II. V - Structurer ses scènes

Un article qui m'a été inspiré par l'écriture du diagnostic d'Immortal Illusion, de crystalhair.

Que savez-vous de la structure des scènes?

Savez-vous seulement qu'elles possédent une structure? Qu'il en existe deux types, proactives et réactives, et que c'est l'alternance de celles-ci qui donne un bon rythme à l'histoire?

Sur internet, il existe très peu de ressources en français se penchant sur le sujet. Pourtant, les anglophones, eux, ont accès à une quantité astronomique d'informations pertinentes sur la structure des scènes. Et c'est justement dans ces moments d'injustice où je suis très heureuse d'être parfaitement bilingue, parce qu'il est essentiel — et encore, le mot est faible — de maîtriser la notion de scène pour écrire un bon roman!

Mais pourquoi les scènes sont-elles essentielles? Parce si le roman est un château, et que les chapitres sont ses pièces, les scènes sont ses briques. Il s'agit de la plus petite unité de structure narrative que l'on peut retrouver dans un roman. Malheureusement, trop d'auteurs ont tendance à les négliger.

Avant toute chose, laissez-moi vous présenter l'une de mes grandes références en la matière :

Jack M. Bickham, l'auteur du livre dont je vais me baser dans cet article, « Elements of Fiction Writing - Scene & Structure », a écrit, dans sa carrière, plus de quatre-vingt romans. Plusieurs de ceux-ci ont été adaptés au grand écran. De plus, il a été professseur à l'université d'Oklahoma, aux États-Unis, où il a enseigné l'écriture à des milliers d'étudiants.

Cette leçon sur la structure des scènes sera une traduction non-exhausive (parce que ce livre en anglais portant sur les scènes est une brique de plus de cent-mille mots) de son oeuvre, où je tenterai de rendre la matière accessible aux apprentis écrivains de tout âge.

Passons maintenant aux choses sérieuses!

LA STRUCTURE DES SCÈNES

Comme dit plus haut, il existe deux types de scènes : les scènes proactives et les scènes réactives. Malgré les apparences, elles sont fondamentalement différences.

1. LA SCÈNE PROACTIVE :

1 — Un objectif est annoncé.

L'objectif du protagoniste doit être clair pour que le lecteur veuille sa victoire. Il ne doit pas être trop facile, mais pas non plus impossible. Le lecteur doit douter, mais espérer. Et si... ?

2 — Un conflit est introduit et développé.

Le conflit doit être varié et surprenant pour garder l'intérêt du lecteur. Le protagoniste redouble d'efforts pour atteindre son objectif ; et l'antagoniste*, lui, essaie de l'en empêcher, car son objectif est en conflit direct avec le sien.

3 — L'atteinte de l'objectif un échec (total ou partiel). C'est un désastre.

Le désastre doit être logique et découler de l'objectif du protagoniste.

*Ici, l'antagoniste n'est pas nécessairement un grand vilain. Il s'agit de n'importe quel personnage s'opposant à l'objectif immédiat du protagoniste. 

> Un petit exemple? Si votre héros est un adolescent voulant, dans la scène en question, inviter la fille de ses rêves au bal de fin d'année, un exemple de mauvais désastre serait un appel de l'hôpital annonçant la mort de sa mère. C'est désastreux, oui, mais si la scène se termine ainsi et que ce n'est pas relié à son objectif, l'histoire part dans tous les sens. TOUTEFOIS, si ce même désastre est suivi d'un autre désastre, celui-ci lié à l'objectif, comme le fait qu'un autre garçon invite la fille de ses rêves sous ses yeux parce qu'il doit quitter d'urgence pour l'hôpital... nous avons une scène proactive réussie.

Notez que le mot désastre n'est pas nécéssairement synonyme de castrastrophe ; vos scènes proactives peuvent se terminer d'une multitude de façons à l'unique condition que votre protagoniste soit dans une position inconfortable. Ça peut être un « non », mais aussi un « oui, mais... » avec des conséquences rattachées, un « non, et... » où le protagoniste sous-estimait les risques. Dans le cas d'une scène concluant l'histoire — et c'est l'unique exception — il n'y a pas de désastre, mais une victoire.

