Partie 2
Lundi 22 juillet 2019:
Je serre tellement la veste de Dimitri entre mes doigts, que je suis sûr de lui pincer les côtes. Heureusement pour mon coeur, qui menace de lâcher à tout moment, mon chauffeur ne roule pas trop vite. Il respecte les limitations de vitesse, ne fait pas d'embardée, ne penche pas trop la moto lors des virages. Ça n'empêche pas que je suis mort de trouille. Je suis obligé de mordre ma lèvre pour ne pas crier à chaque mouvement.
Je soupire de soulagement dans mon casque, en voyant le panneau indiquant l'entrée de notre village. Dimitri semble savoir où il va, sans que je n'ai besoin de le guider. Tant mieux, parce que je n'aurais pas pu le lâcher.
Dimitri finit par, enfin, se garer devant chez moi. Je descends de la moto, les jambes flageolantes. Mes mains tremblent lorsque j'enlève le casque et le tends à mon conducteur du jour. Je ne re tenterais pas de si tôt l'expérience de la moto. Hors de question ! J'ai cru que j'allais me pisser dessus tout le long du trajet.
J'arrache la peau de mes ongles, en dansant d'un pied à l'autre. Je cherche comment le remercier, mais je suis beaucoup trop gêné pour réussir à sortir une phrase digne de ce nom.
- Ta question de tout à l'heure, commence-t-il et je sursaute au son de sa voix. Il a retiré son propre casque et coupé le moteur de sa moto. Tu sais que ça n'a pas été facile pour moi. Je n'avais pas choisi de faire mon coming-out. Je n'étais même pas prêts à le faire. C'est juste que Stan m'a vu avec un mec et l'a répété à tout le lycée. Mon père ne m'a pas adressé la parole pendant des semaines quand il l'a su.
- Je suis désolé, je réponds bêtement, ne trouvant que ça à dire.
- Si j'ai un conseil à te donner, ne le dis pas. On vit dans un petit village, avec des gens trop fermés d'esprit. Tu risque de vivre l'enfer jusqu'à ton départ à la fac. Épargne-toi ça, me dit-il durement.
- Je voulais être honnête avec mes amis et surtout Léo. Je...j'ai besoin de lui dire ce que je ressens, j'avoue dans un murmure, beaucoup trop honteux.
J'ai de nouveau droit au regard qui veut dire : « Tu es sérieux là ? ». Je baisse la tête rouge de honte. Le ricanement moqueur qui sort de la bouche de Dimitri, me donne envie de m'enterrer sous terre.
- Tu n'espère quand même pas que ce soit réciproque ? m'achève-t-il.
Je relève vivement la tête, les yeux remplis de larmes. Bien sûr que non et je le sais très bien, c'est pour cela que c'est si dur. Léo ne m'aimera jamais, mais Dimitri n'a pas besoin de me balancer la vérité en pleine figure. L'entendre de la bouche de quelqu'un d'autre est encore plus blessant. C'est comme si je recevais un coup de poignard dans la poitrine.
- Ne le prends pas de cette façon, me lance-t-il toujours nonchalant.
- Et comment je suis censé le prendre, hein ? je rétorque énervé en essuyant une larme solitaire sur ma joue.
- Il...Tes potes sont homophobes Gaël, et Léo en fait parti.
- Il n'est peut-être pas comme les autres ! je crie blessé par ses mots beaucoup trop vrai mais que je refuse de croire.
Dimitri hoche plusieurs fois la tête, semblant réfléchir. Je suis dans le déni le plus total, pourtant, je sais au fond de moi que mon collègue a raison.
- C'est pour toi que je dis ça Gaël. Après tout, je m'en fiche pas mal de tout ça. Ce ne sont pas mes histoires, finit-il par lâcher le plus naturellement possible.
Une fois de plus, ses mots sont durs à entendre mais ils sonnent juste. Qu'est-ce que ça peut lui faire franchement ? Ce n'est pas parce que nous bossons au même endroit et qu'il m'a ramené ce soir, que nous sommes devenus amis. Il a été très clair sur ce sujet-là d'ailleurs.
- Je veux juste enfin m'assumer et être libre d'être ce que je veux, je lui avoue la gorge nouée par les pleurs que je retiens.
- C'est tout à ton honneur. Tu m'as demandé conseil, je t'ai répondu. Maintenant si ma réponse ne te convient pas, et bien, fallait pas me demander.
Je ne sais pas pourquoi, mais j'explose de rire. Il touche, encore, dans le mille. Je savais très bien que Dimitri ne mâcherait pas ses mots, qu'il serait franc et cela a été le cas. Je ne peux pas lui en vouloir pour ça.
