0.2

Mardi, 5 septembre 2017

– Et là, le type m'ouvre en caleçon et me tend son billet comme si de rien n'était, dit Elias en grimaçant. Et en plus, l'élastique de son caleçon était complètement détendu, si vous voyez ce que je veux dire : l'horreur !

Noah et Adélaïde explosèrent de rire en entendant Elias raconter sa dernière péripétie au travail. Cela faisait un mois qu'il livrait des pizzas et il avait eu son lot de clients originaux. Noah riait si fort qu'il cracha malencontreusement un peu de son soda sur la table du jardin, ce qui n'aida pas à atténuer les gloussements d'Adélaïde. Elle avait le rire plutôt facile, enfin seulement avec ses deux meilleurs amis. Elle était de nature assez timide le reste du temps.

Adélaïde alla dans la cuisine chercher une éponge, puis revint nettoyer la table que Noah avait aspergée de soda. Ce dernier s'empressa de l'aider.

– Fallait pas, je m'en serais occupé. Bon, on commande des pizzas, dit Noah à qui toutes ces crises de rire avaient ouvert l'appétit.

– L'autre, il me parle de pizzas alors que j'en mange tous les jours ! répondit Elias sur un ton faussement choqué (tout le monde savait que c'était son plat préféré). Nan, ce soir je fais un break... Kebab ou sushis.

Noah se tourna vers Adélaïde pour avoir son avis, mais cette dernière se contenta de hausser les épaules.

– OK. Kebab, alors. La dernière fois, j'ai été malade à cause de vos sushis prétendument trop bons.

Elias s'empara de son téléphone pour passer la commande. Noah se rassit confortablement dans sa chaise pour admirer la vue depuis son jardin. La soirée était douce, agréable, décontractée. À l'image de leur amitié. Noah ne put s'empêcher cependant de remarquer qu'Adélaïde était un peu ailleurs. Il ne fit aucune réflexion, pour ne pas plomber l'ambiance. Demain serait le début du reste de sa vie. Il n'était pas pressé, à vrai dire. Il aurait bien profité encore un peu de sa vie de lycéen. Et il aurait aimé que cette soirée ne s'arrête jamais.

Au moment même où le livreur sonna à la porte, le téléphone d'Elias retentit. Noah se leva pour aller ouvrir et payer, pendant qu'Elias répondait. Quand Noah réapparut sur la terrasse, des kebabs plein les bras, Elias s'excusa auprès de ses amis et les informa qu'il devait hélas aller garder Eléanore, sa petite sœur de dix ans.

– Paul ne peut pas s'occuper d'elle ? demanda Adélaïde, déçue.

Paul, le petit frère d'Elias, avait quinze ans. Il était assez grand et responsable pour jouer les baby-sitters.

– Non, Adé, je te l'ai dit hier, il est malade et cloué au lit avec 39 °C de fièvre, lui rappela Elias en s'emparant d'un kebab emballé dans du papier d'aluminium, avant de le fourrer dans la poche arrière de son jean. Mon père est en voyage d'affaires, et on vient d'appeler ma mère pour remplacer une infirmière qui ne s'est pas pointée à l'hôpital. Désolé, mais là, je n'ai pas vraiment le choix.

C'est vrai, pensa Adé, Paul était malade. Elle était tellement dans les nuages qu'elle avait oublié. D'habitude elle n'oubliait jamais rien. C'était elle qui se rappelait tous les anniversaires et chaque petit détail de la vie de ses amis. Par exemple, elle se souvenait du jour où Noah avait perdu sa première dent de lait, ou encore du T-shirt vert que portait Elias quand il s'était cassé le bras l'année précédente.

Elias salua ses amis, puis s'en alla. Noah commença à déballer les kebabs sur les assiettes qu'il avait sorties, tout en regardant Adélaïde qui, l'air pensif, avait les yeux fixés sur l'horizon.

– Tu comptes me dire ce qu'il se passe ou je dois te faire subir un interrogatoire ? lui demanda-t-il.

– C'est rien, juste le stress de la rentrée, le rassura Adélaïde.

– Adé, on se connaît depuis qu'on a deux ans, je sais quand quelque chose te tracasse.

La jeune femme se mordit l'intérieur de la joue et secoua la tête.

– Tout va bien, insista-t-elle avant de s'emparer d'une assiette en prenant soin d'éviter le regard de Noah qui, lui, ne la quittait pas des yeux.

