Oculus


« La sonde a terminé ses observations, dit Oculus. Il n'y a plus de vie sur cette planète. Autrement, nous en aurions vu les signes, au moins des micro-organismes.

– Je dois rentrer, alors.

– La sonde va bientôt remonter. Rejoins-la en vol. »

Aléane déploya à nouveau ses ailes ultrafines, puis en quelques battements, elle quitta le sol mortifié. La sonde avait commencé à s'élever, sans bruit et sans déplacement d'air. Arrivée à son niveau, Aléane désolidarisa ses ailes et ses bras, lança ces derniers en avant, s'accrocha sur la surface mate, et trouva l'entrée dans la toute petite capsule de repos, non pressurisée, que contenait la sonde.

Elle ne ressentit aucune accélération tandis que l'engin atteignait rapidement sa vitesse supersonique, et telle une fusée, rejoignait le vaisseau.

Il n'y avait pas de vitre, mais comme à son habitude, elle commanda l'ouverture d'un écran virtuel, et l'intérieur de son casque se colora pour lui offrir la vue qu'elle aurait eue si elle avait été accrochée à l'extérieur de la sonde.

Le vaisseau se rapprochait, lentement.

C'était une structure immense, cent kilomètres de diamètre, un dodécagone régulier dont les sommets étaient de grandes sphères contenant les systèmes principaux, les arêtes des couloirs de liaison et d'autres systèmes. Les faces laissaient faussement croire qu'il était vide, alors qu'en réalité, au centre, un trou noir baignait dans un puissant champ de confinement, permettant à l'appareil de parcourir aisément les distances faramineuses que lui imposaient ses explorations. Illusion d'optique, donc, due à la déformation des rayons lumineux dans cette zone singulière.

Le vaisseau se nommait Oculus, et par extension, l'entité régnant à son bord portait le même nom. Oculus était un ordinateur qui datait de l'époque de la guerre, la seule intelligence artificielle à avoir vraiment survécu à ce massacre, car elle avait été programmée sans but. Toutes les autres avaient été programmées et entraînées pour une tâche spécifique, liée à un ensemble de maîtres, à un environnement, et privées de ce but, elles avaient fini par mourir, la tête enfouie dans le sable.

Oculus, lui, s'était trouvé un but : rechercher activement la vie dans la galaxie.

Aléane tourna légèrement la tête, et l'écran virtuel fit le même mouvement. Elle voyait maintenant la silhouette décharnée du Pacificateur. Après l'accomplissement de son but, qui consistait à tuer, cet engin était mort.

Il avait la même structure qu'Oculus, liée à sa capacité à voyager lui aussi plus vite que la lumière. Sauf que son trou noir avait été déconfiné et détruit, l'inactivant définitivement et le laissant de facto enfermé en orbite de la planète ravagée, laissé ici comme un message. Un avertissement pour ceux que le hasard amènerait peut-être ici ? Un signal pour les autres Pacificateurs ? Ou tout simplement une proclamation de la fin des temps.

Les Pacificateurs étaient partis de la Terre à dix, et ils s'étaient multipliés sans arrêt pendant un siècle. Leur mode opératoire était simple. Ils arrivaient sur une planète cible, l'irradiaient depuis l'orbite, tuant tous les êtres vivants, puis déployaient quelques robots sur la surface pour récupérer les matériaux nécessaires et construire d'autres Pacificateurs. Ensuite, une fois une dizaine d'entre eux construits, vaisseau et robots autodétruisaient leurs systèmes critiques, se suicidaient et restaient plantés là.

Les Pacificateurs gardaient en mémoire les planètes à détruire, et les planètes déjà détruites. Apparemment, les humains n'avaient jamais correctement maîtrisé cette mémoire, et leur arme s'était échappée trop tôt, considérant chaque planète abritant la vie comme faisant partie de son terrain de chasse.

Ils n'avaient jamais reprogrammé les Pacificateurs, puisque les constructeurs de ces derniers étaient morts dans l'attaque de la Terre, facteur imprévisible qui avait définitivement scellé l'avenir des humains, des koriens, et de tous les systèmes habités à l'époque.

Les plus puissants des ordinateurs d'alors, dont Oculus, installé sur Terre, avaient cherché une solution, sans jamais pouvoir trouver, parce que personne ne pouvait prédire le comportement des Pacificateurs, personne ne savait où ils allaient frapper, et personne, personne parmi les humains, ne voulait être pris pour responsable de la plus grande catastrophe de l'histoire de la galaxie, peut-être de l'univers.

Et Oculus, à l'époque où il résolvait les problèmes complexes posés par les humains, n'avait pas pu trouver de solution à celui-ci.

Lorsqu'un Pacificateur était arrivé dans l'orbite de la Terre, déjà ravagée par l'attaque korienne, il n'avait rien pu faire et il s'était retrouvé seul.

C'était ensuite qu'il avait construit le vaisseau qui lui permettrait de s'élever et de contempler le désastre.

Les koriens n'avaient jamais construit de machine semblable à Oculus. Ils préféraient les processeurs organiques, eux aussi très efficaces – mais détruits eux aussi par les Pacificateurs.

Oculus était donc devenu de facto l'entité la plus intelligente de la galaxie. Il transportait avec lui la mémoire et la technologie léguées par ces civilisations qui autrefois, avaient cru à leur grandeur, et qui n'avaient laissé à part lui que des os grisâtres et de la poussière.

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