une étrange impression à Altéria, un sentiment de culpabilité mêlé de fierté. Elle ne pouvait se cacher que le mot était désormais approprié pour la décrire, ou tout du moins les autres le pensaient-ils. Pourtant elle ne parvenait pas à se détacher de l'idée que rien n'avait changé depuis la veille et qu'elle restait dépourvue de la moindre capacité. Le spectacle précédent d'Ieza n'avait d'ailleurs pas amélioré cette impression. Devinant probablement son trouble, Nanthamo s'approcha d'elle et vint la prendre par le bras.
- Je te fais visiter ? Au cas où tu voudrais t'aventurer seule sur le navire. Je préférerais que les hommes ne te retrouvent pas perdue au fond d'une cale.
- Partante pour la visite guidée, répondit-elle en choisissant d'ignorer sa provocation.
Laissant dans la cabine l'intégralité de ses possessions, la jeune femme s'élança à la poursuite de l'Enartien qui commença à lui faire à arpenter le navire de la poupe à la proue, descendant sous le pont et jusque dans les cales. L'Enartien semblait connaître par cœur tous les recoins du vaisseau ainsi que les membres d'équipage. Altéria quant à elle essayait de mémoriser le plus possible d'informations bien qu'elle sût rapidement qu'il lui faudrait plusieurs jours pour être à l'aise ne serait-ce qu'avec l'architecture du navire. Alors qu'ils étaient revenus sur le pont et que son compagnon se dirigeait avec entrain vers la proue du navire tout en continuant ses explications, la jeune femme finit par s'arrêter.
- Comment sais-tu autant de choses sur la marine ? interrogea-t-elle, et qui plus est sur la marine militaire.
Le jeune homme se renfrogna un peu et ralentit le pas, la laissant revenir à sa hauteur.
- Mon père est commandant de la marine impériale alors j'ai plus ou moins grandi sur des navires comme celui-ci, expliqua-t-il d'une voix sombre, avant de rejoindre l'ordre j'avais passé plus de temps en mer que sur terre.
- Ça n'a pas l'air d'être de si bons souvenirs. Tu donnes pourtant l'impression d'être si heureux d'être en mer.
- J'aime naviguer, répondit l'Enartien en balayant du regard le navire et l'océan qui l'entourait, j'ai adoré chacun des jours que j'ai passé à bord d'un bateau. C'est avec mon père que j'ai une relation... complexe.
- Je suis désolée, s'excusa Altéria, je ne voulais pas aborder un sujet si personnel.
- Hé ! C'est moi qui te balade depuis des heures à te montrer tous les recoins de ce bateau. Si je n'avais pas voulu risquer que le sujet de mon père ne soit abordé je n'avais qu'à me contenter de te montrer ta cabine.
Soulagée de voir le jeune homme retrouver son enthousiasme, Altéria se détendit et jeta un œil aux alentours du navire. C'est alors qu'elle remarqua que Niméo n'était plus visible d'aucune part et cette prise de conscience l'ébranla. Jusqu'à présent son départ, bien que de plus en plus perceptible, lui semblait provisoire, irréel. Tant que l'archipel était en ligne de mire elle pouvait se convaincre qu'il ne s'agissait que d'une balade en mer au-delà du récif coralien comme le faisaient parfois certains pêcheurs de gros poissons. Mais désormais, alors qu'elle se retrouvait seule au milieu de l'immensité de l'océan, les faits venaient la percuter avec toute leur vérité crue. Elle avait quitté Niméo et ne pouvait plus rebrousser chemin.
Cette pensée lui donna immédiatement le vertige. Sentant sa tête se mettre à tourner, la jeune femme vint s'appuyer sur le bastingage pour essayer de ne pas tomber. Son cœur s'emballa dans sa poitrine et elle eut l'impression que l'air qui pénétrait de sa poitrine ne parvenait pas à la faire respirer. Le pont du navire sous ses pieds lui sembla moins stable et une sensation de terreur vint la submerger. Toutes les craintes qu'elle avait repoussées depuis la veille, toutes les questions auxquelles elle ne voulait pas donner de réponse vinrent l'assaillir comme une gigantesque vague dans laquelle elle se sentit se noyer. Reviendrait-elle un jour, dans combien de temps reviendrait-elle, que se passerait-il pendant qu'elle serait absente, ses grands-parents pourraient-ils se débrouiller sans elle, pourraient-ils subvenir à leurs besoins. Et s'ils se blessaient qui pourrait les aider, et si quelqu'un profitait de leur âge pour les chasser de leur maison, et si elle ne revenait pas à temps pour les revoir. Et si, et si...
