Chapitre 2
Résumé des chapitres précédents :
Lucien Millezais a dû quitter Paris après avoir été surpris à embrasser un élève de son lycée. Pour le protéger, sa mère a décidé de l'éloigner les mois d'été, et l'a envoyé dans sa famille à la campagne. Pendant ce temps, elle compte négocier son retour dans son école, en tentant d'étouffer le scandale.
Il débarque à Sainte-Pazanne et découvre une petite ville endormie qui le change de la capitale animée. Les passagers de la diligence parlent de ses oncles comme de deux vieux messieurs sévères. Les mois à venir vont lui paraitre interminables.
Personnages principaux :
Lucien Millezais De Saint Foulques, 18 ans
Pierre Millezais, 43 ans
Stéphane Millezais, 37 ans
Personnages secondaires :
Emilienne, mimi la cuisinière, 55 ans
Rose, la bonne, 18 ans
François, l'homme à tout faire et cocher, 26 ans.
Les deux clercs de notaires : Simon 32 ans et François-Alexandre 34 ans.
Marie de Saint Foulques : Sa maman veuve, 46 ans restée à Paris
Paul de Saint Foulques, 34 ans, son demi-frère, banquier et héritier du titre et de l'immeuble à Paris.
Eclair et Hercule les chevaux alezans, Gentiane la jument, les cheveux de traits, les vaches, chèvres, poules lapins et cochons. Tabor et Dargan : les chiens
***
25 mai 1889
Deux semaines que je suis là, la seule chose qui est sûre c'est que mes deux oncles sont bien des modèles de vertus, de rigueurs et surtout d'ennuis. Même pour le jardinage, ils ont des horaires précis que ce soir pour désherber le potager ou pour ramasser des légumes. J'ai été embauché à l'étude tous les matins, pour aider à faire des copies et du classement. J'ai protesté, après tout ce sont mes vacances, mais l'oncle Pierre a retorqué que je devais rembourser mon gite. Un escroc !
Pierre est costaud avec une bedaine assumée, il porte une grosse barbe roux foncé. Il a une voix grave qui gronde souvent. Il doit avoir une vocation manquée de général et claque sa montre à gousset d'un air réprobateur si j'ai le malheur d'arriver en retard d'une minute au repas.
Stéphane est son opposé, délicat avec une voix fluette.
Ils sont vêtus de costume simple portent des longues capes noires tous les jours et des bottes permettant d'affronter le temps humide de la région.
L'ainé n'a qu'une seule originalité, il possède un vélocipède et aime les technologies modernes. Il m'a interrogé des heures durant sur mon voyage ne chemin de fer et sur les capacités de la locomotive.
Pierre, en dehors des balades en vélocipède, passe du temps dans la construction de maquettes de bateau. Tu parles d'un passe-temps de vieux. Il est aussi de tous les comités de décision de la ville. Bref, toujours à imposer sa loi.
En essayant son engin de malheur, je me suis retrouvé au sol, le souffle coupé. Clairement ce n'est pas pour moi, je n'aime pas son appareil étrange qui donne le vertige.
Stéphane lui peint beaucoup et nous faisons des balades à chevaux tous les deux. Il me montre tous les points de vue et les vestiges de la révolte des chouans.
L'endroit est aussi endormi que je le craignais et le temps s'écoule interminable dans la campagne sauvage au point qu'il reste encore des loups qui nous ont suivi une fois ou deux.
Note à moi-même : ne jamais me retrouver seul dans les forêts, la nuit !
Je croise souvent des biches ou des renards dans mes promenades avec Eclair ou Hercule, les chevaux de mes oncles. Un plaisir dont je ne profitais pas à Paris, mais il y avait tellement d'autres distractions !
J'aime raconter les merveilles de la grande ville à mon admiratrice numéro un : Rose. Elle m'écoute les yeux écarquillés quand je lui parle de la mode de Paris et des artistes célèbres comme Yvette Guilbert. Les revues, les théâtres et les cafés bondés, les gens qui paradent au champ de mars ou sur les Champs-Élysées.
Elle est vive et curieuse et rêve de devenir chanteuse. Pierre me reproche de lui apprendre des bêtises. Je découvre sa simplicité et une vraie intelligence que je n'avais jamais côtoyé. Une sagesse profonde et une grande fantaisie réunie dans un mélange détonnant.
Rose a été embauché pour faire le gros ménage qui fatigue Mimi et elle est fière de son salaire qui aide sa famille, des paysans pauvres du village. Elle espère que mes oncles vont la garder.
La cour arrière est cernée par les écuries et les étables. Dans les étages, au-dessus, ils ont installé les chambres de Mimi et de François. Rose rêve d'y avoir la sienne un jour.
Nous avons de nombreux animaux, qu'il faut soigner, des vaches, des moutons, des chèvres, mais aussi un poulailler et des lapins. Ils ont sept chevaux pour tirer la calèche ou à monter pour des promenades.
