Chapitre 5
Résumé des chapitres précédents :
Lucien a lu les lettres de la mystérieuse amoureuse de Pierre et reconstitué en partie l'histoire des jeunes gens, ils ont été fiancés du printemps 1868 à l'automne 1869 et ils devaient se marier en octobre 1869. Pour l'instant Lucien ignore si le mariage a eu lieu et sinon pourquoi les fiançailles ont été rompues.
Il a lu une partie du journal intime de Stéphane, écrit quand il était lycéen, qui s'inquiète pour son avenir et souffre en secret de son homosexualité.
Le mois de juillet il y a eu beaucoup de travail avec les moissons et Lucien a dû mettre de côté ses recherches, mais il ne désespère pas d'en apprendre plus sur le passé de ses oncles.
Personnages principaux :
Lucien Millezais De Saint Foulques, 18 ans
Pierre Millezais, 43 ans
Stéphane Millezais, 37 ans
Personnages secondaires :
Emilienne, Mimi la cuisinière, 55 ans
Rose, la bonne, 18 ans
François, l'homme à tout faire et cocher, 26 ans.
Les deux clercs de notaires : Simon 32 ans et François-Alexandre 34 ans.
Marie de Saint Foulques : Sa maman veuve, 46 ans restée à Paris
Paul de Saint Foulques, 34 ans, son demi-frère, banquier et héritier du titre et de l'immeuble à Paris.
Eclair et Hercule les chevaux alezans, Gentiane la jument, les cheveux de traits, les vaches, chèvres, poules lapins et cochons.
Tabor et Dargan : les chiens
Les Tulliers : les propriétaires de la quincaillerie
Mademoiselle Villeneuve, professeure de dessin, 40 ans
***
Bercé par les gouttes d'eau qui tombent contre les carreaux, je dévore le journal d'un Stéphane si jeune et sincère.
Aout 1868
Pierre a une fiancée qui a une fortune personnelle. Voilà sa seule qualité aux yeux de papa. Je ne comprends pas comment Pierre peut la supporter. Toutes les semaines, il est obligé d'aller à Port Saint Père pour lui rendre visite. Il est si courageux mon frère chéri. Heureusement que je l'ai.
Tiens c'est intéressant ça, voilà d'où vient la mystérieuse Amélie : Port Saint Père. Le village n'est pas très loin, je pourrais sans doute me renseigner là-bas.
Octobre 1868
Je me suis cassé la jambe et comme je suis immobilisé, j'ai été renvoyé à la maison. Papa m'oblige à descendre les escaliers et refuse que je marche avec des bâtons pour m'endurcir. Je regrette l'école. Il m'oblige à travailler à l'étude à faire des copies jusque tard dans la nuit. Je le déteste !
Il dit qu'il se demande ce qu'il va faire de moi, avec qui il va bien pouvoir me caser, je veux mourir.
...
J'ai avoué mon secret à Pierre. Il m'a serré dans ses bras et m'a juré qu'il me protègerait. Il m'a ordonné de le cacher à papa qui ne le tolèrerait pas. Je le sais bien hélas !
QUOI ! Mais QUOI ! Pierre savait donc pour son frère ? En même temps, il avait mis la main sur le journal de son cadet ! Je n'ai pas le temps de réfléchir à ce que je viens d'apprendre, car justement Pierre m'appelle, me faisant sursauter.
─ Lucien ou es-tu ? Viens nous aider, il faut préparer les cornichons.
Je lâche le journal intime alors qu'il est déjà en train de monter les marches qui grincent, sans doute qu'il trouve que je ne viens pas assez vite. Je me dépêche de le rejoindre avec mon nouveau roman d'Arthur Conan Doyle à la main, pour me donner une contenance.
─ Me voilà mon oncle.
Il hoche la tête, soupçonneux et j'ai le droit à son couplet sur l'importance d'avoir une vie réglée.
─ Retourne poser ce livre dans ta chambre, sinon je le confisque, poursuit Pierre.
Voilà comment le journal de Stéphane s'est retrouvé dans les affaires de Pierre. Quel tyran !
─ Pourquoi est-ce que tu souris comme ça ? Tu es bizarre mon garçon. Que prépares tu comme mauvais coup ?
─ Mais rien du tout, je proteste, faisant l'innocent, vexé de ces soupçons.
En discutant nous sommes arrivés dans la cuisine.
─ Nous avons du travail, les bocaux ne vont pas se faire tout seuls, intervient oncle Stéphane dans son rôle de médiateur entre nous deux.
L'après-midi a été longue, nous avons passé des heures à frotté les cornichons, opération indispensable et fastidieuse pour ôter les picots du légume avant de les tremper dans le vinaigre. Nous avons préparé toutes sortes de pickles, le péché mignon des deux hommes. La pluie tambourine à l'extérieur, violente, je suis allé voir le paysage délavé par la fenêtre, les champs et les routes sont déjà détrempés. Il va falloir aller s'occuper des animaux et Pierre m'a ordonné d'y aller pour m'endurcir. Il me rappelle les propos que tenait l'ancêtre et qu'a rapporté Stéphane dans son journal.
Je n'ai pas fait l'erreur de me renseigner sur le village de Port Saint Père, je me doute que mes oncles me grilleraient tout de suite. Je trouverais bien quelqu'un d'autre pour me renseigner.
Un voisin est venu nous prévenir que Bérangère a prédit l'arrivée d'une tempête. Mimi s'inquiète pour ses framboises et Pierre pour ses ruches, alors ils sont partis installer des protections pendant que j'ai été nourrir les animaux.
