Partie 3

Vendredi 26 juillet 2019:

Je fais les cent pas dans ma chambre, mon téléphone à la main. Dimitri m'a à peine ramené chez moi, que j'ai reçu un message de Léo, me demandant de l'appeler dès que possible. J'ai repoussé l'échéance jusqu'à aujourd'hui, vendredi. Je reste bloqué sur sa fiche de contact. Je sais déjà que tout ce qu'il va me raconter, va me briser le coeur.

Mon portable se met à vibrer entre mes doigts. C'est Léo qui m'appelle. Je souffle un bon coup et mon pouce glisse pour décrocher. Mes mains tremblent en emmenant mon téléphone à mon oreille.

- Allô, je dis prudemment, la voix mal assurée.

- Gaël enfin !, s'exclame-t-il joyeusement. Un sourire débile se place sur mes lèvre et mon coeur s'affole dans ma poitrine. Ça fait tout juste une semaine que je suis parti et j'ai l'impression qu'on s'est à peine parlé !

- Oui, c'est que...je...enfin je suis pas mal occupé ses jours, je réponds hésitant.

- Tu es sûr que tout va bien Gaël ? Tu as l'air bizarre.

Son inquiétude me retourne le ventre et je suis obligé d'éloigner mon portable de mon oreille, en plaçant une main sur le micro, pour souffler. Ça ne pourra jamais aller bien, je suis amoureux de toi. Voilà ce que j'aimerais lui répondre, mais les mots ne peuvent pas sortir dans ce contexte. Je ne peux pas lui dire la vérité. Je me ronge les ongles pour trouver une excuse minable.

- Ga' ?, insiste-t-il et mon coeur repart dans une embardée.

Je ne sais pas pourquoi mais les mots de Dimitri me reviennent en mémoire à ce moment précis. Je vais m'aventurer sur un terrain dangereux mais je dois en avoir le coeur net. Mon meilleur ami, l'homme que j'aime ne peut pas avoir un mauvais fond. C'est impossible.

- Je peux te demander quelque chose Léo ?, je commence incertain et légèrement paniqué. Juste entre nous ?

- Bien sûr mon pote, s'exclame-t-il et mon coeur se pince à cette appellation. Dis-moi tout.

Je réfléchis à toute vitesse, à comment l'emmener sur la piste que je veux. Après tout, je ne suis pas à un mensonge près. Je souffle une seconde fois, me donnant du courage.

- Je crois que Dimitri, le gars du lycée, c'est trouvé un mec, je lâche d'une seule traite.

Le blanc qui s'installe entre nous, me fait stresser et je m'acharne sur la peau de mes ongles. Je ne suis vraiment pas doué pour mentir, je m'apprête à lui avouer que c'est faux, quand Léo émet un bruit d'écoeurement. Mon organe vital cesse de battre et j'ai les larmes aux yeux.

- Beurk, dit-il. J'ai un frisson de dégoût rien que de les imaginer. Pourquoi tu m'as annoncé ça avant que j'aille manger ?

La déception est telle que j'ai l'impression de faire une chute de plusieurs étages et je me fracasse à l'arrivée. Je libère mes larmes silencieuses. S'il savait la vérité à mon sujet, je le dégoûterais. C'est douloureux, mon coeur souffre. Je déglutis difficilement.

- Ne t'approche pas de lui, enchaîne-t-il sérieusement.

Je suis tellement sans voix que je ne parviens pas à lui répondre. Heureusement qu'il ne sait pas que je passe pratiquement toutes mes journées avec Dimitri. Aucun mot ne franchis la barrière de mes lèvres. Je suis obligé de m'asseoir, sinon je risque de m'écrouler au sol, sous les paroles blessantes de Léo.

- Oui, je...heu...je l'ai juste vu de loin, je finis par dire la gorge nouée.

- Alors reste loin de lui, insiste-t-il.