La couleur jaune de la maison, c'est une idée de Stéphane. Une idée curieuse pour une étude notariale. A côté de l'étude, se trouve les appartements de l'oncle Pierre, ainsi que le domaine Mimi, la cuisine et son garde-manger rempli des pommes à sécher, des bocaux et des provisions.
La salle à manger est à l'étage, reliée à la cuisine avec un monte-plat à poulie pour servir les plats. C'est une belle pièce décorée de tentures de velours rouge.
Un couloir permet d'accéder à a bibliothèque, soigneusement entretenue, parfumée à l'encaustique et qui embaume le cuir, le papier et le bois. J'y passe des heures. Mes oncles eux préfèrent le salon où ils fument leurs cigares le soir, dans des fauteuils de velours qui donnent sur les champs. Ensuite, il y a la chambre de Stéphane et la suivante qu'il a transformé en atelier.
Mes oncles sont paradoxaux, ultraconservateurs et les pionniers pour certaines innovations. Nous avons des toilettes directement dans la maison et une salle pour se laver avec de l'eau qui coule par un procédé ingénieux de cuves.
Par contre ils sont si arriérés parfois, leur véhicule est aux armes du roi encore ! Mais la Vendée est un territoire à part. Les contrôleurs des impôts y circulent sous escortes militaires pour se protéger des rebelles qui restent dans les forêts encore. La mairie impose difficilement les lois de la république, tant qu'elles ne contredisent pas l'église.
Les deux hommes ont une vraie bonté naturelle, quand ils gardent une vielle jument aveugle Gentiane pour qu'elles vivent ses vieux jours paisiblement, ils font la même chose avec leur cuisinière Emilienne à qui ils en demandent de moins en moins pour la ménager.
J'écris souvent, pour raconter mon quotidien, mon ennui. Maman doit rigoler de savoir que j'ai même repris la musique, en utilisant son ancien piano. Je lui envoie des croquis des animaux auxquels je m'attache déjà. Respectant les consignes données, je dissimule mes idéaux de républicain convaincu. Ce n'est pas la seule chose que je cache !
Je geins surtout sur la sévérité des oncles qui m'oblige à assister à leurs maudites messes interminables, à l'aube. Pour preuve, l'église est déserte, occupée uniquement par quelques bigots. La litanie monocorde du vieux prêtre m'endort à chaque fois, plus qu'une berceuse, avant que je sois réveillé par des violents coups de coude dans les côtes. Stéphane a intercédé en ma faveur et m'a obtenu de ne plus assister à la matinale du samedi matin, pour que je puisse profiter du week-end.
***
Un courrier de Paris est enfin arrivé et Pierre l'ouvre délicatement, avec son coupe papier. Il chausse ses lunettes, en sifflotant, avant de stopper net.
─ Qu'est-ce qu'il se passe ? qu'est-ce que dit maman ? je demande inquiet.
─ Tu as été écrire à ta mère que nous te brimions et t'emmenions tout le temps à l'église ?
Il est outré, ma mère doit lui passer un savon par écrit et il n'a pas l'habitude. Il me regarde furibond. Je redresse la tête, décidé à en découdre.
─ Je lui ai demandé si j'étais puni.
─ Elle me précise qu'une seule messe par semaine te suffit amplement. Très bien nous nous conformerons à ses directives, tranche mon oncle vexé comme un pou.
Le sourire amusé de Stéphane me réchauffe.
─ Peut être qu'oncle Stéphane n'est pas obligé d'y aller non plus ?
─ Ta mère peut parler pour toi, mais certainement pas pour Stéphane !
─ Je te remercie de ton intervention mon neveu, mais j'aime aller aux matinales avec Pierre. C'est le meilleur moment pour être proche de Dieu.
Il me fait un clin d'œil, mon complice de prison, qui obéit aveuglément à son ainé. Il n'est pas le seul, tout le village est au garde à vous et il faut voir François se redresser quand il l'entend arriver.
Stéphane me jure que Pierre est heureux de mon retour. Difficile à croire ! Il est si froid qu'un iceberg me réchaufferait en comparaison.
Encore deux semaines sont passées, il pleut beaucoup et on gèle dans la maison.
─ La tour de fer de Monsieur Eiffel ne va pas s'effondrer pendant ton absence, marmonne Pierre quand je soupire sur ce que je loupe.
Stéphane m'a retrouvé des croquis qu'il a dessiné alors que j'étais chez eux. Il en a fait beaucoup. Je dors dans les bras de Pierre ou de Mimi, je me promène en leur donnant la main. Je joue avec les animaux, des bateaux, je me baigne dans la mer en costume de bain. Pierre avait l'air de bien m'aimer à l'époque.
J'ai compris à mi-mots que les deux hommes ont beaucoup souffert de mon départ. Ma mère est gonflée quand même, elle leur impose ma présence et me récupère selon ses humeurs.
Le midi les deux clercs mangent avec nous. Ils sont ridiculement compassés, obséquieux avec mes oncles et jaloux de moi. Ils ne savent que m'abrutir de travail les matins et se plaindre que j'ai mal fait ensuite.
