Ange
Aléane fit un pas dans le sas de décompression.
La porte en matériau composite se ferma et se verrouilla.
Puis, deux diaphragmes de la taille d'un doigt s'ouvrirent et l'atmosphère commença à s'enfuir de la pièce exiguë avec un sifflement acide.
Le silence revint après quelques longs instants.
« La pression est nulle. Tu peux ouvrir la porte. »
Aléane avança la main jusqu'au tableau de commande manuelle. Elle entra le code de déverrouillage. Le système annonça laconiquement dans ses écouteurs intra-auriculaires que le sas de sortie allait être ouvert. Puis, la porte coulissa avec la même lenteur mécanique que la précédente.
Derrière, le vide spatial s'étendait, noir et profond.
Aléane avança jusqu'au bord du sas. Tout était calme. Aucun son ne lui parvenait plus, hormis les différentes notifications qu'elle recevait dans ses écouteurs.
« Bon vol. »
Elle avança encore, se penchant un peu vers l'avant, s'agrippant d'un bras au bord du sas, là où la porte était rentrée dans le mur.
Elle était bien là. La planète qu'elle avait vue une heure plus tôt sur les écrans de contrôle, et sur les images transmises par la sonde qui s'y était posée.
C'était une planète tellurique de 1,2 masses terrestres. Un épais brouillard en occupait l'atmosphère basse. On y apercevait des ouragans, mais aucune perturbation atmosphérique n'attendait Aléane là où elle se poserait.
Une heure plus tôt, durant les deux tours qu'avait fait le vaisseau en orbite basse, elle avait aperçu la figure d'un Pacificateur. Cette machine de malheur était bien morte, comme toutes celles qu'ils avaient trouvées auparavant sur leur chemin. Mais sa carcasse métallique pourrissait encore sur son orbite stable, frappée par des débris chiffonnés laissés au cours d'une lointaine ère spatiale, répandant son éclat malsain, annonçant déjà qu'il n'y aurait pas grand-chose à trouver en contrebas.
Ce que la sonde avait déjà confirmé.
« Veux-tu descendre ? »
Elle avait répondu par l'affirmative. Aléane aimait beaucoup le vaisseau, et elle aurait très bien pu y passer son existence, mais quelque chose l'attirait, sur la surface de ces planètes, bien qu'elle en revienne toujours avec une blessure dans l'âme.
Celle-ci, tout particulièrement, l'appelait à grands cris, et encore une fois, elle regretterait d'avoir vu de ses propres yeux le spectacle de désolation.
« Je te déconnecte pour la durée du saut. »
Aléane sourit intérieurement. Il la connaissait depuis sa jeunesse, depuis cette enfance qu'elle avait passée seule avec lui dans ce vaisseau. Il la connaissait par cœur et il savait donc qu'elle aimait se retrouver au calme dans quelques instants comme celui-ci.
Comme promis, les écouteurs cessèrent leur chuchotement continuel. Les systèmes du vaisseau qui lui murmuraient en permanence des informations secondaires semblèrent aussi froids que l'espace, aussi lointains, aussi silencieux.
Elle croisa les bras sur sa poitrine, la combinaison le détecta et ses poignets se fixèrent solidement, gorgés d'électricité statique. Puis elle se laissa tomber en avant.
Le vide sensoriel total semblait augmenter les durées à l'infini. Sa chute hors atmosphère ne dura peut-être qu'une minute, mais ce fut comme une heure entière. Ses yeux, à travers la visière incassable de son casque, contemplaient la profondeur du vide, dirigés ardemment vers cette atmosphère, cette planète, cette matrice de vie.
La densité de l'atmosphère augmenta autour d'elle. Dioxygène à treize pour cent, avait dit la sonde, diazote, et dioxyde de carbone à cinq pour cent. Ce ne serait pas respirable de toute manière, à cause des concentrations en soufre.
Elle devina, sans le sentir, que le champ de protection s'était mis en place, empêchant les molécules d'air de se cogner contre elle, de sorte qu'elle était encore dans une bulle de vide – d'épaisseur infime, certes, mais à l'intérieur de laquelle elle continuait d'accélérer de façon constante.
Elle s'écraserait donc au sol, et un instant, cela lui sembla presque plausible.
Puis, le démassificateur mit fin à son accélération.
Elle avait une vitesse convenable.
Le champ de répulsion des molécules changea de calibre afin de la ralentir sans provoquer d'échauffement notable.
Elle avait vu durant cette phase un épais nuage grossir devant ses yeux, et elle y pénétra. Aucune couche de glace ne se formait sur son équipement, puisque les molécules n'arrivaient pas jusqu'à elle.
Le nuage ne dura lui-même que quelques instants.
Elle devait être maintenant à une altitude raisonnable pour arrêter la chute.
Le champ de répulsion se résorba en douceur, et les molécules d'eau présentes sur son chemin commencèrent à s'agglomérer sur son casque, lequel produisait suffisamment de chaleur, ainsi que la combinaison, pour empêcher la formation du givre. Sentant que la prise de l'air n'était pas trop écrasante, elle libéra ses poignets et étendit les bras. Les deux ailes souples de sa combinaison de vol se déployèrent. Elle fit un mouvement des bras, pour vérifier, et sentit les deux ailes, maintenant étendues sur cinq mètres chacune, faire le même mouvement. Alors, elle se laissa planer.
Un banc de brouillard, ou une tempête, progressait à une centaine de kilomètres de là. Ici, la visibilité était bonne. Il y avait plusieurs îles et un début de côte déchirée et escarpée, sur laquelle se heurtaient les vagues d'un océan verdâtre.
Quelques restes se mouraient sur cette côte, manifestement des traces d'une ancienne civilisation, du métal rouillé par les âges, dissous sur de la pierre, du béton concassé. Ce qui devait avoir été une ville avait de toute façon été arasé par le temps.
Elle apercevait aussi la sonde, petite sphère stoppée cent mètres au dessus du sol en démassification quasiment totale, ne ressentant plus le champ gravitationnel de la planète et donc ne tombant pas. Preuve qu'elle avait bien réussi son saut et qu'elle était arrivée précisément où elle voulait.
Descendant toujours à un rythme tranquille, elle passa au-dessus de la sonde. Celle-ci s'était arrêtée au-dessus d'un cratère et le scannait pour connaître son origine. Terrienne, korienne, ou un autre des multiples camps, organisations politiques et factions de l'époque ? Et quelle époque, d'ailleurs ?
Ayant manifestement fini son œuvre, le robot se dirigea vers les ruines, et Aléane entendit ses écouteurs se remettre en marche.
« Très beau plongeon, entendit-elle, avec la même voix posée qu'il avait depuis toujours. Je t'ai suivie sur mon radar.
– Je vais bientôt me poser, dit-elle.
– Je ne te dérange pas plus. Tu recevras une notification lorsque la sonde aura fini son travail, et nous repartirons.
– Cela me laisse combien de temps ?
– Une demi-journée. Reste en contact. »
Il se tut, mais Aléane le savait toujours aussi proche.
Elle plongea vers le sol, utilisant la force de l'air pour s'arrêter et poser enfin le pied sur cette planète inconnue.
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