Il l'observa en silence, mais son observation se transforma vite en admiration. Ses magnifiques boucles blondes qui tombaient en cascade autour de son visage et ses yeux marron. Certains les auraient trouvés banals, mais Noah, lui, les avait toujours trouvés extraordinaires. Leur couleur noisette le fascinait. Le jeune homme fut tiré de sa contemplation par son amie.

– Si un jour je partais, comment réagirais-tu ? demanda Adélaïde.

– Je partirais avec toi, répondit-il du tac au tac, comme si la réponse était une évidence. Tu le sais, « Depuis toujours et pour toujours », ajouta-t-il en faisant référence à la devise qu'ils avaient choisie pour définir leur amitié.

– Et si tu ne pouvais pas partir avec moi ?

– Alors, j'imagine que ma réaction dépendrait de la durée de ton absence, répondit Noah. Pourquoi me poses-tu cette question ?

Adélaïde sembla hésiter un moment. Noah essaya de déchiffrer l'expression de son amie. Une seule conclusion possible : son visage exprimait un sentiment de culpabilité. Il la connaissait par cœur, il était sûr de lui, elle se sentait coupable. Mais ce qu'il ne comprenait pas, c'était pourquoi.

– Comme ça, finit par mentir Adélaïde.

– Il y a bien une raison, sinon je ne vois pas pourquoi tu me la poserais ?

– C'était juste une question.

– Ça a un rapport avec ton père ? Je croyais que tu ne voulais pas entendre parler de lui.

Les yeux d'Adélaïde croisèrent enfin ceux de Noah. La culpabilité avait disparu pour laisser place à l'incompréhension.

– Ta mère a dit à la mienne que tu lui avais posé des questions à son sujet, précisa Noah.

Adélaïde se raidit d'un seul coup. Elle savait bien que Jane et Sophia, sa propre mère, étaient de très bonnes amies. En tant que mères célibataires, elles s'étaient toujours serré les coudes. Mais elle n'aurait pas cru pas qu'elles se confiaient à ce point l'une à l'autre.

Adélaïde n'avait jamais connu son père. Il avait disparu quelques semaines avant sa naissance. Jusqu'à encore quelques mois, elle n'avait jamais voulu poser de questions à sa mère à son sujet. Elle savait que chaque fois que l'on parlait de lui, que ce soit pendant un repas de famille ou à n'importe quel autre moment, c'était encore douloureux pour elle. Même au bout de dix-huit ans, Sophia Richard n'avait pas refait sa vie. Elle était toujours légalement mariée, et très attachée au père de sa fille.

Sa mère lui avait donc appris qu'en plus d'être un lâche, son père était un égoïste : Maxime Richard était batteur dans un groupe qui parcourait le monde. Personne ne savait vraiment où il habitait, il était toujours en tournée. En apprenant cela, le sang d'Adélaïde n'avait fait qu'un tour. Elle avait demandé à sa mère pourquoi elle était toujours mariée à cet homme qui avait préféré la musique à sa famille. Sophia avait été incapable de lui répondre. Adélaïde supposait que c'était à cause des sentiments forts qu'elle ressentait encore pour lui. Mais au fond, tout ça n'avait pas d'importance, ce n'était pas à cause de lui qu'Adélaïde était comme ça ce soir.

– Cela n'a rien avoir avec mon père, No.

– Pourquoi tu ne m'as pas dit que tu avais eu cette « discussion » avec ta mère ? demanda Noah en mimant des guillemets. Je pensais que tu m'en parlerais, on s'est toujours confiés l'un à l'autre sur nos pères absents.

La relation de Noah avec son père était totalement différente. Noah avait vécu avec le sien pendant les cinq premières années de sa vie. Une courte période, mais au moins il avait eu la chance de le connaître, contrairement à Adélaïde. Mais son géniteur avait, lui aussi, préféré poursuivre ses rêves et devenir grand reporter. C'était sans doute l'une des raisons pour lesquelles Noah voulait intégrer Science Po. Léonard Lopez ne donnait désormais signe de vie qu'à travers les pensions alimentaires qu'il envoyait à Jane. Noah ne l'avait pas revu depuis plus d'une dizaine d'années. Et pourtant, il ne lui manquait pas.