Pourquoi forcément un désastre? Parce que c'est en empêchant le protagoniste d'atteindre la pleine satisfaction que vous gardez l'intérêt des lecteurs. Si vous laissez la tension retomber entièrement, vous lui donnez une occasion d'arrêter de lire. Il est essentiel de la laisser retomber par intermitences pour que le lecteur sente un minimum de satisfaction, mais jamais dans une victoire totale — sauf à la fin du roman!

> CE QU'IL FAUT RETENIR À PROPOS DES SCÈNES PROACTIVES...

Les scènes proactives sont une valeur sûre pour démarrer le premier chapitre d'un roman. Elles accélèrent l'histoire en plongeant le lecteur dans l'action, qui ne demande qu'à en savoir plus. La fin désastreuse, elle, empêche la tension de retomber comme un soufflé manqué, alors le lecteur n'a qu'une envie : lire la suite.

> VARIATIONS POSSIBLES (MAIS POTENTIELLEMENT DANGEREUSES*) SUR LA STRUCTURE DE LA SCÈNE PROACTIVE :

— Il est possible de la débuter directement dans le conflit, ou alors dans le désastre.

— Il est possible de la conclure sans désastre immédiat.

— Il est possible d'interrompre la scène n'importe quand en déclencheant une autre scène proactive.

— Il est possible d'insérer une scène réactive (voir ci-dessous) à l'intérieur d'une scène proactive.

— Il est possible de présenter les composantes de la scène proactive (objectif, conflit, désastre) dans un autre ordre.

* Vous devez commencer par maîtriser la structure classique de la scène proactive avant de procéder à de telles transformations. Sinon, vous risquez fortement de créer des scènes dysfonctionnelles.

2. LA SCÈNE RÉACTIVE :

Le désastre de la scène précédente fait réagir le protagoniste, qui vit des émotions.

Plusieurs techniques pour montrer les émotions des personnages : les descriptions, les actions, les dialogues...

Ses émotions passées, le protagoniste commence à réfléchir ; il cherche une solution.

Le processus de réflexion : revoir le désastre dans sa tête, se souvenir de l'importance de son objectif initial, analyser la situation, chercher de potentielles solutions...

Le protagoniste prend une décision qui le pousse à agir, ce qui déclenche la prochaine scène proactive.

Qui mène à... : une action immédiate montrant sa détermination nouvelle, et qui est liée au nouvel objectif. 

> CE QU'IL FAUT RETENIR À PROPOS DES SCÈNES RÉACTIVES...

Les scènes réactives sont à utiliser avec précaution, surtout dans un premier chapitre, car elles ralentissent considérablement l'histoire. Parfois, ces scènes n'ont tout simplement pas besoin d'être des scènes à part entière. Si le désastre n'est pas trop désastreux, ou si le protagoniste n'a tout simplement pas le temps de réfléchir, le processus réactif peut être raconté en quelques lignes à peine. Ainsi, deux scènes proactives s'enchaîneraient, unies par une simple transition (scène réactive écourtée et insérée dans une scène déjà existante).

> VARIATIONS POSSIBLES (MAIS POTENTIELLEMENT DANGEREUSES*) SUR LA STRUCTURE DE LA SCÈNE RÉACTIVE :

— Il est possible de sauter des parties (émotion, réaction, décision) ou de se contenter d'à peine quelques mots pour certaines d'entre elles.

— Il est possible d'accorder beaucoup plus de temps à l'une des parties lui donner de l'importance.

— Il est possible de les présenter dans un ordre différent à condition d'avoir une bonne raison de le faire.

— Il est possible d'interrompre une scène réactive avec l'arrivée d'une scène proactive empêchant le protagoniste de terminer sa phase de réaction.

— Il est possible de faire en sorte que le protagoniste réagisse à plusieurs désastres simultanément s'il n'a pas eu l'occasion de le faire auparavant.

* Encore une fois, vous devez commencer par maîtriser la structure classique de la scène réactive avant de procéder à de telles transformations. Sinon, vous risquez fortement de créer des scènes dysfonctionnelles.

LES ERREURS FRÉQUENTE DANS LA CONSTRUCTION D'UNE SCÈNE (PROACTIVE OU RÉACTIVE) :

1 — Qu'il y ait trop de personnages.

2 — Que le conflit tourne en rond, donnant une lassante impression de circularité.

3 — Que des personnages l'interrompent sans raison, empêchant le lecteur d'obtenir une pleine satisfaction et causant de la frustration.

