CHAPITRE 11 : Le jardin d'Éden - Du point de vue d'Adam



De la fenêtre de ma chambre, je ne peux m'empêcher de la regarder déambuler dans le jardin, avec ses éternels cheveux bouclés. Je reste sur le côté, de peur qu'elle me remarque. Dans ce coin d'apaisement et de sérénité, cet endroit où on ''s'y sent si bien'', je ne peux qu'admirer son plaisir d'être là. Elle touche à tout, regarde à tout. Elle est avide de curiosité. J'ai toujours eu horreur des gens trop curieux, mais chez elle je tolère ce caractère à profusion.

Son esprit avide la rend unique et elle ne s'en rend même pas compte. Sa susceptibilité, elle, la rend déconcertante à souhait.

Je n'ai pas réussi à dormir de la nuit. Mon sommeil était bien trop agité. L'idée même d'un diner ''en famille'' avec elle, me révulse au plus au point. Je ne pourrais jamais la considérer comme un membre de ma famille. A mes yeux, elle est autre chose, mais tout autant. Je ne saurais l'expliquer... Enfin si, cependant je préfère me voiler la face encore un peu... Pourquoi espérer plus... Après tout, ne dit-elle pas à profusion qu'elle me déteste?

J'ai trop souvent perdu des gens autour de moi, en cours de route... Mais Eva, à la différence des autres, s'accroche à moi comme une grappe à sa pomme. M'imaginer ne plus jamais la voir? Hors de questions! Mais envisager de vivre sous le même toit qu'elle? En aucun cas!

Mon père a retrouvé enfin quelqu'un dans sa vie, après toutes ces années à tenter d'oublier la misère que ma mère lui a fait endurer... Et cela me comble de joie. Chacun mérite de gouter au bonheur, mais pourquoi a-t-il fallu que la femme dont il est amoureux, soit également la mère d'Eva? Tout mais pas ça! Pour lui et mes frères, je ferai un effort. Je leurs dois bien en tant que grand frère, mais je sais dores et déjà que la tâche sera hasardeuse et douloureuse!

Est-ce un coup de Satan si mon père est tombé éperdument amoureux de la mère de mon premier béguin?

J'ai conscience que je suis beaucoup trop dur avec elle. Seulement, j'ai été de nombreuses fois déçu par la vie, malgré mes 17 ans. A tout juste six ans, la première femme de ma vie a commis l'impensable: quitter le domicile pour un autre homme. Ou une autre vie, qui sait vraiment? Quelle désillusion!

Je me rends bien compte de la méchanceté que je peux parfois lui faire subir... A vrai dire, je ne sais pas toujours comment m'y prendre avec elle... S'il y avait un manuel à étudier dans ce domaine, je m'y serais plongé dedans il y a fort longtemps! Maladroit certes! Avec de bonnes intentions, oui!

Depuis nos trois ans, elle ne m'a jamais quitté d'une semelle. A croire que le destin fait tout pour nous aligner... Pour toujours? Voilà que je deviens comme Jules, un éternel sensible. Que cela m'y tienne, je vais me reprendre. Après tout, qu'est-ce qu'aimer? Par amour, je pourrais lui donner tout ce que je n'ai pas. Ce que je ressens pour elle, au plus profond de mon être, me fait comprendre que j'existe. Mais à quoi bon lui dire, si elle me déteste autant? Ne peut-elle pas me regarder comme elle regarde Rafael? J'ai toujours été froid avec les autres, de peur d'être encore abandonné. Et je l'ai toujours été encore davantage avec elle, car elle est spéciale à mes yeux. Cependant, si après quatorze ans, elle est toujours collée à moi, n'est-il pas temps que j'en finisse avec ma froideur?

Maintenant, je me tiendrai correctement. Je ferai preuve de courtoisie même si je ne souhaite en aucun cas sa présence chez moi, dans de telles circonstances.

D'où je me trouve, je l'écoute parler dans la chambre de Jules. La connaissant bien elle et sa curiosité maladive, je devine qu'elle doit lui poser une tonne de questions. Ce qui m'effraie le plus, c'est mon cadet et sa langue bien pendue! J'espère qu'il ne dira rien de compromettant, on ne sait jamais avec lui! Il faut en finir, je vais stopper l'incident diplomatique! J'arrive au seuil de sa porte et je l'entends aborder... notre mère. Ça, pas questions! Cet aspect secret de notre vie, ne lui sera révélé que par moi, et moi seul!


– Tu es là? Forcement, avec tout ce boucan. Impossible pour moi d'étudier sereinement, commencé-je sans savoir réellement quoi lui dire.

– Tu es en training? s'exclame-t-elle avec stupéfaction.


Elle a l'air surprise de ma tenue. C'est vrai qu'elle à l'habitude de me voir porter des chemises à l'école. Peut-être apprécie-t-elle cela? J'y ferai attention la prochaine fois! Elle, par contre est particulièrement jolie. Elle porte une blouse en dentelle blanche et ses cheveux sont détachés. Et puis, depuis quand met-elle du rouge à lèvres?


– C'est sa tenue habituelle du week-end, sais-tu! Tu crois qu'il porte des costumes trois pièces à la Peaky Blinders, lorsqu'il reste à la maison? intervient Jules, non sans un poil d'humour.

– Non, mais bon, tu reçois... Enfin, voilà... répond-elle gênée en regardant le plafond.

– Ce n'est pas comme si je ne te connaissais pas, depuis le temps! Nous n'avons plus besoin de nous apprivoiser tous les deux, lui confis-je.

– Et d'abord, je ne faisais pas de bruit! Et de toute façon, qui étudie un samedi midi! s'emporte-t-elle, comme à son habitude.

