Kyle

— Merde !

Ma main s'abat sur le volant de ma voiture et je m'arrête au milieu de la rue dans laquelle je viens de tourner.

— Merde. Merde. Merde !

Je viens de faire une putain de connerie en baisant avec cette nana. Au-delà de l'acte en lui-même, c'est surtout ce que j'ai ressenti pendant qui me fait regretter. Habituellement, elles veulent juste se sentir importantes parce qu'elles ont pu m'emmener dans leur lit. Moi, l'un des célibataires les plus prisés de New York. Elles ne voient que par l'argent et le pouvoir et s'imaginent qu'après une nuit avec moi, je leur mettrai la bague au doigt. La réalité est bien différente quand je quitte leurs draps au petit matin sans jamais les rappeler.

Mais elle... La seule chose qu'elle voulait, c'était se sentir désirée. Cette femme est d'une beauté incroyable, j'espère au moins qu'elle le sait. J'ai eu l'impression de l'avoir brisé en deux en lui faisant comprendre que je ne l'avais pas touché. C'est pourtant ce que j'aurais pu faire avec n'importe quelle autre femme. Je me fous clairement des conséquences en temps normal.

Sauf que rien n'était normal ce soir.

Je sens encore le parcours de ses mains sur ma peau et ce bref souvenir rend ma chair douloureuse. Ses doigts sur mes cicatrices, sur la peau de ce corps que je ne chéri plus depuis tellement d'années. Je n'ai même pas réussi à avoir un comportement moins bestial qu'à l'habitude. Mon côté dominant a pris le dessus. Et le pire : je crois qu'elle a aimé ça ! Hope Underwood, la nouvelle avocate de ma famille, m'a clairement offert la partie de jambes en l'air la plus bandante de ma vie.

Ça me ronge, mais je pense à elle depuis que je l'ai vu. Au-delà de son physique, elle a quelque chose que les autres n'ont pas. Sa carapace de confiance qui renferme un être écorché par la vie. La façon qu'elle a eu de me regarder pendant que je malmenais son corps. Et enfin, son envie de vouloir m'aider. Elle n'a rien dit, bien sûr, mais je l'ai compris. Et si ce sentiment est quasiment inconnu chez moi, ça m'a terrorisé. On ne peut pas m'aider.

Je suis une cause perdue.

Je suis quelqu'un qui ne sait pas donner de l'attention. Mes besoins personnels sont primordiaux et je ne ferais jamais passer une personne avant moi. Il n'y a qu'une seule personne qui a le droit à ce traitement de faveur.

*******

Kyle - 8 ans

Qu'est-ce qu'elle est jolie... Ses longs cheveux blonds tombent sur ses épaules et elle maquille ses lèvres en rouge. Je suis assis sur son lit. Je ne suis pas petit, mais il est tellement haut que mes pieds ne touchent pas le sol. Je balance mes jambes d'avant en arrière et je la regarde se préparer.

— J'aimerais bien que tu restes avec moi maman, confié-je en cherchant son regard dans le miroir.

— Tu sais bien que ce n'est pas possible, répond-elle d'un ton sec.

Elle doit sortir avec papa ce soir, pour le travail. Alors je reste ici, dans notre appartement, avec Olivia et Angela, notre nounou. Je suis content d'être avec ma petite sœur, mais j'aimerais aussi être avec maman et papa. Je suis sage, j'ai de bonnes notes à l'école et je finis même mon assiette de légumes ! Mais ça semble ne pas suffire pour eux, ça me rend triste.

Quand elle se tourne vers moi, je pousse un whaou. Maman est si belle. Olivia lui ressemble, elle a les cheveux blonds aussi. Les miens sont très foncés, comme papa. On a tous les yeux verts, c'est notre marque de fabrique.
Elle s'approche de moi, relève mon menton et me regarde d'un air dur.

— Pas de bêtises. On rentrera tard ce soir. Quand Angela vous demande d'aller au lit, c'est au lit.

Elle m'embrasse rapidement sur le haut des cheveux et pousse doucement mon dos pour que je descende du lit. Olivia est dans le salon avec papa, en train de faire des coloriages.

— T'as vu papa ? C'est beau hein ?

Je crois qu'il ne lui répond pas.

