Chapitre 12
De nos jours
Lola : Salut Naomi, ici Lola. J'ai fini ma liste, alors je t'envoie ce SMS pour connaître tes dispos.
Après envoi, je me dis que ce message sonne un peu froid. Néanmoins, je n'avais aucune fichue idée de comment l'écrire. Les mots m'ont tellement tourné dans la tête que j'en ai perdu le sens.
Je pose mon téléphone pour me préparer et enfiler une tenue décente. Avec tout le déni du monde, je tente d'oublier l'existence du bordel qui jonche mon nouvel appartement. Il faudrait que je prenne un peu de temps pour le ranger, l'aménager, créer un espace douillet dans lequel je pourrais me sentir bien. Me sentir chez moi. Mais c'est dur. Lorsque mes yeux se posent sur un objet, je ne peux m'empêcher de penser comment Maman l'aurait rangé. Puis, mon attention se focalise sur Papa que j'ignore depuis un moment déjà. Un sentiment de culpabilité vient à l'encontre de la rancœur. Cet inconfort m'aspire avec tellement de hargne que je peine à m'en extirper.
Alors que je me brosse les dents, mon téléphone vibre. Ma main l'attrape d'elle-même, avant que je prenne conscience du geste. Lorsque s'affiche le nom de Diego dans les notifications, je ne peux ressentir une pointe de déception. Une déception qui s'amplifie en lisant son message, qui répond à une proposition d'activité de ma part.
Diego : Dsl de te répondre que mtn. Je suis très occupé en ce moment. Peut-être une prochaine fois ?
Une part de moi attendait qu'il s'agisse d'une réponse de Naomi. Bien que dérangeante, notre dernière discussion était des plus sincère. Pour autant, le refus de Diego me blesse plus que ce que je veux l'admettre. Pléthore d'émotions m'étreignent, m'écrasent.
Je remets le portable à sa place pour terminer mon brossage de dents. Je me concentre plus que de raison sur cette tâche banale. Et pourtant... Pourtant, mon esprit dérive. Une sensation de couteau dans le dos. Ça y est, Diego me rejette. Ce fameux jour que je redoutais tant est arrivé. Je devrais m'en prendre qu'à moi-même : je n'ai cessé de le repousser chez Life Company. Pire encore, et je m'en rends compte seulement maintenant que je repense à notre amitié mais... Que sais-je vraiment de lui, hormis ce qu'il a bien voulu me partager ? Je prends conscience que nous avons beaucoup parlé de jeux vidéo, de passions communes et que nous avons même partagé des fous rires. En revanche, je ne me souviens pas beaucoup de confidences de sa part. Tout ce que je sais, c'est qu'il a deux mères, un frère et une sœur. Mais il ne m'en a parlé que très peu.
En fait, Diego s'est toujours montré très réservé. Même durant notre rencontre, la première que nous avons échangé quelques mots. Il m'aidait à trouver un local à l'école. Depuis ce jour, nous ne nous sommes plus quittés. Dès que je me sentais mal, il était présent. Oui, présent. À toute heure de la journée. Peut-être que je n'étais pas digne de son amitié, de son attention. Parce que, dans le fond, je ne l'ai pas assez écouté. Diego a été mon meilleur ami, et hormis notre complicité partagée, je ne connais rien de « profond » chez lui. Ni comment il se sent, ni comment il fait face à sa nouvelle vie.
Je ne lui ai même pas demandé une putain de fois.
Je recrache l'eau pleine de dentifrice dans l'évier, avec cette désagréable sensation de confusion que je connais si bien lorsque je pense aux relations sociales. Diego attendait peut-être de moi une écoute, ou une présence comme il a su m'en apporter. Et telle que je suis, il m'a été impossible de lui rendre tout cet amour qu'il m'a porté. Aujourd'hui, j'en paie les frais.
« D'abord Jeanne. Maintenant, ton meilleur ami. Je suis sûre qu'ils doivent bien se marrer quand ils parlent sur ton dos ! » me lance ma conscience.
Alors que le rouge me monte aux joues dans un mélange de honte et de flagellation, une nouvelle vibration me fait sauter sur mon téléphone. Cette fois-ci, nouvelle déception. Alors que j'espérais un nouveau signe de Diego, qui accepterait que l'on puisse se voir finalement, c'est Naomi qui m'a répondu.