Le bruit du moteur qui redémarre, me fait sursauter. Dimitri remet son casque, après un dernier regard, il s'en va. Je reste comme un imbécile, debout, devant mon portail. Je sens mon portable vibrer et en voyant le destinataire du snap, que je viens de recevoir, je ferme violemment les yeux. Timing parfait Léo.
Je me mets à pleurer tout seul en pleine nuit. Mon meilleur ami me fait profiter avec lui, de ses super vacances, et des filles qu'il a rencontrées sur place. Vie de merde !
*************
Mardi 23 juillet:
C'est la boule au ventre que je pénètre dans les vestiaires. Dimitri est déjà arrivé, j'ai vu sa moto à l'arrière du resto. Nous prenons notre service à la même heure, comme tous les jours. Je suis seul pour me changer, tant mieux. Après hier soir, je ne tiens pas particulièrement à me retrouver face à lui. J'ai quand même chialé devant ses yeux. J'ai honte.
Prenant mon courage à deux mains et une grande inspiration, je rejoins la salle de restauration. Je repère Dimitri, en train de prendre une commande. Je me fais tout petit, alors que je passe mon badge sur la caisse qui m'est attitrée pendant mes heures de boulot.
Durant une bonne partie de notre service, nous nous ignorons. Chacun fait son job de son côté. Étant donné que je ne peux pas me permettre de perdre mon travail, je me donne à fond. Malheureusement qui dit même horaires, dit heure de pause en même temps. Je ne peux pas aller prendre l'air dehors, Dimitri va croire que je le suis. Je reste donc enfermé dans la salle du personnel. Ces vingt minutes risquent d'être longue.
Je n'ai pas pris mon portable avec moi, sinon je serais tenté de parler avec Léo. Il veut que nous nous appelions ce soir. Il tient à me raconter le début de ses vacances et prendre de mes nouvelles. Ça me fait plaisir et me réchauffe le coeur, bien sûr. Mais je ne serais pas d'humeur à lui mentir, encore et devoir trouver un mensonge en ce qui concerne mes journées. Il me manque affreusement et j'ai envie d'entendre sa voix, mais je n'ai jamais su mentir, Léo m'a toujours démasqué. Pourtant je devrais profiter de chaque seconde qu'il m'accorde et du temps qu'il me reste à passer avec lui. Les jours me sont comptés.
La porte qui claque, me coupe dans mes pensées. Je n'ose pas tourner la tête pour voir la personne qui vient de rentrer. Je sais pertinemment qu'il s'agit de Dimitri. Nous sommes les deux seuls à avoir notre pause à cette heure-là. Je ne relève pas non plus la tête, lorsque je le vois, du coin de l'oeil, s'asseoir sur la chaise en face de moi.
- Je crois que je te dois des excuses pour hier, lâche-t-il brisant le silence qui commençait à devenir pesant.
Étonné, je me redresse et le regarde avec des yeux ronds. Je m'attendais à tout, sauf à ça. Je suis tellement abasourdi que je reste sans voix et quand j'essaye de parler, mes mots ne ressemble à rien, je bégaye. Je suis obligé de me racler plusieurs fois la gorge, avant de reprendre une certaine prestance.
- C'...c'est rien, je finis par répliquer. Tu avais raison, je t'ai posé la question, tu m'as répondu. La vérité n'est pas toujours bonne à entendre, c'est tout.
- Je ne voulais pas te faire de la peine, rétorque-t-il en plantant ses pupilles noir dans les miennes qui sont marrons.
J'insiste en lui affirmant que ce n'est rien. Mensonge bien évidemment, mais je suis touché qu'il s'excuse, alors je préfère passer au dessus. Dimitri n'est pas mon ennemi, au contraire, il pourrait devenir un allié dont j'aurais besoin.
- Ecoute Gaël, reprend-il après un moment de blanc. Je ne veux pas que quelqu'un vive ce que j'ai vécu. C'est pour ça que j'ai été un peu dur. Tu as l'air d'être un garçon gentil, tu ne mérite pas une telle chose.
- Merci beaucoup Dimitri. Je comprends ce que tu dis mais si mes amis ne m'acceptent pas comme je suis, c'est qu'ils ne tiennent pas assez à moi et que notre amitié n'est pas sincère. J'ai le droit d'être moi-même.
- Bien sûr et c'est tout ce que je te souhaite.
Je souris à ses mots qui me vont droit au coeur. Avoir ce genre de conversation avec quelqu'un fait du bien. Néanmoins, il y a un détail que je n'avouerais pas à Dimitri. C'est que seul l'avis de Léo compte, je m'en fiche des autres et de si je les perds. Quoi qu'il en soit, à partir de septembre, je ne les verrais plus. Je me voile la face, parce que j'aurais beau prier autant de fois que possible, jamais mon meilleur ami n'acceptera mon homosexualité, ni le fait que je sois amoureux de lui.
