Chapitre 2 - Hope 🪷
Hope
J'ai une habitude très désagréable : je mâchouille constamment le bout de mes stylos. Habitude que je suis contrainte de laisser tomber avec le cadeau que j'ai reçu ce matin. Les écritures argentées brillent à la lumière et j'avoue ressentir une petite pointe de fierté personnelle. Je jette un œil sur la photo qui trône sur mon bureau : mes parents et moi, quelques jours avant l'accident de ma mère. Elle me manque, tous les jours. Mon père a toujours fait de son mieux pour assumer les deux rôles comme il le pouvait. Je le remercie intérieurement d'avoir été là pour moi peu importe les circonstances, de ne jamais m'avoir jugé pour mes erreurs ou mes décisions.
Je garde pour moi ce moment de nostalgie passager et me concentre sur mon travail. Je dois étudier quelques affaires déjà résolues par le cabinet pour m'imprégner du nouveau domaine dans lequel je me suis spécialisée. Quand j'ai dit à Sara que j'allais potentiellement défendre des trafiquants de drogue, elle a été tellement choquée qu'elle a failli s'étouffer avec un sushi à l'avocat.
— Toi, Hope Underwood, la grande prêtresse de l'innocence et de la pureté telle la blanche colombe, tu vas t'occuper des junkies des bas quartiers ?
— Non, je vais défendre les innocents qui se sont fait avoir malgré eux par le milieu !
— Ouais, malgré eux, ça reste à voir...
En travaillant dans un bar, Sara côtoie une population qui profite de la nuit tombée pour se laisser aller à des mœurs légères. Elle en sait d'ailleurs bien plus que moi sur les drogues qui peuvent circuler un peu partout. Cette fille arrive à écouter tellement de conversations en même temps que je la soupçonne de laisser allumer le dictaphone de son portable pour garder tous les détails croustillants. Elle ferait une très mauvaise avocate, mais une excellente détective.
Des noms identiques reviennent souvent à travers certaines affaires, je suppose que ce monde est assez petit et lié comme une toile d'araignée. Les clans mènent la danse dans la rue et s'entretuent pour une partie du territoire. Évidemment, je ne m'attends pas à défendre les plus gros barons de New York. En même temps, même si c'est mon métier, difficile de défendre l'indéfendable. Quoi que... S'ils n'arrivent pas à se faire coincer par la police, c'est qu'il y a des failles à exploiter plus les garder hors du système judiciaire. J'ai du mal à imaginer ce que doit être la vie d'un type comme ça : de l'argent à n'en plus finir, sali au travers des commerces, de belles voitures, des jolies filles.
Une vraie série à l'américaine en gros.
Emma est partie déjeuner avec Zach et d'autres personnes de notre étage. J'ai préféré me faire livrer quelque chose de rapide à grignoter pour éviter de perdre du temps. Et aussi parce que je n'avais pas envie de me coltiner mon ex pendant tout le repas. Elle m'a apporté un café à son retour, un Latte avec de la vanille, exactement comme je les aime !
Il est 18h lorsqu'elle pousse une nouvelle fois la porte de mon bureau. C'est probablement la fin de journée pour elle.
— M. Taylor souhaite vous voir dans son bureau. Il m'a indiqué que c'était assez urgent.
Je sens une pointe de stress monter en moi. Est-ce que j'ai déjà des choses à me faire reprocher ? Je n'ai encore rien fait... Justement, c'est peut-être pour ça ! Je la remercie d'un sourire, attrape mon stylo et un bloc-notes et me rend sans attendre à l'étage supérieur. Je frappe à la porte de bois massif qui me sépare du bureau de mon patron.
— Entrez.
La voix de Michael Taylor est rauque, mais le ton est doux. Il doit abuser de la cigarette. C'est un afro-américain d'une cinquantaine d'années très respecté dans le milieu du droit. Il a participé à tellement de procès - qu'il a évidemment gagnés - que je ne saurais même pas les compter.
— Vous souhaitiez me voir, M. Taylor.
— Hope, asseyez-vous, je vous en prie. Comment se passe votre premier jour en tant qu'avocate ?