Naomi : Je suis dispo maintenant, La ! J'espère que tu m'as bien enregistrée comme « Mi » dans ton téléphone, parce que ce serait scandaleux sinon. Bref, je t'envoie mon adresse. Bouge ton petit cul, j'ai hâte de lire ta liste !
Abasourdie, je fixe le SMS sans bouger. Maintenant. Genre, là, maintenant ? Dans un élan de stress, je me précipite sous ma douche pour me savonner, puis me retrouve comme un merlan frit devant mes vêtements. Je ne m'attendais pas à sortir aujourd'hui ! Face à l'imprévu, mes poils se hérissent et les palpitations de mon cœur s'accélère.
Je ne sais pas ce que ce signe veut dire, encore moins pourquoi Naomi me répond par la positive à la place de Diego. Ma vie adopte un mouvement imprévisible ; un mouvement bien trop perturbant dans cette nouvelle vie que j'entame.
***
Mes yeux se plissent devant le bâtiment que je vois, à mi-chemin entre la vieille maison et l'immeuble. Un toit noir rempli de pigeons surplombe des briques grises, brunies par l'usure, qui forment une façade des plus désuète. Sur le côté se trouve le portique abîmé dont Naomi parlait dans son message.
Naomi : Tu sauras que c'est là grâce à la présence de Clémentine. Sur la droite, y a un portique métallique abîmé. Dépasse-le, on rentre par l'arrière. Je serai sûrement dans l'abri de jardin. À + dans le bus !
Lorsque j'arrive à l'arrière, j'aperçois l'abri de jardin en question. Je m'attendais à plus petit... Mais en fait, il s'agit d'une sorte de cabane en béton isolée, sur laquelle s'écroulent des grosses palettes en bois humides. L'odeur de l'herbe titille mes narines. Je me rends vers cette porte en bois pour taper dessus, mais celle-ci s'ouvre toute seule, à l'aide d'un coup de vent.
Je glisse un regard à l'intérieur. Debout, complètement dos à moi, se trouve Naomi affublée d'un casque sur les oreilles. Sa voix cassée reprend les paroles d'une musique que je ne connais pas, tandis que sa main droite serre un pinceau recouvert de peinture. En rythme avec son chant, la peinture s'étale sur une toile, posée sur son chevalet. Lentement, mon regard se détache pour observer l'intérieur de l'abri. Retapé, probablement de sa main ou de celle du propriétaire, il contient des tas de tableaux colorés, allant du réalisme au symbolique, du portrait à l'abstrait. Des papiers jonchent le sol et, en plissant les yeux, je remarque le croquis de ce qui ressemble à une fresque sur plein de papier assemblés.
Naomi termine sa palette, puis sort son téléphone de sa poche arrière. Elle fait volte-face directement en enlevant son casque.
— Oh ! Désolée, je ne t'ai pas entendue. Tu es arrivée vite.
— Ouais, j'avais pas envie de t'interrompre dans ton fabuleux concert artistique !
Elle rit, puis se tourne à nouveau vers sa toile.
— Si ça ne t'ennuie pas, je vais terminer ce que j'ai commencé pendant que l'on discute, puis on mettra en place notre plan d'action !
Je m'approche, les bras croisés par l'anxiété.
— Notre plan d'action ?
Elle hoche la tête, le pinceau entre ses doigts. Les poils colorés en rouge trace de longs traits bouffants sur un paysage déjà éclatant.
— Ouais, t'as apporté ta liste ?
J'acquiesce avant de me rendre compte qu'elle ne me voit pas.
— Oui, ajouté-je en la sortant de ma poche.
