Hiver.
Samedi 11 Janvier 2014
Cela fait un moment que je n'ai pas écrit... Il s'est passé tellement de choses depuis mes derniers mots. Je te fais un petit résumé et ensuite je te raconte ce qu'il s'est passé hier soir...
Tout d'abord, Magic a coupé les ponts, encore une fois, mais cette fois-ci, ce sera pour de bon. Nous avons eu un moment d'égarement, par vidéo, et je dois bien reconnaître que j'en ai affreusement honte. Du coup, même si Magic était ce qui se rapprochait le plus d'une relation "amoureuse", entre guillemets, je préfère que ça se finisse ainsi. Ce n'était pas sain, et vu dans quel état je suis, je n'ai pas besoin de me compliquer encore plus la vie.
Alors... Hier... Encore un repas où tout le monde crie, et chacun veut avoir le dessus sur le reste. Dans ces moments là, je ne dis rien, et comme je suis de toute façon invisible, je m'efface et me terre dans le mutisme. Sauf que là, c'était le soir de trop, et j'ai craqué. J'ai quitté la table en plein milieu du repas alors que tout le monde gueulait de partout, pour aller dans ma chambre.
Je n'ai pas allumé la lumière, et, sans retenue, j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Ma mère, inquiète, est venue me retrouver, et m'a demandé ce qu'il se passait. Et là, va savoir pourquoi, je lui ai dit : je ne veux pas te le dire, j'ai peur que tout change après ça. Elle m'a assuré que rien ne changerait, que c'était ma mère, et qu'elle ne pouvait pas laisser ne serait-ce qu'un seul de ses enfants dans un tel état.
"Maman, je crois que j'aime les garçons, et les filles..."
Et là, c'est le drame. J'ai eu le droit aux réponses les plus clichées du monde : "mais comment peux-tu savoir si tu n'as jamais essayé ? Qu'est-ce que les gens vont dire ? Qu'est-ce qu'on a raté dans ton éducation ? Je n'aurais peut-être pas de petits-enfants ?"
Sinon, Maman, oui, je vais très bien. Oui, à moi aussi, ça me fait plaisir que l'on puisse se parler à cœur ouvert. Ton soutien m'est vital, merci, je n'en attendais pas tant...
En fait, ma mère a conclu par cette phrase : il ne faut pas que ton père l'apprenne, il va être furieux, ça va l'anéantir.
Et depuis, en fait, ma mère ne m'a pas adressé un seul mot. Même pas un bonjour. Rien. Je tente de relativiser en me disant que je ne suis pas à la rue. Mais bon, il faut accuser ce coup. Ce rejet de la personne dont je pensais avoir un soutien infaillible. Je n'ai donc véritablement personne à qui me confier, ni sur qui me reposer dans cette famille.
Voilà... Maintenant, je dois apprendre à vivre avec ça... L'année ne pouvait pas mieux démarrer...
Dimanche 2 Février 2014
Aujourd'hui, pour la première fois, ma mère m'a demandé si ça allait. Pas pour se soucier de mon état, non, vraiment par simple politesse. Mais c'est une grande avancée, au bout de 3 semaines de mutisme.
Je t'aurais bien dit que c'est un calvaire à vivre, mais en réalité, ça me donne une raison de plus de rester dans ma chambre et éviter tout contact avec cette famille qui n'a jamais eu de considération pour moi.
Jessie n'arrête pas de me parler du forum et y a rencontré un membre avec qui la discussion se fait plus que bien, vraisemblablement. Tant et si bien que Jessie aimerait concrétiser ça et souhaiterait organiser cette rencontre. Et bien évidemment, à qui on demande de l'aide ? A moi, bien sûr ! La bonne poire...
Cette personne habite le pays frontalier, et elle souhaiterait venir accompagnée d'un autre membre du forum qui se trouve être une proche connaissance dans la vraie vie de cette personne, mais la mère de Jessie refuse d'héberger deux personnes, une à la rigueur.
Tu as compris ? Comment je vais demander à ma mère qu'on héberge une personne d'internet, que l'on ne connaît de nulle part, si ce n'est de plusieurs messages écrits sur ce forum ? Ces deux personnes sont majeures, 18 et 20 ans, il me semble. Jessie a 17 ans, et moi 16.
On verra quand le dialogue se refera, s'il se refait un jour...
Il n'y a pas un jour où je ne pleure pas depuis ma précédente entrée. Je regrette tellement de lui avoir dit. C'est tellement dur d'assumer un tel rejet de la part de la personne qui vous a donné naissance. Les parents devraient être là pour vous soutenir, peu importe vos choix, tant qu'ils ne portent pas atteinte à l'intégrité d'une tierce personne.
