Chapitre 4
Résumé des chapitres précédents :
Lucien profite du temps de son exil pour prendre des cours de dessin avec une femme originale, mademoiselle Villeneuve, qui n'a pas très bonne réputation. Il veut pouvoir dessiner des corps d'homme nu pour le plaisir.
Le jour de la fête de la Saint Jean alors qu'il trainait seul à la maison, il a découvert dans l'atelier de son oncle Pierre une boite de fer blanc. Elle contient des lettres et un journal intime.
Il respecte normalement les secrets des autres, sauf que la première lettre qu'il lit commence par Pierre chéri, ce qui attise sa curiosité. L'oncle Pierre avait une amoureuse, ce qui est bien étonnant quand on connait le personnage.
Personnages principaux :
Lucien Millezais De Saint Foulques, 18 ans
Pierre Millezais, 43 ans
Stéphane Millezais, 37 ans
Personnages secondaires :
Emilienne, Mimi la cuisinière, 55 ans
Rose, la bonne, 18 ans
François, l'homme à tout faire et cocher, 26 ans.
Les deux clercs de notaires : Simon 32 ans et François-Alexandre 34 ans.
Marie de Saint Foulques : Sa maman veuve, 46 ans restée à Paris
Paul de Saint Foulques, 34 ans, son demi-frère, banquier et héritier du titre et de l'immeuble à Paris.
Eclair et Hercule les chevaux alezans, Gentiane la jument, les cheveux de traits, les vaches, chèvres, poules lapins et cochons.
Tabor et Dargan : les chiens
Les Tulliers : les propriétaires de la quincaillerie
Mademoiselle Villeneuve, professeure de dessin, 40 ans
***
Lucien
Les averses sont violentes cette après-midi et je ne suis pas motivé pour sortir. Pierre réalise une nouvelle maquette d'une galère romaine, Stéphane joue du violon, Mimi se repose et Rose reprise des vêtements. Je suis monté dans ma chambre, pour travailler mes croquis, en réalité, je compte fouiller les secrets de la boite de fer blanc. J'en fait l'inventaire allongé sur mon lit. Elle contient une petite broche avec une perle, je la manipule un moment, jouant avec entre mes doigts. C'est tellement à l'opposé de l'image que j'ai de mon oncle. Je passe la main sur un mouchoir de femme brodée, avec les initiales ACB. Ensuite, retenu par un lien de tissus, il y a des fleurs séchées et soixante-cinq...-six ...soixante-sept lettres. Elles sont posées sur un carnet, sans doute un journal intime.
Je m'amuse à lire quelques lettres de l'idiote, assez idiote, pour écrire des mots d'amour à mon oncle.
La jeune femme semble admirable. Elle est amoureuse, enthousiaste et a l'air intelligente. Elle a dû se rendre compte que mon oncle était barbant et changer d'avis, enfin je suppose puisqu'il est célibataire.
13 juillet 1868
Mon Pierre chéri
Je suis désolée, mais je ne pourrais vous rejoindre aux étangs demain. Maman est malade et sa toux ne passe pas, je souhaite rester près d'elle pour la soigner.
Je suis sûr que vous comprendrez et vous êtes si délicat et gentil que notre prochaine rencontre n'en sera que plus merveilleuse.
Je bénis chaque jour, depuis que papa m'a annoncé que vous étiez mon fiancé.
Mon merveilleux Pierre, j'ai lu le livre que vous m'avez recommandé : le livre de Jade de Judith Gautier
C'était une très bonne lecture. J'ai toujours été passionnée des cultures autres et vous m'avez encore comblé. Je veux apprendre le chinois désormais.
Merci encore mon amour,
Je vous écris ce tantôt pour vous donner d'autres nouvelles.
Votre Amélie dévouée.
La vache ! Mais on ne parle pas du même Pierre, ce n'est pas possible. Tonton Pierrot a donc été fiancé ? Mais quelle surprise !
Les lettres sont dans le désordre, la suivante est de mai 1868, certaines n'ont pas de dates.
Je prends ensuite le journal intime, ne comptant pas le lire, c'est trop personnel et il faut d'ailleurs que je remette les lettres et la boite, là où je les ai trouvés, sans me faire attraper.
Cela m'ennuie de ne pas en lire plus, Amélie est adorable, mais le passé est mort et Pierre est désespérément un vieux célibataire qui ergote. Nulle amoureuse n'a franchi les portes de son cœur.
Je joue avec les pages du journal intime, me faisant une petite animation en faisant défiler les pages, quand une vérité me saute à la figure.