Alors que mes doigts déplient le papier froissé, je repense à Maman. Comme Naomi, elle aussi appréciait l'art. Toutes deux partageaient cette gaieté, cette créativité... Cet air à la fois distrait et concentré, comme absorbé par un autre monde. Moi, je n'ai pas la main artistique. J'éprouve beaucoup de difficultés à dessiner, ou encore à écrire une pensée cohérente de bout en bout. Ma voix porte loin et fort, jusqu'à briser les tympans des personnes aux alentours. Et la musique... Lorsque j'étais enfant, on a bien essayé de m'inscrire à des cours : piano, violon, guitare... Mais je perdais très vite l'intérêt. Le jour où j'ai découvert les jeux vidéo, sur une vieille console à mes dix ans, ma vie a changé. Au début, Maman n'appréciait pas que je passe autant de temps devant les écrans. Et Papa... Papa, lui, essayait de convaincre ma mère qu'il me fallait bien une passion, et ça pouvait arriver que ce ne soit pas celle qu'elle attendait.
Aussi loin que je me souvienne, mon père prenait souvent ma défense. Il a participé à ce que je reçoive mes premières consoles, il a financé mon ordinateur quand je suis entrée aux études, et il ne m'a jamais empêchée de jouer à ce qui me plaisait. Petit à petit, j'ai repris le dessin. J'essayais de recopier les scènes de mes jeux favoris, de réaliser des fan arts ou d'imaginer mes propres histoires dans ces mondes alternatifs. Très vite, j'ai commencé à écrire des petites histoires, incohérentes de bout en bout, mais qui me plaisait à moi.
Personne ne le sait, personne n'a lu. J'ai toujours tout gardé pour moi. Puis, un jour est née l'envie de créer mon propre jeu vidéo, et j'ai gribouillé bon nombre de croquis, imaginé des backgrounds, des univers grandioses dans ma tête. Pour autant, je n'ai jamais osé franchir ce cap. Ce projet figure sur ma liste, aux côtés d'autres.
Mi sera la première à les lire. Et cette idée m'enserre la poitrine. Je remarque que mes doigts crispés sur le papier se sont mis à trembler. Tout à coup, l'angoisse me cisaille. Je rassemble mes forces pour garder la face, balayer de mon esprit ces pensées intrusives, me rappeler les raisons des silences que je laisse à mon père et oublier ce que j'ai écrit sur la dernière ligne de cette liste.
— Tout va bien ? demande Naomi, tournée vers moi.
Ces simples mots m'arrachent de ma léthargie. Je me fends d'un sourire, presque par automatisme.
— Au top ! Désolée, j'étais subjuguée par tes peintures.
— Tu mens très mal, lance-t-elle.
Mes yeux s'accrochent à mes pieds. Je referme mes bras autour de moi, la liste presque greffée à ma main droite.
— J'étais dans mes pensées, mais je n'ai pas envie d'en parler.
« Et ce n'est pas contre toi », voudrais-je ajouter, mais aucun mot ne sort.
De toute façon, ce n'est pas important.
— On ne se connaît pas bien, soupire Naomi en reposant son pinceau et sa palette.
Elle entreprend de nettoyer, signant la fin de son activité. Tandis que je la regarde, je me rends compte de ces mondes différents auxquels nous appartenons, rien que par notre style vestimentaire. Vêtue d'un jeans et d'un pull à col roulé brun foncé, je fais pâle figure à côté de sa salopette rouge, par-dessus un polo jaune à carreaux. Alors même qu'elle réalise une activité créative, ses yeux ressemblent à un arc-en-ciel, alors que je n'ai fait que me brosser les dents et les cheveux. Aucun bijou n'habille mes doigts, mes bras, mes oreilles ou mon cou, alors qu'elle passe son temps à triturer son bracelet doré et à faire bouger son piercing avec son nez, qui se contracte quand elle sourit.
Nos univers s'opposent, nos postures se confrontent ; le soleil et la lune, la lumière et l'ombre. Alors que je ressemble à une huître, cachée derrière mes lunettes, les grands yeux de Mi scrutent le monde d'un air curieux, presque émerveillé. Une enfant dans un corps d'adulte. Et moi, je suis cette vieille tante aigrie du repas de famille.
— OK, avant de mettre ce plan en marche, il faut vraiment que tu te décoinces le cul, La.
— Mon cul n'est pas coincé !
— Oh si, et pas qu'un peu. T'as eu peur de ton caca quand t'étais bébé ? T'es tellement crispée qu'on pourrait te pousser et tu tomberais aussi stoïque que la tour de Pise.
