Chapitre 3 - Kyle 🌑
Kyle
C'est un test. Michael est notre avocat attitré et il n'a jamais laissé quelqu'un d'autre que lui gérer notre famille.
Alors elle, c'est obligatoirement un test.
Ce que j'ai du mal à comprendre, c'est pourquoi il envoie une petite biche apeurée nous défendre. Ça se voit à des kilomètres qu'elle n'est pas à l'aise et qu'elle veut simplement laisser paraître le contraire. On verra bien comment elle va s'en sortir. Je lui laisse le bénéfice du doute simplement parce que ses jambes me donnent envie de soulever sa robe trop courte.
— Qu'est-ce que tu fous dans le business Ethan ?
— T'as peur que je te pique ta place ?
Il faut toujours que mon frère se prenne pour quelqu'un qu'il n'est pas. Non pas qu'il n'a pas les épaules pour rentrer dans le circuit, mais putain, il en a dans la cervelle. Il pourrait avoir une vie normale. Il a cette chance, lui, et il ne la saisit pas. Dans le fond, ça me met hors de moi. Le simple fait d'être né avec notre nom t'oblige à vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, alors pourquoi forcer plus encore le destin ?
— Ma place ? Frangin, quand tu auras les couilles de faire ce que je fais, on pourra commencer les comparaisons. Pour l'instant, contente-toi au moins d'écouler la came à Columbia plus discrètement. J'ai pas envie qu'elle vienne mettre le nez dans nos affaires.
— Je mettrais bien le nez dans les siennes moi... Plutôt bonne l'avocate !
Je plisse le nez face à la remarque de l'adolescent qu'il est encore et qui me prouve finalement qu'il n'est clairement pas à la hauteur. J'ai beau être quelqu'un de peu respectable du fait de mon statut et du milieu dans lequel je traîne, notre mère m'a toujours appris à respecter les femmes. Et même si je déroge un peu à mes principes au fil des années, j'ai conservé un minimum de savoir-être.
Lorsque la porte s'ouvre à nouveau, la brune aux yeux bleus reste à l'entrée. Un flic passe devant elle et s'occupe de retirer les menottes d'Ethan.
— Vous pouvez y aller, indique-t-il en attachant le trousseau de clés à son passant de ceinture.
Étrangement, mon frère a l'air déçu de ne pas passer une nuit en cellule comme les vrais criminels. Quant à l'expression de l'avocate, elle est étrangement neutre.
— Pas mal pour une première.
Ses yeux sont tellement clairs qu'on pourrait les confondre avec de l'eau. J'arrive quand même à y voir les éclairs qu'elle me lance en se décalant pour laisser sortir Ethan. Je crois que j'ai tapé dans le mile, c'est réellement sa première affaire. Michael doit lui porter une grande confiance.
— Ethan n'est pas connu des services de police et ce qu'il s'est passé aujourd'hui est une maladroite histoire de jeunesse. On s'en tiendra là pour le résumé.
Elle récupère les dossiers sur la table de la salle et je m'autorise un regard vers le bas de son dos. Il n'a pas tort, elle est quand même plutôt sympa à regarder. Un fin tatouage orne sa cheville droite : une fleur de lotus.
— Si vous voulez bien m'excuser, j'ai d'autres affaires à traiter.
Je la laisse sortir avant moi, autant profiter du spectacle jusqu'au bout. La semelle de ses escarpins se confond avec le rouge sang de ses lèvres. La courbure de ses reins me donne des idées indécentes. J'ai, si je le veux, les moyens de faire d'elle ma proie. Ici et maintenant. Mais je contiens mes pulsions pour tenter d'avoir une stature d'exemple pour le petit dernier de la famille.
Mon frère est déjà dehors, il a remis sa capuche et m'attend sagement contre le mur du commissariat. Elle s'approche de lui, une main tendue.
— La prochaine fois, essaye de faire ça ailleurs que devant l'université.