Altéria sentit ses jambes lâcher sous elle et la douleur du contact brutal du bois sous ses genoux. Mais même cette sensation ne parvint pas à la tirer de la spirale infernale dans laquelle elle se trouvait. Chaque question entraînait la suivante, resserrant autour d'elle l'impression qu'elle ne retrouverait jamais l'île sur laquelle elle avait grandi. Chaque question semblait une corde de plus enserrant sa poitrine et l'empêchant petit à petit de respirer. Même la voix de Nanthamo, incompréhensible au loin, ne parvenait pas à l'arracher à son tourment. C'est finalement la voix d'Ieza qui claqua dans son esprit, tranchant avec précision à travers le voile des idées qui menaçait de l'étouffer.
- Assez ! Calme-toi.
- Je n'y arrive pas, s'entendit-elle répondre d'une voix haletante.
- Arrête de te focaliser sur ta peur ! Concentre-toi sur ce que tu ressens ! Sens le bois sous tes genoux, le tissu de ta tenue sous tes mains. Sens l'odeur du sel de la mer et de la résine des planches. Cherche le bruit des vagues et du vent dans les voiles.
A mesure qu'elle suivait les consignes de l'Enartien, Altéria parvint à se raccrocher petit à petit aux sensations qui revenaient à elle, éloignant doucement la tornade qui l'emprisonnait jusqu'à présent. Sa respiration devint plus lente, plus ample à mesure que le calme s'installait à nouveau en elle. Finalement, sa vision s'éclaircit et elle put voir qu'une grande partie de l'équipage, en plus des deux Enartiens, se tenait autour d'elle avec un regard inquiet. Face à elle, les yeux d'acier d'Ieza la fixaient avec intensité. Elle perçut de nouveau sa voix mais sans que les lèvres du vieil homme ne bougent.
- Très bien, annonça-t-il de sa voix toujours aussi calme mais autoritaire, maintenant je veux que tu expires une fois le plus longtemps possible. Je veux que tu souffles toutes tes sensations avec cette expiration. Je veux que tu vides ton esprit et que tu te laisses aller entièrement.
Altéria n'eut même pas l'idée de demander la raison de cet ordre précis et s'exécuta. Elle inspira d'abord profondément, sentant le goût du sel sur ses lèvres, puis expira et ne se concentra que sur ce souffle qui s'échappait d'elle. Alors qu'une seconde auparavant elle aurait pu parier qu'elle était déjà parfaitement détendue, elle sentit quelque chose lâcher dans son esprit. Comme si elle venait d'ouvrir la main sur un objet qu'elle avait serré avec tant de force que son empreinte invisible restait perceptible pendant quelques secondes dans ses muscles. C'est à cet instant que la vague frappa.
Balayant le pont du navire, faisant craquer le bois et trembler les cordages, une déferlante d'eau salée vint s'écraser sur eux comme en pleine tempête. La puissance de l'eau la projeta contre le bois du pont, l'écrasant de son poids, avant de se retirer en douceur. Lorsque la jeune femme releva la tête, l'eau ruisselant encore sur son visage, elle put constater que les membres de l'équipage qui s'étaient reculés au moment de la vague en avait été protégé par les Enartiens qui avaient cristallisé l'eau avant qu'elle ne recouvre tout le pont. Se relevant avec difficulté, ses vêtements trempés d'eau de mer, Altéria jeta un œil derrière elle sur le bastingage pour constater que l'océan était toujours aussi calme qu'elle l'avait vu quelques minutes auparavant.
- Qu'est-ce que... commença-t-elle avant que ses deux compagnons ne se retournent vers elle.
- Viens, la coupa Nanthamo en l'attrapant par le bras, je vais te montrer.
Alors que ses deux jeunes compagnons s'éloignaient, l'aîné entraînant la cadette, Ieza adressa un regard étonnamment doux à Altéria avant de se retourner vers le commandant qui ordonna rapidement à l'équipage de reprendre ses activités. Se dirigeant vers le mat principal, Nanthamo saisit l'échelle de corde qui menait vers le sommet et jeta un œil à sa compagne.
- Tu te sens de monter ? lui demanda-t-il avec une vraie inquiétude dans la voix.
La jeune femme avisa la hauteur du mât et le fin réseau de corde qui permettait de monter à son sommet. Bien qu'elle ait eu l'habitude de grimper dans les arbres de Niméo, peu étaient aussi haut que l'imposante structure. Ses jambes lui semblaient encore faibles et le fracas de la vague avait réveillé toutes les douleurs des contusions de la veille.
