La lecture peut vous sauver la vie

- Hans! Réveille-toi!

Je vous jure, j'avais vraiment tout fait pour épargner ce pauvre Hans. Il a ouvert les yeux péniblement. Depuis la veille, je lui gâchais vraiment son sommeil.

- Qu'est-ce que?

- Je ne voulais pas te réveiller, mais il y a ce truc qui cloche... Je n'arrive pas à avoir de flammes.

- Des flammes? Où ça?

- Mais dans le four, qu'est-ce que tu crois?

Il a fait mine de se rendormir, mais l'idée continua à faire son chemin. Il se réveilla en sursaut, comme si on lui avait planté des électrodes dans le fondement. Ça s'annonçait assez mal.

- Bon Dieu Max! Qu'est-ce que tu as encore fichu?

- Ce n'est pas ma faute... Écoute, dis-moi seulement comment on obtient des flammes et je m'occupe du reste, tu n'auras qu'à te rendormir.

- Le four ne fait pas de flammes! Il élève la température jusqu'à ce que... Bon sang! C'est incroyable! Tu ne peux pas passer une nuit sans buter quelqu'un! Qui c'est cette fois?

Vous ne pensiez quand même pas que j'allais lui répondre? Mais il a tout deviné, l'enfoiré.

- Tu as bouffé ta propre mère?

- Je sais, c'est monstrueux... J'ai perdu le contrôle...

Pour la peine, ce fut Hans qui perdit le contrôle. Il se releva en gesticulant et en hurlant comme... comme un singe hurlant, disons.

- T'es malade! Tu vas partir de chez moi! Tout de suite!

- Bien sûr, bien sûr... Je sais que ça ne peux pas continuer. Mais il y a le corps. On s'en débarrasse, et je fiche le camp. Je monte dans un camion et je file dans une grande ville, promis.

Ses deux bras minuscules retombèrent et il poussa un énorme soupir.

- Très bien. Je vais disposer du corps de ta mère. Après, tu files et tu ne reviens jamais plus.

J'étais si penaud que j'ai pu répondre que par un signe de tête. Parce que, malgré un léger retard, le remord m'avait tout de même rattrapé; je mesurais mal l'ampleur de la cuite qu'il me faudrait pour l'endormir. Hans est allé faire son boulot, pendant que je m'écrasais dans le sofa. Il avait raison, cette fois j'étais fichu. Demain, toute la ville entendrait parler de ma résurrection inexplicable. On chercherait ma mère, puis on me chercherais moi.

J'ai sorti la fourchette de ma poche.

Si, j'ai eu des pensées suicidaires. Après tout, ma vie ne s'était pas vraiment améliorée depuis que j'étais mort. J'ai plongé, timidement d'abord, l'argent dans mon bras. Puis j'ai pensé à maman, et je l'ai poussée un bon coup, jusqu'à n'en plus voir les dents. Je ressentis une certaine douleur, mais très faible, trop faible pour me faire du bien. Quand j'ai ressorti la fourchette, la plaie se referma aussitôt. L'argent ne fonctionnait pas, Blade c'était de la connerie et ma vie était fichue. Quand à me suicider à coups de fourchette...

Le four prenait un certain temps avant d'arriver à sa température. Je pouvais encore demander à Hans de me détruire en même temps que ma mère... Non, j'allais attendre l'aube. Ça me semblait plus propre et surtout moins douloureux. Il restait quelques heures. Normalement, j'aurais dû me préparer, prier, un truc du genre, mais puisque ça semblait interdit, il me fallait passer le temps. Nonchalant, j'explorai du pied la pile de pochettes, au cas où l'une d'elle m'aurait échappé; je conservais peut-être encore l'espoir diffus que la solution se trouvait quelque part, gravée sur un DVD. Mais non, je me les étais tous tapés. Alors j'ai aperçu le coin d'un film qui dépassais d'un coussin. C'était Interview with the Vampire, avec Brad Pitt et un type que je ne connaissais pas. Ce n'était pas un des trucs que j'avais loués. Sans doute un truc que Hans avait retrouvé dans sa collection, qu'il avait mis de côté pour moi et qu'il avait oublié là. Je pouvais entendre le bruit du tapis roulant qui emportait les restes de ma mère dans le ventre du grand four. Je me suis dépêché de lancer le film.