- Je voulais te proposer un truc en fait, m'annonce Dimitri et il pique ma curiosité. Si tu veux t'assumer, je peux t'aider.
- Dis-moi, je le presse impatient.
- On ne bosse pas vendredi soir, tu devrais venir avec moi en boîte.
Ok... Ce n'est pas vraiment ce que j'avais en tête. Je ne pensais pas que Dimitri fréquentait ce genre d'endroit. Pour être honnête, je n'ai jamais mis les pieds dans ces établissements. Quand mes potes y allaient, je trouvais toujours une excuse pour ne pas les accompagner. Et puis je ne suis pas stupide, je sais très bien dans quel genre de boite il veut m'emmener.
Je me retrouve devant un dilemme cornélien. Refuser pour la simple et bonne raison que je déteste ces lieux, ou accepter parce que Dimitri a fait l'effort de me proposer une sortie, à ses côtés et que je ne veux pas le braquer. Choix pas si difficile. Je suis trop dans une phase « être bien dans ma peau ». Et puis, après tout, je suis en vacances, donc autant en profiter.
- C'est d'accord, je lui réponds sûr de moi. Je viendrais avec toi.
- Super, se réjouit-il et je suis presque certain de voir le début d'un sourire sur ses lèvres. Par contre je te préviens, c'est une soirée pour décompresser.
- Entendu ! je m'exclame en souriant de toutes mes dents. Merci pour ta proposition, c'est très gentil Dimitri.
- Il faut bien se soutenir entre gays rejetés.
- Oh mais tu t'essayes à l'humour ? je le chambre et il hausse les épaules. Bah c'est pas encore ça !
Il me regarde avec une expression outrée sur le visage, ce qui déclenche mon hilarité. Finalement, j'avais des aprioris sur lui qui n'avaient pas lieu d'être. Dimitri aussi, devait en avoir sur moi, c'est pour cela qu'il était si méfiant depuis le début. La glace est enfin brisée entre nous. Peut-être que de savoir que je suis gay également, a dû le décoincer vis-à-vis de moi. Ou je lui fais pitié.
- Je fais ce que je peux, réplique-t-il en prenant une voix dure qui ne marchent pas vraiment, dans sa tentative de m'effrayer.
- Je t'apprendrais.
- Et en contrepartie, je t'apprends à être toi-même, enchaine-t-il.
- Marché conclu ! je m'exclame en serrant la main qu'il me tend.
Dimitri me suit dans mon rire et je me sens léger. Je n'ai plus ce noeud coincé dans mon estomac, causé par l'angoisse. Pendant ces quelques minutes, j'en oublie même Léo et le coup de fil de ce soir. .
- Je ne savais pas qu'il y avait ce genre de boite à Bath, j'avoue presque honteusement et je n'ai pas besoin de lui donner plus de précision, Dimitri sait très bien de quoi je veux parler.
- Il faut savoir où aller, me répond-il de façon énigmatique et un détail important m'apparait.
- Par contre, on n'y va pas en moto ! je lui dis.
- J'avais compris que tu n'avais pas apprécié la balade d'hier, se moque-t-il en cachant sa bouche avec le dos de sa main.
Mon rythme cardiaque s'accélère en le voyant faire cette mimique. Je ne vais pas me mentir non plus, c'est mignon de voir un garçon comme Dimitri faire ce geste. Ça casse un peu le mythe du « mec costaud, super viril, qui a un regard noir-littéralement parlant d'ailleurs ».
- Disons simplement que je ne suis pas prêt à retenter l'expérience, je rectifie.
- On prendra un bus alors, cède-t-il en grimaçant à cette idée.
- Merci, j'apprécie la concession. Vois le bon côté des choses, tu pourras boire.
- T'as raison, dit-il en acquiesçant.
C'est tout naturellement que je suis sorti avec lui et que je lui tiens compagnie pendant qu'il fume. La nouvelle ambiance que nous avons créée, me donne envie de plus le connaitre, de lui poser des questions sur sa vie personnelle. Comme du fait qu'hier, il n'a mentionné que son père, s'il a un copain, des frères et soeurs, les études qu'il a choisi de faire. Malgré toutes ses questions qui se trouvent sur le bout de ma langue, je me retiens. J'ai peur qu'il soit trop tôt et que je brûle les étapes. Je ne veux pas rompre ce lien fragile qu'il y a entre nous. Le début de notre amitié est toujours précaire. Peut-être qu'au fil des conversations, ces sujets là seront abordés.
C'est l'esprit plus serein que je reprends mon poste, Dimitri à la caisse à côté. Parfois nos regards se croisent et de petits sourires, encore timides, s'échangent. Ce qui me peine le plus dans tout ça, c'est que je ne peux pas en parler à Léo. Pourtant, je suis sûr qu'il s'entendrait bien avec le Dimitri que je suis en train de connaître.
MlleLovegood
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