Je n'ai pas le courage de lui demander pourquoi il trouve l'homosexualité aussi  repoussante. Je connais déjà son point de vue. Je l'ai assez entendu lui et nos amis, dire que c'est anormal, contre nature. Avant, j'étais persuadé qu'il arriverait à changer d'avis, que peut-être si je lui disais pour moi, son opinion changerait. Mais je me suis trompé. Dimitri m'a fait ouvrir les yeux sur ça. Léo aura toujours ce point de vue. Je me suis fourvoyé d'illusion.

Le coeur fissuré, me faisant mal comme jamais, je détourne la conversation. Et Dieu que je n'aurais pas dû. Léo me raconte avec un enthousiasme à peine camouflé, le début de ses vacances, les rencontres qu'il a fait. Deux jours après son arrivée, il a fait la connaissance d'une fille. Je ferme violemment les paupières pour empêcher des images de se former dans ma tête.

Il y a des jours comme aujourd'hui où j'ai honte d'être ce que je suis. Honte des sentiments que je porte à mon meilleur ami. Tout serait beaucoup plus simple si j'étais attiré par les femmes, si j'étais dans les normes de la société. J'aimerais être comme mes amis, je n'aurais pas à vivre cela en ce moment.

J'ai toujours su qu'il y avait un fossé énorme entre eux moi. Dimitri a raison, tant que je vivrais dans ce village, je ne pourrais jamais être moi-même. Ce n'est pas normal de se dégrader soi-même à ce point là. Je n'ai pas à me sentir comme une abomination. Je ne fais rien de mal. Être attiré par les hommes n'est pas une tare, à l'inverse de ce que pensent tous les habitants de ce village. Si je n'avais pas appris à mieux connaître Dimitri, j'aurais renié qui je suis vraiment.

Je recule l'inévitable pour une unique raison: serais-je capable de m'en sortir seul ? Je n'aurais plus d'amis, plus de famille. Mes parents sont contre eux aussi, j'ai déjà tâté le terrain pour avoir leur point de vue. Il est comme celui des autres. Je me dis que je peux bien me cacher le temps de mes années d'études à la fac et leur dire une fois que j'aurais un boulot. C'est lâche, si peureux de ma part.

Léo me dit, une fois de plus, que j'aurais dû partir avec lui. Même si je n'aurais pas été obligé de bosser, j'aurais refusé. Hors de question de supporter pendant trois semaines, mon meilleur ami passer son temps à draguer et le voir embrasser des filles. Je suis tellement au point de non-retour que j'aurais craqué.

Je finis par raccrocher, le visage baigné de larmes. Je m'allonge à plat ventre sur mon lit, la tête enfoncée dans mon oreiller et éclate en sanglots. Même si j'aime Léo de tout mon coeur, je donnerais n'importe quoi pour l'oublier, tomber amoureux de quelqu'un d'autre. Mon portable vibre sous mon bras, signe que je viens de recevoir un message. Je tends une main tremblante pour le récupérer.

<Dimitri>:
Salut, on se rejoint
vers 21h30 au parc.
C'est bon pour toi ? 

Nous avons échangé nos numéros avec mon collègue. Lire son sms, me revigore un peu. Finalement, sortir ce soir va me faire le plus grand bien. J'ai besoin de m'aérer les esprits et surtout de moins penser. Après avoir reniflé de façon peu élégante, je lui réponds par l'affirmatif.

Il est tout juste dix-neuf heures, j'ai encore le temps de me préparer. Avant de descendre, je passe à la salle de bain pour effacer toute trace de larmes. Mon père me poserait des questions et je n'ai pas la foi de lui répondre. Il sait que je sors ce soir et je lui ai menti également, enfin je n'ai pas dit l'entière vérité. Il est juste au courant que je sors avec des amis du boulot. Je ne pouvais pas lui dire que j'allais passer la soirée avec un seul collègue et que celui-ci est Dimitri. Il m'aurait enfermé dans ma chambre et s'il savait que le « pédé » du village travail avec moi, il me ferait démissionner.

