3. Maudite journée

Le stylo m'échappe des mains avant de tomber en un bruit sourd sur le carrelage de la salle de classe. Je me penche pour le ramasser en ne cachant pas mon ennui. Cette journée est interminable et même mon cours avec monsieur Jefferson ne suffit pas à rendre mon humeur plus légère. En temps normal, je suis attentive, mais pas aujourd'hui. Tout le monde ne parle que de la célébration. Cela suffit amplement à me donner mal à la tête. Le 1er Octobre tombe un dimanche cette année, les écoles seront tout de même fermées le lendemain. Certains profitent de cette occasion pour boire plus que de raison et organiser des soirées jusque tard dans la nuit. 

Andy a essayé de m'emmener à une de ces soirées l'année dernière, mais j'ai trouvé une excuse pour ne pas l'accompagner. Je ne suis pas très adepte des grands rassemblements et être la fille du maire ne m'aide pas à rester invisible. Monsieur Jefferson frappe dans ses mains afin de ramener le calme dans la classe. La plupart de mes camarades sont excités par les festivités et ne se donnent pas la peine d'écouter.

— En raison du Jour des Défunts, je ne vous donne exceptionnellement pas de devoirs. Je vous rappelle cependant que les inscriptions pour le concours se clôture bientôt alors ne tardez pas à me rendre votre travail.

La sonnerie retentit à mon grand soulagement. Ce cours est en option dans les matières proposés dans notre établissement, je ne sais même pas pourquoi je me suis donnée la peine de m'inscrire. Je ne possède pas la même fibre artistique que les autres et cela peut se ressentir dans mon travail. La plupart de mes clichés sont vides et fades. Je ne compte pas participer au concours. Je range mes affaires dans mon sac lorsqu'une voix dans mon dos m'interpelle.

— Mademoiselle Mills ?

Je m'immobilise en me tournant vers mon professeur. Le connaissant, il va essayer de me convaincre de participer, mais c'est hors de question. Peu importe son avis sur la question, je ne compte pas changer d'avis.

— Oui, monsieur ?

— J'ai remarqué que vous n'avez pas encore acheté votre bougie pour la célébration. Vous êtes la seule à ne pas avoir fait cet achat, on m'a demandé de vous rappeler de le faire avant Le Jour des Défunts.

La fameuse bougie.

Les habitants de la ville ont une seule et unique obligation en ce jour de fête : acheter une bougie et l'allumer à minuit pour guider les âmes et les accueillir au sein de notre ville. Je le fais sans broncher - ou presque - mais les choses sont différentes cette année.

— Je n'en ai pas besoin. 

— Je ne suis pas certain de comprendre.

Il repousse ses lunettes avec son index en me dévisageant, silencieux. Je mords ma lèvre inférieure afin de rattraper mon erreur. Aussi bienveillant soit-il, monsieur Jefferson ne peut pas comprendre mes sentiments et je ne souhaite pas entendre son avis sur la question. C'est une affaire privée. 

— Pour des raisons personnelles, je ne pas participe pas à la journée. Il serait inutile de gaspiller une jolie bougie qui ne sera jamais allumée.

— L'achat est obligatoire, Amara.

Je hausse les épaules en prenant la direction de la sortie. Pourquoi cette ville est aussi aveuglée par cette journée sans prendre en considération l'avis des personnes comme moi ? Il existe certainement d'autres personnes qui partagent mon avis. 

— Il est de mon devoir de vous donner votre bougie, c'est une tradition à laquelle chaque citoyen doit se soumettre. 

Un soupir s'échappe de mes lèvres.

— Ok, je vais payer ! Mais ce n'est pas votre problème si elle termine à la poubelle.

Je fouille dans la poche de ma veste à la recherche de mon argent de poche. Je dépose le billet de dix dollars sur le bureau en prenant la dernière bougie disponible. En apparence, elle est comme les autres bougies disponibles dans les supermarchés du coin. La différence réside sur la petite lune gravée sur les modèles distribués par la ville. Je ne laisse pas mon professeur me rattraper et sort en trombe dans le couloir pour échapper à toute cette pression. 