– Ceux qui rêvent d'un avenir, je suppose? ma réponse ne peut m'empêcher de penser à Julian...


Après que Maria nous ait appelés pour manger, nous descendons tous les trois dans le salon. Le repas est silencieux, je pense qu'aucun n'ose débuter une conversation. En face de moi, je ne peux m'empêcher de la regarder de temps en temps, et je constate qu'elle est quelque peu nerveuse. Comme moi, elle n'a décidément pas envie d'être là. J'ai entendu mon père dire qu'elle logerait chez une amie ou chez sa tante au mois de février, et qu'elle ne viendrait à la maison que courant mars. J'espère bien! Peut-être sera-t-elle là pour son anniversaire? Je remarque mon père s'impatienter. Le connaissant, il attend le parfait timing pour entamer un discours. Il prend son souffle tout en s'adressant à nous.


– J'espère que vous appréciez ce que j'ai préparé à manger. La cuisine, il y a encore quelques semaines, c'était loin d'être mon point fort. Pour être honnête avec toi Eva, nous avions une gouvernante, Serena, depuis plus de dix ans. Mais, comme vous allez bientôt emménager toi et ta maman et que Serena souhaitait justement aller vivre du côté de Savannah, afin d'être plus proche de sa fille... Cela tombait bien! Ses bons coxinhas nous manqueront...


– HO, elle était brésilienne?

– En effet! Quand ils étaient petits, je me suis résolu à me faire aider à la maison. C'était un peu compliqué à gérer tout seul, enfin voilà... Et Adam m'avait dit: ''Je voudrais une nounou brésilienne, comme ma copine de classe!'' N'est-ce pas Adam? Il n'arrêtait pas d'en parler!

– Heuuu... Je ne m'en souviens pas, papa. Je crois que tu te trompes...


Je suis rouge comme une pivoine. Pourquoi balance-t-il un truc pareil, franchement? C'est gênant! Par contre, Eva en face de moi, semble ravie de me voir dans cet état là!

Mon père en vient alors à sa véritable allocution.


– Les enfants, sachez que c'était vraiment important pour Maria et moi-même que nous nous rencontrions tous ensemble, une bonne fois pour toute. Je me doute que faire rentrer de nouvelles personnes dans votre vie à chacun, va être contraignant pour un temps. C'est tout un chamboulement. Il va falloir faire preuve de résilience. J'espère que tout le monde y trouvera sa place.


Et bien, papa, je ne peux que te rejoindre sur ce point! Néanmoins, à mon avis, tu n'as pas conscience à quel point!


– Eva. Ta maman viendra vivre avec nous d'ici le début du mois de février. Nous avons convenu que tu prendrais ton temps et que tu emménagerais à ton aise un peu plus tard, continue-t-il.

– Oui, merci, répond Eva.


Merci? Ce n'est pas à toi de les remercier! C'est eux qui chamboulent ta vie du jour au lendemain!


– J'ai conscience que tu as besoin de prendre ton temps, mais il ne faudra pas tarder car les papiers pour vendre la maison seront bientôt signés.


Papa... Et dire que j'étais persuadé que tu étais un homme fait de diplomatie... Pourquoi t'aventures-tu sur ce chemin glissant?


– Quoi?! Maman? Je ne savais pas que cela irait aussi vite... D'ailleurs, je ne me doutais pas que tu allais vendre la maison... dit-elle en se tournant vers sa mère.


Je remarque les larmes humidifiées ses yeux. Son père est un sujet tendancieux, comme cela l'est pour ma mère... Je me souviens comme si c'était hier, le jour où notre maitresse de classe nous a annoncé le décès de son père. Un accident de voiture. Un évènement impensable pour un enfant. J'avais été au petit soin durant plusieurs mois et j'avais même préparé des cookies avec Serena pour elle... Seulement, j'ai constamment l'impression qu'elle ne se souvient que du négatif.


– Ma chérie, je comprends mais soit réaliste, ça ne sert à rien de garder encore la maison. Nous n'y habiterons plus et toi, dans un an et demi, tu seras à l'université... tente de rassurer sa mère.


Mon père comprend assurément la gourde qu'il vient de commettre, et feint de changer de sujet, comme il peut.


– Une part de gâteau, les enfants? propose-t-il. C'est un gâteau au chocolat. On va dire qu'il ne s'est pas foulé, pour un premier gâteau! Il est resté dans sa zone de sécurité!

– Non, je vais me prendre une pomme, lui répondis-je en allant vers la cuisine.

– Moi, j'aurais préféré des crêpes, revendique mon frère avec une moue râleuse comme à son habitude.

– Jules... Mon Dieu, dit notre père en levant les yeux au ciel.


Un éternel insatisfait!


– Eva, une part?

– Non merci, je n'ai plus faim. Excusez-moi, je vais prendre un peu l'air dans le jardin, informe-t-elle en se levant de sa chaise. Elle ouvre la porte donnant vers l'arrière de la maison.


Dans cet endroit si reposant et minimaliste, je ne veux pas qu'elle se sente seule et incomprise, comme j'ai pu l'être tant de fois auparavant.

Je décide de prendre mon courage à deux mains et de la suivre. Même si elle me rejette et qu'elle ne veut pas de moi, je ne la laisserai pas affronter seule sa peine!

En ce lieu qui reconstruit et soigne le corps et l'âme, j'ai tant de choses à lui dire...

Repose-toi sur mon épaule.

Pleure avec moi.

Ne dit ces choses qu'à moi, et rien qu'à moi.


Et puis, dans un murmure, je lui demanderai: me vois-tu comme je te vois?




Voilà un premier chapitre du point de vue d'Adam. J'espère que ça vous permettra de mieux comprendre certaines choses. 😊

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