Les soirs au diner, nous sommes tous les trois et Pierre se détend un peu. Nous parlons littérature, mes deux oncles lisent beaucoup et ont de nombreux ouvrages à me conseiller. Nous admirons tous les trois les écrits de Montesquieu, Rousseau et Voltaire. La finesse de Balzac et ses descriptions si justes.
Cependant quand ils ont décrété qu'un auteur était immoral, c'est compliqué de les faire changer d'avis. En théorie, je n'ai donc pas le droit de lire Victor Hugo, le révolutionnaire, Les immoraux Rimbaud, Verlaine, mais aussi Gustave Flaubert et d'autres sont interdits.
Je les lis quand même !
Ils adorent, comme moi, François Verne et pronostiquent que ses inventions se réaliseront un jour. Si seulement !
En bref, mes oncles sont passables. Ce que j'aime le plus en eux, c'est leur honnêteté avec leur personnel. Mimi qui se plaint souvent de fatigue, ne travaille presque plus. Ils la gardent chez eux et la font soigner comme si elle était une parente. D'autres sans cœur aurait pu la renvoyer, la condamnant à l'hospice. Ils ferment les yeux sur Rose, qui au lieu de travailler, joue avec moi. Même François, le fainéant légendaire est protégé.
Ils détestent les ragots et se privent d'une sacrée source d'informations, mais ils sont ainsi, vraiment vertueux.
Un incident, un dimanche, m'a fait découvrir un Pierre inattendu.
Rose n'était pas là, et Mimi voulait cuisiner une poule au pot, alors elle m'a chargé d'aller tuer une des volailles. C'était hors de question, puisque cela fait un mois que je les nourrie ces bestioles et que je leur parle. Elles sont câlines et je leur ai même donné des noms.
Mon oncle Pierre s'en est mêlé et Il a rouspété que je devais m'endurcir.
─ Fais le toi, puisque tu es si malin !
─ Petit insolent ! Figure-toi que je chasse et tout homme doit pouvoir le faire !
Pour me prouver que j'étais ridicule, il l'a fait à ma place. Le repas a été étrange, puisque ni lui, ni moi n'avons mangé de viande.
Le lendemain, Rose m'a raconté qu'elle ne l'avait jamais vu tuer un animal, c'est toujours elle qui s'en charge et comme par hasard, il a donné consigne de ne plus manger les poules.
J'ai exploré les alentours et fait connaissance avec les villageois, les vachers avec leurs chiens et les troupeaux et toujours une vache gourmande qui essaye de se sauver. Je croise quelques garçons dans les rues, jamais je ne me risquerais à les approcher.
Le centre du village est animé avec les boutiques. Nous avons une librairie et un marchand d'instruments de musique. Des quincailleries vendent de tout, des casseroles aux charrettes et leurs devantures sont un vrai déballage à la mode cavernes d'Ali baba. Ma préférée s'appelle : La maison de Paris et elle fournit aussi du matériel de dessin. Les Tulliers, les propriétaires sont un couple âgé, des amis de la famille.
Le jour du marché, il y a la foule dans les rues et tous les quinze jours, il y a une foire au bestiau qui attire du monde et donne du travail à mes oncles.
Les deux maréchaux ferrants et les forgerons ne chôment pas et frappent avec leurs marteaux sur les enclumes.
Je porte désormais des chemises et des pantalons de vieillards, je fais affreusement local là-dedans. J'ai renoncé aux mocassins trop délicats, pour enfiler des bottes comme les oncles.
Rose affirme que j'ai réussi à mettre ma touche de classe. Elle m'a aidé à broder des fleurs sur les vieilles vestes et à dessiner des papillons sur les bottes.
Pierre a marmonné que la ville m'avait gâté la cervelle.
François balaie la cour, tandis que je lui parle de Sadi Carnot. Il ne connait pas et ignore qu'il s'agit de notre président de la République. Il est fier de m'affirmer qu'il est royaliste, mais ne sait pas pourquoi. Rose rouspète que tous les gars du coin sont débiles, je vais finir par la croire.
Enfin, une nouvelle lettre de maman arrive. Elle explique que mon dossier est discuté à l'école et elle espère pouvoir me donner bientôt des bonnes nouvelles. Paul a ajouté quelques lignes, il m'embrasse et ajoute que le scandale n'a pas éclaboussé la banque.
C'est soudain ! Mais l'enfer de ma situation m'assaille.
C'était un coup de semonce cette fois, peut être que je vais m'en sortir ! Cependant, mes sentiments, mes désirs ne seront jamais tolérés. Je suis condamné à vie, je ne l'avais pas vraiment réalisé jusqu'à cet instant.
Je suis partie m'écrouler dans ma chambre, anéanti, les larmes aux yeux. Mes oncles essayent de me consoler, ne comprenant pas quelle mauvaise nouvelle j'ai reçu.
Ils m'ont proposé de reprendre mon droit ici pour devenir notaire avec eux. Je leur ai claqué la porte au nez.
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