— Tu es prête chérie ? lance-t-il à l'attention de ma mère.

Il est très bien habillé lui aussi, avec un costume bleu foncé. J'espère que je pourrais m'habiller comme ça un jour. Peut-être que maman m'aimera un peu plus. Ils donnent des instructions à Angela et s'en vont, sans se retourner.
Quand il est temps pour nous d'aller nous coucher, j'attends qu'Angela quitte ma chambre pour sortir en douce et filer dans celle d'Olivia. Je n'aime pas dormir tout seul. Ma chambre est trop grande. Je crois que j'ai peur du noir.

— 'Liv... Je peux entrer ? chuchoté-je pour ne pas qu'Angela m'entende.

— Oui !

Sa voix sort de sous sa couette rose. Je me glisse dessous et la prends dans mes bras. Elle a une veilleuse en forme d'étoile sur sa table de nuit et a le droit de dormir avec un doudou. Maman dit que moi je suis trop grand et que je n'en ai plus besoin. Olivia se retourne et vient coller le bout de son nez au mien.

— Bonne nuit, Olivia.

— Bonne nuit grand frère. Je t'aime aussi haut que l'Empire State.

Je souris. Les seules fois où j'ai la chance d'entendre ces mots, c'est quand ils sortent de sa bouche. Je crois que papa et maman ne nous aiment pas beaucoup.

*******

Le soleil va se lever dans quelques heures et je suis mort de fatigue. J'ai dormi, un peu, au club, mais ça ne suffit clairement pas. Trop de choses me tracassent en ce moment et m'empêchent de fermer réellement les yeux. J'ouvre l'armoire qui renferme de nombreuses bouteilles et choisis l'un des whisky les plus chers que je possède. J'ai besoin d'oublier.

De l'oublier elle.

Malheureusement pour moi, chaque gorgée qui me brûle la gorge me rappelle également la chaleur de son corps sur le mien. Je revois ses yeux bleus qui me fixent alors qu'elle a ma queue dans sa bouche. Je sens le goût sucré de ses lèvres. Et je me hais d'avoir lu dans son regard la déception que j'ai créée en elle en la laissant en bas de son immeuble. Et oui ma jolie, je t'avais prévenu que tu allais le regretter...

Je dois penser à autre chose. Je termine mon verre cul sec, m'en sers un autre, allume une cigarette et envoie un message à Liam. Les Cobras, ça donne quoi ? La réponse arrive 3 minutes après mon message. On peut organiser une descente ce week-end. J'ai prévu l'artillerie lourde. Ce mec n'est vraiment pas mieux que moi, même à 5 h du matin, il est réveillé. Des armes et du sang, c'est exactement ce qu'il me faut. Ce fils de pute de James se croit malin en empiétant sur mon territoire. Lorsque j'aurais exterminé toute sa bande de rats, il s'en voudra d'avoir osé ne serait-ce que respirer sur les trottoirs qui m'appartiennent.

Tu me laisses t'emmener au restaurant ce soir ? Mon deuxième message est pour Olivia. Je ne compte pas lui raconter ce qu'il s'est passé avec Hope. Je veux simplement profiter d'un moment simple et sans contrainte. Un moment où je sais que je peux être moi. Juste moi. Je sais qu'elle dira oui, alors je prends le temps de réserver sur l'un des rooftop les plus chics de New York. L'avantage quand on porte mon nom, c'est qu'une table est toujours disponible quelque part.

Je noie toutes mes pensées sous la douche avant de m'allonger sur mon lit, la taille entourée d'une serviette. Je place un bras sous ma nuque et fixe le plafond de ma chambre. Elle est toujours trop grande. Il y fait toujours trop noir. J'allume la lumière au-dessus de mon lit et fouille un tiroir de ma table de nuit pour en sortir une petite fiole argentée. Je dévisse le bouchon et respire les vapeurs de ce qu'il me semble être du gin. Mon corps réclame, suffoque, manque de faillir et me déteste au moment où je refuse finalement de boire.

Mes démons me feront payer cet affront, je le sais. Mais je dois faire preuve de contrôle. Ce qu'il s'est passé ce soir ne doit plus se reproduire. Jamais. Sous aucun prétexte.