Lucille

Lucille se mit à griffoner frénétiquement un morceau de papier. 46 participants. En faisant l'hypothèse qu'il n'y avait que deux duos, le sien y compris qui avait perdu leur partenaire, cela signifiait qu'il y avait 24 duos au total. Donc 6 pour chaque "univers". Si on voulait accomplir l'ordre, cela signifiait donc distancier au moins trois duos. Elle soupira. Elle était seule. Ca allait être plus dur. Mais, elle savait qu'elle pouvait le faire. Elle savait qu'elle devait le faire. Pas pour elle. Pour son fils. Elle ne pouvait pas le laisser seul. Il était tout seul. Il devait avoir peur. Le pauvre petit.

Elle essayait de se remémorer son visage. Elle essayait vraiment. Mais, à chaque fois qu'elle le faisait, son visage paraissait de plus en plus lointain. Elle se serra les poings. Un liquide rouge et poisseux commença à sortir de sa main. Elle saignait. Quelle mère était-elle pour ne même pas réussir à se souvenir du visage de son fils ? De son prénom ? Le pauvre petit, il devait être tout seul dehors, sans sa maman il ne devait pouvoir rien faire.  Il fallait qu'elle aille le retrouver. Mais, avant, elle ferait mieux de préparer. Elle jeta un oeil à sa cachette. Elle était construite en quelque sorte au milieu des racines d'un arbre millénaire au tronc énorme. Les parois étaient constituées de terre et elles suintaient toutes. En même temps, quelle idée avait-elle eu de choisir les marécages. Elle attrapa son  sac à dos.

Elle ouvrit tout d'abord une sorte de réfrigérateur. Il ne semblait être branché à rien, elle n'avait aucune idée de comment il pouvait fonctionner et garder les aliments au frais. Mais, à vrai dire, ça ne la préoccupait pas vraiment. Si survivre signifiait accepter qu'il y ait des sortes de frigo magique sur son chemin, et bien très bien elle s'y ferait plutôt bien.

A l'intérieur elle saisit plusieurs fruits et légumes ainsi que plusieurs morceaux de viande saignante. Il y avait de quoi faire un feu juste à côté, elle aurait pu faire cuire la viande. Elle eut un petit sourire. La viande sera sûrement bien plus appréciée bien saignante que cuite. Et puis "il" devait plus avoir l'habitude de ce type de viande. Elle trouva en fouillant un peu des sortes de torchon et des glaçons. Elle s'en servit pour emballer la viande.

Elle prit également la couverture du lit. Autant tout prévoir. Il ne faisait vraiment pas chaud la nuit ici. Elle jeta un regard à son reflet dans le miroir qui surplombait une petite bassine d'eau. La jeune femme qui lui faisait face avait de longs cheveux blonds et raides, qui partaient désormais dans tous les sens. Ses yeux, dont la couleur alternait entre le bleu et le vert, n'avaient plus l'éclat d'avant. Les cernes qu'elle avait sous les yeux ne trompaient personne. Elle n'arrivait plus à dormir. Mais, de toute manière, il ne lui semblait jamais avoir beaucoup réussi à dormir. Pas depuis cette nuit là.

Un flash de sa mémoire lui revint tout à coup. Tout était un peu flou, et étrangement ralenti.

Un son sourd. Une douleur au niveau des pieds. Se réveiller en sursaut. Paniquée. Quelque chose se passait. Quelque chose de grave. Elle avait été réveillée par sa lampe accrochée au plafond qui lui était tombée sur les pieds. Mais elle savait qu'il n'y avait pas que cela. Il y avait autre chose.

Se lever précipitamment pour aller voir à la fenêtre. Et le voir arriver. Elle savait qu'il les retrouverait. Il le faisait toujours.

Réveiller son fils qui dormait. Le serrer fort dans ses bras. L'embrasser sur le front. Lui dire qu'elle l'aimait très fort. Lui désigner le placard. Lui dire de s'y cacher et de ne faire aucun bruit. Il n'est pas très bien réveillé. Il ne comprend pas. Il veut rester avec sa maman.

Sentir les larmes monter. Entendre le pas dans l'escalier. Insister encore "cache-toi dans le placard. Maman va faire partir le méchant monsieur." Il acquiesce un peu à contrecoeur, mais il le fait.

Entendre des coups précipités à la porte. Elle doit lui ouvrir. Elle n'a pas le choix. Il ne partira pas sinon. Enlever le verrou. Se retrouver, une fois encore, en face de son pire cauchemar.

Lucille frisonna. Elle n'avait pas compris tout ce qui venait de se passer. Tous ces souvenirs étaient tellement flous... Si cela se trouvait, ça n'était qu'un mauvais rêve. Mais, la boule qui se formait dans son estomac à chaque fois que son esprit se posait sur cet homme lui indiquait que, non, ça n'était pas un rêve. Elle savait qu'elle était loin de lui. Qu'elle était dans un endroit qui devait être bien plus dangereux que le simple fait se retrouver en face d'un homme seul. Mais, cet homme l'effrayait bien plus que le reste de cet endroit.

Qui était-il ? Elle n'en avait aucune idée. Se pouvait-il que ça soit lui qui l'avait conduit ici ? Etait-ce la raison pour laquelle elle avait tellement peur ? Non. Il devait y avoir autre chose.

Elle se ressaisit soudain. Chaque seconde perdue ici était une chance en moins d'accomplir son ordre. Elle se leva, pris son sac à dos et quitta la cachette. Cet endroit allait lui manquer.

En sortant, elle entendit un rugissement. Elle sourit.
"Tout doux mon beau, ça n'est que moi."
En face d'elle se trouvait l'ours qu'elle avait trouvé au parc avec Marie. Il était immense et imposant. Il ne lui semblait pas avoir vu auparavant d'ours aussi grand. En même temps elle ne se rappelait pas de grand chose. Elle sortit un morceau de viande du torchon et le lui jeta. Il mordit à pleines dents dedans. Elle caressa doucement son pelage pendant qu'il finissait son repas.
Elle escalada ensuite son dos. Il ne réagit pas. Elle se doutait qu'il y avait quelque chose derrière l'obéissance spontannée de cet ours. Un ours sauvage ne l'aurait même pas laissé l'approcher. Mais, pour l'instant cela servait ses intérêts, alors elle n'allait pas s'en plaindre. Elle attrapa ses chaînes et lui désigna la direction de l'immense tour, au milieu des marécages.
"Par là, mon grand."
Qu'importait qu'elle n'ait plus de partenaire.
Elle, elle avait un ours.

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