Elle ramène deux tabourets, m'en indique un et je m'exécute presque sans réfléchir. En quelques secondes, nous nous faisons face. Une douce odeur de fraise emplit mes narines. Même pour peindre, Naomi met du parfum. Je retiens la folle envie de me sentir pour m'assurer d'être un minimum présentable, avant de me souvenir que j'ai pris ma douche. Et puis... Qu'est-ce que ça peut me faire, après tout, qu'elle me juge ? Pourquoi suis-je si stressée en sa présence ?
Face à son regard perçant, je fais l'efforts de décroiser les bras. Je glisse mon papier entre mes cuisses collées, avant de poser mes mains sur mes genoux.
Je déglutis, soucieuse de ce qu'elle va me poser comme questions.
— Qu'est-ce qui te passionne ? me demande-t-elle.
Mes yeux s'agrandissent, puis je glousse malgré moi, comme si le stress tentait de sortir par tous les moyens possibles. Face à sa mine déconfite, je me justifie :
— D'habitude, la première question que les gens posent, c'est un truc du genre « Tu fais quoi dans la vie ? », un peu comme si...
— ... Comme si un métier définissait une personne ? me complète-t-elle.
Piquée par sa réponse, je me renfrogne.
— Je voulais dire : comme si c'était codé. Une banalité intériorisée. Mais... si un métier ne définit pas une personne, alors qu'est-ce qui la définit ?
Elle arque un sourcil, avant se pencher en avant. Ses doigts s'entrecroisent, formant un appui pour son menton. Son visage affiche un air à la fois doux et inquisiteur.
— Une personne, c'est un tout et un rien. Si je te disais que j'ai travaillé une partie de ma vie dans un magasin de farces et attrapes, dirais-tu que ça définit l'idée que tu te fais d'une artiste ?
Je pose un doigt sur mon menton, le regard rivé sur mes genoux.
— Pour être franche, t'es sapée comme un clown.
— Et pourtant, je suis tout sauf un clown. Mon plus gros kiff, ce sont les robes de bal.
Encore une fois, je tombe de haut. Ma mâchoire se décroche presque. Comment décrypter cette meuf ? Elle est bien au-dessus de toute la théorie que j'ai gobée sur les sciences sociales et humaines. Après tout, n'a-t-elle pas raison ? Est-ce qu'une employée de chez Life Company passe forcément son temps sur les jeux vidéo ? Diego et moi aimons bien, mais Alex n'aime que les Sims, et d'autres collègues ne jouaient pas du tout.
Mes yeux se plissent face à toute cette prise de conscience.
— Ce qui me passionne, ce sont les jeux vidéo, dis-je. Mais tu le sais déjà. Alors pourquoi cette question ?
— Qu'est-ce que t'aimes, dans les jeux vidéo ? demande-t-elle.
Peu habituée à recevoir autant d'attention et de question, mes joues s'empourprent. Pour autant, la sensation qui m'enveloppe réchauffe mon cœur. Ces discussions me rappellent des instants vécus avec Diego. Je tente de balayer mon (ex ?) meilleur ami de mes pensées pour me concentrer sur Naomi. Si mon erreur durant notre amitié a été de ne pas assez m'intéresser à lui, alors je ne peux pas faire vivre la même chose à Naomi. Enfin, si je peux considérer cette drôle de fille comme une potentielle amie.
— Et si tu me disais ce qui te passionne, toi ? la lancé-je.
Ses lèvres s'étirent en un sourire en coin.
— On se défile ?
— Moi ? Non ! Mais ta réponse m'intéresse aussi.
— Tu ne sais vraiment pas mentir, raille-t-elle.
Je baisse le regard, sourcils froncés. Une ride se dessine sur mon front à mesure que le sang monte. Mes doigts se crispent sur mon jeans.
— C'est quoi ton but ? finis-je par demander. Apprendre à se connaître, c'est...