Franchement, je ne comprends pas ! Il y a quoi de mal à aimer des personnes du même sexe ? Je me préfère savoir comme ça, que d'avoir des besoins de meurtre, ou pire ! Je m'en fous de ce que les gens vont dire ! Je veux vivre ma vie, pour moi ! C'est tellement égoïste de la part des parents, ce genre de réaction... On ne fait pas des enfants pour soi, mais pour les préparer à être de belles personnes, qui façonneront le monde de demain.
Mes parents, avant de vouloir de moi que je sois une personne que je ne suis pas, devraient plutôt se préoccuper de leurs problèmes ! Est-ce que je vais les juger, moi ? Leur dire que leur éducation, c'est de la merde ? Qu'ils montrent tout sauf le bon exemple ? Non ! Et pourquoi ? Eh bien tout simplement car mon père me retournerait la tronche à coup de baffes...
Ce monde est tellement injuste. Si c'est ça, vivre, alors je préfère mourir que de devoir me cacher, me battre et me justifier pendant que le reste des gens vivent insouciants, et surtout, en toute impunité...
Aucun enfant ne devrait se coucher le soir, avec pour seule pensée : je n'en peux plus, je veux mourir.
Vendredi 7 Février 2014
Je ne sais pas pourquoi je continue à écrire ce stupide journal. Ça ne me soulage plus. Maman me reparle, mais avec froideur et détachement. Je ne sais pas si je préférais quand il n'y avait aucun dialogue...
J'ai osé lui demander pour le service de Jessie, et contre toute attente, les parents ont accepté. Uniquement pour rendre service à Jessie, si tu veux mon avis... Ils viennent la semaine prochaine, du vendredi soir au samedi soir. La personne que nous accueillons s'appelle Eden. Je n'ai pas spécialement hâte, mais cette rencontre fait plaisir à Jessie qui ne fait que me parler de ça.
De mon côté, je multiplie les séances de larmes et de "bain". Cela ne m'apporte plus rien non plus. Je crois que j'ai atteint le fond. Mes notes chutent, et pourtant je bosse toujours autant. Le lycée, c'est vraiment de la merde.
Mon seul et unique réconfort, c'est le russe. Ouais, je sais, je te l'ai déjà dit, mais voilà. C'est une langue que personne ne veut apprendre, difficile, et même austère. Les sons sont durs, gutturaux. Le pays effraie, avec la Guerre Froide, la Révolution Russe ayant mené au communisme, puis l'ère soviétique... Tous ces événements ont laissé une empreinte forte dans les esprits, et pourtant, ce pays a tant de richesses, un patrimoine culturel unique.
Et surtout... Là bas, c'est la misère. Quand je vois les caprices que l'on peut faire, ici, en France, à se plaindre d'aise, alors que certains, en Russie, n'ont même pas de toilettes ou douches privatives, et ceci n'est exceptionnel, encore beaucoup de logements sont comme cela. Lorsque vous vous rendez à la "datcha", la maison de campagne, qui relève plus de la cabane qu'une véritable maison, à la campagne, eh bien, pour seules toilettes, vous avez un petit cabanon avec un trou dans lequel vous devez faire vos besoin.
Tout cela aide à relativiser sur le monde dans lequel nous vivons. Je trouve que j'ai beaucoup de chance d'avoir vécu ce voyage si tôt, avant que toute ma vie ne bascule... J'ai pu découvrir la réalité du monde extérieur et me forger un regard plus critique sur le monde, tout en prenant du recul. Dommage, tout cela ne me servira à rien dans ma vie car au train où c'est parti, je ne survivrais pas très longtemps dans ce quotidien de souffrance.
Bref, j'arrête avec tout ça...
Dimanche 23 Février 2014
Les amis de Jessie sont partis. Je ne sais pas comment raconter ça, car j'ai trop honte. Une partie de moi est partie, également, avec eux.
Nous les rencontrons en fin d'après-midi, et, à ma grande surprise, tout se passe hyper bien. On s'est posé dans un parc, car on quittait plus tôt, et on a bien rigolé. Puis chacun est rentré chez soi. Le repas s'est également bien passé : mon frère n'était pas là, et mon père était à peu près frais. Maman a fait l'effort de bien parler, et je ne pourrais même-pas certifier que c'était vraiment un effort de sa part ou bien une véritable volonté de dialoguer.
Puis vient le moment d'aller dans la chambre. Eden a apporté un dvd pour me faire découvrir... Ça aurait dû me mettre la puce à l'oreille dès le départ : un film d'horreur. Le cliché. Mais je suis l'incarnation même de la naïveté, et je n'ai pas vu le truc venir... Son bras se pose sur mon épaule pendant le film. Je m'en dégage et le retire.