Adélaïde resta silencieuse face à la question de son meilleur ami, les yeux rivés sur le kebab auquel elle n'avait pas touché. Noah l'interrogea de nouveau, espérant enfin obtenir une réponse.

– Je ne sais pas, Noah. Il me fallait du temps pour assimiler la nouvelle ! J'avais toujours espéré que mon père nous avait quittées parce qu'il n'avait pas eu le choix. Je me disais qu'il était militaire ou qu'il travaillait dans une ambassade à l'étranger, avoua la jeune fille, la gorge nouée.

– Adé, peu importe les raisons pour lesquelles ton père est parti, tu es devenue une fille des plus brillantes. Je suis sûr qu'il s'en mord les doigts à l'heure qu'il est, la réconforta Noah.

Noah était toujours là pour remonter le moral des gens. Lui et Adélaïde avaient toujours le sourire. Ils préféraient voir le côté positif des choses. Mais depuis quelque temps, la jeune fille ne souriait plus que rarement, et ça, Noah l'avait remarqué. Il s'approcha d'elle et lui déposa un baiser sur le front.

– Personne n'a besoin d'un père pour réussir. On va s'en sortir, tu verras.

Adélaïde sembla se détendre et ils passèrent le reste de leur soirée à discuter et à rire. Une soirée parfaite. Ni l'un ni l'autre n'aimait les grandes fêtes où l'alcool coule à flot, les dîners dans des restaurants chics, ce genre de trucs. Ils préféraient tous les deux les choses simples.

***

À 22 h 30, le téléphone d'Adé sonna, et la jeune femme se crispa aussitôt. Noah fut surpris. Il avait bien compris que ce n'était pas un appel qu'elle recevait, mais une alarme qu'elle avait programmée.

– Il faut que j'y aille, annonça Adélaïde d'une petite voix.

– Tu n'étais pas censée dormir ici ce soir ? demanda Noah, surpris.

– Il faut que je règle quelques trucs avant la rentrée.

Adélaïde alla chercher son sac dans le salon, sous le regard perplexe de Noah. Il la suivit.

– Qu'est-ce que tu as de si important à faire ?

– J'ai juste envie de dormir chez moi. Comme ça, je n'aurai pas à repasser prendre mes affaires demain matin. Ce sera plus pratique.

Il savait bien qu'elle lui mentait, mais il savait aussi que rien de ce qu'il pouvait dire ou faire ne l'arrêterait. Tout en se dirigeant vers la porte d'entrée, Adélaïde sortit une enveloppe de son sac. Elle s'arrêta net et la lui tendit. Noah fronça les sourcils. Il saisit la lettre. Il s'apprêtait à l'ouvrir, quand elle posa sa main sur la sienne.

– Tu ne dois l'ouvrir qu'après minuit, c'est très important pour moi.

– Mais qu'est-ce qu'il y a dans cette enveloppe ?

– Je t'envoie un texto quand tu peux l'ouvrir, mais sache que je suis désolée...

– Tu sais qu'à la seconde où tu passeras cette porte, je l'ouvrirai, répliqua-t-il d'un ton léger.

– Non, tu ne le feras pas, parce que tu sais que cela me tient à cœur, rétorqua Adé.

Noah soupira, il aurait fait n'importe quoi pour elle, alors s'il fallait attendre quelques heures de plus pour ouvrir cette lettre, il se plierait à sa volonté, même s'il n'en voyait pas l'intérêt. Avant qu'il n'ait eu le temps d'ajouter quoi que ce soit, Adélaïde le prit dans ses bras et posa sa tête sur son torse. Il fut surpris par ce geste, mais se contenta de l'étreindre à son tour en silence. Ils restèrent là, dans les bras l'un de l'autre, pendant plusieurs secondes. Le temps semblait s'être arrêté. Noah essayait de comprendre pourquoi Adélaïde agissait si étrangement. Il déposa un baiser sur son front. Et puis elle s'en alla.

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Note de l'auteur:

Mes livres sont toujours en vente, si ça vous intéresse! Je poste ce petit extrait dans le cadre de mon calendrier de l'avent Wattpad, si vous voulez en savoir plus sur ce calendrier de l'avent je vous conseille d'aller lire mon Rantbook!

Je vous posterais peut-être un autre petit extrait, mais je ne publierais pas l'histoire en totalité sur Wattpad désolé.

Si vous avez des questions, n'hésitez pas à me les poser en commentaires.

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