La nuit des trombes d'eau sont tombées, le vent a hurlé et il doit y avoir des arbres par terre. La solidarité joue à plein, et nous avons dû sortir avec des cuissardes inutiles avec toute cette eau, pour aller aider des paysans inondés dans leurs fermes qui avaient des bêtes prises au piège. Tous les hommes du village sont là et s'activent, à construire des abris provisoires et à sortir les bêtes en danger. J'ai passé ma journée trempé et glacé. Le soir j'ai l'impression que je ne me réchaufferais jamais et j'ai bu la tasse plusieurs fois dans de l'eau brune. Je grelotte et ne me sens pas très bien, inexplicablement gelé.
Le lundi, le temps est redevenu ensoleillé et pourtant j'ai froid en faisant des copies à l'étude. J'ai mal à la gorge et des courbatures d'avoir soulevé autant de planches et tiré des bêtes récalcitrantes. Je me sens fiévreux. François-Alexandre me dispute et m'ordonne de recommencer ma copie ratée. Il ne veut rien savoir et mon excuse-je vois flou- est rejetée.
Mon oncle sort avec des clients et il allait sans doute m'engueuler, mais il pose sa main sur mon front.
─ Bon sang Lucien ! Tu as une fièvre de cheval. Va t'allonger tout de suite et je vais appeler le docteur.
─ Non ce n'est pas la peine.
Je proteste pour la forme, soulagé d'aller m'étendre, je n'en pouvais plus.
─ Obéis idiot de neveu ! S'il t'arrive quoi que ce soit, ta mère ne me le pardonnera jamais.
Il m'entraine dans les étages et hurle à François d'aller chercher le docteur Borsel.
Je m'écroule dans mon lit, me dépêche de retirer mon veston et mon pantalon et me glisse dans les draps sous la couette, en poussant un soupir de bien-être.
Pierre ne bouge pas et reste debout contre le chambranle de la porte à me fixer.
─ Tu ne termines pas tes rendez-vous, la famille Blatier est là pour la vente ? demande Stéphane qui est venu nous rejoindre.
─ Le petit est malade.
─ Le docteur va arriver, ça va aller, rétorque Stéphane rassurant.
Je suis épuisé, mais je remarque cependant parfaitement que d'un coup, mes oncles ont inversé leur rôle, Pierre semble terrorisé et Stéphane le rassure, prenant le rôle du chef de famille.
Je souris masqué par les draps, continuant de trembler en claquant des dents.
Plus tard, j'entends Pierre qui engueule les deux clercs pour ne pas avoir pris soin de moi. Je voudrais intervenir pour les innocenter, mais sortir de mon lit est trop compliqué.
J'ai somnolé un moment et c'est le docteur qui me réveille en posant une compresse fraiche sur mon front. Pierre est à côté.
─ Bonjour Lucien, je t'ai connu petit enfant et te voilà un beau jeune homme. Tu as pris une belle fièvre dans les marais avec l'orage. Il va falloir te rétablir, car regarde comme ton oncle est inquiet.
Pierre s'en va, en bougonnant qu'il n'est pas si inquiet que cela !
Le docteur rigole et me fait un clin d'œil.
─ Ce garçon est un grand sentimental !
Je suis toujours nauséeux, mais ses paroles étranges m'interpellent.
Est-ce que lui serait au courant de quelques chose ?
Je tente de me redresser sur mon oreiller.
─ Vous savez ce qu'est devenue sa fiancée ? je lance.
Le docteur me regarde avec des yeux ronds derrière son stéthoscope.
─ Il faudra le lui demander.
Encore raté.
Les médicaments sont atroces : Des décoctions de thym et de saule, de l'huile de foie de morue et des compresses fraiches. Je n'ai le droit qu'à la soupe et au boudin de sang.
Le docteur a exigé quatre jours de repos et mes oncles sont déterminés à lui obéir à la lettre.
J'ai passé deux jours, trop faible pour bouger et mes oncles viennent me faire la lecture de mes livres préférées.
Je serai remis pour la messe de dimanche et je ne vais pas y couper, se réjouit ce sadique de Pierre.
Enfin, je vais un peu mieux et profitant que mes oncles sont à leur travail, j'ai repris la lecture du journal de Stéphane en début d'année 1869.
Il aime bien la fiancée de Pierre, il la décrit longuement, une brune étrange et donne son nom de famille, Clément Bollée, des rentiers. Il s'émerveille de voir son frère amoureux. Au passage, il se lamente sur son avenir, car il ne veut absolument pas épouser une femme et préfère rester seul.
Il est différent de moi, plus absolu, plus intègre, car il me semble que je me resignerais facilement à me marier, même si je verrais plus mon épouse comme une amie qu'autre chose.
Je repose le journal, soudain fatigué. C'est terrible de se dire qu'il a été exaucé et soudain une inquiétude me taraude : j'espère que ce n'est pas lui qui a fait capoter le mariage de son frère.
Je fouille dans la boite et en ressort le mouchoir brodé. Il est bien avec les initiales de la jeune fille, ACB brodées soigneusement. Si Pierre l'a conservé c'est donc qu'il était amoureux ?
─ Mais pourquoi le mariage ne s'est pas fait ? je marmonne à voix haute.
J'ai pris mon carnet de croquis pour dessiner le paysage que l'on aperçoit depuis ma fenêtre. Les secrets de mes oncles vont me rendre cinglé et j'ai besoin de penser à autre chose.
La semaine suivante, remis, encore affaibli, je suis exempté de travail à l'étude. C'est parfait, je compte aller me promener demain jusqu'au village de la fiancée mystérieuse.
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