Une fois dans le couloir, je suis entourée de lycéens sortant de leurs derniers cours de la journée. Je ne peux pas la balancer à la poubelle au milieu de tout ce monde, cela risque d'attirer l'attention. J'ouvre mon sac puis la balance à l'intérieur sans grand soin. Qu'est-ce que j'en ai à foutre d'une bougie à la con ? J'enfonce mes écouteurs dans les écouteurs en prenant la direction de la sortie pour m'échapper de cette prison. Andy est à son club et ne peut pas me ramener. L'époque où j'avais ma voiture me manque, mais celle-ci a décidé de rendre l'âme. 

— Tu adores te faire remarquer, n'est-ce pas ?

La remarque parvient jusqu'à mes oreilles malgré la musique. Je me retourne pour faire face à la nouvelle personne suicidaire. Pourquoi ont-ils tous décidés de me faire chier ? La liste est longue aujourd'hui, ça commence sérieusement à me rendre folle de m'en prendre plein la gueule. Il y a eu maman au petit-déjeuner, Grace a renversé son bol de lait sur mon pantalon et Liam a piqué une crise pour ne pas aller à l'école. Est-ce que je parle du chauffeur du bus qui ne souhaitait pas que je m'installe parce que je n'avais pas ma carte de bus ? C'est le même chauffeur depuis mon année de Seconde alors il connaît très bien mon visage ! 

Je m'immobilise en croisant les bras sur ma poitrine en dévisageant Wendy. Elle est de loin la pire personne que j'aurais pu croiser aujourd'hui. Il y a une étiquette sur mon front ou quoi ? Je soupire en dévisageant la reine des garces. J'ignore encore comment il est possible qu'elle soit parvenue à se faire une place au milieu des personnes populaires. L'année dernière, Wendy était invisible et souvent victime de moqueries à cause de ses rondeurs. Je ne me suis jamais moquée et je ne compte plus le nombre de fois où j'ai pris sa défense. Mais tout ça appartient au passé, la Wendy de Terminale affiche un masque de connasse. Quiconque insulte son physique aura le droit à des représailles. Cela aurait pu être une belle évolution, mais Wendy semble prendre un malin plaisir à détruire toutes les personnes qu'elle croise.

— Qu'est-ce que tu veux ?

— Je n'arrive pas à croire que la fille du maire attache aussi peu d'importance aux coutumes locales. N'as-tu pas honte de te promener dans le lycée en clamant haut et fort ton mécontentement ? Tu insultes chaque habitant de Moonhold avec ton comportement. 

— Mêle-toi de ton cul, Wendy.

Je ne souhaite pas m'embrouiller avec cette peste, la seule chose dont j'ai envie est de rentrer à la maison pour me détendre. La brune bloque mon mouvement en fronçant les sourcils, un sourire au coin des lèvres.

— Tu espères pouvoir échapper à la confrontation car tu portes le nom du maire ? Je ne vois qu'une salope arrogante qui pète plus haut que son cul. Ce n'est pas parce que ta mère occupe un poste important que cela fait de toi une bonne personne.

— Fous-moi la paix.

Ma remarque ne semble pas plaire à Wendy. Elle se rapproche de moi en frottant ses mains l'une contre l'autre, ce maudit sourire qu'elle ne quitte pas. Je n'ai pas peur de cette fille contrairement à certaines personnes. Je prends une grande inspiration pour apaiser ma colère intérieure et ne pas être envoyée chez le principal. Andy serait fier de moi en me voyant faire preuve de contrôle. 

— Je ne vois pas en quoi cela te concerne. J'ai mes raisons, mais faut-il avoir un cerveau pour le comprendre. Oh j'oubliais que tu l'avais perdu en devenant une pétasse, c'est dommage j'aimais bien celle que tu étais.

— Espèce de...

Un surveillant fait son apparition au bon moment, ce qui me permet de m'éclipser pour marcher jusque la sortie. Je lève mon majeur en direction de Wendy avec un sourire victorieux aux lèvres. Ce n'est qu'un mauvais jour, tout ira mieux demain.

18.09.2024

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