C'était de loin le meilleur truc que j'avais regardé depuis le début de notre petit marathon. Et je dois admettre, à ma grande honte, que j'étais très touché par le personnage de la petite Claudia. Condamnée à rester une enfant pour l'éternité, comme moi! À part que moi, j'avais simplement l'air d'avoir seize ans, peut-être quinze à vrai dire, et que j'étais toujours décidé à partir à l'aube. J'étais très content qu'elle décide de tuer son créateur, d'autant que je ne pouvais pas blairer l'acteur qui le jouait, et dont la tête me disait vaguement quelque chose.

Quand j'ai vu le moyen qu'elle avait trouvé cependant, j'étais tout de suite moins content. J'ai oublié d'un coup ma mélancolie, mon remord et mes envies de suicide. Je me suis levé et je suis allé rejoindre Hans, qui surveillait la crémation. Trop tard pour ouvrir le four et le jeter dedans. Et merde!

- Hans!

Tout de suite, à mon ton, il a compris qu'il valait mieux ne pas me contrarier.

Ho non! Qu'est-ce qui lui arrive encore?

- Qu'est-ce que tu dis?

- Qu'est-ce que tu dis?

- Non! Toi, qu'est-ce que tu dis?

- Mais rien!

- Alors la ferme! Regarde ce que j'ai trouvé!

Merde! Il l'a trouvé!

- Tiens, j'avais oublié que je l'avais celui-là...

- Oublié? Il était caché derrière un coussin. Tu l'as regardé pendant que j'allais louer des films hier!

- Si j'avais su que tu voulais le voir...

- Ils tuent Lestat en lui faisant boire le sang d'un mort.

- Il ne faut pas t'énerver. Lestat ne meurt pas pour de vrai, il survit en buvant du sang de crocodile et...

- Et tu voulais me faire avaler une jarre pleine de sang de mort!

Putain! Il a tout compris!

- Mais non, je n'y ai pas pensé une seconde...

Par moments, j'entendais parler Hans alors que sa bouche ne bougeait pas, comme dans un film mal doublé.

- Je t'entends penser!

- Comment?

- Je peux lire dans tes pensées!

Cette fois-ci, je suis fichu!

- Pitié Max! Mets-toi à ma place! Écoute, je te demande pardon. Demain, je te donne mon plus beau cercueil, on monte dans le corbillard et je te mène à la ville de ton choix! Tu pourras tuer qui tu veux, et je te donnerai de l'argent, et tu...

En vérité, j'avais de la peine pour Hans. Il essayait fort, et je ne pouvais pas lui donner complètement tort. Seulement, ses pensées s'éparpillaient devant moi. Il s'imaginait déjà s'arrêter en route et me jeter au soleil, ou me vendre à un labo, puis encore un autre truc. Il avait un plan à la seconde pour me détruire, ponctués par des pointes de désespoir, car il savait que je lisais tout au fur et à mesure.

- Désolé Hans.

Il était paralysé de terreur. Quand je plantai mes dents dans son cou, il sanglotait et les pensées qu'il déversait sur moi me déchiraient. Je ne voulais pas éterniser la scène, alors j'ai creusé aussi loin que possible. Quand j'ai senti le sang pulser en moi, j'ai su que j'avais atteint l'artère.

Puis j'ai eu un de ces haut-le-cœur!

J'ai lâché Hans pour me prendre le ventre à deux mains, et j'ai tout vomi.

Je ne comprenais plus rien. Quand j'avais bu du sang les autres fois, j'avais trouvé ça délicieux. C'était chaud comme un bon scotch, suave comme un porto, moelleux comme une bière... C'est là que ça m'a frappé: les autres fois, les gens que j'avais bus étaient pleins d'alcool.

J'étais un vampire alcoolique.

Hans se vautrait sur le sol, couvrant sa plaie de ses mains, s'affaiblissant à vue d'œil. Même ses pensées devenaient floues et ténues.

Et si un vampire alcoolique ne pouvait boire que du sang chargé d'alcool, comment allais-je me nourrir désormais? Tous les autres poivros du patelin avaient disparu.

Ils étaient disparus parce que le vampire qui les avait tués était un alcoolique aussi. Sans doute quelqu'un qu'ils connaissaient bien, qui pouvait les pousser à boire. Quelqu'un du cercle...

J'avais tué Reinhard, ça laissait Miette et Simon. Miette qui avait le cœur sur la main, et Simon qui était un connard de facho.

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