La question, bien que banale, me déroute un peu. C'est vrai, je suis avocate, mais le fait de ne jamais avoir plaidé seule me donne à croire que je suis bien loin d'égaler un jour son niveau.
— Je prends doucement mes marques. Je vous remercie pour le stylo, d'ailleurs.
Il me sourit en voyant que je le tiens dans mes mains, prête à prendre des notes à la moindre intervention.
— C'est quelque chose que nous faisons rarement aussi tôt, mais vous avez déjà su nous prouver votre potentiel. J'ai donc besoin que vous vous chargiez d'une affaire pour moi.
Il s'arrête une seconde et me laisse digérer l'information. Je dois avouer que pour une fois, les connexions sont longues à se faire dans mon cerveau. Je vais devoir gérer une affaire, moi, pour Michael Taylor.
J'entre dans la cour des grands, c'est officiel !
— Je viens d'être contacté par un commissariat à proximité de Harlem. Un jeune homme est en garde à vue pour détention d'ecstasy. La quantité semble peu importante, mais là n'est pas le problème. C'est le fils d'une famille très influente et il ne faut surtout pas que son arrestation soit découverte par les médias. Je peux compter sur vous ?
J'essaye de tourner les informations qu'il vient de me donner dans tous les sens. Peu importe le chemin que je choisis, j'en reviens toujours au même : on me demande de défendre quelqu'un qui est censé se faire arrêter. On s'éloigne de la blanche colombe de Sara... Je tourne le dos à mes principes si j'accepte, mais je peux aussi dire adieu à mon boulot si je refuse. Je déteste ce genre de situation !
— Bien sûr, M. Taylor.
— Parfait. Emma vous a déjà transmis l'adresse du commissariat ainsi qu'une copie de la déposition. Un taxi vous attend en bas de l'immeuble.
C'est comme ça : on ne dit pas non lorsque l'un des associés senior de l'un des plus gros cabinets de New York vous demande de traiter une affaire. Quelle qu'elle soit.
Je récupère ma veste dans mon bureau et file vers le taxi pour ne pas manquer mon rendez-vous. J'étudie le dossier dans la voiture. Mon client s'appelle Ethan Rollins, il a 17 ans et a été arrêté devant l'Université de Columbia en possession d'une quantité de drogue dure un peu trop importante pour servir à une consommation personnelle. Et puis, personnelle ou pas, de toute façon, c'est interdit ! J'ai toujours trouvé ça honteux, mais je sais qu'être le fils de permet toujours de passer au-dessus d'un délit.
Il me faut presque 45 minutes pour arriver au commissariat. Je n'ai pas vraiment l'habitude de ces quartiers, et je me dépêche de franchir les portes. Un agent en tenue derrière un comptoir s'approche de moi.
— Bonsoir, je souhaiterais voir M. Rollins s'il vous plaît.
— Je vous laisse me suivre.
Une jeune femme est assise sur une chaise dans le hall d'accueil et semble apeurée par l'endroit dans lequel elle se trouve. J'hésite un instant à lui demander si tout va bien, et je me souviens que je suis ici de la part de Michael Taylor. Je refoule à nouveau mes principes et emboîte le pas au policier. Avant qu'il n'ouvre la porte, je m'autorise une question.
— Pouvez-vous me confirmer que les caméras de surveillance n'enregistrent pas le son ?
— Nous pouvons le désactiver, si vous le souhaitez.
— Je vous prie oui. Mon client est mineur et j'aimerais que notre échange soit confidentiel.
Il me confirme la manipulation en abaissant la poignée de la porte. La salle est blanche et dénuée de tout objet superflu. Assis sur une chaise face à la porte se trouve, je suppose, Ethan Rollins. Il porte un sweat à capuche bleu, logoté de la célèbre université devant laquelle il s'est fait arrêter.
— Bonsoir, je suis Hope Underwood. Ton avocate.
Je ne m'attends pas spécialement à ce qu'il soit enjoué de me voir, mais j'aurais au moins apprécié un minimum de bonnes manières. À la place de ça, c'est une voix dans mon dos qui m'interpelle.