- Je peux t'aider si tu veux, poursuivit Nanthamo en la voyant hésiter.
- Je devrais réussir à monter, répondit-elle en essayant d'afficher une assurance de façade, si ça ne bouge pas trop.
- Je vais monter avant toi, comme ça l'échelle de corde ne sera pas déséquilibrée.
Aussitôt qu'il eut prononcé ses mots, l'Enartien entreprit d'escalader le mât jusqu'à son sommet avec une agilité similaire à celle des membres de l'équipage. Il donna une telle impression de facilité à se mouvoir dans le filet de corde qu'Altéria fut persuadé qu'il y était aussi aisé de se déplacer qu'au sol. La réalité la rattrapa lorsqu'elle mit à son tour pied à l'échelle.
Certes les mailles du filet étaient bien plus régulières que les ramures des arbres qu'elle avait l'habitude d'escalader mais ces derniers présentaient l'avantage d'être rigide. La structure de cordages était pareille à un étrange animal qui réagissait au moindre de ses mouvements. Chaque fois que la jeune femme semblait avoir trouvé son équilibre et s'étendait pour saisir une prise plus haute le filet tremblait et se tordait, l'emportant dans des contorsions inattendues. L'exercice n'était pas difficile en soit, mais il était épuisant de stabiliser l'échelle à chaque mouvement.
La jeune femme finit cependant par atteindre le sommet où Nanthamo l'attendait sur une plateforme suspendue en haut du mât.
- Et voici la fin de notre visite guidée, annonça-t-il en écartant les bras pour désigner la plateforme, bienvenue sur la vigie.
Altéria finit de se hisser sur l'étroite surface de bois en grognant de fatigue et resta assise un instant, les pieds au bord du vide. Un regard en bas lui apprit qu'une chute de cette hauteur ne serait en aucun cas une bonne idée et elle se recula en vitesse contre le mât. L'Enartien vint s'asseoir à côté d'elle.
- Tu t'en sors bien pour quelqu'un dans ton état, déclara-t-il en regardant la jeune femme reprendre son souffle tout en jetant régulièrement des coups d'œil vers le pont en contrebas.
- J'ai l'habitude des tâches épuisantes, expliqua-t-elle le souffle court, grimper dans les tabuliers n'est pas non plus une partie de plaisir.
Le silence retomba entre eux tandis qu'à l'horizon le soleil commençait à plonger doucement dans l'océan, inondant de reflets d'or le sommet des vagues. La rigidité de ses vêtements chargés de sel séchant sous le vent rappela cependant rapidement à Altéria la raison primaire qui les avait poussés monter à la vigie.
- La vague qui m'a renversée, c'était toi qui l'as provoquée ? demanda-t-elle d'une voix douce, ne souhaitant pas donner une impression de rancœur à son compagnon.
- Tu me permets de faire quelque chose que je t'ai dit que je n'avais pas le droit de faire ? demanda-t-il en retour en se tournant vers elle.
Intriguée, la jeune femme hocha la tête et vit Nanthamo tendre la main vers son bras gauche. Il défit d'un geste le lacet du bracelet de cuir qui enserrait son poignet et le retira en douceur. Le temps se suspendit lorsque la lumière se posa sur la peau d'Altéria, révélant au milieu des tâches de couleurs mates un unique point brillant, comme un saphir enchâssé dans la peau bronzée.
- La vague c'est toi qui l'as créée, annonça Nanthamo en tenant avec douceur le poignet de la jeune femme à la lumière. Tu n'as pas dû le voir mais tu as généré une vague qui atteignait la mi-hauteur du mât. C'est pour ça que l'équipage était autour de nous. Ce sont eux qui sont allés chercher Ieza, de peur que tu submerges le navire.
Altéria ne dit rien pendant de longues minutes, observant son bras, comme hypnotisée par le faible reflet du sceau brisé. Des dizaines de questions se bousculaient à nouveau dans sa tête, comme la veille lorsque les sceaux étaient apparus pour le première fois. A nouveau, la seule question qui parvint à franchir ses lèvres fut un unique mot.
- Comment ?
- Tu te souviens qu'hier je t'ai dit que les sceaux se brisaient parfois dans des situations d'urgence immédiate ? Je pense que, quoi qu'il se soit passé en bas tu t'es sentie suffisamment en danger pour qu'un de tes dons se manifeste. Et puisque nous sommes au milieu de l'océan il semble logique que le Nolensat ait été celui-là.
- J'aurais pu couler le navire, souffla la jeune femme avec horreur, j'aurais pu tous nous tuer.