Les deux frères ont des magnifiques styles d'écritures, très distincts : Stéphane est plus en rondeur dans ces majuscules et Pierre en délié ciselé.
Ce journal n'appartient pas à Pierre, il est à Stéphane.
Allons bon ! Pourquoi l'ainé possèderait-il un ancien journal intime du plus jeune ?
Il en a écrit des pages et c'est aussi un carnet de dessins. Je le feuillète rapidement, décidé à respecter l'intimité de mon oncle préféré, jusqu'à ce qu'un dessin plutôt sombre m'interpelle. Un homme sanglant qui chute dans un gouffre avec un texte poignant :
Puisque j'aime les hommes je suis condamné. J'ai si peur et je me sens si seul au fond du gouffre.
Quelle surprise ! Là, c'est fichu, je ne peux plus rendre ce journal ! Il faut que j'en sache plus et je suis déterminé à découvrir toute l'histoire de Stéphane et celle de Pierre aussi, du coup.
Je prends une autre lettre ou Amélie lui avoue son amour et s'émerveille de sa force. Flatteuse !
J'ai lu encore quelques lettres, avant d'être interrompu par celui dont on parle dans les lettres qui râle en bas de l'escalier pour je ne sais quelle corvée.
─ J'arrive ! je hurle.
─ Si tu voyais ton Pierre chérie ma pauvre Amélie tu serais bien déçu je marmonne tout bas en descendant l'escalier.
Le lendemain, les pluies diluviennes ont laissé la place à un ciel éclatant. Nous nous dépêchons de cueillir les cerises, car les arbres croulent sous les fruits. Mimi et Rose vont préparer des confitures et des fruits confits pour l'hiver.
Je maugrée, tout en regardant d'un œil neuf mes oncles, si sages, au point que je n'aurais jamais imaginé qu'ils aient eu un jour une vie amoureuse.
L'oncle Pierre a eu une amoureuse et Stéphane connait mon calvaire. Les questions enflent dans ma tête. Est que Pierre est au courant du secret de Stéphane ? Je suppose que oui, puisqu'il avait son journal intime ?
Les jours suivants, je navigue entre le journal et les lettres, dans une histoire décousue du passé.
Avril 1869
Mon cher Pierre,
Ce que nous avons fait dans le Lilas, ce que nous avons fait dans le Lilas, Pierre c'était si merveilleux. Son parfum aura désormais une signification éternelle de notre amour.
J'ai une nouvelle fleur préférée désormais : Le Lilas tu l'as compris.
Je suis si heureuse que ce soit toi.
Je t'aime, je t'aime, je t'aime je pourrais l'écrire à l'infini.
Amélie qui ne veut qu'une chose, être ton épouse
Hou ! mais quel coquin mon oncle Pierre et apparemment, il a bien fait les choses, car sa dulcinée semble ne pas s'en remettre de bonheur.
Je souris fier de lui, comme si j'étais le père d'un élève brillant.
C'est bien la peine d'être aussi strict maintenant, alors qu'il a été un jeune homme cool dans le passé.
Je compte le chambrer sans tarder et j'ai hâte de lui parler de Lilas, mine de rien. D'ailleurs, au passage nous n'en avons pas dans la maison, ce qui est dommage ! Il va falloir vite que je m'en procure, rien que pour voir sa tête.
Je repose la lettre et m'allonge rêveur sur mon lit. Ces mots me ramènent à mon histoire et à ma première fois.
Un ami anglais de mon frère passait souvent à la maison et il me troublait par ses certitudes plus que par sa beauté. Il avait jeté son dévolu sur moi, j'avais dix-sept ans. Il m'apportait des petits cadeaux, me faisait des œillades et laissait des billets à mon attention.
Jonathan était blond avec des cheveux gominés, banquier lui aussi et installé en France pour établir une filiale de leur banque anglaise. Je l'ai rejoint dans sa garçonnière et j'ai découvert l'amour. Ça a été douloureux, c'est vrai, mais en même temps, quelle fierté d'avoir partagé cette chose aussi intime. J'aimais nos caresses et nos baisers. Il était gourmand, insatiable, aimait faire l'amour. J'espérais que nous pourrions rester ensemble pour toujours. Nous aurions pu prétendre être des associés. Malheureusement il a dû rentrer en Angleterre, sans me prévenir, me laissant désespéré.
Plus tard, au détour d'une conversation, j'ai appris qu'il s'est marié là-bas et n'avait jamais eu l'intention de rentrer en France. Il le savait déjà quand nous nous voyions.
Je soupire encore une fois à ce souvenir, mon premier amour était bien décevant, je n'ai pas de quoi me vanter de folles aventures. Ensuite il y a eu Charles le catastrophique.
