Lucille

Le nouvel ordre me fit frissonner. Jamais je ne pourrais blesser qui que ce soit ! Je ne voulais de mal à personne ! Ma partenaire, Marie, me tapota l'épaule. Elle murmura :

"Ne t'inquiète pas. Cela va bien se passer !"

Tant mieux pour elle ! Elle était plus forte que moi ! Elle était froide, dure. Elle, elle avait une chance de s'en sortir. Il faisait froid et sombre. La température, qui était pourtant auparavant plutôt agréable venait de chuter de plusieurs degrés. J'ai dégluti avec difficulté. Je me suis tournée vers Marie :

"Il fait froid. Qu'est-ce que ça veut dire ?"

Elle haussa les épaules.

"Cela ne veut rien dire du tout. Cela veut juste dire que si nous ne voulons pas finir congelées il va falloir qu'on trouve rapidement de quoi se couvrir."

Mon estomac a gargouillé. J'avais faim. Le paquet de biscuits que j'avais récupéré à l'épicerie du coin ne m'avait pas nourrie longtemps. Les portes de tous les bâtiments pouvant contenir de la nourriture, supermarché, épicerie, restaurants, s'étaient ouverts. Tout le monde s'y était évidemment rué et il ne restait désormais plus grand chose en rayons.

La fin de l'ordre précédent avait apporté son lot de morts. Les cadavres étaient étalés dans la rue, comme une preuve de la cruauté de ce jeu. C'était injuste ! Pourquoi quelqu'un devrait mourir pour une raison aussi stupide ? Pour "amuser" des gens dont nous ne connaissions rien ? C'était inutile. J'avais peur de la mort. Mais, je ne me croyais pas capable de tuer qui que ce soit. Je ne savais pas ce que je devrais faire. Ce que j'étais capable de faire. 

Ne pas me rappeler de ma vie me dérangeait. Parfois, j'avais l'impression d'être sur le point de saisir quelque chose, un souvenir. Et, souvent, cette impression disparaissait aussi vite qu'elle était apparue. 

Marie m'a saisi le bras. Elle m'a désigné un parc en face :

"Qu'est-ce que tu en penses, pour te reposer un peu ? Ce sera toujours mieux que ce béton froid qui recouvre la plupart de la ville. "

J'ai acquiescé. J'avais peut-être faim et froid mais, par-dessus tout,  j'avais sommeil. Je n'avais quasiment pas réussi à fermer l'œil, ces derniers jours. Le soleil venait juste se lever, projetant de longues traînées roses dans le ciel. C'était magnifique. Je me suis arrêtée un instant pour contempler ce paysage. Marie m'a tiré par le bras. 

C'était un petit parc, verdoyant. Au centre, il y avait des jouets pour enfants. Pour une raison inconnue, cela serra mon cœur. Il y avait des pelouses délimitées par des arcs verts. Il y avait aussi plusieurs bancs. On entendit soudain un rugissement. On frissonna toutes les deux. On s'approcha de l'endroit d'où venait ce rugissement. Un immense ours était enchaîne à un arbre centenaire. Ses chaînes paraissaient solides. Que faisait un ours au milieu d'un petit parc comme celui-ci ? Plus étonnant, c'était le premier animal qu'on voyait depuis le début de la partie. Il n'y avait même pas d'oiseaux ou d'insectes. Absolument rien. Juste un ours attaché à un arbre. 

On a soupiré de soulagement à l'unisson. On ne risquait rien. Il n'avait pas l'air près de se libérer de ses chaînes. On s'est allongé sur l'herbe. Marie a proposé :

"Nous devrions faire des tours de garde. Imagine  que nous nous fassions attaquer par des tarés ! Avec l'ordre qu'il y a en plus !"

J'étais d'accord. Elle était plus prévoyante que moi. Elle avait l'air beaucoup mieux préparé à ce monde que moi. Elle m'a gentiment offert de prendre le premier tour de garde. Je n'ai pas réfléchi deux fois et j'ai accepté. J'étais vraiment épuisée. 

Je me suis endormie rapidement, tenant fermement dans ma main mon sabre. 

Mes rêves furent agités. 

Je vis un petit garçon que je connaissais. Il était blond aux yeux bleus. Il me regardait fixement. Je me sentis brusquement remplie d'une sensation étrange. De l'amour inconditionnel. Il était en train de trembler. Ses lèvres étaient violettes. Il murmurait :

"Maman pourquoi est-ce que tu m'as laissé ? J'ai froid, j'ai faim, tu me manques."

Je voulais aller le réconforter mais j'étais enchaînée. Comme l'ours dans le parc. Le parc. Des rires d'enfants. Mes mains poisseuses de sang. Cette fois, j'allais le retrouver. J'allais le rattraper. Je pourrai serrer mon fils dans mes bras. 

Mais, plus je me rapprochai, plus il s'éloignait. Il criait :

"Maman ! Maman"

De grosses larmes coulaient sur son visage. Comme sur le mien.

Je me suis réveillée en sursaut. J'avais un petit garçon. Marie se tenait au dessus de moi, une hache dans la main. J'ai roulé sur le côté pour éviter le coup. Je l'ai fait instinctivement, sans réfléchir. 

Elle me regardait avec haine. Je lui ai demandé :

"Pourquoi est-ce que tu fais ça ? Qu'est-ce que je t'ai fait ?"

Elle éclata d'un rire sans joie.

"Ce n'est pas particulièrement contre toi mais il faut que je tue quelqu'un avant la fin de la journée. Et, tuer une pauvre idiote endormie me paraissait bien plus facile que de tuer un type avec de l'entrainement. "

J'avais eu le temps de me relever pendant qu'elle parlait. Je tenais toujours mon sabre dans ma main. La lame était bleutée. J'ai tranché le manche de sa hache. Désormais elle ne tenait plus qu'un bout de bois inutile dans ses mains. 

Elle a brusquement pâli. Elle a murmuré :

"Attends, s'il-te-plait..."

J'avais un fils. Il avait besoin de moi. Il fallait que je sorte d'ici le plus vite possible. Quitte à faire des sacrifices.

J'ai décapité proprement la tête de Marie. Je me suis brusquement rendue compte que ce n'était pas la première fois que je tuais quelqu'un. 

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