Le film se finit, et je dois bien avouer qu'il était grave flippant (c'était The Descent, l'HORREUR !). Du coup vient le moment de se coucher, alors je me mets dans mon lit, et Eden se rend dans la salle de bain pour le rituel du soir (brossage de dents, and co....). Je m'endors.
Lorsque je rouvre les yeux, Eden se trouve sur moi, en train de m'embrasser. C'est d'abord l'incompréhension, puis, quand je réalise ce qu'il est en train de se produire, je commence à paniquer. Eden pose sa main sur ma bouche, avec douceur, pour me signifier qu'il ne faut pas faire de bruit, puis descend jusqu'au niveau de mon pubis, et de ses lèvres, effleure mon intimité.
Le choc est tel que je suis incapable de faire quoique ce soit : lui dire d'arrêter, que je ne veux pas, que j'ai peur. Et là, je pense à mes parents dans la chambre à côté, et si mon père surprenait l'un de ses trois enfants en pleine action sexuelle avec une personne du même sexe, sous son toit. Il péterait un de ces câbles ! (Et alors si en prime, il apprenait que ce n'est même pas consenti de mon côté, je pense qu'il aurait carrément été capable de tuer Eden, réellement.) Alors je laisse faire, et j'attends...
Jusqu'à ce que je n'en puisse plus et que mon corps reprenne le dessus : de violents hauts le cœur me prennent et je cours aux toilettes pour vomir. Lorsque je regagne la chambre, Eden était dans le lit du dessus (ce sont des lits jumeaux), et je n'ai rien pu lui dire.
Cette impuissance. Je m'en veux tellement... Pourquoi ai-je accepté d'héberger Eden, déjà ? Comme si ma vie n'était pas déjà assez bordélique comme ça, il fallait en plus que Jessie me mettent au contact de cette personne, qui est majeure, alors que je n'ai même pas la majorité. Je pensais pourtant lui avoir fait comprendre que cela ne m'intéressait pas pendant le film.
Par honte, j'ai fait bonne figure tout le restant du week-end, mais le contrecoup de la réalité est trop violent : on vient de me forcer à faire quelque chose que n'avais pas envie de faire. Ce n'était pas le bon moment. Et on m'a retiré cette décision.
Jessie m'a envoyé des tonnes de messages pour me partager son bonheur... Apparemment, Eden aurait manifesté des sentiments pour moi, d'après la personne que Jessie hébergeait. Ouais, bah ça, je le sais bien... Mais à ce stade, je ne parlerais pas de sentiments, moi, mais plutôt d'abus.
Cette sensation de saleté, même si mon corps a eu le réflexe de stopper tout ça avant le désastre. Peut-être l'ai-je bien cherché ? L'univers me punit ? Ce n'est qu'un juste retour des choses ?
J'ai pleuré tout le reste du week-end, et pour une fois, pas besoin de "bain" pour ressentir quoique ce soit : la honte, la douleur, l'incompréhension, l'impuissance. Moi qui pensait qu'il n'était pas possible de tomber plus bas, eh bien, je me trompais tellement...
Me voilà dans les recoins les plus sombres, et il est désormais trop tard pour en sortir... Je suis un fantôme pour ma famille qui me rejette pour ce que je suis réellement. Mon père est une épave, qui a mené son foyer à la ruine, au surendettement. Toutes les semaines, ce sont des relances de paiement, téléphone, internet, cantine du lycée...
J'ai flirté avec une personne ayant le double de mon âge, et nous avons fait des choses très mal... Je ne peux parler à personne de qui je suis réellement, personne ne me comprend, car personne ne vit ce que je vis. La solitude, le rejet, l'injustice. Je n'en peux plus. J'ai atteint mes limites, c'en est trop pour moi. Même ma propre intimité m'est volée...
Je ne suis plus personne, alors que je n'ai jamais vraiment été quelqu'un. Je ne manquerai pas à ce monde, et ce monde ne manquera pas vraiment. J'aurais tellement aimé découvrir de nouveaux pays, de nouvelles personnes et de nouvelles cultures...
Mais comment en avoir encore l'envie, après tout ça ? Eh bien pour moi, c'est fini. J'ai perdu le peu d'envie qu'il restait. Même le russe, même Jessie, plus rien ne me retiendra... Je vais juste envoyer un message à Gwen, qui a toujours été là pour moi, et même si nous ne fréquentons plus la même école, eh bien, je lui dois bien ça...
Au revoir, Joe. Merci d'avoir été mon plus fidèle et plus intime confident... Le seul, en fait. Ce soir sera le dernier soir de ma vie.
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