Unicorn

Frédérique ne me parlait plus. Je comprenais les raisons. Cela ne signifiait pas que je les approuvais. Je trouvais cette manière de me faire la tête tout à fait enfantine. Il fallait qu'il comprenne que nous n'étions pas dans un conte de fées. 

Thomas et Derek ne nous obéissaient seulement parce qu'ils avaient peur de moi. Seulement, la peur fait parfois accomplir de bien étranges choses. Il était probable qu'à la première occasion qui leur aurait été offerte de se débarrasser de moi, de nous, ils l'auraient saisie. On ne pouvait leur faire confiance. Cela aurait été un problème pour l'avenir, surtout dans ce Jeu. Combien d'années de suite, à l'école, on nous avait montré des morts de candidats stupides, qui avaient fait confiance aux mauvaises personnes. Ce problème de confiance, moi je l'avais réglé de deux balles dans la tête. C'était expéditif, mais au moins, c'était réglé. Nous serions tranquille.

Cela me fit d'ailleurs repenser au fait que j'avais des souvenirs. Pourquoi étais-je la seule à en avoir ? Pourquoi tout le monde autour de moi semblait avoir tout oublié, se souvenir seulement de leur prénom ? Il me semblait que c'était une première, dans le Jeu. Que quelqu'un se rappelle de qui il était avant tout cela. Avais-je été épargnée, pour une raison quelconque ? Etait-ce une erreur ? 

La plupart de mes souvenirs me faisaient mal, mais j'étais heureuse de me souvenir. Ils avaient forgé la personne que j'étais, la personne que je serais. Je n'étais pas comme tous ces candidats qui étaient perdus et désorientés. Moi, je me souvenais. J'avais la tête sur les épaules. Nul doute que s'ils se souvenaient également, le Jeu se déroulerait bien différemment. 

Frédérique se leva soudain et fit quelque chose que je ne me serais jamais attendu à ce qu'il fasse. Il me prit les mains. Il me fixa de ses grands yeux sombres. Il me dit doucement :

"Ce que tu fais, tu le fais pour nous. Je suis désolé si j'ai mis du temps à le comprendre. Je ne suis pas aussi fort que toi, pas aussi déterminé. Mais je veux changer. Je veux m'améliorer. Je veux être capable de t'aider. Je ne veux pas être le fardeau de notre duo. Je veux être celui sur lequel tu peux compter, celui qui sera toujours là à tes côtés."

Moi aussi je fis quelque chose que je ne m'attendais pas à faire. Je l'ai serré fort dans mes bras. J'ai même senti les larmes monter à mes yeux. Cela faisait juste trop d'émotions, en si peu de temps... Mais je ne me suis pas laisser pleurer. J'étais beaucoup plus forte que cela. Je ne pouvais pas me mettre à pleurer pour des raisons aussi futiles.

Frédérique se décolla, lentement, de moi. Il me sourit.

"On doit accomplir l'ordre, maintenant."

Il fut le premier à l'accomplir. Il prit un très grand couteau. Et sans autre forme de cérémonie, il se trancha le nez. J'ai poussé un long cri. Il s'est mis à saigner, à beaucoup saigner. J'ai enlevé mon t-shirt pour l'aider à stopper l'hémorragie. Je me suis interdis de regarder ce qui flottait au milieu de la flaque de sang. Tout ce qui comptait, c'était aider Frédérique.

Je ne m'attendais pas à ce qu'il fasse cela. Cela m'avait vraiment très surpris. C'était un geste très courageux. Visiblement, il avait voulu me prouver qu'il tiendrait sa parole. Son visage devenait de plus en plus pâle. Il avait perdu beaucoup de sang. Pff... Quel imbécile. 

Je me suis rendue compte que le terme "imbécile" était, dans mon esprit, pour lui, affectueux. Il avait vraiment dû me contaminer avec sa pseudo-gentillesse ! Cela m'énervait! Je l'ai aidé à s'allonger. Il fallait qu'il se repose. Le sang avait arrêté de couler à flot, il n'y avait plus qu'à espérer qu'il n'en avait pas déjà trop perdu. Je ne voulais pas qu'il en ait trop perdu ! Je ne voulais pas qu'il meure ! Ces pensées m'ont surprises, mais j'ai préféré les ignorer. Je n'avais pas de temps à consacrer à cela.

J'ai saisi un autre couteau, sur le mur. J'ai posé ma main sur mon ventre, lentement, cherchant l'endroit exact. Si je devais trouver un avantage à avoir eu un père chirurgien, c'était bien celui-là. Je savais précisément où se trouvait chaque organe interne de mon corps, comme résultat de mes nombreuses lectures, enfermée, seule, dans sa bibliothèque. 

J'ai commencé à enfoncer la lame dans ma peau. Ça faisait mal ! J'ai serré les dents pour ne pas crier. J'étais forte. Bien plus forte que cela ! J'ai continué mon travail avec des gestes d'une précision extrême. Un coup de couteau mal orienté et j'étais morte. J'ai enfin réussi à obtenir ce que je voulais. Je l'ai ressorti, lentement.

Il me semble que c'était inédit, cela. Se séparer de cette partie de son corps. C'était dommage, car, quand c'était bien exécuté, non seulement cela ne t'handicapait pas, mais en plus, vu la rareté de l'action, cela devait attirer les spectateurs. Or, plus les spectateurs étaient attirés par toi, et plus tu avais de chance de survivre.

J'ai craché du sang au sol. J'avais mal. Tellement mal. Je n'avais rien sous la main pour me recoudre rapidement. Qu'est-ce que j'allais faire ? Moi aussi j'avais perdu beaucoup de sang. Je suis tombée à terre. J'ai vu au loin Frédérique se relever. J'ai vu ses yeux s'exorbiter en voyant mon rein que je tenais dans ma main.

Mais je n'ai vu cela qu'à travers un épais brouillard. Je me sentais si lourde et si fatiguée. Je voulais tellement dormir... 

Je me suis perdue dans un sommeil sans fin. 

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