— Je t'ai demandé de te décoincer le cul, me coupe-t-elle. Là, tu es tendue comme un string et t'essaies de décrypter la moindre de mes réactions, rebondir quand tu penses que c'est le moment. T'es tellement focalisée sur comment réagir, quoi dire, que t'en oublies d'être toi-même. Et si tu continues à t'oublier comme tu le fais maintenant, un jour tu finiras dans un point de non-retour. La vie n'est pas une entreprise, composée de tâches à cocher, de problèmes à résoudre par un résultat. Tu traites ton émotion comme tu traiterais une équation, un code, très probablement. Tu n'es pas sur un ordinateur, relaxe-toi. Prends le temps de respirer, ressentir et profite du moment présent.
Elle se lève, ouvre les battant d'une armoire et, sans que je puisse protester, nous sert deux bières. J'ouvre la mienne à contrecœur, mais avec le souvenir des effets qu'une boisson de ce genre avait eus sur moi lors de la soirée. Alors que j'avale une gorgée, Naomi reprend :
— Inspire un grand coup, puis expire. On le fait ensemble, vas-y !
Sans trop savoir pourquoi, je mime ses inspirations et expirations. Elle ferme les yeux, tandis que moi je l'observe, me calque à son rythme. Je sens mon ventre se gonfler, puis se relâcher. Lentement, les palpitations aux tempes s'estompent, mon estomac se dénoue et mes doigts se délient, posées mollement sur mes jambes.
— J'ai travaillé huit ans, de mes seize ans à mes vingt-deux ans, dans un magasin de farces et attrapes, répète-t-elle. Au début, j'appréciais mes collègues, l'ambiance, le travail en lui-même. Je me réveillais chaque matin avec cette envie de m'améliorer au quotidien. Plus le temps passait, moins je trouvais ma place. Les collègues changeaient, sauf les plus anciens. Je me suis rendu compte qu'au bout de cinq ans, rien n'évoluait. Je ne touchais aucune prime supplémentaire, on me demandait des tâches parfois lunaires... Un jour, une collègue m'a grondé car je réalisais un croquis dans mon carnet, au comptoir de vente. La journée touchait à sa fin, et nous n'avions eu que deux clients. Le mauvais temps ne donnait pas envie de sortir. Depuis ce jour, j'ai arrêté de dessiner, peindre... Je n'en avais plus l'envie, me sentant comme une enfant. Puis, un jour, je n'ai plus eu envie de rien. Ce que je veux te dire par là, Lola, c'est que le travail ne définit personne et ne devrait pas passer avant tout.
— Mais... Le travail, c'est tout ce qui compte pour moi, avoué-je. Sans Life Company, je me sens comme un fantôme. Je n'ai plus de cadre, plus de rythme, plus... plus personne.
— Quand je t'ai demandé ce qui te passionnait, je voulais vraiment connaître la vérité. Qu'aimes-tu dans les jeux vidéo ? Et... est-ce qu'il y a autre chose que tu aimes, hormis ton travail ?
— Je ne sais pas, soufflé-je.
Au même moment, mes muscles se détendent. Je bois une autre gorgée. Mes mains semblent engourdies, tant les mots qui s'échappent de ma bouche m'allègent.
— Mes parents ont toujours été stricts sur les notes, ils ont voulu le meilleur pour moi. Ma mère s'est rendu compte de son erreur plus tard, mais j'ai vingt-six ans, et ça fait vingt ans que je donne tout à l'école, au travail. Les jeux vidéo, c'est... En fait, c'est un monde où je peux être vraiment moi, tu comprends ?
Elle hoche la tête, avale une autre gorgée de bière et tente de me regarder, mais je vois bien que son regard fuit quelque part. Dans un lieu connu d'elle seule. Au bars, j'ai remarqué que Naomi semblait s'envoler hors des frontières, loin du monde physique, comme c'est le cas actuellement. Pour autant, ça ne dure que quelques secondes, et elle le cache plutôt bien. C'est la première fois, depuis notre rencontre, que j'entrevois des ténèbres derrière ce sourire solaire.
— Je ressens ça avec l'art, m'explique-t-elle. Enfin, plutôt, je le ressentais. Maintenant, je peins davantage pour m'explorer, d'une certaine façon. Il faut que tu apprennes à être toi dans la vraie vie.
— Et il y a un manuel pour ça ?
— Non. Mais on a des bières et une liste de souhaits. C'est un bon début, tu trouves pas ?
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