Je secoue la tête pour chasser mes pensées, autant revenir à mes moutons ou plutôt à mes oncles et à leurs amours. Je lis encore quelques lettres, déterminés à découvrir toute l'histoire.
Septembre 1868
Pierre chéri,
Je suis si désolée de ce que la mort de maman retarde notre mariage d'une année complète. Tu comprends que papa tiens absolument à ce que je respecte le temps de deuil pour rendre hommage à cette grande femme si dévouée.
Pourras tu m'attendre, je sais que papa cherche un chaperon pour veiller sur moi et que je puisse à nouveau te rencontrer.
Je suis si malheureuse d'avoir perdu maman et d'être loin de tout. Je suis désespérée mais je t'aime plus que tout.
On ne rigole pas avec le deuil dans les campagnes. Un an d'abstinence dans la vue, qu'ils n'ont d'ailleurs pas respecté. Une année supplémentaire qui a été fatale à leur amour.
Mars 1869
Gabrielle est si amusante, j'aime quand elle me dit que nous sommes maitres de nos destins. Nous avons de la chance que ma cousine soit un chaperon si indulgent. Elle me parle de longues heures d'Afrique et de voyage ce qui m'aide à patienter quand je ne peux pas vous voir car vous êtes si occupés. J'espère que nous partirons en Afrique un jour ou en Chine, ce serait fabuleux.
Cette Amélie est passionnée et il me semble que les deux tourtereaux doivent vraiment s'aimer. Je n'ai pas les réponses de Pierre, mais je suppose qu'il était aussi amoureux ou alors il jouait rudement bien la comédie. J'ai lu méthodiquement les lettres d'Amélie à Pierre et reconstitué en partie l'histoire.
Ils se sont fréquentés du printemps 1868 à l'automne 1869. Soit plus d'un an et demi quand Pierre avait vingt-deux puis vingt-trois ans et Amélie en avait dix-huit.
Le mariage devait avoir lieu à l'été 1868 et il a été décalé d'une année pour respecter le deuil d'Amélie après le décès de sa maman.
Je n'ai pas la moindre idée de ce qui a pu se passer pour que le mariage échoue. Les dernières lettres datent de septembre 1869 et parlent de la cérémonie qui est prévue pour octobre. Nulle lettre ne parle de rupture ou de problème. Je me demande ce qu'il a pu se passer ?
Ou alors mon oncle est veuf ?
Il faudrait que je fouille dans son livret de famille.
Si je demande à Mimi, elle secouera la tête et exigera que je m'adresse à Pierre. Rose ne saura rien et Stéphane ne voudra rien dire.
Mes oncles ont remarqué que je suis de meilleure humeur et moins morose. S'il savait que c'est parce que je m'amuse à suivre les traces de leur passé !
Les lettres ne sont pas les seules choses qui me redonnent le sourire. Mes progrès dans les cours de dessin de mon étonnante professeure m'ont fait du bien. Dans tous les sens du terme, car je peux me faire plaisir à dessiner des beaux males aux torses sculptés, avec des bras puissants et musclés. Je salive en admirant mes œuvres, des pectoraux et les tablettes qui font des ombres aguichantes. Je dessine, des sexes tendus et au repos, des hommes qui copulent.
Je ne montre pas tous mes dessins à ma professeure qui m'aide à perfectionner les traits.
Elle n'a aucune pudeur pour les corps et m'aide à tracer les ombres et les traits qui donnent vie à ces corps que je veux pouvoir admirer.
Pendant nos leçons, Mademoiselle Villeneuve se dévoile peu à peu. Elle m'a raconté être partie comme exploratrice en Afrique pendant une quinzaine d'années. Sa cousine adorée y est morte. Elle porte en elle des blessures profondes.
Nous travaillons aussi sur les portraits, et j'ai enfin réussi à faire un croquis ressemblant de mon oncle Stéphane.
Comme je le pressentais, dans le journal intime, je découvre un lycéen sage qui se meurt d'amour en secret pour quelques-uns de ses camarades de classe. Un cœur d'artichaud, on dirait moi !
Il n'assume pas ses désirs et n'ose pas en parler. Pauvre Stéphane !
Moi j'ai pu parler tôt à maman de mes doutes, et je comprends désormais pourquoi elle a été si compréhensive. Je suis prêts à parier que ma mère était au courant pour mon oncle.
Ils ont perdu leur maman jeune tous les trois et ont été élevé par leur père, Anatole, un tyran autoritaire. Stéphane avoue qu'il préfère la pension des mois d'hiver, loin de son père, même si son frère et sa sœur lui manque.