Quand j'arrive dans la cuisine, mon père est en train de remplir de la paperasse. Il est en pleine recherche d'emploi et je croise les doigts pour qu'il trouve rapidement. Cette situation précaire dure depuis assez longtemps. Même une fois à Londres, je devrais trouver un job d'étudiant. Je ne sais pas encore comment je vais pouvoir gérer les cours et le boulot, mais je n'aurais pas le choix et je ne serais certainement pas le seul à le faire.

Je salue mon père et me prends un truc à grignoter. J'ai du mal à m'investir dans une relation avec mes parents. Parce qu'au fond de moi, j'ai toujours cette voix qui me rappelle que mes propres géniteurs ne m'accepteront jamais comme je suis. Depuis que j'ai découvert leur homophobie, je me suis éloigné d'eux. Je n'arrive plus à trouver de sujet de conversation, ni à leur parler de moi.

Je file sous la douche. Je n'ai aucune idée de la façon dont m'habiller pour aller en boite. J'opte pour un jean basique et une chemise rouge à carreaux noir. Je n'ai pas besoin de coiffer mes cheveux bruns, ils se disciplinent tout seuls. Je glisse mon porte-feuille dans une de mes poches arrières.

Je souhaite une bonne soirée à mes parents, ma mère est rentrée pendant que je me préparais. Chaussé de mes baskets et veste sur le dos, je sors de chez moi. Le parc dans lequel nous avons rendez-vous, Dimitri et moi, est un jardin d'enfant. Ce qui veut dire qu'il sera vide à cette heure de la soirée, personne ne nous verra partir tous les deux. Je déteste faire ça, être obligé de me cacher, tout ça parce que je vais monter sur la moto de mon collègue et futur mentor. J'ai finalement codé pour faire le trajet en deux roues. J'ai très bien vu qu'il n'était pas emballé à l'idée de prendre de bus.

Dimitri est déjà sur place, accoudé à son deux roues, une cigarette entre les lèvres. Il porte l'un de ses éternels slims noir et ses van's. Je ne vois pas ce qui se trouve sous son blouson en simili cuir. Ouais, il faut bien admettre qu'il est beau et sexy.

- Salut, je lui lance timidement en arrivant en face de lui.

- Hey, me répond-il accompagné d'un sourire.

En écho à son geste, mes lèvres produisent le même mouvement. Dimitri me tend un deuxième casque, où à l'intérieur se trouve une paire de gants et une écharpe. Je lui jette un coup d'oeil en fronçant les sourcils d'incompréhension.

- Pour que tu ne prennes pas froid, m'annonce-t-il.

Je le remercie, gêné de son attention. Je noue le vêtement autour de mon cou et mets mon casque, en même temps que Dimitri. Ensuite, j'enfile les gants et mon chauffeur m'aide à m'installer correctement sur la selle. Une fois que lui aussi est assis, je m'agrippe à sa taille, fermement.

Malgré le nombre de soirs où Dimitri m'a ramené, je ne m'habitue toujours pas à la moto. Heureusement qu'il m'a donné un équipement pour me tenir chaud. L'air me fouette les jambes et passe à travers ma veste, ce qui me fait grelotter de froid.

Nous dépassons Bath et Dimitri nous conduit dans une rue que je ne connais  absolument pas. Ce soir, je lui fais entièrement confiance. Ce goût de l'inconnu à quelque chose d'excitant. Je suis presque pressé d'entrer dans la boite.

Mon collègue se gare dans un parking public. Nous sommes arrivés à destination et sur le trajet, je n'ai vu aucun lieu ressemblant à un club. Je descends de la moto, à peine le moteur coupé. Je retire mes gants et le casque, qui commence à légèrement m'oppresser.

- Je vais finir par avoir des bleues, me dit Dimitri moqueur alors qu'il a effectué les mêmes gestes que moi pour se libérer. À force que tu me sers la taille aussi fort.