- La première manifestation d'un don est souvent explosive, instinctive, incontrôlable, expliqua Nanthamo. Ce qui t'est arrivé n'a rien d'exceptionnel.
- Je pensais qu'au contraire les choses seraient croissantes, répondit Altéria en commençant à repositionner son bracelet. Que ça commencerait par... je ne sais pas, des petites choses, pas d'emblée un raz-de-marée !
Voyant que la jeune femme peinait encore à fermer d'une main le lacet du bracelet, l'Enartien vint lui prêter main forte.
- Tu as déjà vu grandir des enfants ? finit-il par lui demander une fois le nœud serré.
- Drôle de question à poser à la petite-fille d'une accoucheuse, fit remarquer l'intéressée.
- Imagine nos dons comme notre voix, expliqua Nanthamo sans relever la remarque, à la naissance nous ne la maîtrisons pas. Ce sont principalement des cris, puissants, douloureux à l'oreille mais bruts et sans finesse. Ensuite viennent les modulations, plus harmonieuses, qui véhiculent des idées, puis les mots qui viennent accentuer ces idées. Plus nous grandissons et plus nous maîtrisons notre voix. Nous pouvons blesser ou réconforter, ordonner ou conseiller. Et ceux qui maîtrisent le mieux leur voix peuvent chanter et faire naître des émotions formidables dans le cœur de ceux qui les écoutent. C'est exactement pareil pour nos dons, au début ils sont certes puissants mais ils ne répondent qu'à l'instinct. Une vague comme celle que tu as générée pour la créer consciemment il faut des années d'entraînement. Quant à Ieza la perfection avec laquelle il maîtrise ses capacités est aussi harmonieuse qu'un chant.
- Quel poète.
- Ça doit être le spectacle qui m'inspire, répondit l'Enartien le regard perdu vers l'horizon.
Le soleil avait poursuivi sa descente, embrasant à nouveau le ciel. Parfait reflet de l'incendie géant du ciel, la mer, immobile et calme, s'étendait à perte de vue. L'horizon n'était plus, ciel et mer ne faisaient qu'un à cet instant magique où deux mondes semblaient se rejoindre pour saluer le coucher du soleil et l'avènement futur de la lune. Altéria s'émerveilla devant ce spectacle qui ne dura qu'un instant avant que l'astre flamboyant ne plonge derrière la ligne d'horizon. Elle prit ensuite conscience que cette vision magique annonçait la tombée rapide de la nuit et qu'elle n'avait aucune envie de faire la descente du mât dans le noir.
- Il faudrait qu'on pense à descendre, proposa-t-elle à Nanthamo.
- Tu ne veux pas bénéficier d'une première leçon tout d'abord ?
La jeune femme suspendit immédiatement son geste alors qu'elle s'apprêtait à remettre pied sur le filet.
- Une leçon en haut d'un mât ?
- Exactement, mets-toi debout.
Surprise, Altéria se rapprocha du mât avec prudence avant de l'utiliser comme appui pour se lever tandis que son compagnon s'était déjà mis debout avec une aisance qui la sidérait. Les bras écartés pour maintenir son équilibre malgré les bourrasques qui venaient les secouer, elle tâcha d'ignorer le vide qui se trouvait sous elle et le pont du bateau en contre-bas.
- Je t'ai dit qu'au début l'utilisation des dons était instinctive, rappela l'Enartien, qu'elle répondait à un besoin, une urgence. Maintenant pour maîtriser le tien tu dois en prendre conscience, le sentir agir quand tu n'en es pas maîtresse pour pouvoir ensuite l'utiliser sciemment. Au vu de ce qu'il s'est passé tout à l'heure je suis à peu près certain que tu ne t'es même pas rendue compte que quelque chose d'autre se passait. Il va donc falloir y remédier.
- Et comment je me rends compte qu'il se passe quelque chose ? demanda la jeune femme les bras toujours écartés.
- En réitérant l'expérience, répondit Nanthamo avec un sourire en coin.
- Qu...
Altéria n'eut même pas le temps de finir sa question qu'elle se sentit propulsée avec force en arrière. Ses pieds décollèrent du sol alors qu'elle était projetée à plusieurs mètres du mât avant de commencer à tomber. Au vu de la distance qu'elle avait parcourut dans les airs avant de commencer sa chute, Altéria comprit qu'elle finirait par tomber dans l'eau. La différence avec le pont du bateau était cependant minime puisqu'au vu de la hauteur de la chute elle s'écraserait dans tous les cas sur la surface.
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