Il sourit, ce qui est plutôt rare, et lui sert la main en hochant la tête. Elle sait très bien que les choses qu'il lui a racontées sont des conneries, mais elle ne lui en a pas tenu rigueur à l'intérieur et fait comme si elle n'avait rien deviné.
— Ça dépend. Si je recommence, c'est encore vous qui viendrez me sauver ?
— Ça suffit, je te ramène.
Mon frère à un culot qui me dépasse. Faudra que je lui apprenne comment aborder une nana un jour.
— Besoin qu'on vous dépose quelque part ? Je m'en voudrais qu'il vous arrive quelque chose à cause de l'intelligence limitée de ce garçon.
— Ça ira. Les femmes sont indépendantes de nos jours, on sait prendre le taxi. Passez une bonne soirée.
— À bientôt hein ! hurle mon frère.
Elle hèle un taxi d'un bref signe de la main, sans doute habituée à le faire tous les matins. Elle ne se retourne pas et grimpe rapidement dans la voiture jaune qui s'arrête au bord du trottoir.
— Si tu crois que tu dragues mieux que moi Kyle, t'es vraiment con...
— Ferme-la. Et monte dans la voiture, on rentre.
Je m'assois au volant de ma Ford Mustang et appuie sur l'accélérateur sans attendre qu'Ethan se décide à mettre sa ceinture. Il est déjà 20 h et ma mère doit être morte d'inquiétude. On vit dans l'Upper East Side sur la Cinquième Avenue. Enfin "on", ce sont mes parents et mon frère. Je me suis expatrié dans le sud de Manhattan. Mon père est ce que l'on peut qualifier sans détour de baron de la drogue. Il gère un empire à New York qui dépasse toutes les espérances de beaucoup de gens. J'ai repris une partie du territoire pour assurer le business.
Ma mère profite de la vie de château que lui offre mon père et est ravie de se montrer à chaque dîner mondain que l'élite de la ville organise. Officiellement, nous sommes issus d'une grande famille spécialisée dans la production de champagne.
Officieusement, c'est une histoire plus compliquée.
— Ethan ! Mon chéri, est-ce que tout va bien ?
Ma mère le serre si fort dans ses bras que je vois ses joues devenir bleues. Il lui tapote dans le dos pour l'obliger à le lâcher. Elle pose ses mains sur ses épaules et l'inspecte de haut en bas, cherchant la moindre égratignure qui aurait abîmé son beau visage d'ange.
— Il n'a rien. Il est simplement stupide, marmonné-je à son attention.
Elle me fusille du regard et force mon frère à se rendre dans la cuisine pour boire quelque chose.
— Il a passé une demi-heure en garde à vue maman, pas dans un squat de camés.
Sans que je ne sache vraiment pourquoi, elle a toujours préféré Ethan à moi. Peut-être parce que c'est le dernier de la fratrie. Ou parce qu'il est doué à l'école. En vérité, j'en sais rien et je m'en fou. J'en ai longtemps voulu à ma mère de faire autant de différence entre nous et puis ça a fini par me passer. J'ai quitté la maison, je me suis éloignée et c'est mieux pour tout le monde.
— Papa veut te voir.
La voix douce de ma sœur réussit à m'apaiser en quelques secondes. Olivia a 24 ans, trois de moins que moi. Malgré le fait qu'elle soit elle aussi une Rollins, c'est certainement la personne la plus intègre que je connaisse. Elle travaille pour l'entreprise familiale depuis quelques années et opère avec brio son rôle dans les opérations marketing. Olivia sait tout de nos activités mais n'y prend pas part.
Et elle a raison.
Elle m'embrasse sur le front et penche la tête vers le couloir pour me faire comprendre que je dois y aller. Maintenant.