Il raconte sa vie quotidienne, il insère des aquarelles, des prières, des chansons. Il a réussi tel tournois de sport et gagné un prix à l'école. Il a connu un moment difficile quand ses copains l'ont emmené dans un bordel et il l'a très mal vécu. Il a perdu le gout pour manger. Il me fait peur ce délicat Stéphane trop sensible.
Je suis arrivé à un passage amusant pour moi. Stéphane raconte les fiançailles de sa sœur avec mon père. Il est âgé de dix-sept ans, pleure sa grande sœur qui vient de se marier pour ses vingt-cinq ans avec un veuf âgé. Son récit estsans filtre.
Décembre 1868
C'est le mariage de ma Marie chéri avec son affreux futur époux qui s'appelle Léonidas. Pouahhh !!! Il est trop vieux pour elle, bedonnant avec des cheveux blancs et en plus, il a déjà un fils de treize ans. Ce monstre a décidé d'épouser une jeune fille de bonne famille et Marie cette idiote veut découvrir le monde.
Je l'ai interrogé et elle m'affirme qu'elle est heureuse de se marier.
Papa ne lui a pas donné une grosse dot, il est méchant. Il garde l'argent pour l'étude et pour Pierre.
La vérité c'est que papa a vendu sa fille.
Le pire c'est qu'il a trouvé une fiancée pour Pierre. Je m'inquiète quand viendra mon tour car je le sais, je serais incapable de faire ce qu'on attend de moi.
Heureusement que j'ai déjà eu droit à la version de maman. Elle m'en a parlé depuis longtemps de son mariage avec mon père plus âgé. Quand ils se sont mariés, Leonidas avait cinquante ans, mais il était drôle et cultivé et ma mère rêvait d'avoir sa maison, loin de mon grand-père acariâtre et elle s'enthousiasmait à l'idée de vivre à Paris. Leur entente a été immédiate, malgré la différence d'âge qui choque tant le jeune Stéphane.
Ce qui est dommage pour moi c'est qu'il est mort quand j'avais deux ans et je ne me rappelle plus de lui.
***
La chaleur est écrasante à Sainte Pazanne, début juillet.
L'étude est fermée pour congés. En réalité, pour moissonner les champs des oncles. Ils sont propriétaires de plusieurs fermes et tous les bras sont nécessaires.
La chaleur et le travail forcené m'ont donné un étourdissement et Pierre m'a demandé de rentrer me mettre au frais quelques instants.
Penaud, j'ai cédé, conscient d'être le seul à m'arrêter. L'ombre bienfaisante à la maison me soulage pendant que je me rince à l'eau froide avec un gant. J'enfile une chemise de coton et un autre pantalon avant de boire de l'eau fraiche parfumée aux herbes. Heureusement, nous avons des blocs de glace dans le garde-manger.
Il est temps pour moi de rejoindre les travailleurs dans les champs.
─ Ça va mieux ? demande Stéphane qui pause sa main sur mon front.
Pierre vient m'enlacer aux épaules.
Ils sont tous trempés de sueur. Les paysans sont torses nus, pas mes oncles, qui ont un prestige à tenir et restent en chemise et gilet sous leurs grands chapeaux.
Bérangère, une femme au village prévoit le temps, c'est une rebouteuse ou une sorcière. Elle affirme que la pluie arrivera demain, alors il faut nous dépêcher, sinon nous perdrons les récoltes.
Rose et moi coupons le foin à la faucille dans des lignes parallèles. Elle est bien plus rapide que moi, réussi encore l'exploit d'être bavarde et de me distraire. Les clercs de notaires et leurs épouses coupent les foins dans d'autres lignes plus loin. Ma ligne est la dernière dans la course.
De temps à autre, un lapin ou un hérisson déboule devant nous, dérangé dans sa cachette.
Mes oncles et d'autres chargent la paille coupée dans les charrettes tirées par les bœufs et les chevaux et d'autres déchargent dans les granges.
Nous sommes plus d'une trentaine à travailler en même temps. Il faudrait inventer des machines qui coupent et qui ramassent le foin, ce serait tellement pratique.
Enfin, tard dans la nuit, nous avons rentré la paille et le grain et nous pouvons souffler. Nous mangeons tous ensemble, dans un pique-nique géant préparé par Mimi et quelques vieilles femmes, dans la fraicheur agréable du vent qui se lève. La lune et les étoiles nous éclairent.
Le curé nous fait un sermon, puis l'oncle Pierre raconte des histoires que tous écoutent.
La pluie diluvienne est arrivée au petit matin, comme l'avais prévu Bérangère.
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