— Loin de moi l'idée de vous manquer de respect, mais je doute que vous soyez suffisamment qualifiée pour vous trouver dans cette pièce.
Quand je me retourne, je suis obligée de relever les yeux pour fixer avec agacement l'homme qui vient de s'adresser à moi. Il fait au moins deux têtes de plus que moi. Ses yeux verts me fixent trop profondément et me mettent mal à l'aise. Je gonfle un peu la poitrine pour me donner du courage et fais de mon mieux pour ne pas faiblir devant le mâle alpha qu'il suppose être.
— Puis-je savoir qui vous êtes pour penser être en droit de juger de mes capacités professionnelles ?
— Un ami de la famille.
Il a une voix diablement sexy, merde. Encore un mec qui croit qu'il est plus légitime parce que justement, c'est un mec.
— Eh bien, Cher Ami de la famille, je vous invite à prendre place à l'extérieur de cette pièce le temps que je m'entretienne avec mon client.
— Non.
— Excusez-moi ?
— J'ai dit non. Ethan est mineur, il a le droit d'être assisté d'un avocat et d'un adulte. On peut passer aux choses sérieuses ou je dois également vous apprendre comment faire votre métier ?
Je sens que le rouge me monte aux joues, de un, parce qu'il a raison en ce qui concerne la loi et de deux car j'ai l'impression d'être prise au piège avant même d'avoir commencé à travailler. Je ne peux pas m'empêcher de le défier du regard quelques secondes de plus. Sa mâchoire se crispe, il ne doit pas avoir l'habitude qu'on lui tienne tête. Il dégage un truc qui ne me plaît pas du tout, trop sûr de lui, trop fier également. L'archétype du connard, pour simplifier les choses. Je me retiens de l'envoyer se faire foutre en prenant enfin place face à l'adolescent, toujours silencieux.
— Je suis là pour te faire sortir d'ici sans histoires Ethan, j'ai juste besoin que tu m'expliques ce qu'il s'est passé.
L'homme derrière moi se racle la gorge, obligeant Ethan à le regarder avec une moue interrogative.
— Le son de cet entretien n'est pas conservé par les enregistrements. Tout ce que tu me diras restera entre toi et moi. Et lui.
Son regard passe plusieurs fois entre moi et le brun qui l'accompagne. Je sens bien qu'il est hésitant et qu'il n'a rien envie de me dire. C'est toujours comme ça au début. Et puis les langues se délient.
— J'avais envie de me faire un peu d'argent. J'ai trouvé un sac rempli de pilules dans un casier des vestiaires de foot. J'ai piqué une dizaine de sachets, et voilà.
Et voilà... Je ne crois pas un mot de son histoire. Et je pense qu'il sait très bien que je le sais. Mais je ne dois pas faire de vagues.
— Est-ce que quelqu'un t'as vu dans les vestiaires ?
Il a l'air étonné de voir que je ne cherche pas à l'incriminer, mais au contraire à aller dans son sens.
— Non, personne.
— Est-ce que tu as consommé ?
— Non.
— Combien de sachets as-tu vendu ?
— Trois.
Il n'est pas très bavard, mais ça suffira. Il a sûrement vendu plus de sachets et il est sans le moindre doute le propriétaire du mystérieux sac du vestiaire.
— Je te laisse m'attendre ici, je reviens.
— Je suis menotté au bureau, je ne comptais pas aller bien loin.
Un rire discret s'échappe des lèvres de l'homme aux yeux verts à qui je lance un regard toujours aussi furieux. Quand j'aurais sorti le gosse d'ici, il aura moins de raison de me prendre pour je ne sais quoi.
— Sachez que je ne suis pas là pour m'amuser, contrairement à vous. Et que cela vous plaise ou non, je suis l'avocate d'Ethan.
Son sourire disparaît et ses sourcils se froncent au son de ma voix. Je ne comptais pas m'en faire un ami, alors ses grands airs ne me font ni chaud, ni froid. Tout ce qui m'importe c'est d'être respecté dans mon travail.
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