Je m'étouffe avec ma propre salive, sous la surprise et le malaise. Il est vrai que j'ai tendance à m'accrocher à lui comme si ma vie en dépendait. Et que malgré son manteau en cuir, je parviens à pincer sa peau. Gêné comme jamais, je bafouille des mots incompréhensibles. Dimitri se moque de moi, avant de passer un bras autour de mes épaules et de m'entraîner dans la rue.

Je ne fais même pas attention au fait que son bras ne me quitte pas. Vu que Dimitri fait plus d'une tête de plus que moi, je me sens en sécurité. Nous arrivons devant un espèce d'entrepôt, mon collègue tape contre une grosse porte. J'avoue que pour le coup, je commence à quelque peu paniquer et ne plus être très sûr de moi.

Au moment où j'allais supplier Dimitri de rentrer, la porte s'ouvre sur ce que je pense être un vigile. Celui-ci nous salue et échange des banalités avec le noiraud à mes côtés. Apparemment, ils se connaissent et Dimitri a l'habitude de venir ici. Le vigile me lance un regard subjectif et j'aimerais bien savoir ce qu'il pense de moi.

Dimitri me guide vers un mec qui s'occupe des vestiaires. Nous lui donnons nos affaires et je découvre le pull bleu foncé de mon homologue. Pas mal du tout. L'employé tamponne le logo du club à l'intérieur de nos poignets. Une montée de stress me prend. J'ai peur de ce que je vais découvrir de l'autre côté des portes, qui mènent à la salle.

- Tu es sûr que ça va Gaël ?, me demande Dimitri, ce qui me ramène à la réalité.

Ses yeux me scrutent et je descelle une pointe d'inquiétude. Je ne veux pas le décevoir. Il a fait l'effort de m'emmener avec lui, de faire un pas dans ma direction. Je ne peux pas faire machine arrière. Hors de question que je continue d'être lâche.

- Oui, je suis prêt, j'affirme en hochant machinalement la tête.

En guise de réponse, Dimitri m'offre un sourire rayonnant que je lui rends sans réfléchir. C'est tout naturellement qu'il attrape ma main pour me tirer à sa suite. La musique nous arrive aux oreilles et j'ai l'impression que le sol vibre sous mes pieds, ce qui me fait trembler.

Je ne lâche pas Dimitri, alors qu'il traverse la salle, où des tas de gens bougent au rythme du son qui sort des enceintes. Nous arrivons au bar et le barman nous sourit et sert la main de Dimitri. Cette fois, je le regarde en fronçant les sourcils.

- T'es un habitué on dirait, je le taquine.

Le clin d'oeil qui m'envoie, déclenche le rire que je retiens. Mon coeur s'affole en voyant Dimitri s'approcher dangereusement de moi, sa bouche frôle mon oreille et je tressaille, involontairement.  Qu'est-ce qui lui prend ?

- Regarde autour de toi, me murmure-t-il et mes yeux parcours la salle, complètement hypnotisé par sa voix. Personne ne te jugera.

Effectivement, personne ne fait attention à ce que font les autres. Si certains se regardent, c'est uniquement aguicheur. Il y a quelques filles mais la majorité des gens sont des mecs. C'est comme si ce lieu débloquait tout, plus aucun complexe, plus aucunes barrières. Nous sommes tous affranchis et libres.

Dimitri se recule et mon Dieu qu'il vient de me donner chaud. La preuve que ces murs ont un pouvoir. Jamais, je n'avais réagi comme ça, à la proximité de mon collègue. Mes mains sont moites, mes joues me brûlent et ma chemise devient insupportable. Le serveur pose un verre devant moi, commandé au préalable par Dimitri, je m'empresse de le boire sans savoir ce que c'est. Le goût est pas mal, si bien que je le bois cul-sec.

- Tu avais soif, me fait remarquer Dimitri en rigolant.

C'est quoi cet endroit diabolique qui me fait frissonner dès que mon vis-à-vis  s'adresse à moi ? Je déglutis avec difficulté. La soirée risque d'être interessante.

MlleLovegood

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