4 — Que la scène parte dans tous les sens, s'éloignant de plus en plus du conflit initial.

5 — Que la narration perde le focus sur l'essentiel.

6 — Que le protagoniste oublie son objectif initial.

7 — Que l'antagoniste n'ait aucune raison valide de s'opposer au protagoniste.

8 — Que les arguments de l'antagoniste soient illogiques.

9 — Que le désastre de la scène soit un malheureux hasard, rendant tout ce qui s'est passé auparavant inutile aux yeux du lecteur.

10 — Que le protagoniste internalise trop le conflit, créant un abus de descriptions et un manque d'action ralentissant le rythme de l'histoire.

11 — Que le protagoniste n'ait pas assez à perdre si son objectif venait à ne pas être atteint.

12 — Que des présages lancés par l'auteur ne se réalisent pas, créant, encore une fois, l'effet du soufflé manqué.

13 — Que les désastres soient illogiques, qu'ils paraissent arrangés et irréalistes.

POUR ALLER PLUS LOIN...

Il existe, bien sûr, de nombreuses autres manipulations possibles que l'on peut faire avec ses scènes proactives et réactives. Il ne s'agit pas d'un modèle rigide, mais d'un outil permettant de maximiser la tension pour rendre la lecture plus agréable. Quelques exemples de manipulations (potentiellement dangereuses, donc déconseillées aux auteurs inexpérimentés) :

— Interrompre une scène proactive.

— Faire une scène proactive dans une scène proactive.

— Faire une scène réactive dans une scène proactive.

— Retarder une scène réactive avec une seconde scène proactive.

— Faire des scènes du point de vue d'un autre personnage.

— Faire des flashbacks.

— Fragmenter des scènes.

— Faire des scènes uniquement composées de dialogues.

— Faire des scènes uniquement composées d'action.

— Faire des scènes proactives où l'antagoniste est invisible.

— Faire des scènes proactives avec plusieurs objectifs.

La seule limite, ici, est votre maîtrise de la structure classique. Si vous ne la maîtrisez pas encore, prenez le temps de le faire avant de vous emporter! Et j'insiste!

Un flashback, par exemple, peut être très nocif au rythme de l'histoire. Et une scène fragmentée, elle, peut frustrer le lecteur. Pour bien utiliser ces techniques, il faut absolument être conscient de l'effet qu'elles peuvent avoir, si mal gérées.

Je me répète, donc, encore une fois...

Commencez par maîtriser la structure classique. Il n'y a rien de mal à écrire des scènes, proactives ou réactives, qui respectent la structure — au contraire! La structure classique est celle qui fonctionne le mieux. Pour les auteurs de n'importe quel niveau, qu'ils soient débutants ou avancés, c'est un outil d'une valeur inestimable.

EN CONCLUSION...

Les scènes proactives accélèrent l'histoire. Elles lui donnent son carburant, son élan. Les scènes réactives, elles, la ralentissent. Elles lui donnent sa profondeur, sa richessse. C'est l'harmonie des deux types de scènes qui donne à un roman son équilibre.

Plus les scènes sont longues, plus le rythme de l'histoire ralentit. Plus elles sont courtes, plus il accélère. Le rythme n'est pas une question de hasard, mais de maîtrise de la structure des scènes. Un auteur expérimenté construit ses scènes comme un chef d'orchestre dirige une symphonie. Au final, la littérature a peut-être plus de points communs avec la musique que l'on ne pourrait le penser... 

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Comme l'oeuvre de Jack M. Bickham est extrêmement détaillée, de nombreux points ont seulement été survolés dans cet article. Si vous avez besoin de précisions, n'hésitez pas à commenter, il me fera plaisir d'approfondir la matière!

Si vous êtes tentés d'hurler en disant « Oui, mais certains auteurs n'utilisent pas cette structure et écrivent bien tout de même! », sachez que cette structure est instinctive. Elle n'a pas été inventée. Il s'agit de la façon dont, sans même en être conscients, les êtres humains construisent des histoires. Bref, les auteurs auxquels vous faites référence l'utilisent sans même le réaliser. 

Toutefois, tout le monde n'obtient pas un tel résultat en claquant des doigts. Pour beaucoup, l'étude de la structure des scènes est nécéssaire.

Qu'avez-vous pensé de cet article? J'ai très hâte d'avoir vos commentaires! ❤️

À bientôt pour un prochain diagnostic! 

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