Le bureau de mon père est si grand qu'on pourrait y loger une famille complète. Le pan de mur sur la gauche est entièrement recouvert de livres, celui de droite, de dossiers. Au milieu de la pièce, une bouteille de champagne trône sous une cloche en verre. Il n'est plus bon depuis des années, mais la cuvée date de l'année de leur mariage, alors il la conserve précieusement.
— Comment va Michael ?
Il me tourne le dos et fait face à la baie vitrée qui lui offre une vue sur Central Park.
— J'en sais rien. Il a envoyé un larbin. Ou plutôt une.
Je vois ses muscles se contracter et sans poser plus de questions sur le dénouement de l'arrestation de mon frère, il appuie sur la touche 2 de son téléphone. Le numéro de Michael Taylor y est enregistré dans les favoris. La voix de l'avocat résonne au bout de la troisième sonnerie.
— Charles, comment va ton fils ? Je viens d'avoir ma collaboratrice au téléphone, elle m'a indiqué que rien ne serait mentionné dans son dossier et qu'il était sorti du commissariat aussi rapidement qu'il en était entré.
Je ne peux m'empêcher de sourire en entendant les informations de l'avocat. Il connaît mon père par cœur et sait très bien qu'il doit sortir ses cartes en premier s'il veut mener la danse. Opération réussie.
— Nous étions étonnés de ne pas te voir ce soir, mais nous te remercions de ton intervention, une fois encore.
— Écoute, je dois faire profil bas pendant quelque temps à votre sujet. Hope est quelqu'un en qui j'ai une totale confiance. C'est elle qui s'occupera de votre dossier pendant un moment.
La voix de Michael se fait plus grave. On sait tous les trois qu'au-delà de la légalité de notre fructueuse affaire se cache quelque chose de bien plus complexe. Il a toujours su préserver sa réputation au cabinet malgré nos relations. Je regarde mon père et sens bien qu'il est hésitant. Il déteste le changement et n'accorde pas sa confiance à n'importe qui.
— Merci Michael. Nous prendrons rendez-vous avec elle au cabinet pour échanger sur le dossier de l'entreprise.
Je réponds à sa place. Il faut prendre une décision et nous n'avons pas de temps à perdre. Depuis quelques semaines, nous rencontrons des problèmes avec une entreprise concurrente qui nous attaque sur la véracité du titre de propriété de notre exploitation. Si nous voulons éviter tout impact négatif, on doit gérer la situation au plus vite.
— A quoi tu joues, Kyle ? s'agace mon père en s'approchant de moi après avoir raccroché.
— Je ne joue à rien. On a pas besoin d'un procès au cul et encore moins là-bas. Si Michael fait confiance à cette fille, nous aussi.
— J'espère pour toi qu'elle va faire ce qu'il faut pour ne pas nous causer plus de problèmes.
— Commence par parler à ton fils, on est sur un bon niveau en termes de problèmes non ?
Je sens tout son poids fondre sur moi alors qu'il me plaque au mur. Ethan est putain d'intouchable. Sa main droite serre ma mâchoire avec une force que je ne connais pas. Ses yeux sont noirs et j'ai l'impression d'avoir dit la pire phrase du monde. Il est à cran en ce moment parce qu'on a perdu une partie de notre territoire dans le Queens. Il faut que je m'en charge rapidement et je suppose que je ne vais pas assez vite pour lui.
— Lâche-le Charles, nous n'avons pas besoin de ça.
Tiens, ma mère qui intervient pour me défendre, comme c'est touchant. Je me défais de l'emprise de mon père et sors du bureau en direction de la sortie. Olivia me sourit et me prend dans ses bras avant que je ne m'en aille. Elle murmure à mon oreille une simple phrase que je n'ai jamais su prononcer.
— Je t'aime Kyle.
Tout à l'air si simple avec elle... Je lui envie son monde parfait, bien loin du mien. Olivia est un soleil, une lueur d'espoir resplendissante. Elle irradie par sa simple présence.
Quant à moi, on me connaît surtout sous le nom de Shadow. Et ça n'a rien de reluisant.
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