Théo

"Tugdual ! Arrête d'agir comme un enfant de trois ans !
-J'en ai sept d'abord !"
Tugdual me regardait, visiblement furieux. Il me montra sept doigts, comme s'ils prouvaient irréfutablement son âge. De courts cheveux bruns encadraient son visage avec douceur, mais ce qui était le plus frappant chez lui, c'était bien évidemment ses grands yeux bleus. Ils paraissaient pouvoir lire tout au fond de votre âme. Il ne me ressemblait pas du tout. Moi, j'avais le triple de son âge, mesurait bien 70 cm de plus que lui, avais des cheveux blonds et des yeux marrons. Le petit garçon me regardait, visiblement furieux :
"Pourquoi tu ne veux pas que j'aille dans le magasin de jouets ? Je veux la voiture rouge."
J'ai soupiré :
"Je te l'ai déjà expliqué. Il y a certes des magasins dans la ville mais ils sont inaccessibles, ils sont fermés hermétiquement."
Je n'aurai jamais dû faire équipe avec un enfant. Et surtout pas avec un enfant qui avait une incroyable capacité à ne pas vous écouter, à n'en faire qu'à sa tête et à bouder pour un rien. Mais bon, lorsque je l'avais vu, tout seul, tout petit parmi tous ces adultes qui ne lui prêtaient pas la moindre attention, j'avais décidé de l'aider. Ça s'était fait instinctivement. Cependant, depuis, il n'arrêtait pas de se plaindre. Moi aussi j'avais faim, moi aussi j'aurai bien aimé avoir la console trônant dans la vitrine juste devant moi mais, pour le moment, c'était impossible, comme pour les immeubles. C'était bloqué.
Tugdual gémit :
"Mais tu n'as qu'à foncer dans la porte, elle va se casser. Mon papa faisait comme ça quand y avait des méchants qui...
-Oui, bien sûr, ton père agissait ainsi..."
Je me suis brusquement figé :
"Attends... Quoi ? Qu'est-ce que faisait ton père ?
-Il fonçait dans les portes des méchants qui voulaient pas l'ouvrir ! Même qu'il me racontait tout ça quand il rentrait à la maison ! Je suis sûr que ton papa il sait même pas faire ça !"
Tugdual avait des souvenirs. Il avait des souvenirs d'avant. Pour l'instant, tout ceux à qui j'avais parlé m'avaient répété la même chose : ils n'avaient aucun souvenir, à part leur prénom. Ma respiration s'est accélérée :
"Tug, raconte-moi tout ce que tu sais. Tout ce que tu faisais... Avant.
-Non ! T'as été méchant avec moi ! Je te dirais rien, na !"
J'ai dû serrer les dents et j'ai dit plus doucement :
"Si tu me dis tout ce que tu sais, alors je t'offrirai une tablette entière de chocolat."
Il parut réfléchir mais finit par demander :
"Promis ?
-Promis.
-Et bien, je vivais avec ma maman et des fois mon papa il rentrait et il me racontait des histoires de police ! Papa et maman ils se disputaient souvent.
-Essaie de te rappeler comment tu es arrivé ici.
-Je... Je sais plus trop... Je me rappelle juste du blanc... D'une sonnerie... D'une piqûre aussi, elle faisait mal... Papa... Maman..."
Il se mit soudainement à pleurer :
"Théo, je veux pas m'en rappeler... Je veux pas !"
Je l'ai serré dans mes bras. Tout son petit corps était secoué de tremblements. Je lui ai murmuré :
"Ne t'inquiète pas. Je ne t'y obligerai pas."
J'ai regardé autour de moi. Presque tout le monde avait un partenaire. Je disais bien "presque". Certains étaient dans leur coin, ne souhaitant visiblement s'allier avec personne. Le premier ordre avait été donné à minuit. Il ne restait plus que vingt minutes avant la fin du délais. La seule manière de suivre le temps qui passait était le portable. Il ne semblait visiblement jamais être à court de batterie puisqu'il n'affichait aucun pourcentage ou symbole de batterie.
Certains ne savaient pas s'il fallait croire à cette histoire de jeu ou pas. Moi-même, je devais avouer que j'avais des doutes. Comment les personnes qui n'obéissaient pas pourraient être tuées ? C'était sûrement une blague. Une blague de très mauvais goût, certes, mais ça en restait une.
Avec Tugdual, on s'assit sur un banc. Plusieurs personnes étaient rentrées dans une maison pour dormir. Moi, je contemplais tout cela.
J'étais fatigué. Très fatigué. Cette longue journée m'avait complètement épuisé. J'allais m'endormir quand mon portable vibra. Celui de Tugdual aussi visiblement vu qu'il y jeta un coup d'oeil. Un message s'affichait sur l'écran

Les 24h sont écoulées.
Population restante 270/300.

Je suis resté stupéfait. Comment ça 270 sur 300 ? Je vis brusquement un homme devant moi s'écrouler. J'ai accouru. Il ne respirait plus. Pourtant, il n'avait pas de trace de blessure visible.

Un homme musclé s'approcha. Il retourna le cadavre. J'aperçus un tatouage d'ours sur son épaule. Il se retourna vers moi, en désignant la nuque du mort, et dit d'un ton un peu bourru :
"Visiblement, il a été piqué par quelque chose."
En effet, un boursouflure violette était visible dans le cou de l'homme mort. Cet homme n'avait pas de partenaire, c'était sans doute pour ça qu'il était mort. Mais d'ailleurs, cet homme avec le tatouage d'ours, là, pourquoi était-il encore en vie ?
"Bjorn ? Qu'est-ce que tu fais ?"
Un garçon maigrelet posa la main sur l'épaule de son compagnon. Ah si, finalement il avait bien un partenaire.
Le garçon mince demanda :
"Vous avez vu le nouvel ordre ? Vous en pensez quoi ?"
Je ne l'avais pas lu. Il était vrai que dans ma surprise de voir cet homme mourir je n'avais pas pensé à voir la suite du message. J'ai jeté un coup d'oeil à mon portable. Et j'ai dégluti.

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